Ce rapport d’information parlementaire de 116 pages sur le dialogue social auquel je me suis déjà référé dans un post précédent, a été publié le 13 décembre 2011. Il conclut à 16 propositions. Il reste cependant surprenant de voir le peu d’échos qu’il a eu, hormis l’association ADEFDROMIL qui a publié une analyse peu nuancée mais intéressante. Je ne sais si le conseil supérieur de la fonction militaire ou si l’un des conseils d’armée évoqueront ce rapport lors de leurs réunions, il n’en reste pas moins que ce document, peut-être insuffisant si je me réfère toujours à ADEFDROMIL… reste d’un réel intérêt à moins que le travail parlementaire n’ait aucune valeur pour nos armées.
L’introduction du rapport rappelle que la mission d’information a été créée pour répondre aux inquiétudes éventuelles des militaires suite aux réformes. Elle spécifie que les organismes de concertation actuels ne répondent pas aux attentes notamment dans le cadre de la restriction des libertés individuelles des militaires et que le risque serait à terme « des formes de contestation plus radicales ». Cela commence assez fort ! Pourtant pour celui qui s’intéresse à la condition militaire, ce rapport des députés Le Bris (PS) et Mourrut (UMP) est riche avant tout d’informations sur le fonctionnement de notre institution dans ce domaine.
Une synthèse de ce rapport d’information
Il y est rappelé que le dialogue social au sein des armées est organisé suivant des règles et au sein d’institutions spécifiques, « définies de façon dérogatoire au droit commun afin de tenir compte des droits et des sujétions spécifiques à la fonction militaire ». En effet, ce « cantonnement juridique » a pour but d’assurer « la suprématie du pouvoir civil sur le pouvoir militaire », « condition de la démocratie », ainsi que « le respect du principe hiérarchique, condition de l’efficacité de l’armée ». Il restreint donc les possibilités d’expression collective dans les armées qui institueraient un cadre légal incompatible dans leur application aux militaires, y compris en matière de dialogue social. Finalement, le débat tel qu’il est présenté par ce rapport est plutôt celui de l’expression collective des revendications sociales des militaires.
Des dispositifs de dialogue social adaptés au statut des militaires ont donc été progressivement mis en place, ce qui est reconnu dans le rapport mais celui-ci constate un système de plus en plus déconnecté des attentes des personnels et des évolutions de la société. Cette déconnexion est aggravée par la méconnaissance par les militaires des instances nationales, de leurs membres, par une représentativité peu satisfaisante en raison du seul tirage au sort des volontaires entraînant notamment une décroissance des volontaires. Un sentiment grandissant d’impuissance est souligné alors que l’usage d’internet (blogs), des forums (CF. Le mamouth, sur les réseaux sociaux et les familles) se développent. A terme, le rapport évoque à terme des risques de « ruptures » sur les relations entre l’armée et la nation, entre la hiérarchie et le militaire.
Les annexes sont aussi intéressantes avec cette circulaire du ministre de la défense et des anciens combattants du 25 mars 2011 portant une charte de la concertation. Document de référence définissant la nature et le champ de la concertation dans les forces armées, ainsi que les instances qui en sont chargées et leurs modalités de fonctionnement, il définit surtout dans son article 2 ce qu’est la condition militaire :
« La condition militaire recouvre l’ensemble des obligations et des sujétions propres à l’exercice du métier militaire, ainsi que les garanties et les compensations que la Nation estime nécessaire d’apporter aux militaires et à leur famille.
Contribuant de manière déterminante au moral du personnel et, par conséquent, à l’efficacité opérationnelle des forces armées, elle prend notamment en compte les aspects juridiques, économiques, sociaux et culturels susceptibles d’avoir une influence sur, entre autres, l’attractivité du métier des armes et des parcours professionnels, et les conditions de vie, d’organisation du travail et de départ des armées. »
Je relèverai cependant une certaine contradiction entre les deux paragraphes. Lorsqu’il est écrit que les garanties et les compensations dépendent de « ce que la Nation estime nécessaire », donc du parlement, je me demande si l’on oserait écrire cela pour les autres catégories de la fonction publique. Imaginez-vous l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement peu favorable aux militaires, bien sûr un cas d’école, et ses conséquences sur la condition militaire. La hiérarchie militaire serait-elle en mesure de défendre les intérêts de la communauté militaire ?
Une évaluation mitigée des propositions du rapport
Les parlementaires font donc 16 propositions qui m’incitent à réagir. Pour répondre au manque de représentativité, de connaissance du fonctionnement des conseils, au manque aussi d’informations sur les travaux donnés par les membres des conseils, il est donc recommandé de faire élire les membres du CSFM par les présidents de catégories et les membres des commissions d’armée (Proposition 1). Il est intéressant de lire que la majorité des militaires y serait opposée. Cela n’est pas mon cas. La limitation à deux mandats (Proposition 6) devrait empêcher toute dérive « électoraliste » malgré la réaction négative d’ADEFDROMIL.
La proposition d’accorder de plus grandes dispenses d’activité et d’assurer une meilleure formation aux présidents de catégorie me paraît surtout une nécessité (Proposition 5). Ayant été au CFM-Terre dans le passé, j’ai le souvenir de cette difficulté à appréhender des sujets si différents et ensuite de les faire travailler par une population plutôt hétérogène. Le temps consacré aux dossiers par les « élus » est nécessaire et le temps accordé est sans doute encore insuffisant si l’on voit la complexité des dossiers. Donner ce travail de préparation à des organismes de l’institution les rendent à mon avis juges et parties (Proposition 13). En revanche, créer une structure permanente et dépendante du CSFM recrutant notamment parmi les anciens membres du CSFM et des CFM permettrait d’être au plus près des personnels.
La proposition n°7 cependant laisse perplexe : permettre aux membres des instances nationales de concertation de bénéficier de la validation des acquis de leur expérience de membres de ces conseils. Mieux vaut insérer dans la fiche de notation une case à cocher si l’intéressé a été membre d’un CFM. En effet, aujourd’hui, inscrire cet engagement ne peut pas figurer dans les évaluations annuelles. Signaler cette fonction volontaire, sans l’intégrer au titre de la notation pour éviter un éventuel intéressement personnel, aurait été une proposition plus significative. Quant à l’affichage de l’appartenance par un signe distinctif – Proposition 8 – cela me semble une bonne idée pour favoriser la connaissance des organismes de concertation et des contacts avec leurs membres.
Quant aux propositions 15 et 16, je ne peux y adhérer. Autoriser les militaires à adhérer à des associations de défense de leurs droits, autoriser les militaires à déposer des recours collectifs contre les actes de l’autorité dont ils dépendent, seraient des propositions dangereuses pour le fonctionnement des armées. Cependant, un manque d’écoute, une condition militaire laissée au bon vouloir de la représentation parlementaire seraient tout aussi dangereux sur le lien entre l’armée et la nation.
Pour conclure
La question de l’équité de traitement se pose donc. Les militaires de la gendarmerie au sein du MIOMCTI, déjà en pointe pour l’organisation de la concertation, pourront-ils longtemps supporter la comparaison avec une force de police fortement syndiquée ? Quels seront les impacts des évolutions inéluctables de la condition militaire de la gendarmerie sur le reste des forces armées ? Les différences existant entre la condition militaire des gendarmes et celles des militaires des autres armées pourront-elles être supportables à terme ?
Je reprendrai par ailleurs une réflexion d’Adefdromil sur l’amélioration du dialogue social dans les armées qui devrait s’intéresser aussi au fonctionnement des commissions de toute nature (commissions d’avancement, commission de recours des militaires …) au point de proposer qu’il « est impératif d’instituer à l’avenir une représentation paritaire ». Sujet intéressant. Enfin, il faudra bien qu’il y ait une corrélation de la condition militaire avec les évolutions de la fonction publique qui ne limitent pas à l’échelle indiciaire. Pour cela, les organes militaires de concertation devront être suffisamment forts pour défendre les intérêts des militaires d’autant que la limitation des opérations extérieures et donc des indemnités dues à ce titre auront sans aucun doute un effet sur la condition militaire.
Donc, un rapport intéressant, sans doute constructif, mais qui peut encore aller plus loin dans le dialogue social au sein des armées.