samedi 27 juillet 2024

Effacement des questions de sécurité dans la campagne électorale et incertitudes post-électorales

Le premier tour des élections présidentielles a eu lieu et il ne reste que deux candidats pour le meilleur ou le pire, ou le/la moins pire des deux. Le dilemme est grave mais le peuple a choisi, que les uns ou les autres le veuillent ou pas. D’aucuns pourraient déplorer ce résultat, sinon ce choix cornélien. Il faut accepter la démocratie telle qu’elle est avec ses qualités et ses défauts mais le XXIe siècle ne verra-t-il pas une évolution de ce concept ? En l’occurrence, le vote des citoyens nous laisse peu de choix hormis la nécessité, le devoir de nous exprimer même par un vote blanc dans le second tour de cette élection présidentielle qui a écarté les partis traditionnels et bouleversé tous les pronostics.

L’attaque terroriste djihadiste du jeudi 20 avril sur les Champs-Elysées aurait pu influencer l’élection et les électeurs. Les candidats comme Marine Le Pen et surtout François Fillon mettant en avant une lutte renforcée contre l’islamisme radical n’ont pourtant pas « bénéficié » de l’impact de l’attentat. Que peut-on en déduire sur les préoccupations des Français face à la situation sécuritaire ?

Je constate d’abord que le débat sur la sécurité de la France est absent de l’élection et qu’il s’intègre dans une exacerbation des prises de position avec deux camps désormais irréconciliables et haineux par bien des aspects aujourd’hui.

Pour Emmanuel Macron, le budget de la défense serait progressivement augmenté jusqu’à la fin du mandat présidentiel. En bref, comme d’autres candidats, les armées ne sont pas la vraie priorité. En fonction des circonstances, nous pourrions espérer la poursuite d’un effort de défense si la menace se maintient et si la situation économique s’améliore, ce qui est loin d’être gagnée d’après les derniers indicateurs.

Pour Marine Le Pen, il est promis aux armées un PIB dédié à la défense de 3% dès 2018. Qui peut croire que cela sera possible ? Un engagement sur une augmentation régulière et sanctuarisée aurait sans aucun doute été plus crédible.

En fait, le discours politique montre très clairement aujourd’hui que les candidats, que ce soit au premier tour ou au second tour, promettent comme hier ce que l’électeur souhaite entendre, hormis quelques candidats comme François Fillon, afin de créer une majorité. Ils affichent donc sans vergogne des promesses qu’ils savent ne pas tenir pour la plupart. L’électeur doit le savoir sauf s’il vit dans un autre monde.

A cet art de la promesse non tenue, s’ajoute le spectacle des trahisons, des dissimulations, des coups fourrés d’avant le premier tour, des nouvelles trahisons de l’entre-deux tours dont les différents politiques n’ont pas été avares. Comment croire que la classe politique en sorte grandie lorsque l’on voit aussi bien pour les uns que pour les autres ces changements de discours à deux semaines d’intervalle ?

Ce qui est intéressant de constater aussi, c’est le poids des archives des propos tenus et des images, y compris depuis dix ou quinze ans pour décrédibiliser tel ou tel responsable politique interdisant d’ailleurs toute évolution d’une prise de position. Rapidement, ce qui a été dit ou écrit des années auparavant devient une condamnation à charge d’autant plus efficace que la classe politique d’aujourd’hui est en place depuis longtemps. Il y a donc forcément des contradictions largement instrumentalisées par les médias ou les réseaux sociaux. Pour les nouveaux élus de juin, beaucoup pouvant venir de la société civile, le risque de décrédibilisation sera pire avec Facebook, les images sur le net, les tweets archivés… Je ne suis pas sûr que leur crédibilité dure bien longtemps et rénove profondément la classe politique.

En effet, l’Assemblée nationale sera sans doute beaucoup transformée en juin 2017. Emmanuel Macron veut ouvrir la députation à de nouveaux députés issus de la société civile. Marine Le Pen disposera sans doute aussi de députés avec aussi peu d’expérience. Ce renouvellement sera renforcé par la réforme sur le cumul des mandats qui s’exercera après les législatives et désorganisera largement la classe politique. Beaucoup de députés en place, de gauche ou de droite, ne veulent plus se représenter. Enfin, l’incertitude sera renforcée en raison des triangulaires et des quadrangulaires à venir soit, selon le Monde, 238 quadrangulaires et 225 triangulaires potentielles au second tour sur les 566 circonscriptions (hors donc les circonscriptions des Français de l’étranger).

L’Assemblée nationale sera vraisemblablement peu au fait des questions de défense et de sécurité, avec sans doute un grand manque de pragmatisme face aux réalités d’un monde désorganisé et dangereux. L’angélisme risque bien d’être au rendez-vous, avec une grande difficulté à faire évoluer par exemple les lois sur la sécurité intérieure ou pour agir à l’extérieur de nos frontières.

L’exécutif ne sera pas dans une meilleure situation surtout si le ministre de la défense actuel ne reste pas en place par exemple avec une victoire d’Emmanuel Macron. Quant à Marine le Pen, peu d’indications apparaissent sur son futur ministre de la défense mais nous savons que la sortie de l’OTAN peut être d’ores et déjà programmer ce qui n’est pas la meilleure façon de protéger la France et l’Europe.

Je remarquerai surtout que le discours actuel d’Emmanuel Macron correspond bien à cette vision angélique du monde collant aux attentes des Français à travers les valeurs recherchées.

Cette approche s’appuie sur des sociétés de « big datas » utilisant des algorithmes. Je prendrai ce tableau diffusé dans Sciences et Avenir d’avril 2017. Il est issu de l’analyse de la société Proxem qui accompagne la campagne du candidat Macron. Ainsi, les premières valeurs attendues des Français sont la solidarité, l’intégrité, la transparence, valeurs devançant le sens de la réalité, le respect des engagements, et loin derrière, l’autorité avec donc sa relation avec la sécurité. J’ai le sentiment profond que l’on « vend » aux Français un monde idéal et non une approche pragmatique et réaliste. Mais c’est ce qu’attend une partie des Français qui aspirent à ce monde idéal.

Dans tous les cas, la société française sera sans doute très divisée sinon en situation d’affrontement à compter de juin 2017. J’en ai eu d’ailleurs un aperçu cette semaine en donnant une conférence sur le désordre mondial et par extension sur l’évolution sécuritaire de notre société. Je crains que le dogmatisme, la déception d’une partie de notre population, une focalisation extrême sur notre société ne conduisent à une situation de blocage, quel que soit le président de la République. Les passions sont exacerbées. Des désobéissances civiles accrues ne sont pas non plus à exclure.

Emmanuel Macron élu, il sera soumis à la pression de l’extrême-gauche mélenchoniste et de Marine Le Pen. Marine Le Pen élue, elle sera confrontée à l’incapacité de gouverner. La sécurité nationale risque d’être bien compromise d’abord dans la phase de transition entre l’élection présidentielle et des élections législatives bien incertaines aujourd’hui avec le risque d’une absence de majorité, puis après ces élections quel que soit le président. « On est mal, Patron ! » pour reprendre une publicité connue et le chef d’état-major des armées aura un vrai rôle pédagogique à assurer auprès des futurs députés !

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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