dimanche 21 juillet 2024

Gagner une guerre aujourd’hui ?

Il est toujours agréable de parler d’un ouvrage de qualité surtout sur un sujet autant d’actualité si je me réfère à la parution du Livre blanc le 29 avril dernier. Il conforte la richesse croissante des publications sur les questions militaires notamment par les éditions Economica ou à compte d’auteur comme le souligne Philippe Chapleau sur son blog. Il est dommage que cette liberté d’expression sur les questions militaires arrive si tard si je prends en considération l’avenir de notre défense. Ne pas avoir développé cette aptitude à s’exprimer publiquement nous coûte très cher aujourd’hui à mon avis.

Bref, sous la direction du colonel Chalmin, « Gagner une guerre aujourd’hui ? » est un ouvrage paru en janvier 2013 aux éditions Economica. Il pose la question des enjeux des conflits modernes à travers 19 contributions d’auteurs militaires ou civils les plus divers et complémentaires. Par sa richesse, il satisfera tous les amateurs de réflexions stratégiques et de stratégie militaire.

La problématique réside dans le titre : les armées occidentales peuvent-elles gagner une guerre aujourd’hui, compte du contexte international, des intérêts nationaux ou privés, de l’aspiration à la paix des uns et des autres, parfois à n’importe quel prix, de la complexité de la résolution des conflits modernes ?

Plusieurs interrogations apparaissent donc : qu’est-ce que gagner une guerre ? Les notions de victoire ou de défaite ont été éliminées des discours occidentaux. La réconciliation doit toujours être envisagée. La guerre elle-même a-t-elle le même sens qu’hier ? Le terme de « guerre » est d’ailleurs remplacé par opérations de stabilisation, de gestion de crise (Cf. le Livre blanc). L’ennemi n’existe plus. A la place, nous avons des adversaires, des terroristes, surtout pas des djihadistes comme nous l’avons vu au Mali. Enfin, civils et militaires sont appelés à agir ensemble dans une zone de conflit.

L’ouvrage est donc organisé en cinq thèmes :

  • L’impuissance de la puissance militaire
  • Le changement de la nature des opérations
  • Un environnement bouleversé
  • Une légitimité remise en question
  • L’adaptation des acteurs pour obtenir la victoire.

Peut-on en déduire que la guerre, et donc le recours à la force, est encore un instrument de puissance acceptable, utile, nécessaire pour un Etat occidental ?

Sans doute mais sous certaines conditions. J’en retiendrai cinq.

La première est bien sûr la légitimité de l’action. Elle est certes soumise au contexte juridique mais aussi à la vision stratégique de l’après-guerre. Faire la guerre signifie en partie que la situation de paix du moment n’est pas acceptée et que nous souhaitons une paix plus favorable à nos intérêts.

La seconde est la définition des buts de guerre et des effets recherchés qui ne se limite plus à l’élimination de la menace. Elle doit intégrer le traitement de la cause du conflit et la reconstruction de la zone de crise dans toutes ses dimensions.

Cela conduit à la troisième condition, une approche globale de la crise à régler, c’est-à-dire la synergie de l’ensemble des outils de l’Etat et de la communauté internationale. Cela implique une autorité pour coordonner une opération dans la durée qui fera appel à des moyens les plus divers. Le coût de la crise ne peut s’affranchir d’un financement international important dans la durée.

Une quatrième condition est la détermination exprimée par le politique, malgré les pressions des groupes ou des opinions publiques, à conduire la stratégie notamment militaire qui a été décidée.

La cinquième et dernière condition est cette prise de conscience que la guerre a lieu aussi dans les esprits, sinon dans les cœurs. L’arrêt des hostilités par un accord n’a que peu de réalité aujourd’hui. La guerre est totale et ne s’éteint jamais totalement surtout dans un monde de communication comme aujourd’hui. Tout action, même conduite par peu d’acteurs, est exploitable médiatiquement et contribue à donner le sentiment que la « guerre » continue. La bataille des perceptions, la guerre du sens sont désormais permanentes avec un doute constant envers la parole publique. Par exemple, la moitié des Français croient aux théories du complot (Cf. Le Monde du 4 mai 2013). Comme gagner un conflit dans ce contexte ?

Pour conclure, les questions sur lesquelles nous pourrions travailler est la comparaison entre le coût ou le gain d’une guerre dans tous ses aspects (politique, humain, juridique, économique, informationnel), le coût ou le gain de l’inaction. Dans le contexte occidental et européen, avec une Europe qui fait le choix de désarmer et donc refuse la guerre d’une manière plus ou moins avouée, le recours à la force « efficace » est-il encore possible ou faut-il se contenter de financer l’assistance humanitaire, la reconstruction ? Cela semble bien le cas et je citerai volontiers le néoconservateur Robert Kagan, « Les Américains font la cuisine, les Européens font la vaisselle ». (La puissance et la faiblesse, Plon – Omnibus, 2003). La question serait aujourd’hui : est-ce que les Américains ont encore envie de faire la cuisine ? Rien n’est moins sûr.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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