Il est toujours agréable de parler d’un ouvrage de qualité surtout sur un sujet autant d’actualité si je me réfère à la parution du Livre blanc le 29 avril dernier. Il conforte la richesse croissante des publications sur les questions militaires notamment par les éditions Economica ou à compte d’auteur comme le souligne Philippe Chapleau sur son blog. Il est dommage que cette liberté d’expression sur les questions militaires arrive si tard si je prends en considération l’avenir de notre défense. Ne pas avoir développé cette aptitude à s’exprimer publiquement nous coûte très cher aujourd’hui à mon avis.
Bref, sous la direction du colonel Chalmin, « Gagner une guerre aujourd’hui ? » est un ouvrage paru en janvier 2013 aux éditions Economica. Il pose la question des enjeux des conflits modernes à travers 19 contributions d’auteurs militaires ou civils les plus divers et complémentaires. Par sa richesse, il satisfera tous les amateurs de réflexions stratégiques et de stratégie militaire.
La problématique réside dans le titre : les armées occidentales peuvent-elles gagner une guerre aujourd’hui, compte du contexte international, des intérêts nationaux ou privés, de l’aspiration à la paix des uns et des autres, parfois à n’importe quel prix, de la complexité de la résolution des conflits modernes ?
Plusieurs interrogations apparaissent donc : qu’est-ce que gagner une guerre ? Les notions de victoire ou de défaite ont été éliminées des discours occidentaux. La réconciliation doit toujours être envisagée. La guerre elle-même a-t-elle le même sens qu’hier ? Le terme de « guerre » est d’ailleurs remplacé par opérations de stabilisation, de gestion de crise (Cf. le Livre blanc). L’ennemi n’existe plus. A la place, nous avons des adversaires, des terroristes, surtout pas des djihadistes comme nous l’avons vu au Mali. Enfin, civils et militaires sont appelés à agir ensemble dans une zone de conflit.
L’ouvrage est donc organisé en cinq thèmes :
- L’impuissance de la puissance militaire
- Le changement de la nature des opérations
- Un environnement bouleversé
- Une légitimité remise en question
- L’adaptation des acteurs pour obtenir la victoire.
Peut-on en déduire que la guerre, et donc le recours à la force, est encore un instrument de puissance acceptable, utile, nécessaire pour un Etat occidental ?
Sans doute mais sous certaines conditions. J’en retiendrai cinq.
La première est bien sûr la légitimité de l’action. Elle est certes soumise au contexte juridique mais aussi à la vision stratégique de l’après-guerre. Faire la guerre signifie en partie que la situation de paix du moment n’est pas acceptée et que nous souhaitons une paix plus favorable à nos intérêts.
La seconde est la définition des buts de guerre et des effets recherchés qui ne se limite plus à l’élimination de la menace. Elle doit intégrer le traitement de la cause du conflit et la reconstruction de la zone de crise dans toutes ses dimensions.
Cela conduit à la troisième condition, une approche globale de la crise à régler, c’est-à-dire la synergie de l’ensemble des outils de l’Etat et de la communauté internationale. Cela implique une autorité pour coordonner une opération dans la durée qui fera appel à des moyens les plus divers. Le coût de la crise ne peut s’affranchir d’un financement international important dans la durée.
Une quatrième condition est la détermination exprimée par le politique, malgré les pressions des groupes ou des opinions publiques, à conduire la stratégie notamment militaire qui a été décidée.
La cinquième et dernière condition est cette prise de conscience que la guerre a lieu aussi dans les esprits, sinon dans les cœurs. L’arrêt des hostilités par un accord n’a que peu de réalité aujourd’hui. La guerre est totale et ne s’éteint jamais totalement surtout dans un monde de communication comme aujourd’hui. Tout action, même conduite par peu d’acteurs, est exploitable médiatiquement et contribue à donner le sentiment que la « guerre » continue. La bataille des perceptions, la guerre du sens sont désormais permanentes avec un doute constant envers la parole publique. Par exemple, la moitié des Français croient aux théories du complot (Cf. Le Monde du 4 mai 2013). Comme gagner un conflit dans ce contexte ?
Pour conclure, les questions sur lesquelles nous pourrions travailler est la comparaison entre le coût ou le gain d’une guerre dans tous ses aspects (politique, humain, juridique, économique, informationnel), le coût ou le gain de l’inaction. Dans le contexte occidental et européen, avec une Europe qui fait le choix de désarmer et donc refuse la guerre d’une manière plus ou moins avouée, le recours à la force « efficace » est-il encore possible ou faut-il se contenter de financer l’assistance humanitaire, la reconstruction ? Cela semble bien le cas et je citerai volontiers le néoconservateur Robert Kagan, « Les Américains font la cuisine, les Européens font la vaisselle ». (La puissance et la faiblesse, Plon – Omnibus, 2003). La question serait aujourd’hui : est-ce que les Américains ont encore envie de faire la cuisine ? Rien n’est moins sûr.