Entre un investissement dans l’OTAN ou dans une Europe de la défense plus indépendante, avons-nous réellement le choix ? Pour le GCA (2S) Henri Poncet, il suffit de considérer notre faiblesse économique pour réaliser qu’hors de l’OTAN il n’y a point de salut ?
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L’inflation en Europe provoquée par de multiples facteurs, de la pandémie au « quoi qu’il en coûte », de la guerre en Ukraine au cours du baril, a fait surgir de multiples scénarios largement évoqués ou commentés par les économistes et les politiques qui finalement peuvent se rassembler dans deux camps : les tenants d’une stricte politique monétaire, même au prix d’une récession (à l’exemple de la FED américaine), et les partisans d’une politique budgétaire. Pour les pays européens de la monnaie unique, la politique monétaire est du domaine de la BCE. Évidemment, en situation de crise, l’idéal est de conduire une mise en œuvre coordonnée. On parle alors de policy mix.
Mais encore faut-il ne pas être en situation de surendettement. C’est ce qui explique aujourd’hui les difficultés du couple franco-allemand rentré à nouveau dans une période du « je t’aime moi non plus ». Certes l’Allemagne a bien des torts en ayant misé sur une énergie à bon marché venant de Russie et en faisant l’impasse sur sa défense. Mais reconnaissons que le déclassement économique (dette, chômage, commerce extérieur, etc.) de la France rend le partenaire de moins en moins attirant. La période est favorable aux infidélités.
Et l’Allemagne, et avec elle sa cour, de retrouver les yeux de Chimène pour Washington. Les 100 milliards d’euros de son programme de réarmement iront en grande partie vers les États-Unis avec la commande des F-35 et l’annonce du projet allemand de bouclier antimissile signé le 13 octobre, lors d’une réunion de l’OTAN, par quatorze pays. C’est loin d’être une surprise. C’est une constante dans la politique de sécurité de l’Allemagne comme l’exprimait en 2020 Annegret Kramp-Karrenbauer, ministre de la défense de la chancelière Merkel : « Il faut en finir avec l’illusion d’une autonomie stratégique de l’Europe. Elle nourrit l’illusion que nous pourrions assurer la sécurité, la stabilité, sans l’OTAN et les USA ».
Fort heureusement la France reste protégée par la monnaie unique
La disparition de l’euro marquerait pour nos armées une paupérisation accrue, un budget de la défense considérablement réduit, des réductions encore plus conséquentes des formats et des effectifs. En effet, la dette de la France aujourd’hui libellée en euros progresserait de manière importante compte tenue de la faiblesse d’une monnaie nationale retrouvée, sans parler des dévaluations qui ne manqueraient pas de suivre. On en mesurerait rapidement les conséquences sur le titre 3[1], avant d’observer le ralentissement important des programmes d’armement en coopération et les conséquences sur le renouvellement des matériels. D’autant que l’urgence ne serait plus de sauver un budget de la défense, mais les finances publiques et l’ensemble de l’économie du pays pour éviter la faillite.
Le gouvernement quel qu’il soit ne ferait jamais de la défense une priorité, alors que c’est la survie du pays qui serait l’enjeu. La Grèce vaut exemple en ayant été contrainte de revoir très fortement à la baisse son budget de la défense dans le cadre des économies imposées par le FMI et le FESF (Fonds européen de stabilité financière). Rappelons que sur 1 000 € dépensés en France en 2021, 572 vont aux dépenses sociales, 156 aux dépenses sectorielles, 60 au régalien dont 31 € pour la défense.
Que pèserait une vision sur le long terme, alors que le court terme apporterait chaque jour son lot de mauvaises nouvelles et de mécontentement du plus grand nombre ?
Le gouvernement devrait parer au plus pressé. Ce ne serait certainement pas la défense. Raison de plus pour ne pas remettre en question notre statut dans l’OTAN qui nous apporte une capacité d’action plus conséquente, avec d’autres Européens qui n’étaient peut-être pas ceux sur lesquels, a priori, la France pensait pouvoir compter. Sans porter de jugement sur le bien-fondé de notre engagement en Libye par exemple, et même au Sahel, reconnaissons qu’il aurait été très délicat, hors OTAN, de conduire ces opérations et surtout de s’inscrire dans la durée.
L’Europe de la défense reste pour le moment un vœu pieux
La plupart des pays membres de l’UE n’ont ni l’intention de cotiser à la fois à l’OTAN et à l’Europe, ni le désir de quitter l’abri du parapluie américain. Si ambition il doit y avoir pour la France, c’est d’occuper au sein de l’OTAN une place égale à celle de la Grande-Bretagne. C’est là notre meilleure garantie dans les mois et les années d’incertitude économique qui s’annoncent.
Si la crise actuelle ouvre sur un système fédéral combinant à la fois une politique monétaire et une politique budgétaire, il sera alors temps dans un nouvel ordre mondial où l’Europe représenterait une vraie puissance de repenser le pilier européen de la défense au sein de l’OTAN et, peut-être, plus tard, de bâtir une Europe de la défense au sein d’une Europe fédérale dont les membres restent sans doute à compter pour ne pas commettre à nouveau l’erreur d’aller trop vite. Souhaitons que la France et l’Allemagne effacent rapidement la brouille actuelle car leurs intérêts respectifs leur commandent de rester solidaires et unies.