Il ne faut jamais hésiter à se faire un petit plaisir et j’apprécie toujours autant les émissions de radio. Cela me permet un second billet ce dimanche. J’ai donc eu l’opportunité de participer à une émission sur France Inter le samedi 5 janvier 2013. Ma dernière émission de radio remontait à juillet 2010 lors d’une mission en Colombie sur « L’action intégrale ». Nous y expliquions notre visite sur la radio militaire, certes avec l’aide d’un interprète.
Produite et présentée par Sonia Devillers, l’émission « Le grand bain », une heure en direct, est consacrée aux médias. Elle avait pour thème « Internet a-t-il transformé la guerre ? ». Je n’étais pas seul. J’ai retrouvé de jeunes experts comme Romain Mielcarek, journaliste indépendant, bloggeur sur les questions de défense et de relations internationales, et Marc Hecker, chercheur à l’IFRI (Institut français des relations internationales).
Trois thèmes ont été développés : les militaires et internet, l’expérience israélienne à Gaza et l’exemple de la Syrie aujourd’hui. Nous avons échangé librement et ce qui était particulièrement intéressant outre le sujet, c’était cette complémentarité de nos réflexions, des échanges qui permettent ensuite de réfléchir et d’approfondir les sujets.
Internet et le soldat
Je le qualifierai aujourd’hui comme un espace mondial, sans frontière, ne connaissant pas la guerre ou la paix, immatériel mais dépendant d’infrastructures physiques. Il est partagé entre les Etats, les organisations, les communautés, les individus. Il incarne un espace social, de partage de l’information, du savoir. Les réseaux sociaux en sont l’illustration.
Sur les relations entre Internet et le soldat dans ce contexte, il faut distinguer la situation individuelle du soldat-citoyen et celle de l’institution militaire. La situation du temps de paix, de crise ou de guerre détermine le positionnement de l’un et de l’autre. Ainsi, les militaires sont des citoyens aux libertés individuelles limitées par leur statut. Cependant, les militaires français à la fois citoyens et au service de l’Etat pour des missions régaliennes spécifiques, y ont accès comme tout autre citoyen et leur interdire paraît difficile.
L’évolution d’Internet et sa place dans la vie de chacun ont donc amené le besoin pour les armées de prendre en compte cette situation. Internet est devenu essentiel en temps de paix en France dans le quotidien du soldat souvent jeune et on ne peut plus refuser son accès dans des opérations de six mois notamment au titre du moral du soldat et de sa famille. Il s’agit de concilier l’expression publique ou privée, le partage de l’information, la sûreté aussi des informations diffusées.
Internet et la stratégie militaire
Internet a-t-il donc transformé la guerre alors que celle-ci dans son acception traditionnelle n’y existe pas ? Sans aucun doute.
Au niveau stratégique, il faut prévenir ou résoudre un conflit. Agir par l’intermédiaire d’internet entre dans l’approche globale de sa résolution ou de sa prévention. Il s’agit d’asseoir aussi la légitimité de nos opérations et de leur donner du sens dans une guerre des idées et la bataille des perceptions.
Cette approche globale comprend actions militaires, civiles, d’influence. Cela conduit à prendre en compte la multiplicité des acteurs dans une logique d’effets à obtenir mais en sachant qu’ils ne sont pas tous envisageables ou prévisibles. S’ajoute notamment une nécessaire approche culturelle des conflits.
En outre, Internet a transformé la guerre car il a fait de chaque militaire, sinon de chaque membre de la communauté militaire, un acteur volontaire ou involontaire de ce que nous appelons une stratégie d’influence.
Enfin, cette guerre de l’information (pour, contre, par l’information), qui est aussi celle des idées, ne peut ignorer les actions de cyberguerre qui constitue la dimension technique de l’influence et les stratégies de communication par les médias (télévision, radios), plus classiques qui s’intègrent à mon avis dans toute stratégie d’influence
Ce cyberespace donne en effet la dimension technique des actions d’influence menées par les différents réseaux sociaux. Par leur biais, en fonction de leur finalité (twitter, blog, facebook, YouTube…), les idées et les images sont propagées sans grand contrôle par « tout un chacun » pour influer sur les comportements individuels, mobiliser collectivement, inhiber le décideur politique sinon militaire.
Dans ce dernier cas, il est certain que la manière de commander évolue. Le général commandant les forces américaines en Irak avait sa page facebook et informait, répondait, expliquait ce qu’il faisait. En l’occurrence, il était en contact direct avec chacun de ses subordonnés, pouvait les motiver, développer un esprit de corps à grande échelle, établir un lien direct avec ses soldats. Sans internet, cela n’aurait pas été possible.
De même, Internet est intégré dans l’affrontement entre les belligérants que cela ait été en Afghanistan ou au Moyen-Orient comme l’émission l’a montré. Là aussi, la guerre a trouvé sa place, moins mortelle certes mais réintroduisant la guerre des idées, soutenant la bataille pour la légitimité à conduire une opération militaire. Israël a déduit par exemple de ses conflits que mieux valait empêcher les journalistes d’être présents que de leur permettre de travailler au contact des opérations même si l’adversaire communique. Ecoutant les journalistes ce soir sur les opérations au Mali se plaignant de l’absence d’images notamment de l’état-major, je me demande si, à juste titre, les mêmes enseignements n’ont pas été retirés par la France.
Internet, communication ou influence ?
Pourquoi cette situation ? Reconnaissons la grande défiance à l’égard des journalistes sur le terrain (ce n’est pas l’affaire Hervé Ghesquière qui me contredira). Il suffit de voir aussi comment une dépêche de l’AFP, donc d’une grande agence, est transformée par les médias « acheteur » en fonction de leur sensibilité. Une dépêche objective initialement change de nature dans son exploitation. Et puis, quand on est en guerre, comment montrer que des femmes, des enfants meurent sans que cela ne pèse sur les opinions et c’est bien en outil de propagande que ces tristes événements sont utilisés notamment par les images diffusées sur internet.
Aujourd’hui, une information peut avoir des effets désastreux par sa diffusion notamment par internet. Or, lorsqu’une guerre est engagée, la finalité n’est pas la communication mais la réussite de l’opération : quand on doit faire la guerre, on fait la guerre. Le journaliste peut donc être écarté de la zone du conflit. En revanche, en démocratie et cela est normal, on rend des comptes ensuite au politique, à l’opinion publique même si le journaliste doit en être marri.
Cependant, le journaliste n’est pas le seul responsable de la diffusion de l’information. En l’occurrence, tout individu l’est aussi par les images qu’il met en ligne, ses messages par les réseaux sociaux. Il nous faut donc apprendre à maîtriser notre expression et prendre en compte les effets possibles. La notion d’influence, différente de la simple communication, doit être intégrée pour agir en appui des opérations et pour façonner l’environnement opérationnel dans le champ des perceptions.
Je vous invite donc à réécouter cette émission « Le Grand Bain » et ses nombreux exemples en ligne jusqu’au 1er octobre 2015 (si, si).