Tout en ravivant le souvenir tragique des affrontements militaires en Europe même, la crise ukrainienne a mis en relief l’importance prise par la lutte informationnelle. Il n’est en revanche pas certain que toute la mesure en ait été prise. Au-delà de ses péripéties ponctuelles, elle représente un défi structurel pour notre démocratie.
La Russie de Vladimir Poutine ne s’encombre pas plus de précautions dans la sphère informationnelle que sur le terrain. Sur le plan intérieur, elle recourt à la censure la plus dure — jusqu’à 15 ans de prison pour toute information discordante sur les forces armées. À l’extérieur, elle utilise la désinformation par les fake news, l’intoxication idéologique et la mésinformation consistant à diffuser des informations tronquées ou biaisées pour fausser le jugement.
Pourtant, sa construction narrative est trop grossière pour porter. Qui peut sérieusement croire que la Russie mène une guerre défensive contre les nazis ukrainiens, à part une minorité prête à accepter par idéologie n’importe quel discours venu de Poutine ?
Sachant leur message irrecevable, les cellules russes de guerre de l’information ne cherchent pas à convaincre l’opinion publique de leurs compétiteurs. Elles aspirent en revanche à les désorienter en saturant l’espace cognitif dans un premier temps et en exploitant les contradictions internes des démocraties dans un second.
Désinformationite et relativisme
La répétition d’un message finit par provoquer une certaine accoutumance. Même si la raison empêche d’y adhérer, la porte est ouverte au doute. Or le doute amoindri la volonté. C’est un des buts visés par les opérations russes.
Les innombrables créations de comptes depuis le début de la crise ne sont évidemment pas fortuites et participent à cette stratégie d’occupation de l’espace narratif visant à créer un véritable brouillard cognitif.
Si les manipulations liées à la désinformation sont généralement identifiées et démasquées, leur multiplication conduit à la confusion. À l’image de « l’espionite » de 1939-1940, qui n’a permis d’arrêter aucun espion mais qui a démoralisé la nation en éveillant une suspicion généralisée, la désinformationite ancre une défiance structurelle dans l’opinion. Les débats politiques ou, tout simplement, les fils de commentaires des réseaux sociaux reflètent la conviction largement répandue que tout contradicteur est désinformé ou, pire, désinforme sciemment.
Au-delà de la crise ukrainienne, cette attitude contribuer à sédimenter des bulles cognitives, hermétiques à toute démonstration. En refusant le débat et la confrontation d’idées, elle représente une menace de dislocation majeure pour notre système politique, déjà victime d’une crise de confiance.
La frange de l’opinion qui échappe aux bulles cognitives est en contrepartie de plus en plus encline à un relativisme délétère et à une mise en retrait des débats publics sous prétexte que « tout le monde ment ». Le relativisme est le pire ennemi de la démocratie, dont la nature même est de susciter la participation la plus large possible pour tâtonner vers la vérité au moyen de la raison.
Les contradictions des démocraties
Il ne saurait évidemment être question de mettre sur le même plan la censure structurelle des régimes autoritaires ou totalitaires et la transparence lacunaire des démocraties. Cependant, les manœuvres russes ne seraient pas si efficaces si elles ne s’appuyaient sur les contradictions internes des démocraties, dont les actes ne sont pas toujours conformes à leur image de sociétés ouvertes, attachées à l’information libre et vraie.
Elles paient notamment la facture de leurs mensonges passés. Du plan « Potkova » d’épuration ethnique du Kosovo par les Serbes, fabriqué par les Services bulgares et diffusé par les Allemands, aux armes de destructions massives factices irakiennes, la liste est longue. Les démocraties anglo-saxonnes et leurs affidés ont trop usé de la désinformation pour n’être pas suspectées a priori. Que ce soit par honnêteté ou par manque de savoir-faire, la France a d’ailleurs peu participé à ces opérations et les a même souvent dénoncées. C’est une force.
La suspension par l’Union Européenne des organes d’influence russes que sont Spoutnik et Russia Today se comprend aisément dans le contexte actuel. Sans doute constitue-t-elle néanmoins une maladresse. Il est délicat de dénoncer la censure objective et massive pratiquée par Moscou en l’appliquant soi-même, aussi légère soit-elle en comparaison. S’il ne saurait être question de laisser la propagande de Moscou se déployer librement, il aurait été plus efficace d’expliquer quelles sont les méthodes de ces médias, d’exposer leurs biais cognitifs, de décrypter les rouages de leur mésinformation etc. De les déconstruire au lieu de les interdire.
Malheureusement, si RT et Spoutnik ont su acquérir une audience significative, c’est en s’engouffrant dans une contradiction majeure du système médiatique européen : la pluralité conformiste. Ils ont su donner une tribune à des personnalités dont les compétences et les idées étaient légitimes mais qui n’étaient pas visibles ailleurs. Ils ont acquis la légitimité et l’opportunité d’effectuer leur travail d’influence parce qu’ils ont cyniquement comblé une faille démocratique. Il faudra en tirer la leçon à l’avenir.
Une autre contradiction majeure des démocraties, est celle de la délégation de la censure réseaux sociaux privés. Censure aveugle conditionnée par l’intelligence artificielle, censure idéologique inspirée par la criminalisation de certaines opinions, censure morale dont n’est pas seulement victime la plus fameuse toile de Courbet etc., font peser une chape de plomb qui n’a d’autre légitimité que la loi du plus fort ; c’est-à-dire le monopole de quelques-uns sur ce nouveau mode de communication et d’expression. Russes ou Chinois justifient leur société du contrôle par la mise en exergue de dysfonctionnement de ce type.
Ne pas confondre faits et opinion
Les contradictions du système informationnel des grandes démocraties nourrissent le complotisme et les exposent aux instrumentalisations extérieures. Les journalistes européens, et plus encore nord-américains, ont trop souvent sacrifié la recherche de l’information brute à la diffusion de ce qu’ils croyaient juste — pour lutter contre certaines idéologies ou pour contrer la diffusion de la COVID par exemple. Ils ont perdu une part de leur crédibilité et se sont exposés aux manipulations. La confusion entretenue entre faits et convictions tend à les réduire à un rôle de caisses de résonnance. Or, une démocratie vigoureuse ne peut se le permettre. Il lui faut des journalistes immunisés contre les instrumentalisations et des informations fiables.
Destinée à répondre à ce besoin, l’initiative salutaire du fact-checking par la presse a connu quelques sorties de piste. Le ciblage de certaines idées ou personnalités a pu donner l’impression d’un parti-pris initial. Un manque de prudence a exposé certaines « vérifications » à des démentis ultérieurs qui ont nui à leur crédibilité. Si elle mérite des ajustements, la démarche n’en demeure pas moins prometteuse et de plus en plus fiable.
Dans un contexte de contestation, il pourrait être tentant pour les démocraties de céder aux sirènes du mimétisme. Pourquoi ne pas faire comme leurs compétiteurs et prendre des libertés avec l’objectivité des faits ou la libre circulation de l’information pour imposer une vision qui leur semble juste ?
Seulement, la guerre de l’information est appelée à durer, même lorsque le canon se sera tu. Aussi faut-il renoncer à remporter des succès à court terme selon des méthodes douteuses au profit de la victoire stratégique que constituerait une crédibilité retrouvée et reconnue. Au-delà même de la question de l’efficacité se pose d’ailleurs celle du sens du combat mené. Que sert-il de vaincre ses adversaires si l’on devient comme eux ? La démocratie n’est pas une idée. Elle une confrontation d’idées raisonnée.
Contrairement aux régimes fermés, la force d’une société ouverte est de savoir reconnaître ses erreurs et de se réformer. Les tâtonnements liés à l’avènement de la société de l’information étaient inévitables. En corrigeant leurs contradictions, les démocraties pourront acculer leurs compétiteurs et les amener sur le terrain de la transparence où ils ne pourront pas les suivre. En prime, elles seront plus libres ; n’est-ce pas justement leur vocation ?
Modèle d’équilibre et de langue de bois élégante, quoique nuancé et sans doute porteur d’une certaine sagesse, on sent tout de même quelque critiques, voire quelque suggestions intéressantes.
Quoi qu’il en soit, en réalité:
1) Le narratif occidental (Poutine est un fou criminel qui mange les bébés Ukrainiens) est absolument débile. À AUCUN moment dans les déclarations publiques US ou Européenne, on ne mentionne les revendications de Poutine, connues depuis 20 ans et ignorées, voire méprisées ouvertement récemment, ce qui, OUI, a provoqué l’intervention Russe, légitime et j’ose le dire, nécessaire.
2) Le narratif Russe est fondé sur des faits: la défense désespérée de Marioupol par des troupes d’élite fanatisés qui combattent jusqu’au dernier sans que cela aie aucun intérêt militaire, à part bien sûr la dérisoire et ignoble tentative d’accuser les Russes du martyre de 400 000 habitants russophones dominés depuis 8 ans et qu’on utilise comme boucliers humains sans même les nourrir.
Les accusations larmoyantes au sujet du sort de Marioupol, alors que le gouvernement Ukrainien a sciemment refusé de cesser des combats inutiles, et bien cela est médiatiquement efficace, mais c’est de la complicité de crimes de guerre.
3) Les médias occidentaux qui n’ont absolument jamais tenté une présentation au minimum équilibrée de la situation, ce qui devrait être l’essence, voire le principe même du journalisme, se sont définitivement déshonorés à l’occasion. Le monde dit « libre » dans son ensemble a définitivement perdu son ascendant moral sur le reste du monde et se trouve entièrement soumis à une propagande de guerre digne de la guerre de 14, alors qu’AUCUN de nos intérêts ne sont en jeu et cela bien au contraire.
4) Les « sanctions » qu’on oblige nos sociétés européennes (les US n’en supportent aucune, il faut le savoir) à infliger à la Russie ne sont ni discutées ni critiquées par aucune instance représentative ni nationale ni européenne. Dore et déjà on sait qu’elles devraient se traduire, si elles ne sont pas annulées d’urgence (il nous reste quelques semaines, tout au plus ), par de terribles dommages, pour nos économies et pour celles du monde. Cela n’est ni évoqué ni expliqué ou bien alors sous des formes ridicules (il suffirait de baisser le chauffage).
Militaire, informationnel, économique: le plus sombre ridicule suicidaire s’abat sur l’Europe. De fait, les meneurs de cette folle sur-réaction sentimentale à un règlement de compte local dont nous n’avons aucun intérêt à nous mêler sont les véritables agresseurs de l’Europe et de nous-mêmes, les Français. Qui les nomme, les identifie, les décrit et les combat ? Personne.
Placé au centre du monde occidental par la politique Gaulliste, la France avait un rôle décisif à jouer. Au lieu de cela, elle se joint au concert des énamourés de l’Ukraine, aux ordres des USA. Le comble de l’horreur et de l’insupportable: le clown fasciste et drogué qui préside à la destruction inutile de son propre pays vient se faire applaudir par notre parlement en lui ordonnant de ruiner les entreprises françaises dont les intérêts vitaux sont de commercer avec la Russie. L’Allemagne qui cesserait simplement de fonctionner si elle appliquait LA sanction (l’embargo sur le gaz) est laissée tranquille, elle.
On juge les arbres à leurs fruits. Si ce qu’on appelle la « démocratie » est ce qui doit conduire à de telles absurdités, c’est que c’est un mauvais régime, et c’est ce que ce dit le reste du monde, effaré devant ce lamentable spectacle. Cela même si, comme indiqué, des décisions, lourdes et significatives, ont été prises sans que le moindre débat démocratique ait pu avoir lieu, faute, justement, de médias capables de relayer opinions alternatives, informations effectives et pondérées des enjeux et des conséquences.
Le système libéral « occidental » d’information et de décision vient de sombrer sous nos yeux.
Moi, je ne suis plus « occidental », cela est trop infamant de s’en réclamer.