Par fascination du virtuel, nous entendons une disposition d’esprit collective rendant toujours plus difficile la discrimination intelligente entre le réel et l’imaginaire, entre l’homme et le robot. Une conception des choses oublieuse du fait qu’on ne combat pas des machines mais des hommes. Durant la parenthèse 1989-2001 en effet, la mode des wargames se développent au point d’obnubiler absolument l’imagination de l’institution militaire. Le Pentagone raffole de la modélisation, de la simulation, des wargames. Or le jeu guerrier virtuel de l’époque souffre d’un défaut rédhibitoire : conçu en une ère de « political correctness », il ne nomme tout simplement pas l’ennemi. Le joueur s’oppose à des abstractions creuses : des « bleus », des « bruns » des « forces opposantes », des « pouvoirs régionaux » et autres « menaces émergentes ». Les pays en cause sont également fictifs; voici qui l’on combat : Krasnovians, Sumarians, Hamchuks, Sowenians, Vilslakians, Juralandians. Alliés ou ennemis s’appellent Freedonia ou Ruritania. Comme le dit sobrement un informaticien militaire : « We don’t do countries ». Avant d’ajouter que pour de tels jeux, les menaces asymétriques sont « difficiles à imaginer ».
Car le wargame n’est qu’un scénario, un exercice, une expérimentation – un subterfuge – mais pas innocent du tout. Il est tout au contraire désastreux à l’usage, car il fait littéralement disparaître l’ennemi réel de l’écran : l’attaque du destroyer Cole à Aden (Yémen, octobre 2000) n’avait ainsi jamais été envisagée par un wargame. Car en effet quelle est la vue du monde, l’idéologie – la philosophie – de ceux qui conçoivent ces simulacres ? De ceux qui les commandent ? Ne faut-il pas plaire aux commanditaires ? Donc s’adapter à leur mentalité ? Ne pas les choquer ? Le résultat est un infaillible cas d’intoxication circulaire – de « réification » diraient les sociologues – dans lequel on commande un jeu modélisé, pour découvrir ensuite à l’usage et avec bonheur qu’il fonctionne exactement comme on l’entendait…
In La guerre ne fait que commencer
Alain BAUER et Xavier RAUFER