Comme vient le souligner ici le général (2S) Frédéric Pesme, aujourd’hui la France s’investi résolument dans une Alliance atlantique revigorée. Il faut souhaiter que cette évolution soit le début d’une révolution culturelle vis-à-vis d’une OTAN décrit il y a peu comme en état « de mort cérébrale ».
***
Le retour des conflits majeurs sur le continent européen a revigoré une Alliance qui s’était progressivement détournée de sa mission principale de défense territoriale pour conduire des opérations de gestion de crise régionales, dans les années 1990 puis, après le 11 septembre 2001, hors de la zone de responsabilité définie par le Traité de Washington. Après son échec en Afghanistan, elle est revenue, sous la pression des évènements, à la mission qu’elle maîtrise le mieux : la défense collective de ses membres. Pour les armées françaises, cela a coïncidé avec la fin, sans doute provisoire, des grandes opérations en Afrique et elles ont pu contribuer de façon significative au renforcement du dispositif militaire de l’OTAN sur son flanc oriental. Ce réinvestissement de la France symbolise peut-être aussi la fin de la période de « réapprentissage » de notre Alliance depuis l’officialisation du retour dans la Structure Militaire Intégrée en 2009. La question reste de savoir s’il s’agit d’une révolution culturelle ou simplement d’un phénomène conjoncturel, au moment où l’évolution de l’Alliance sera structurante pour le futur de la Défense européenne.
Le défi de la Défense Collective
Depuis l’annexion de la Crimée et l’invasion de l’est de l’Ukraine en 2014, l’Alliance s’est en effet engagée dans sa plus importante adaptation depuis la fin de la guerre froide.
Lors des sommets successifs depuis celui de Galles en 2014, elle a adopté un ensemble d’initiatives ambitieuses qui définissent une nouvelle posture de dissuasion et de défense. Le sommet de Madrid en juin 2022, parachève cette évolution, traduite dans le nouveau Concept Stratégique. Lorsque celle-ci sera achevée, l’Alliance aura changé de paradigme et les Européens auront un rôle majeur à jouer dans la mise en place de cette nouvelle Alliance.
Le socle principal est surtout issu des travaux initiés par le Comité militaire et les commandeurs stratégiques, SACEUR et SACT. Les CEMAs ont agréé dès 2019 une Stratégie militaire[1] qui, pour la première fois depuis 1950, précède l’adoption du Concept Stratégique. C’est donc le militaire qui structure désormais les principaux axes d’effort de l’Alliance en s’inspirant largement des pratiques de la Guerre Froide. Cela se traduit par :
- Le retour à un plan de défense de la totalité de l’Europe. Le Concept pour la Dissuasion et la Défense de la zone Euro-Atlantique, DDA (Deterrence and Defence of the euro-Atlantic area), porté par le SACEUR, initie une nouvelle famille de plans dont la pierre angulaire sera le SASP (SACEUR Area of responsability wide Strategic Plan), qui sera décliné d’une part, par des plans régionaux qui seront alignés avec les plans nationaux (et intègreront les nouvelles brigades de la présence avancée à l’Est) et d’autre part, par des plans par « domaine» (terrestre, naval, aérien, espace, cyber, renforcement/logistique, forces spéciales).
- La mise en adéquation des forces avec les plans. Après la fin de la guerre froide, l’OTAN générait ses forces sur une base volontaire. Depuis 2014, elle avait donc développé des plans régionaux sans que des forces soient préalablement désignées pour les exécuter, ce qui laissait planer une incertitude sur la capacité (ou la volonté) de contribution des Alliés. Aujourd’hui, on introduit donc une nouvelle manière de générer les forces. Désormais, ce sont les plans opérationnels qui détermineront les besoins (en incluant les grandes unités) qui seront assignées aux plans. C’est donc une réforme en profondeur et une mise en cohérence de l’outil militaire sans équivalent depuis la fin de la guerre froide. L’OTAN passe ainsi d’un système fondé sur la génération de forces pour les besoins des opérations, donc soumis au bon vouloir des Alliés, à un système qui s’apparente plus à une capacité de mobilisation, à l’instar de ce qui se pratiquait pendant la guerre froide. En théorie donc, les manques observés jusqu’à présent dans les opérations ne seront plus acceptables. Les Alliés – les Européens en particulier – deviennent ainsi collectivement responsables et doivent impérativement mettre en place ces forces, car un échec compromettrait la crédibilité des plans.
- La mise en cohérence de la planification de défense et de la planification opérationnelle. Le processus de planification de défense – ce qui permet de définir le volume et la qualité des forces que l’alliance demande à chacun des alliés de fournir dans une vision stratégique et technologique de long terme – va évoluer pour mieux répondre aux besoins de la planification opérationnelle, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent en l’absence de menace clairement identifiée et parce que la dimension géographique n’était plus prise en compte.
Cette nouvelle posture implique également que les Alliés augmentent la réactivité de leurs forces (readiness). Le nouveau modèle de forces de l’OTAN agréé lors du sommet de Madrid ambitionne de porter la capacité de réaction rapide à 300 000 hommes (100 000 hommes en moins de dix jours et 200 000 entre 10 et 30 jours) plus un réservoir de 500 000 disponibles au-delà de trente jours[2]. Ceci est un véritable test pour les Européens qui ont jusqu’à présent plutôt échoué à concrétiser les initiatives précédentes, en particulier la NATO Response Force (25 000 hommes en 2003 – 15 000 hommes en 2006) et son évolution en 2014 (40 000 hommes dont 10 000 à « très haut degré de réactivité[3] ») et, plus récemment, la NATO Readiness Initiative proposée par les Américains en 2018 et qui ne représentait pourtant qu’une fraction de l’ambition affichée par le Nouveau Modèle de Forces. La réactivité a en effet un coût et nombre d’Alliés doivent rattraper plusieurs décennies de désinvestissement dans leurs appareils de défense.
Les Européens sont donc confrontés à un test qu’ils doivent réussir pour démontrer la crédibilité de l’Alliance et ce d’autant plus qu’ils ont agréé la poursuite de son élargissement, ce qui signifie plus de territoires à défendre et donc plus de responsabilités. Or, ils ont implicitement reconnu lors du sommet de Vilnius en 2023 qu’ils n’étaient pas prêts puisqu’ils doivent encore renforcer leur posture de dissuasion et de défense, dont le nouveau modèle de forces sera la clé de voute.
Ces évolutions de l’Alliance seront structurantes pour les armées françaises.
Avec le DDA, l’OTAN revient en effet à une posture de guerre froide qui sera exigeante à la fois dans le domaine capacitaire et dans le domaine RH.
Dans le domaine capacitaire, le premier défi qui s’impose aux Alliés est d’acquérir et de mettre en œuvre les cibles capacitaires qu’ils ont agréées en 2021 dans le cadre du dernier cycle de la planification de défense, qui a débuté avec la Directive Politique de 2019. Lors de ces discussions, les Alliés étaient parvenus à contenir l’inflation des demandes de l’OTAN, car le DDA n’était pas encore approuvé. Le second défi – à venir – sera donc d’accepter la hausse des cibles capacitaires dans le nouveau cycle de la planification de défense qui a débuté en 2023, pour permettre la mise en œuvre du DDA.
Outre la DDA, la réflexion de l’OTAN s’appuie également sur le concept pour la préparation des forces (NATO Warfighting Capstone Concept – NWCC) et celui des opérations multi-domaines (Multi-Domain Operations – MDO), développés par ACT pour accompagner cette évolution. L’Alliance réfléchit enfin à sa Transformation numérique, qui ambitionne de soutenir le développement d’une capacité d’opérations multi-domaines, de garantir l’interopérabilité, d’accroître la connaissance de la situation et de faciliter la consultation et les processus décisionnels data-centrés.
Aujourd’hui, la France est l’un des alliés européens dont la programmation capacitaire correspond le mieux aux demandes de l’OTAN. Au moins trois questions se poseront à l’avenir :
- Les nouvelles demandes de l’OTAN correspondront-elles aux besoins des armées françaises et sauront-elles les financer pour conserver leur rôle au sein de l’Alliance ?
- L’effort demandé par l’OTAN ne va-t-il pas enfermer les Alliés dans une logique de défense collective et diminuer leur capacité à répondre à d’autres situations ? On se souviendra que le Secrétaire général suggérait en 2004 de réduire le nombre de chars de combat, voire de les abandonner puisqu’au sommet de Prague, en novembre 2002, l’Alliance avait décidé de devenir « expéditionnaire» à la suite de l’invocation de l’article 5 du Traité le 12 septembre 2001. Après ce sommet de la « Transformation », l’heure n’était plus aux armées de masse, dimensionnées pour un conflit majeur, mais aux armées plus réduites et technologiques, capables d’être projetées rapidement et loin.
S’agissant du personnel, l’adaptation de l’Alliance pour répondre aux besoins de la Défense Collective et de la Transformation numérique conduira à une augmentation des effectifs, tant de la structure militaire (y compris une part de civilianisation des effectifs militaires) que de la structure civile.
Dans ce domaine, la France n’est pas forcément le meilleur élève et devra continuer à investir pour conserver des postes d’officiers généraux à la hauteur de son rang et ses intérêts stratégiques.
Cette « cotisation » des armées à la structure militaire intégrée reste toutefois un « investissement » utile si on le replace dans un contexte plus général.
En effet, les décisions du Conseil de l’Atlantique Nord (NAC) font l’objet d’un avis militaire approuvé par le Comité Militaire sur la base des travaux préparés et validés par les deux commandeurs stratégiques. La présence d’officiers français au sein de la structure de commandement et de l’état-major militaire international, qui prépare les avis du Comité Militaire, est donc un levier indispensable. Ces officiers permettent de mieux comprendre les travaux et réflexions de l’OTAN ; ils animent des réseaux et président ou participent à des groupes de travail ; ils contribuent à la rédaction des travaux à portée militaire qui seront soumis à l’approbation du Conseil. Ils jouent donc un rôle influent en promouvant les positions françaises avant qu’elles ne soient proposées aux Alliés. À titre d’exemple, le concept des Opérations Multi-domaines (Multi-domain Operations – MDO) récemment adopté par l’OTAN correspond parfaitement à son équivalent français (opérations multi-milieux multi-champs, M2MC) dans la mesure où il a été influencé par nos insérés dès le début de sa rédaction et que le CICDE y a également contribué.
Il est également dans l’intérêt des armées de valoriser cette ressource humaine pour pouvoir conquérir des postes de responsabilités à l’État-Major Militaire International, voire au Comité Militaire. Ce sont en effet des postes à élection pour lesquels les candidats ayant une ou plusieurs affectations à l’OTAN ont plus de chances.
Enfin, l’évolution proposée par le DDA va conduire à une augmentation des effectifs de la structure militaire et civile. S’agissant de la structure militaire, l’OTAN anticipe que les Alliés ne pourront pas subvenir aux besoins et envisage donc de civilianiser une partie des postes (environ 30 %). Il y a donc un intérêt à accompagner des officiers ayant servi dans les structures de l’OTAN pour qu’ils puissent se reconvertir dans les structures civiles et militaires.
Ainsi, quinze ans après leur retour dans la structure militaire intégrée, les armées commencent à mieux appréhender l’OTAN et redeviennent un contributeur majeur des actions de l’Alliance. Ceci est particulièrement vrai pour l’armée de Terre qui a augmenté sa présence sur le flanc oriental, par opposition à son absence des opérations depuis le retrait d’Afghanistan. Ce rapprochement ne doit toutefois pas n’être que conjoncturel. Il est en effet cardinal pour les armées de bien comprendre et de s’associer aux travaux pour les influencer, car ils détermineront le futur de l’Alliance, mais aussi de la Défense européenne qui est pour l’instant plutôt marginalisée. Pour cela, elles doivent faire le meilleur usage de leur ressource humaine, pendant son affectation dans les structures de l’OTAN et ensuite, à son retour dans les états-majors français.
NOTES
- NATO Military Strategy (NMS) qui sera ensuite déclinée par le DDA (concept de dissuasion et de défense de l’Aire Euro-atlantique) porté par SHAPE, pour le volet opérationnel et par le NWCC (NATO Warfighting Capstone Concept) porté par SACT, pour la partie transformation.
- Le précédent secrétaire général Jens Stoltenberg a évoqué le chiffre de 500 000 lors du Sommet de Washington mais ce chiffre n’a pas été agréé par les Alliés.
- VJTF (Very high readiness Joint Task Force), dont la France avait le commandement au moment du déploiement en Roumanie.
Il est émouvant de voir ici s’élaborer ces doctrines pour le moins technocratisées (des sigles, et de la bureaucratie à tout-va) apparemment en plein essor mais seulement après 3 ans d’un célébré “retour de la guerre” qui va se traduire bientôt par l’évidence d’une défaite militaire et géopolitique retentissante.
Ayant démontré au monde son incapacité politique et diplomatique, mais aussi militaire, un continent de vélléitaires soumis, qui aux projets néo-cons livres de chevet d’un vieillard gâteux déshonoré, qui à des pays de l’Est n’en finissant plus de se purger du racisme que leur inspire toujours leurs siècles d’esclavage, va devoir gérer sa honte publique. Incapable de s’armer, de s’organiser, et aussi d’armer et d’organiser une misérable armée proxy envoyée à l’abattoir, ceux qui croient partager d’un parapluie nucléaire fétichisé qui tout le monde le sait, n’en est pas un, ce ramassis de puissances moyennes absolument incapables de se battre va devoir, au contraire radical de ce qui se dit ici, gérer 1) la fin de l’OTAN en tant que telle, les USA étant en train de s’en retirer 2) l’impossible construction d’une défense européenne morte née qui n’adviendra jamais.
En face de la Russie, il n’y aura donc rien que de la haine recuite séculaire et une industrie en perdition dépourvue d’énergie. L’effondrement du PIB qui va en résulter va effectivement justifier que la défense minimale en occupe un pourcentage plus important ! Pourquoi faire ? La Russie de toute évidence n’a que faire d’envahir la pétaudière et n’attend que, de guerre lasse, celle-ci se décide à l’évidence: renvoyer les foldingues dirigeants progressistes qui l’ont mis dans le triste état actuel et reconstruire Nord Stream.
L’armée en Europe ne peut et doit servir qu’à une chose: mettre au pas la Turquie, qui est la seule vraie menace.
Beaucoup d’auto-suffisance dans cet article et de baratin techno-otan.
Il faut voir la réalité actuelle en face. L’armée de terre française est une armée résiduelle dont les petites brigades/divisions et la faible puissance de feu feront illusion tant qu’elles ne seront pas confrontées à la réalité de la guerre, comme en mai-juin 1940.