mercredi 27 novembre 2024

La France en pré-insurrection ? La révolte du peuple de France ?

 

Que dire devant un tel déchaînement de violence à Paris et en province … en ce jour de commémoration d’Austerlitz (pour rappel au président Chirac en 2005) ? N’est-ce pas l’effacement de cette victoire historique par la défaite de la gouvernance du président Macron ? Je constate déjà l’effacement médiatique de la politique étrangère de la France et donc du rôle du président de la République dans son domaine réservé : G20 en Argentine ? Exit. COP24 qui commence ce 2 décembre ? Ce n’est vraiment pas le moment, exit. Maintenant, pour reprendre une vieille expression, « la Corrèze plutôt que le Zambèze » ! Et toute révolution en France commence bien souvent et depuis bien longtemps par la révolte contre les taxes et les impôts.

Nous avons pu suivre les évènements des « gilets jaunes » depuis le 1er décembre et les nombreuses images diffusées interpellent. Or, depuis les émeutes dans nos banlieues de 2005, les manifestations débouchent systématiquement, ou presque, sur des violences contre les symboles de l’État, contre les biens des personnes, avec des voitures en feu comme d’ailleurs chaque année, plus de 40 000 par an (Saint-Sylvestre, 1 000 chaque année, 14 juillet, 900 en 2017), sur des pillages, sur une volonté de tuer les représentants de l’ordre qu’ils soient policiers ou gendarmes. Et demain ?

Quand l’Etat depuis des années laisse ou tolère au nom de la liberté de manifester les manifestations violentes que ce soit celles des agriculteurs, des cheminots l’an dernier, d’autres catégories professionnelles ou encore des banlieues et refuse la moindre fermeté, hormis la fermeté verbale, comment s’étonner que la France qui ne disait rien et qui travaille finisse aussi par exprimer son mécontentement ? Aussi, je ferai plusieurs remarques.

Sur la manipulation politique

Les politiques essayent de justifier leur incompétence. Pour diaboliser les « gilets jaunes », le gouvernement a voulu donner une coloration extrémiste de droite à la manifestation du 1er décembre dans les jours qui ont précédé. Le discours médiatique prudemment l’évoque aujourd’hui sans le prouver. Les nombreux tags peints et les images montrent la place de l’extrême gauche et contredisent la manipulation « à l’ancienne » du gouvernement. Cela a échoué. Dès les premières images, l’extrême-gauche apparaît. Elle menace la République (comme toujours). Elle doit être combattue.

Sur l’exaspération d’une autre France, celle qui peine au travail.

Les émeutes de ce week-end ont montré l’exaspération d’une autre France qui n’est pas celle que l’on voit dans les émeutes habituelles. Cette fois, le Français de base se révolte. Plus rural, provincial, il est exaspéré mais il n’y a pas que lui qui est exaspéré par les impôts, les taxes sur le carburant. Il n’a pas encore été rejoint par le retraité (c’est vrai qu’il court moins vite) mais pour combien de temps ? Et la classe moyenne entre les personnes fragiles toujours mise en avant et les « riches » », majorité silencieuse, quand va-t-elle descendre aussi dans la rue car elle aussi souffre et paie pour les uns et les autres. Les militaires font globalement partie de la classe moyenne par leurs soldes et leur niveau de vie dégradé, année après année. Ils sont donc désormais concernés.

Sur des responsables politiques qui ne sont pas à la hauteur.

Les propos de M. Castaner, ministre de l‘intérieur au JT de 20 heures sur TF1 ce samedi 1er décembre laissent perplexes. Déclarer que la stratégie des forces de sécurité a été contrecarrée par celle des « gilets jaunes » ou de ceux qui les avaient rejoints est grave. Cela signifie que le ministère de l’intérieur n’avait pas envisagé que les manifestants allaient s’adapter au système mis en place, avec une stratégie propre. En bref, manque d’anticipation, aveuglement, arrogance. M. Castaner aurait dû démissionner pour cette incompétence de ses services, sinon la sienne, et les discours habituels et convenus sur la « fermeté » n’auront que peu d’effets. Personne n’y croit.

D’autres propos sont aussi tout aussi choquants. Peut-on encore accepter les propos de Jean-Luc Mélenchon qui avait appelé à l’insurrection « citoyenne » et qui veut « surfer » sur la crise mais rappelons-nous les comportements de ce « tribun du peuple » lors des perquisitions qui l’ont concerné alors qu’il reste invité sur une chaîne publique ce 2 décembre… mais est-ce surprenant ?

Sur un maintien de l’ordre à revoir.

Les forces de sécurité avaient manifestement d’abord pour mission de protéger les centres de pouvoir, en fait l’Élysée. Selon un syndicaliste, une grande partie des forces était en garde statique, soit 80%. Il n’y avait donc pas 5 000 hommes comme annoncés pour contrôler la manifestation.

Je ne suis pas un expert même si j’ai écrit une doctrine sur le sujet il y a quelques années pour l’emploi des forces armées en maintien de l’ordre certes à l’étranger, mais allons-nous supporter longtemps les lanceurs de pavé, de boules de pétanque, les lanceurs d’insultes, « citoyens » impunis qui agressent les forces de sécurité pendant des heures ? Toutes les images des manifestations montrent ces agressions qui sont en boucle sur les réseaux sociaux. 

Le débat sur l’autorité est permanent dans notre société. Ces agressions en sont le symbole. Il est de nouveau d’actualité. Cette autorité ne peut s’exprimer d’abord que par le respect de nos forces de sécurité et la crainte qu’elles doivent inspirer. Prendre des pavés, de la peinture, des insultes à distance « d’homme », ne doivent plus être tolérés.

Il est temps que les forces de sécurité soient aussi équipées d’autres moyens. A un certain seuil de violence, celle-ci restant bien souvent impunie (combien de condamnations lors de la dernière manifestation des « gilets jaunes » ?) qui, de fait, l’encourage, policiers et gendarmes doivent être équipés d’armes de neutralisation à distance, en l’occurrence d’armes tirant par exemple des balles en caoutchouc. Le « violent » doit risquer son intégrité physique et l’Etat doit l’assumer, l’opinion publique l’accepter. Il est temps de calmer « le violent » en situation d ‘impunité. Encore faut-il le vouloir.

Sur le rôle de l’Armée.

Rappelons avant cela les effectifs de forces de sécurité en France après des années de déflation qui montrent les impasses gouvernementales successives et dissimulées. Les forces armées représentent environ 210 000 personnels dont moins de 20.000 utilisables en forces de maintien de l’ordre à condition qu’elles soient formées pour cela. C’était le cas il y a quelques années pour l’infanterie soit environ 12.000 hommes mais aujourd’hui ?

Globalement, la gendarmerie nationale incluant la gendarmerie mobile représente 97.000 personnels disséminés sur le territoire. La Police nationale représente 145.000 hommes. 26.000 policiers communaux les assistent. Les seules forces d’intervention mobiles de la police et de la gendarmerie représentent 30 000 hommes pour tout le territoire national dont outre-mer (13.000 CRS et 17.000 gendarmes mobiles, forces de deuxième catégorie), S’ajoutent les réservistes des armées de la gendarmerie, des armées et de la police de quelque cent mille personnels mais comment les employer dans un contexte insurrectionnel.

Dans tous les cas, pour le personnel en activité, les forces de sécurité en renfort sont aujourd’hui limitées. Les chiffres budgétaires ne sont pas les chiffres des effectifs disponibles : malades ou blessés, en stage, en permission, en récupération. Ces effectifs ne seront jamais disponibles instantanément, soit 25% en moins, encore moins sur la durée comme aujourd’hui après trois ans de guerre contre les terroristes islamistes. La sécurité a un coût en personnel qu’il faut mettre en comparaison avec le coût de l’insécurité mais c’est un choix politique.

Cependant, les forces armées, hors gendarmerie, sont une force de 3ème catégorie. Les armées restent le dernier recours de la République, comme toujours, pour la protection de ses institutions et malgré le mauvais traitement du président de la République à l’égard des armées et du général de Villiers (Cf. Extraits du Monde, « La vraie crise entre le pouvoir et l‘armée », Nathalie Guibert, 28 novembre 2018, « Qui c’est le chef ? » et mon billet du 12 novembre 2017, « Servir pour protéger », je (nous) n’oublie pas).

Je rappelle que les armées sont déjà présentes avec les gendarmes mobiles, et les sapeurs-pompiers de Paris, caillassés ce 1er décembre, d’ailleurs comme souvent lorsqu’ils interviennent dans les quartiers dits difficiles. Acceptable ? Non, mais cela continue depuis plusieurs années, en toute impunité.

Les armées en tant que telles peuvent effectivement prendre des missions au moins de garde et de soutien pour dégager des effectifs de police. Cependant, leur mission ne pourra pas se limiter à surveiller sans réagir. Disposant d’une arme de guerre, il ne devrait avoir dans ce cas aucune ambiguïté sur son usage mais il faudra beaucoup de courage politique pour assumer cette réquisition et les risques. Attaquer un soldat de la République est un geste politique. J’espère que les chefs militaires sauront rappeler dans le cas où une telle solution serait retenue qu’aucun soldat ne devra être dans une situation où il serait sans défense. La communication gouvernementale devra être claire et sans ambiguïté.

Sur l’attaque des symboles de la République et de notre histoire.

Une préfecture brûlée. Inadmissible et ce n’était pas le fait de « petites frappes de banlieue ».

Un Arc de triomphe tagué parce qu’il n’était pas protégé alors que l’Élysée l’était. Inadmissible. Il est vrai que le président Macron y tançait Donald Trump ce 11 novembre en réponse à ses tweets sur l’état de la France. Intéressant comme retournement, non ?

Une place Vendôme vandalisée et un ministère de la Justice non protégé, tout un symbole mais ce ministère a eu de la chance. Peut-être que les vandales ne savaient pas que ce ministère était situé là.

Tout est symbole et j’espère que tous sauront condamner ces attaques mais je n’en suis pas sûr.

Pour conclure.

Nous devons soutenir les « gilets jaunes » et utiliser cette pré-insurrection légitime pour faire évoluer notre démocratie. Le président doit-il démissionner pour autant ? Sans doute pas constitutionnellement. Cependant les mesures qui auraient pu calmer la colère d’une partie du peuple français auraient dû être prises avant ce 1er décembre. Maintenant toute concession sera une preuve de faiblesse. Mauvais timing. Mauvaise appréciation stratégique. Mauvaise politique.

Cependant, soutenons les « gilets jaunes » mais pas la violence de certains d’entre eux en se souvenant qu’ils ont parfois fait les révolutions d’hier. Combattons les voyous et refondons notre République… sans toutefois passer à la VIe république.

Pour ma part, je commémore la victoire d’Austerlitz du 2 décembre 1805, symbole des saint-cyriens et d’une … gloire passée et dont les maréchaux et généraux victorieux ont leurs noms gravés sur l’Arc de Triomphe mais quelle honte aujourd’hui en 2018 pour eux qui ont fait la gloire notamment militaire de la France. Je pense qu’ils auraient agi différemment certes sous l’autorité de l’Empereur.

François CHAUVANCY

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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