mardi 6 août 2024

La Garde danse « djadja » avec Aya

La prestation des musiciens de la Garde républicaine lors de la cérémonie d’ouverture des JO n’a pas généré de critique particulière dans les médias. Sur les réseaux sociaux, globalement des gendarmes n’ont pas apprécié pendant que la population a adoré. Au-delà de la musique, elle était pourtant particulièrement disruptive.

Si son expression est éphémère et immatérielle, la musique s’inscrit dans le temps long, installant des repères dans la mémoire des communautés. La musique exprime l’identité de la société qui la produit. Elle est un outil d’harmonisation sociétal car harmoniser est vitale pour les communautés comme pour les musiciens. La musique reflète donc la capacité des dirigeants politiques à se mettre en phase avec leurs populations. Il faut une capacité d’écoute et d’adaptation permanente car les communautés vivantes qui constituent une nation sont en constants changements. De plus, la tentation est grande d’utiliser la musique pour influencer ces communautés, tenter de les mettre en phase avec un projet politique en modifiant les repères qu’elle véhicule. Ainsi chaque civilisation a développé une musique correspondant à son identité. Il est toutefois difficile de remonter dans le temps. En effet, l’écriture musicale est spécifique à la civilisation européenne et d’introduction récente au regard de l’histoire de l’Humanité. Quelle musique entendaient les Sumériens, les anciens Égyptiens, les anciens Grecs ? Les Hindous ou les Chinois ont conservé quelques répertoires, mais ils ont été transmis par la tradition orale, avec les inévitables altérations que l’on connaît. L’écriture musicale européenne a conquis la planète entière car elle n’a pas rencontré d’alternative, aucune autre civilisation n’a été à même de constituer des bibliothèques de compositions ni de réunir des musiciens dans un grand orchestre.

 

Harmoniser les populations

La musique est indispensable dans les grandes festivités publiques, car elle donne à entendre les repères musicaux collectifs. Ces grandes festivités visent créer de l’harmonie. Sous la Monarchie, le cérémonial d’État se déroulait à la cour avec des musiciens dédiés, mais les répertoires n’étaient pas entendus de la population car les moyens technologiques ne le permettaient pas. Les grands événements (naissance, mort, victoire, traités…) étaient fêtés dans les églises, où la population chantait le Te Deum (le générique de l’Eurovision dans la version de Charpentier). Le général de Gaulle était venu l’entendre à Notre-Dame le 26 août 1944. La Révolution veut renouveler le répertoire officiel, produisant d’énormes quantités d’œuvres nouvelles inventoriées par Constant Pierre après les fêtes du centenaire. En effet, ces musiques étaient tombées dans l’oubli, à l’exception de quelques titres comme La marseillaise. En fait, l’échec du projet musical tient plus de considérations techniques qu’idéologiques ou musicales. Innovant de nouveaux rapports avec la population, les gouvernements révolutionnaires organisent de grandes festivités comme il n’en avait jamais existé auparavant. Sauf que les moyens ne suivent pas : impossible de rien entendre des musiques, les instruments ne le permettent pas. La solution vient en 1845 avec l’adoption des instruments d’Adolphe Sax par l’armée française. Cette innovation va installer dans les grandes villes de France, puis de son empire, des kiosques à musiques. Ils offrent des concerts aux populations, plusieurs fois par semaine et gratuitement, les grands airs joués à l’Opéra et sur les grandes scènes parisiennes, par “ruissellement”[1]. Ces concerts contribuent à harmoniser les populations, contribuant à stabiliser les institutions qui avaient connu de multiples changements de régimes depuis 1789. Ce modèle est repris à l’international puisqu’il est encore le format des orchestres du cérémonial d’État sur toute la planète. C’est dans cette perspective qu’il faut placer le programme musical de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris, au-delà des goûts et des couleurs de chacun.

 

L’orchestre du cérémonial de l’État

La Musique de la Garde républicaine et le Chœur de l’Armée française ont rempli la mission qui leur avait été confiée par leur hiérarchie, car ils ont obéi à des ordres puisqu’ils sont militaires. Une mission sans équivalent, quoiqu’il en a été dit, puisque c’est bien la première fois que l’orchestre de l’État accompagne, au lieu de tenir le rôle principal, dans un cérémonial officiel. Car il ne s’agissait pas de cérémonial d’État pour ses prestations dans les concerts du groupe Indochine. En 2017, il s’agissait d’une cérémonie officielle au Stade de France lors d’un match France-Angleterre, quand l’orchestre d’harmonie de la Garde interprète Don’t Look Back in Anger d’Oasis avec le chef Jean-Michel Mekil au chant et à la guitare. S’il s’agissait bien d’une cérémonie officielle, toutefois le commandement n’avait pas été informé car le contexte de l’attentat de Manchester nécessitait une réponse rapide et adaptée, très réussie si l’on considère l’accueil par les supporters anglais et l’audience internationale. Le contexte de ces cérémonies est particulièrement sensible puisqu’en 2019 au Stade de France, l’orchestre de la Gendarmerie mobile qui devait assurer l’ouverture du match France-Albanie est remplacé par un enregistrement. Un technicien fait entendre l’hymne de la Principauté d’Andorre au lieu de celui de l’Albanie et le scandale est doublé quand le présentateur présente des excuses en confondant l’Albanie avec l’Arménie. C’est le chef de l’État, lui-même, qui doit présenter les excuses de la France, illustrant ainsi la portée de ces prestations musicales.

 

Une opération de “cancel culture” musicale

Lors de la cérémonie d’ouverture des JO tout avait été réglé au cordeau depuis des mois, comme l’ont confirmé les organisateurs (la chanteuse, sa chanson, son accompagnement et le lieu). Même les fuites organisées dans les médias en mars avaient pour objectif de préparer l’opinion publique en réduisant d’avance les critiques au silence par l’habituelle accusation de racisme et de xénophobie. Naulleau ou Luchini, pour ne citer qu’eux, sont-ils racistes ? Le problème n’est pas la couleur de peau, contrairement à ce que voudraient faire croire les promoteurs de l’opération, d’ailleurs pas un n’a voulu voir l’absence de diversité chez les musiciens de la Garde. Le problème est plutôt une question de vocabulaire. La preuve en est que les “performers” débutent leur “show” en sortant du portail de l’Institut de France, siège de l’Académie française. Le symbole est clair, le nouveau langage doit être intégré. Montrant son niveau, même en playback la “chanteuse” n’est pas capable de reprendre les paroles de La bohème, qui ouvre le clip pour lui donner un vernis musical. L’artiste utilise une langue « élastique et inventive », enrichie d’argot français et africain. Le titre retenu pour les JO est représentatif avec des termes le classant dans le genre grivois, tendance extrême. Il est question de positions sexuelles et d’expressions relevant de l’injure envers son partenaire masculin. Les poètes français n’utilisaient pas le langage des charretiers, car la vulgarité n’a aucune subtilité. Les spectateurs ont observé un orchestre de la Garde cantonné dans un rôle d’accessoire, n’entrant en scène qu’au milieu de la prestation. Rôle confirmé par la peine de ces musiciens professionnels à se mettre au pas des danseuses revêtues d’or et qui ne vont pourtant pas jusqu’au “bouyon”.

 

Le naufrage culturel est celui d’une politique

Si la programmation est justifiée par le soutien de la francophonie (Nakamura est « l’artiste francophone la plus écoutée sur Spotify »), il est moins sûr que les Africains adhèrent à ce modèle. Elle semble s’inscrire dans une tentative désespérée d’empêcher le naufrage de la politique étrangère française. La suppression du corps diplomatique en avril 2022 avait déjà acté sa déroute. La fin de l’opération Barkhane en novembre 2022 et l’échec de la tournée en Afrique de l’ouest de mars 2023, confirment ces reculs, laissant le terrain à la Russie et la Chine. Dans les territoires d’outre-mer qui restent français, les indépendantistes sous influence étrangère comme en Nouvelle-Calédonie ou les flux migratoires incontrôlés comme à Mayotte préparent l’abandon. En éliminant ses anciens repères, la France a aussi éliminé ses agents d’influence. Alors que la musique de l’hymne du Maroc a été composée par un chef de musique français, le 1er festival international de Musiques militaires organisé par Rabat du 27 au 30 juillet s’est tenu sans orchestre français. Si la Musique de l’Infanterie est en Finlande, aucun autre n’était probablement disponible puisque des musiciens militaires ont été réquisitionnés pour assurer la sécurité des JO. En accouplant l’orchestre des cérémonies officielles de l’État avec ce croisement de culture africaine déracinée par les banlieues, et en prenant comme repère républicain la création du Conservatoire avec des musiciens des Gardes-françaises, ce sont plus de 230 ans d’excellence musicale française qui sont effondrés. L’orchestre de la République a été délibérément déclassé par la volonté du chef de l’État. La musique rendant compte de l’état des sociétés, les difficultés de recrutement et de fonctionnement des orchestres militaires y trouvent leur explication[2]. Vendredi 27 juillet 2024, l’Élysée a brûlé les derniers symboles français : sa langue et sa musique. Pour couronner l’événement, un album commun Aya et la Garde obtiendrait assurément un disque d’or, voire de platine et serait l’occasion de nouvelles réjouissances.

 

Thierry Bouzard

Docteur en histoire

Chargé des cours d’histoire de la musique militaire au COMMAT (2019-2023)


NOTES :

  1. Jann, Pasler, La République, la musique et le citoyen, Gallimard, 2015, 688 pages.
  2. Lire ci-dessous.
Thierry BOUZARD
Thierry BOUZARD
Docteur en Histoire, spécialiste reconnu des musiques et des chants militaires. Il a publié plusieurs ouvrages et recueils de chants. Il a également participé à la réalisation de nombreux CD.
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1 COMMENTAIRE

  1. Le naufrage est effectivement total et en plus esthétiquement absolument grotesque, bien que partagé: obliger des militaires en uniforme à jour du trombone à quatre pattes fut aussi humiliant que d’obliger des danseurs africains à faire le salut militaire…
    Il faut savoir que la dame devait à l’origine chanter du Edith Piaf mais que les répétitions avec orchestre furent catastrophiques: chanteuse d’instinct uniquement propulsée par sa nature généreuse la dame ne pouvait, évidemment que « chanter jaja », charge au reste de suivre, on ne pouvait mettre en péril un business français autrement plus rentable que la garde républicaine (qui est, je vous le rappelle, un « cout »), en le déconsidérant trop devant une trop large audience.

    On notera que le principe de la double humiliation joua aussi pour Lady Gaga, avec un de ses danseurs qui chuta lamentablement pendant que sans rythme aucun, elle se montra incapable de rivaliser en rien avec la vénérable Zizi, dont le show toujours visible reste impressionnant 70 ans après !

    Alors que la garde républicaine s’illustrait si merveilleusement avec ses sonneries classiques triomphantes devant le passage des marathoniens de Paris, alors que toute l’esthétique des bandas partout dans la France festive a tellement de succès et surtout tellement de gueule, gâcher la fête aussi honteusement pour quelques bobos forcés d’être contents sous peine soit de licenciement, soit de perte de salaire, est d’une tristesse infinie.

    La France n’aime pas la musique…

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