Semaine où l’Afrique revient au-devant de la scène, où les honneurs rendus à l’humanité de Mandela sont confrontés aux tensions ethniques, religieuses, aux massacres, à la guerre permanente sur le continent africain.
Le paradoxe du contexte international
A Paris, les chefs d’état africains se retrouvent en effet autour du président de la République pour un sommet à l’Elysée (Cf. Discours du président de la République et communiqué final du 7 décembre 2013). La richesse potentielle du continent africain comme son poids dans la francophonie sont de nouveau évoqués. L’influence de sa croissance économique sur notre économie fait rêver.
En parallèle, la France se déploie après le Mali en république centrafricaine avec une résolution de l’ONU. Cependant, le débat sur la françafrique est relancé, à se demander si ceux qui l’évoquent encore au nom d’une morale, d’une bien-pensance du siècle passé, d’une utopie bien éloignée des relations internationales d’aujourd’hui, comprennent les enjeux du pragmatisme dont il faut faire preuve désormais.
Les faits sont là : aucune force africaine n’est en mesure d’agir avec efficacité dans une crise survenant dans notre zone d’influence. Les forces de maintien de la paix ne sont pas plus efficaces. Il serait bon de se poser la question à quoi les forces de la MISCA ont servi depuis qu’elles sont déployées en RCA, sans d’ailleurs réussir à disposer de tous les effectifs promis bien que soutenues financièrement par l’Europe. Je pourrai à nouveau demander quel est le bilan de notre coopération militaire depuis 1960 et s’il ne faut pas inventer un nouveau système.
En revanche, les forces prépositionnées françaises montrent à nouveau la pertinence de ce choix stratégique. L’aguerrissement de nos soldats acquis depuis 1990 par les guerres successives puis par la professionnalisation en 1996, notamment pour l’armée de terre, permet cet engagement permanent et simultané sur plusieurs théâtres d’opération africains.
Dans ce contexte, le président de la République propose donc « un nouveau partenariat de coopération militaire », centré sur le conseil, la formation, l’équipement et le renseignement, cela au profit de 20 000 hommes (Cf. les blogs de la Voix du Nord et de Bruxelles 2 du 6 décembre 2013). Il faudra donc des cadres en nombre suffisant, assumer le coût de l’expatriation, soutenir des centres d’instruction à tous les niveaux, envisager une externalisation accrue sans doute par les ESSD (entreprises de services de sécurité et de défense), espérons françaises et non anglo-saxonnes (Cf. Lignes de défense du 6 décembre 2013).
Un colloque sur Serval à l’Assemblée nationale
En même temps que des forces françaises sont engagées en RCA, le CDEF a coorganisé à l’Assemblée nationale ce mercredi 4 décembre 2013 un très intéressant colloque sur les leçons retirées de Serval. Salle comble, beaucoup d’uniformes « terre de France », peu d’autres uniformes des autres armées bien que les intervenants étaient multiples.
Deux députés animaient les deux tables-rondes. En particulier, le député Christophe Guilloteau (UMP) suite à ses propos devant la commission de la défense nationale (Cf. Mon billet du 3 novembre 2013) a subi un échange vigoureux avec le général Desportes ce qui a suscité une réaction rarement vue lors d’un colloque sur la défense. Il faudrait sans doute interpréter cette tension à la lumière des réformes successives subies par les armées et sans doute à l’atteinte du seuil maximum d’acceptation.
Retours d’expérience
Revenons à Serval (Lire aussi le grand article de Nathalie Guibert du 8 décembre 2013). Le général Brethous, nouveau chef du centre de planification et de conduite des opérations, a utilement rappelé le processus d’engagement. Les plans d’opération pour le Sahel étaient prêts depuis 2009, pour l’engagement d’une force terrestre (GTIA) depuis 2010.
En reprenant un terme militaire, cette « campagne» s’est construite autour de 53 opérations : 6 du niveau brigade, 10 du niveau du groupement tactique interarmes (GTIA), 30 du niveau sous-GTIA. L’appui aérien a été important avec 74 aéronefs en même temps, l’emploi de 250 bombes dont 50 en appui direct aux forces terrestres.
Des enseignements peuvent naturellement être identifiés. Des publications peuvent les compléter. Ainsi la revue Défense Nationale d’octobre 2013 a publié « Leçons africaines » sur les interventions françaises en Afrique et au Mali en particulier. Le site rénové du CDEF a mis en ligne Les rebellions Touaregs au Sahel (février 2013). La « doctrine d’emploi dans le désert des forces terrestres en zones désertique et semi désertique » de janvier 2013 a aussi été diffusée. Il aurait sans doute été intéressant de savoir si ce document était connu par les forces et s’il avait été utile.
Le commandement à tous les niveaux a été favorisé par ce brassage permanent acquis à travers la formation militaire continue, dont le coût est contesté pourtant par un rapport de la cour des comptes, avec des officiers qui se connaissent depuis 20 ou 30 ans. Cette cohésion peut effectivement inquiéter ceux qui ne connaissent pas les militaires ! Nul ne peut douter que les déflations en cours et à venir affaibliront cette cohésion des cadres qui compense les insuffisances matérielles, les imprécisions et les dysfonctionnements.
Pour ma part, Serval montre le retour sur investissement de la longue formation individuelle donnée aux officiers de l’armée de terre, aux sous-officiers et aux soldats dans nos écoles militaires. L’entraînement collectif acquis dans les camps ou en garnison, activités normales et longues des armées lorsqu’elles ne font pas la guerre, conditionne aussi le succès des opérations militaires.
Cet investissement permet à des capitaines de moins de trente ans de faire des raids blindés de 500 km avec des dizaines d’engins, des composantes interarmes les plus diverses, d’engager l’ennemi au plus vite et au plus loin avec une logistique réduite avec cependant une priorité au soutien « santé » face à un ennemi voulant causer le maximum de pertes. Ce combat victorieux au Mali est l’alliance nécessaire de la rusticité de nos soldats et de la haute technologie face à un ennemi terroriste ou insurgé.
La forte complémentarité entre les forces spéciales et les forces conventionnelles aussi bien dans les modes d’action que par l’utilisation de moyens a été soulignée. S’engager ensemble signifie s’être préalablement entraîné avant et ensemble.
Enfin, la dimension européenne du soutien au Mali a été évoquée avec franchise par le général Lecointre. Il a notamment souligné le doute de l’EMA sur la capacité européenne à remplir la mission mais la volonté du ministre de la défense à mettre l’Europe en avant dans la continuité de la politique de défense de la France en Europe a naturellement prévalu.
La reconstruction de l’armée malienne par une assistance militaire opérationnelle (Cf. numéro de Doctrine d’avril 2011) s’est vite révélée comme évidente. Le général Lecointre a pu mener cette mission avec les éléments de la brigade qu’il commandait, rendue impossible autrement face aux délais imposés. Un enseignement est donc le besoin d’une nation cadre pour la formation sans oublier la contrainte de la langue qui est alors le français.
Des interrogations suite à ce colloque
Des questions posées sont restées cependant sans réponse, ce qui me paraît un peu dommage. Il est apparu une absence de retour d’expérience sur la planification des opérations. Notre matière de planifier durant une opération telle qu’elle est enseignée à l’Ecole de guerre mérite-elle d’être revue, améliorée ?
Comme le rappelait le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, le combat des forces terrestres est spécifique « parce qu’il est humain. On voit son ennemi ». Cependant, qu’avons-nous appris sur lui ? Rien ou presque. Comment l’ennemi est-il organisé ? Pourquoi a-t-il attaqué Bamako maintenant ? Quels étaient ses objectifs stratégiques, terroristes ? Que voulait-il faire du Mali, seulement une base arrière « terroriste » ? Avant et après l’intervention militaire, quel est l’état de son organisation politique ? Militaire ?
Les pertes ennemies ne sont pas données et sont « volontairement dissimulées par pudeur » mais « significatives ». Or, tous les jours ou presque, la télévision présente des cadavres, pas toujours avec précaution que ce soit aux journaux télévisés ou dans les séries (Cf. tous ces corps autopsiés par les légistes). Combien a-t-on fait de prisonniers ? Il ne s’agit pas de faire du bilan mais de montrer l’efficacité de nos armées au combat.
C’est aussi le courage en démocratie d’assumer la guerre et toutes ses conséquences. Le citoyen doit être informé d’autant que le coût notamment financier peut faire débat. Il faut rappeler cette critique de la Cour des comptes (Cf. La Tribune du 30 novembre 2013), sur la budgétisation des surcoûts des opérations extérieures (OPEX). Alors que, en moyenne, le coût des opérations se situe depuis plusieurs années autour de 800 millions d’euros, la loi de finances initiale (LFI) 2013 prévoyait des crédits à hauteur de 630 millions d’euros, la PLF de 2014 de 450 millions. Montrer l’efficacité militaire y compris par les pertes ennemies me parait donc une nécessité.
Pour conclure.
Assumons notre place privilégiée en Afrique sans état d’âme ni complexe. Ne travaillons pas encore pour le « roi de Prusse » qui est aujourd’hui chinois, brésilien ou autre. Tout en assurant la défense de nos intérêts, garantissons la paix régionale en relation avec l’Union africaine mais rejetons cette éternelle accusation de France néo-colonialiste.
Pourquoi pas ne pas être aussi ce bras armé de l’Europe dès lors que les intérêts sont communs et dans ce cas recevoir un financement partiel ? La demande de ne pas inclure les dépenses de défense dans le déficit budgétaire reste aussi un objectif à atteindre auprès de l’Union européenne.
Pourquoi enfin ne pas créer un équivalent français d’Africom avec un commandement français pour l’Afrique sur ce continent ?