Deux émissions particulièrement intéressantes ont été diffusées la semaine passée. L’une traitait du devoir de réserve des fonctionnaires sur Canal+ « Fonctionnaires, taisez-vous » le 26 septembre, l’autre sur la guerre en Afghanistan sur France 2 « Pas le pied la guerre » le 29 septembre. Concernant ce dernier, ce fut un reportage intéressant qui a donné la parole à d’anciens soldats bien dans leur peau et faisant honneur à la France dans un contexte difficile tout en montrant la réalité de leur vie sur le terrain. En filigrane, ces deux reportages posaient la question du devoir de réserve des militaires. Ce sujet est loin de m’être étranger m’exprimant par écrit depuis plus de vingt ans, y compris sur la liberté d’expression, et m’incite à poser la question : où en sommes-nous aujourd’hui ?
Ces reportages montrent que finalement les fonctionnaires concernés dans l’application stricte d’un devoir de réserve sont les seuls militaires. En effet, dans le premier reportage, les policiers se plaignent de ne pouvoir s’exprimer. Constatons que les syndicats de police permettent de contourner régulièrement cette restriction y compris sur la communication des affaires policières. Cela est la même situation pour les enseignants qui, surtout, dans le même reportage, prônent un droit à la désobéissance de l’enseignant au nom de « l’illégitimité » d’une décision ministérielle alors que tout fonctionnaire est soumis à l’application de toute décision légale. Et mettre Stéphane Hessel comme caution morale ne peut que susciter mon « indignation » ! Ce premier reportage fait donc un amalgame dangereux entre liberté d’expression et volonté de désobéir, bien loin de l’attitude du militaire qui s’exprime.
Sur le devoir de réserve des militaires, je retiens d’abord le commentaire dans ce reportage de l’ancien ministre de la défense Hervé Morin sur la nécessite d’une obligation de réserve. Cela est réitéré le 22 juin par l’actuel ministre de la défense Gérard Longuet en réponse à une question d’un député à l’Assemblée nationale. Ainsi « L’armée est la « grande muette » dans notre société. Ce n’est pas simplement une tradition ; c’est un devoir, un devoir républicain ».
Un retour en arrière semble en effet être la règle malgré le statut des militaires de 2005. Certes, dans l’optique des prochaines élections, la fondation Jaures, émanation du PS, avait invité dans son colloque du 30 mars 2011 consacré à la liberté d’expression des militaires, le chef d’escadron Matelly, le colonel Goya et le général Desportes. Louis Gautier, ancien conseiller « défense » du Premier ministre Jospin jusqu’en 2002, déclarait dans le reportage que « la grande muette c’était fini » et qu’il fallait tourner cette page. Sans doute un grand changement futur mais cette volonté est-elle réelle ? Je me souviens de la demande d’Alain Richard, ministre de la défense du gouvernement Jospin voulant me sanctionner suite à un article paru dans la presse en 2001…
Alors pourquoi s’exprimer ?
Le soldat, et le reportage sur l’Afghanistan le montre bien, a un devoir citoyen à s’exprimer dès lors qu’il ne transgresse pas les règles de la discrétion ou du secret. Comme cela a été rappelé, le devoir de réserve n’est pas défini légalement. Il est laissé à l’appréciation du juge administratif. Ainsi le chef d’escadron de gendarmerie Jean-Yves Matelly verra l’annulation de sa radiation le 11 janvier 2011 par le Conseil d’Etat. Peut-on s’en plaindre dès lors qu’il n’a ni désobéi, ni enfreint une règle du secret ou de discrétion ?
Des soldats qui ne s’exprimeraient pas ne rempliraient pas leur rôle au service de la Nation. Sans devenir des Whistle Blowers, ils sont aussi citoyens mais acceptent la restriction de leurs droits civiques. Ne pas leur reconnaître ce droit à s’exprimer dans sa mise en œuvre car il est inscrit dans les textes, ne peut que conduire à terme à une revendication syndicale comme le reportage de France 2 l’amorce en donnant la parole à Euromil ou à l’adefdromil, associations réclamant l’introduction du syndicalisme dans les armées françaises.
Enfin une autre problématique est apparue récemment avec l’expérience qui semble bien compromise aujourd’hui des militaires d’active et chercheurs dans des organismes traitant de la défense. Ainsi que ce soit le chef d’escadron Matelly au CNRS qu’il a abandonné ou le colonel Goya à l’IRSEM, les autorités militaires sont confrontées à la liberté d’expression du militaire mis en situation de chercheur et donc à la liberté de ton universitaire. Tout en comprenant le dilemme du commandement, je ne ferai qu’un commentaire : avoir des militaires capables de proposer des idées diverses ne peut qu’apporter un éclairage positif à la réflexion militaire. En revanche, ne pas oublier que l’on est officier est aussi une nécessité de la part des officiers-chercheurs. Le dialogue et la confiance doivent être donc de rigueur pour bénéficier des travaux de ces officiers atypiques qui ne peuvent pas cependant s’affranchir d’un devoir de loyauté envers les armées qu’ils servent et doivent servir d’une manière différente.
Exprimer une opinion vise à faire réfléchir. Il ne s’agit pas de contestation même s’il est envisageable de critiquer négativement (ou positivement) d’une manière argumentée une position officielle. Au sein des armées, les chefs militaires appellent depuis de nombreuses années à l’expression des militaires au sein même des différents organismes. De nombreux officiers publient aujourd’hui des ouvrages. Certes, cette forme d’expression est différente de celle des articles qui répondent à une réflexion ponctuelle, en phase avec l’actualité et susceptibles d’une instrumentalisation par la presse. C’est sans doute là que le bât blesse et que le risque existe pour les auteurs. Mais est-ce une menace pour les institutions démocratiques de notre pays ? J’en doute. Au contraire, il s’agit d’une contribution par des personnes en général responsables et comme l’évoquait le général Desportes, au nom de la pensée critique. Cela me semble tout à l’honneur de ceux qui servent la France et les armées.