Je rendais hommage la semaine dernière aux deux gendarmes tués en service. Il faut rendre hommage à nouveau cette semaine à deux autres soldats tués cette fois en Guyane, donc sur le territoire national, sans oublier les deux gendarmes blessés. Cela fait beaucoup et incite à la réflexion. J’y reviendrai ultérieurement.
Coïncidence de la publication, le dossier d’Inflexions paru en juin sur « L’Armée dans l’espace public » prolonge ma réflexion de la semaine dernière sur la place des armées dans la nation. On ne peut d’ailleurs ignorer les tristes événements récents relatés précédemment. Les relations entre les armées et la République font partie de l’espace public. Numéro passionnant en l’occurrence, Inflexions évoque un certain nombre de sujets qui peuvent faire réagir et mériteraient sans doute bien plus qu’un post. Celui-là sera donc un peu plus long que d’habitude.
Je commencerai… par la fin. Ainsi, deux articles « pour susciter le débat », évoquent la représentation du militaire dans la société civile à travers notamment « L’art français de la guerre », prix Goncourt en novembre dernier sur lequel je m’étais exprimé. A l’époque hormis les commentaires dithyrambiques, personne à ma connaissance ne s’était – pourrai-je dire insurgé contre cet ouvrage encensé par tous. Le poids de la bien-pensance sans doute.
Je suis donc satisfait (cela ne coûte rien de le dire) de lire les articles d’André Thiéblemont (Bonjour mon grand Ancien), « Imaginaires du militaire chez les Français » et de François Cochet « Alexis Jenni et la méthode scientifique » qui font une critique de fond sur ce prix Goncourt et sur une certaine forme d’antimilitarisme (voir cependant l’étude du CEVIPOF commandée par l’IRSEM en 2011 qui relativise l’influence de l’antimilitarisme aujourd’hui en France mais il faut rester vigilant). Je retiendrai surtout dans le second article l’avis de l’auteur se questionnant sur le succès rencontré par le livre d’Alexis Jenni : « Ce roman correspond à ce que la société française en 2011 a envie d’entendre ». Il y a donc un grand travail à mener par les armées…et par le ministère de la défense, en terme de rayonnement sinon d’influence positive, pour avoir l’image correspondant à ce que nous sommes réellement.
Les rapports entre le politique et le militaire au sein de la République sont aussi évoqués dans Inflexions. Dans « La fin du rôle politique », Philippe Vial montre la forte influence du général de Gaulle qui a installé « Clausewitz chez Marianne » mais il le cite aussi face au général Zeller en septembre 1959 : « L’armée est un outil, Zeller ! Vous m’entendez, un outil ! » N’avons-nous pas intégré cette affirmation dans nos comportements depuis, au point d’accepter bien plus que n’importe groupe social ? L’administration dans ses différentes facettes, y compris la diplomatie, n’est-elle pas non plus un outil ? Compte tenu de la capacité d’influence de l’administration sur le fonctionnement des institutions, nous pourrions nous poser la question : les armées ne seraient plus que le dernier et seul outil de la république. Et un outil, cela ne pense pas… ce qui est infirmé par cette revue Inflexions.
En revanche, Samy Cohen rappelle que « le système présidentiel français attend des chefs militaires qu’ils fassent valoir leurs convictions, sous réserve que celles-ci ne soient pas portées sur la place publique et qu’elles ne heurtent pas de front les orientations politico-stratégiques du gouvernement ». Cela ne voudrait pas dire que la docilité évoquée par JL Cotard, à différencier à mon sens de l’obéissance, soit une réalité. En revanche, dans le domaine de la stratégie n’y-a-t-il pas un rôle à redonner au stratège militaire dans le cadre de l’approche globale de la résolution des crises puisque celle-ci est au cœur de sa formation et de ses engagements ?
La problématique est d’ailleurs posée par le général Jean-Marie Faugère dans « L’état militaire : aggiormento ou rupture ». N’est-il pas temps de redonner tout son sens à la vocation du soldat avant qu’il ne soit trop tard ? Dans « Le militaire entre socialisation accrue et perte d’influence », le général de Giuli estime quant à lui que la reconquête de l’influence doit venir des militaires eux-mêmes, en « évitant les pièges du recentrage sur le métier ». Eh oui ce fameux cœur de métier qui aboutit à mon avis à une régression des armées.
Les autres articles sont tout aussi passionnants. François Scheer rappelle l’importance pour la stratégie générale de la France et pour sa crédibilité d’être une puissance militaire et pas seulement un outil militaire. Le général Georgelin souligne l’importance des réformes de 2005 sur la place du chef d’état-major des armées comme conseiller militaire du gouvernement et sur l’organisation de la défense, le Conseil de défense pour définir la politique de défense, le Conseil restreint pour l’emploi des forces, enfin une chaîne de commandement militaire simple et efficace auprès du politique. Il évoque surtout la civilianisation des esprits et la banalisation du militaire dans notre société. Ce que les autres articles d’Inflexions vont montrer.
Cette conclusion se retrouve chez le colonel Jean-Luc Cotard, « Les militaires sont-ils des incompris ? », article qui vaut la peine d’être lu avec son analyse de la docilité des militaires, de leur sélection et aussi de la réalité de la liberté d’expression. Le désintérêt de la société militaire est largement évoqué avec Jean Guisnel. Quant à la visibilité numérique du militaire, ce post est une réponse au commandant Sage… Pour mémoire enfin, citons cet article sur le service de santé (voir lignes de défense) des armées et sur son rôle spécifique pour les armées.
D’autres articles évoquent le lien entre l’armée et la nation, la comparaison des perceptions (mauvaise) pour la police et (bonne) pour les militaires des jeunes des banlieues. L’apport du service militaire adapté est souligné par le général Dominique Artur avec cette mise en valeur du rôle social des armées. C’est aussi ce bel article sur l’intégration du 8ème Rpima à Castres. C’est sans doute l’avenir pour des régiments qui auront besoin d’ancrage dans le tissu local où ils peuvent être reconnus, appréciés tout en pouvant participer à la vie de la Cité.
Je voudrai enfin souligner la vision (trop ?) enthousiaste de commissaire-colonel Jean-Michel Mantin sur « L’essor et le renouveau de l’administration militaire » alors que le sentiment souvent partagé est plutôt celui d’une régression du bon fonctionnement administratif des armées. Je ne porterai pas de jugement définitif. Allons aux résultats mais ceux-ci ne seront pas perceptibles avant quelques années. Il faut espérer que ce choix d’appliquer le droit commun pour le fonctionnement des armées ait effectivement facilité l’emploi des forces. La réflexion du général de gendarmerie Grandchamps sur RTL le samedi 23 juin ne peut cependant qu’inquiéter et il ne sera pas forcément le seul à exprimer la difficulté des forces à pouvoir fonctionner.