Bientôt Noël, certes pas pour l’armée de terre si je me réfère à ce 11ème colloque organisé par le centre de doctrine de l’armée de terre et qui s’est tenu à l’Assemblée nationale ce 3 décembre 2014. Autour d’un panel de généraux, de nombreux parlementaires, militaires et civils étaient présents. Succès donc pour ce colloque sur les thèmes des coalitions et de l’innovation dans l’armée de terre.
Une armée de terre qui a atteint le seuil de la rupture
Effectivement, l’armée de terre même en déposant ses rangers au pied d’un sapin de Noël (lire ma réflexion sur le sapin de Noël en fin de ce billet) n’aura encore pas de cadeaux cette année. Ce colloque a donc été l’occasion d’écouter plusieurs interventions très intéressantes :
Le général Bosser, nouveau CEMAT, a tenu le langage de la vérité. L’armée de terre a atteint son seuil critique. Se référant aux derniers Livre blanc, il considère que les armées ne sont plus capables d’adapter un nouveau Livre blanc. Or, la menace est là et elle atteint le territoire national. Enfin, le moral des forces est secoué mais il n’y aura pas de réforme sans elles. Les officiers d’état-major eux-mêmes ne voient plus l’intérêt de s’y investir. Ils sont convaincus que n’importe quel modèle d’armée cohérent sera battu en brèche par des décisions de court terme, en l’occurrence politiques. Or une armée ne se conçoit pour son efficacité que dans le temps long.
Je traduis. Le pouvoir politique emploie aujourd’hui une armée construite par dix ans de guerre et par des investissements d’hier certes insuffisants mais encore raisonnables. Demain, le pouvoir politique n’aura plus cette armée pour sa politique étrangère, exercer sa souveraineté ou imposer sa volonté dans les relations internationales. Le court terme d’opportunité menace les intérêts de la nation dans le long terme stratégique.
En introduction du colloque, Christophe Guilloteau, vice-président de la commission de la défense, a renforcé ce sentiment en soulignant que les Etats-Unis représentaient 72% des dépenses militaires de l’OTAN. La moitié de l’Occident ne contribue que peu ou pas à son financement. L’Union européenne baisse son effort de la défense « au-delà du raisonnable ». Pour lui, il faut réagir et sortir l’effort de défense des calculs du déficit du PIB. Ce que je partage totalement mais pourquoi ce discours ne semble n’exister qu’en France et sans grand effet eu Europe ? Pourquoi la France n’arrive-t-elle pas à se faire entendre ? Aurions-nous seulement un discours à des fins de politique intérieure ?
Il a aussi évoqué sa surprise devant l’éclatement des armées locales en Afrique contraignant à l’intervention des forces françaises. Une réflexion sur la formation et l’assistance données aux armées africaines devrait à mon avis être lancée : pourquoi un tel échec malgré un investissement notamment français en cadres, en argent, en équipements, en formation ? Est-ce le constat de l’échec de la coopération militaire française ?
Le vice-amiral d’escadre Hervé de Bonnaventure, sous-chef chargé des opérations à l’EMA, a souligné que toute opération est le moment de vérité sur la doctrine, les personnels, les équipements. Il a distingué quatre lignes de force qu’il est bon de rappeler bien qu’elles ne concernent pas toutes directement l’armée de terre :
- Le recours à la force armée est de retour face à un ennemi de plus de plus violent ;
- Les engagements sont de plus en plus exigeants ;
- La logique expéditionnaire est de rigueur et la capacité française d’entrée en premier est aujourd’hui pratiquement unique en Europe ;
- Enfin, la pression médiatique et les attentes politiques exigent des résultats rapides (certes bien illusoires dans la réalité).
Les réponses stratégiques et tactiques pourraient avoir cinq lignes d’action :
- innover avec des équipements rustiques associés avec de la haute technologie pour permettre à une force peu nombreuse de contrôler des zones importantes (mais cela ne répond qu’à des forces ennemies peu conséquentes) ;
- savoir combattre dans les champs immatériels, notamment face à la propagande djihadiste, en agissant dans les champs de la perception et du cyberespace (mais les moyens demandés pour le centre interarmées des actions sur l’environnement depuis sa création en 2012 ont-ils été donnés ?) ;
- innover en doctrine face à un adversaire hybride et agissant sans règles (mais le droit international, et donc celui de la guerre, est-il adapté au XXIe siècle contre ce nouvel ennemi ? Peut-on avoir une réflexion doctrinale innovante dès lors que les armées ne disposent pas de stratèges confirmés et qu’elle fait appel à des stratèges « par intérim », l’affection donnant la compétence ?) ;
- développer l’interarmisation (mais si cela veut dire moins de capacités, n’en a-t-on pas atteint les limites ?) ;
- engager des actions de coalition avec des « partenaires fiables » (mais nos interventions en Afrique ont montré la rareté des alliés fiables et donc le besoin de l’autonomie stratégique).
Enfin, le président Claude Bartolone a clôturé ce colloque par un discours très intéressant (Cf. Son discours). Il a rappelé que la France devait tenir son rang. Il a surtout évoqué l’ennemi qui n’est pas le djihadiste mais le Russe. Cependant que fait-on quand l’ennemi est à nos portes ou sur le territoire national comme cela a été évoqué ? Nous devons le combattre. Les armées doivent recevoir les moyens dont elles ont besoin.
On ne peut donc se contenter de cette approche énoncée par le président de l’Assemblée nationale « il faut considérer ces contraintes (financières) comme notre chance ». C’est un bémol que j’apporterai à son discours : remplacer le manque de moyens par l’imagination. N’est-ce pas ce que nous faisons au moins depuis 1981 et l’imagination ne conduit-elle à partir d’un certain seuil à ne sculpter que la fumée ?
Sur le fond du colloque, OTAN et ennemi djihadiste
Certains propos de parlementaires sont surprenants. Croire que les seules forces spéciales, agissant dans le domaine terrestre, pourront permettre de gagner nos guerres, montre la méconnaissance du fonctionnement réel d’une force militaire. Certes la classe politique s’est réintéressée aux questions de défense après de nombreuses années de désintéressement mais l’appropriation d’une culture militaire pour le civil montre à nouveau sa nécessité. Les armées resteront encore pour de nombreuses années légitimes dans leur domaine de compétence qui est l’art de la guerre. Elles doivent donc être écoutées avec attention.
Deux thèmes m’ont particulièrement intéressé : l’évolution de l’OTAN et l’analyse de l’ennemi d’aujourd’hui.
Le général de corps d’armée Yakovleff, légionnaire depuis longtemps affecté dans l’OTAN, aujourd’hui vice-chef d’état-major de SHAPE, le commandement opérationnel de l‘OTAN, toujours aussi brillant, a évoqué les forces terrestres et l’OTAN, le bilan, les perspectives. La singularité française persiste avec cependant une interopérabilité dans tous les domaines avec nos alliés. Les militaires français apportent leur vision non anglo-saxonne et peuvent valider leur apport par des capacités militaires existantes et une forte expérience opérationnelle.
Ces deux facteurs conditionnent la crédibilité française confortée par sa culture interarmées, celle du contact, des rapports hiérarchiques bien plus décontractées que dans d’autres armées étrangères. De fait, citant la presse américaine qui désigne l’armée française comme la plus forte d’Europe, le GCA Yakovleff rappelle que l’armée française peut agir seule, sans demander (ou presque), avec un processus décisionnel vertical unique. Elle représente un modèle alternatif à l’armée américaine.
Cependant, la France semble manquer de parole dans ses engagements envers l’Alliance. De même, elle ne valorise pas son action au sein de l’OTAN. Paris ignore l’OTAN, mal sans doute nécessaire pour l’imaginaire politique ou celle du citoyen : l’OTAN serait une émanation des Etats-Unis et je l’entends souvent encore aujourd’hui. Je me souviens d’avoir été traité de « suppôt » de l’OTAN, certes avec un certain humour, par ma hiérarchie directe lorsque je défendais une réintégration de la France dans l’Alliance au début des années 2000, non par tropisme pro-américain mais après l’étude des apports de l’OTAN en terme de sécurité.
Le fait aujourd’hui est que tout officier ayant eu une longue carrière dans l’OTAN n’est pas affecté dans les armées en France à un poste de très haute responsabilité : chef d’état-major des armées ou chef d’état-major d’une armée. Significatif.
Le second point intéressant, sans doute parce que je l’ai évoqué à plusieurs reprises, est cette réflexion doctrinale abordée par Christian Malis, chercheur aux Ecoles de saint-Cyr Coëtquidan. Les djihadistes appliquent les principes de la guerre révolutionnaire longuement pratiqués après 1945. Ces guerres révolutionnaires deviennent hybrides car, bénéficiant d’importants stocks militaires tombant aux mains des insurgés, ils disposent d’armes perfectionnées et d’une armée en Irak. La suprématie aérienne pourrait être remise en question à partir de 2025.
L’ennemi est créatif doctrinalement. Christian Malis constate le réveil de la pensée militaire arabe qui utilise un mode asymétrique associé à la guerre en réseau. De fait, nous ne faisons pas face à des terroristes mais à des armées conventionnelles qui appliquent les principes de la guerre révolutionnaire.
Pour conclure, supprimons le sapin de Noël !
Comme nous sommes dans la période de Noël et que l’armée de terre sait que ses rangers resteront vides sous le sapin de Noël, supprimons la tradition du sapin de Noël, symbole aussi éminemment religieux et surtout chrétien, bien que présent dans tous les lieux publics. Comment accepter cette tradition chrétienne au nom de la laïcité alors qu’une crèche a été interdite dans un conseil général cette semaine ? Bientôt, les crèches de Noël, pourtant préparées par nos légionnaires sans distinction d’ethnie, de nationalité d’origine ou de religion pourraient être interdites à la Légion étrangère.
Cette interdiction en Vendée montre l’étendue des ravages de la bien-pensance sinon de la stupidité des « extrémistes laïques » et de leur inculture destructrice de nos traditions partagées pourtant par la majorité de nos concitoyens. Je l’écris avec d’autant plus de force que je ne suis pas croyant et m’estime bien laïque.
Le sapin de Noël est en effet un symbole religieux si je me réfère à quelques recherches rapides. La tradition de l’arbre de Noël est ancienne. Au XIe siècle, l’arbre de noël, garni de pommes rouges, symbolisait l’arbre du paradis. Prenant sa suite, la coutume chrétienne du sapin de Noël, venue d’Allemagne sous l’influence des protestants semble-t-il, s’est installée en Alsace vers 1521. Après la guerre de 1870, les familles alsaciennes fuyant leur région font connaître sa tradition dans toute la France. L’étoile au sommet de l’arbre était le symbole de l’étoile de Bethléem.
Toutes les raisons pour que nos « extrémistes laïques », en cohérence avec leurs idées, demandent aussi l’interdiction du sapin de Noël. Oseront-ils … et laisserons-nous faire ? Les limites de l’intolérance de certains laïcs n’ayant rien compris à la laïcité et agissant essentiellement à l’encontre des chrétiens, ils sont bien plus timides devant d’autres religions, me semblent être atteintes. Au point où on en est, ne faut-il pas légiférer sur ce qui relève de l’expression du culte ou de la tradition ?
Un dernier mot : la télévision publique depuis plusieurs années à la différence de TF1 ignore les saints lors des annonces de l’éphéméride lors de la présentation quotidienne de la météo. La laïcité extrémiste a abouti à ce que les prénoms des saints ne soient surtout pas précédés du terme de « saint » sur la chaîne publique.
Quand une laïcité extrémiste refuse les traditions françaises, qu’elle est parfois suivie par la justice ou le comportement des administrations, comment s’étonner de l’affaiblissement de notre société et donc du développement de tous les autres extrémismes ? La France se divise. N’est-ce pas un appel à la révolte de la majorité silencieuse quand le compromis ne sera plus possible et que les signes avant-coureurs de notre désagrégation se multiplieront ?