dimanche 1 septembre 2024

L’Armée est-elle destinée à être éternellement trompée ?

La question peut être posée suite au collectif budgétaire de fin d’année présenté en conseil des ministres ce mercredi 12 novembre. Les interventions du général de Villiers, chef d’état-major des armées (Cf. Les Echos du 9 novembre 2014) et du général Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre, devant le Sénat (Cf. Audition devant le Sénat du 05 novembre 2014) m’avaient déjà interpellé. Pourquoi rappeler à nouveau publiquement que nos armées étaient à bout de souffle compte tenu des engagements gouvernementaux renouvelés ? Il devait y avoir une raison et sans doute une menace sur les armées.

La réponse est arrivée effectivement ce mercredi. De fait, l’armée a été trompée une fois de plus par des engagements politiques non tenus. Nul doute que le chef d’état-major des armées, artisan des réformes actuelles, qui faisait donc confiance au pouvoir pour le respect de la parole donnée, doit en être fort marri. En effet comment expliquer aux armées ce nouveau coup qui leur est porté, qui décrédibilise la parole politique et par ricochet celle du CEMA et du ministre de la défense ? La communication publique n’y suffira pas.

De quoi s’agit-il ?

Résumons (Cf. L’Expansion du 13 novembre 2014). Le collectif budgétaire de fin d’année prévoit 1,8 milliard d’euros d’annulations de crédits qui s’ajoutent à ceux de juillet. Un des objectifs est de confirmer auprès de la commission européenne la réduction des déficits de 0,5 point en 2015. Alors que l’Union européenne refuse la déduction des dépenses de défense du calcul du déficit public, elle contraint cette fois indirectement la France à désarmer (Cf. Editorial du Monde du 16 novembre, la défense de l’Europe combien de divisions ?).

Le ministère de l’économie et des finances reproche au ministère de la défense le dépassement budgétaire de 700 millions d’euros lié aux opérations extérieures en raison des interventions qu’elles soient prolongées comme au Mali ou en Centrafrique (malgré les discours passés de désengagement rapide dont on peut à la fois s’étonner et finalement se gausser) ou nouvelles avec des frappes en Irak. Le total du surcout des OPEX avoisinera les 1,2 milliards d’euros comme l’année précédente. Déjà en 2013, la ligne budgétaire dédiée aux OPEX n’était que de 630 millions d’euros. Il avait été réduit à 450 pour 2014. Lourde erreur avec un chef des armées qui est enclin depuis son élection à engager les forces armées en opération plus souvent que de coutume.

A titre d’information, je citerai volontiers les autres postes de dépassement d’une valeur totale de 556 millions d’euros et dont les deux premiers sont les dépenses de solidarité en faveur des immigrés et des demandeurs d’asile (aide médicale de l’Etat, 155  millions d’euros, hébergement d’urgence et allocation temporaire d’attente, 157  millions d’euros soit 312 millions d’euros).  Je me demande où sont les priorités : la sécurité internationale ou ce type de solidarité. Mais quand l’idéologie nous gouverne…

Du marché de dupes

Le marché de dupes est simple (Cf. aussi La Voix du Nord). Le collectif budgétaire doit couvrir le surcout des opérations à partir des contributions de l’ensemble des ministères. Ainsi, il ouvre 605 millions d’euros de crédits supplémentaires en faveur des OPEX mais ce montant est gagé par l’annulation de crédits au ministère de la défense, soit 572  millions d’euros. Celui-ci financera donc presque intégralement sur son budget les dépenses liées aux opérations alors que ce budget n’est déjà pas totalement assuré. Donc moins d’entraînement ? Moins de matériels neufs ? Un meilleur moral sans doute ?

Il faudrait peut-être une nouvelle fois rappeler que l’’armée française est déployée au large de la Somalie, au Sahel contre les djihadistes, en République centrafricaine sous mandat de l’ONU. Elle lutte contre l’Etat islamique en Irak. Ainsi 20 000 militaires sont déployés hors de la métropole dont plus de 8 000 dans vingt-sept opérations sur quatre continents. Et pourtant En dix ans, les effectifs de la défense ont baissé d’un quart et le ministère assume 66% des réductions de postes de l’Etat en 2015. Est-ce bien normal alors que la guerre fait de nouveau son apparition ?

En même temps, pour reprendre le Monde du 16 novembre 2014 (Cf. « Hollande : plus de guerres, moins de moyens ») les conditions de vie des soldats qui manquent d’eau, de chaussures, de tentes climatisées dans le Sahel, sont « affligeantes ». Les matériels vieillis continuent d’attendre la relève : des ravitailleurs C135 de plus de 50 ans, des blindés de plus de 40 ans, 50% des hélicoptères souvent non-opérationnels.

N’oublions pas la déstructuration de l’administration militaire (Cf. Blog Zone militaire) dont le symbole le plus connu est le logiciel de paie Louvois. Son dysfonctionnement a coûté 160 millions d’euros en 2014. Il a touché la moitié des soldats de l’armée de terre et personne ne s’est plaint. Je m’imagine les effets d’un tel dysfonctionnement dans la police ou dans l’éducation nationale. L’absence de sanctions contre les responsables d’un tel échec me semble témoigner d’un certain mépris pour le « petit » personnel militaire. On aurait pu attendre au moins des démissions.

Des conséquences d’une défaite budgétaire

Cependant, le général de Villiers continue à exprimer un certain optimisme car, selon lui, « Le doute, c’est le début de la défaite » mais il déclare aussi que « 2015 sera l’heure de vérité ». En effet, une défaite budgétaire apparaît de plus en plus certaine malgré les efforts du ministre de la défense. Le projet de cette fameuse première armée européenne en 2019 grâce aux réformes multiples paraît être bien illusoire sinon un mirage.

Si le doute est le début de la défaite, une défaite budgétaire et donc capacitaire aura pour résultat un bien plus profond traumatisme que supposé. Du désabusement constaté, d’une colère rentrée parfois, cette incapacité à défendre un budget de la défense pourrait bien laisser la place à l’expression de la colère. Sans aucun doute, 2015 pourrait bien être l’heure de vérité. Mais si, en plus, on ne dit rien, que l’on accepte sans rien dire ce manque de reconnaissance du politique envers l’armée de la République, ne sommes-nous pas responsables de cette situation ?

Or, le président de la République décide de la guerre et engage la vie des soldats de la Nation. Un ministère, en l’occurrence Bercy, s’oppose à la mise à la disposition des moyens nécessaires aux armées (Cf. Valeurs Actuelles du 14 novembre 2014, « Quand Bercy insulte nos soldats »). Le président de la République, chef des armées, semble acquiescer ou ne dit mot.

Si les moyens ne sont pas donnés pour remplir correctement la mission, le CEMA ne doit-il pas la refuser et dans ce cas, pourquoi pas, être entendu par les parlementaires pour s’en expliquer ? Si j’ajoute la dimension donnée à la mort d’un manifestant d’extrême gauche à Sivens et le peu d’intérêt montré pour un soldat tué au Mali, l’adjudant Dupuy, tout est dit (Cf. Ecoutez avec attention Olivier Mazerolle sur RTL).

Pour conclure, qu’en déduire ?

L’Armée a-t-elle encore été trompée ? J’en ai le sentiment. Dans tous les cas, récompenser d’une décoration à titre posthume, avec une belle cérémonie (et une pension de réversion pour la veuve éventuelle), ne peut suffire pour obtenir la confiance des armées. Des discours et des engagements non tenus non plus.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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