mardi 26 novembre 2024

Les actions amphibies du 1er REC dans les rizières d’Indochine

Équipés de redoutables véhicules amphibies, les « Crabe » et les « Alligator », les légionnaires du 1er REC vont semer la terreur dans les rangs du Viêt-minh.

La plaine des Joncs ! Un réel cauchemar pour les troupes du secteur et qui le restera, vingt ans plus tard, pour les boys de la lointaine Amérique. Un cloaque de plus de 500 000 ha, régulièrement inondé par le Mékong, entrecoupé de rizières par endroits et de bois qui constituent autant de précieux auxi­liaires pour la défense. La région est un sanctuaire pour le Viêt-minh, à tel point qu’il y dispose d’un centre d’instruction, d’un hôpital de campagne et d’une fabrique d’armes et de munitions.

Capitaine Svetozar Miloyevitch (1906-1949).

À la fin de 1948, le 1er régiment étranger de cava­lerie reçoit pour mission de disputer ces positions stratégiques aux rebelles. Grâce à une récente dota­tion de Crabe, les légionnaires, conduits par de fou­gueux officiers, vont se transformer en « hussards des rizières ». Les combats qui émaillent la période de décembre 1948 à juillet 1949 vont révéler le capi­taine Svetozar Miloyevitch.

En décembre 1948, un bataillon du 4e régiment de tirailleurs marocains est fixé à Gia Thuan par des élé­ments du Viêt-minh, supérieurs en nombre. Pour les tirailleurs, la situation devient critique. Un message de détresse provoque l’intervention du 1er escadron du REC. Fonçant aussi rapidement que le terrain le permet, les Crabe font irruption sur le lieu de l’embuscade. Cette intervention provoque un flottement certain dans les rangs viets. Servi par un sens inné de la manœuvre et par son expérience, Miloyevitch engage ses engins de la même manière qu’il harcelait l’occupant de sa Yougoslavie natale quand il dirigeait un maquis. Ne cessant de manœuvrer, les Crabe enveloppent les rebelles. Toutes les tentatives de ces derniers pour rompre le combat sont vaines. La mitraille les rejette dans les cocoteraies, où les engins ne peuvent aller les dénicher. Qu’importe, les tirailleurs sont maintenant tirés d’un mauvais pas et si le 1er REC n’a pas infligé de grandes pertes à l’adversaire, ce n’est que partie remise.

Les premiers jours de l’année 1949 sont marqués par deux accrochages dans le secteur de Kinh Bo, au cours desquels les Viets subissent des pertes. Le 15 janvier, la marine nationale achemine les Crabe, qui débarquent sur les rives du Vaïco oriental. Prenant la tête dans son engin de commandement qui arbore son fanion, « Milo » perce jusqu’au coeur de la zone rebelle, après maintes difficultés de tout ordre. Consultant alternativement la carte et le terrain qui s’offre à ses yeux, le capitaine ne laisse rien au hasard. L’escadron est déployé en trident, le peloton de pointe, le sien, fait irruption dans un camp retranché et surprend les Viets à découvert. « Milo » ressemble à un centaure. Debout dans son Crabe, le sourire aux lèvres, il désigne calmement leurs cibles aux tireurs. Les Viets ripostent du mieux qu’ils peuvent en essayant de rejoindre leurs positions de combat. Mais le tir croisé et continu des mitrailleuses fauche les frêles silhouettes noires qui s’écroulent dans les rizières. Miloyevitch vient d’imprimer sa marque.

Le 6 février, la progression de l’infanterie est stoppée par les défenses d’un village viet au sud-est de Go Gong. Sur l’ordre du capitaine, les Crabe s’ébranlent et se portent en avant de l’infanterie, qui peut redresser la tête. Parvenus à la lisière du village, les engins butent sur les obstacles qui entravent l’accès de la localité. Donnant l’exemple, Miloyevitch saute à bas du Crabe de commandement et entraîne ses légionnaires à l’assaut. Bousculés, les Viets cèdent le terrain en abandonnant de nombreux cadavres et leur armement. Toutes les installations volent en éclats.

Le 1er escadron est de l’opération Jonquille montée pour la destruction de l’infrastructure du Nam Bo, à l’extrémité occidentale de la plaine des Joncs. Le terrain est spongieux, les Crabe patinent. Constamment à la peine, les légionnaires sont exténués. D’autant plus qu’ils affrontent un lacis de canaux. Ce cross-country met à mal les moteurs et l’ensemble de propulsion des engins. Pourtant, du 2 au 8 juin, l’escadron pénètre jusqu’à 200 km dans la plaine des Joncs. Performance en soi, qui se double d’un succès militaire grâce à la destruction de l’objectif. Dans l’affaire, l’adversaire compte 79 tués et perd un armement considérable.

Il s’ensuit une période de repos, tout relatif, d’ailleurs, car il s’agit de retaper les Crabe, bien éprouvés par dix mois de rudes opérations.

Le 1er juillet 1949, le capitaine Miloyevitch prend le volant d’une Jeep pour se rendre à Saigon, accompagné d’un légionnaire. Près du carrefour de Thu Thua, un camion chinois est immobilisé sur le côté droit de la chaussée.

Sans méfiance, l’officier ralentit pour le doubler. À cet instant précis, une roue est propulsée à travers la chaussée. Surpris, le conducteur pile sur place. Dans le même laps de temps, des Viets sautent du camion tandis que d’autres émergent de l’orée de la forêt toute proche. La fusillade est brève. Touché à plusieurs reprises, l’officier agonise. L’affaire est si rapide que les deux légionnaires n’ont pas le temps d’esquisser un geste. Les communistes lardent le capitaine de coups de coupe-coupe avant de le décapiter. Si les Viets comptaient sur la barbarie pour atteindre le moral de l’escadron, il leur a fallu déchanter. Les Képis blancs accusent le coup. « Milo », comme le ses légionnaires, a été privé de la mort chevaleresque à laquelle il était préparé : « ils » ont assassiné le chef. Mais « ils » le payèrent si cher que, l’escadron resta la bête noire des communistes.

 

Au combat en Indochine depuis le début de l’année 1947

Le 14 décembre 1946, le 1er REC embarque à Marseille sur le Pasteur, sans autres manifestations que le regard haineux de quelques dockers. Le Parti communiste ne s’est pas encore prononcé sur la « sale guerre ». La destination première de l’unité est Saigon. En cours de route, un télégramme lui enjoint de poursuivre sur Tourane, où le régiment s’établit à partir du 4 janvier 1947. Le moral de l’unité n’est pas à son zénith. Mal équipés, dépourvus de véhicules et de blindés, alors que, deux ans auparavant, le REC formait le régiment de reconnaissance de la 5e DB, les cavaliers « démontés » courent les rizières et les montagnes limitrophes pour la défense de la tête de pont de Tourane.

En avril, l’espoir se requinque avec la réception du matériel du 5e régiment de cuirassiers, qui permet d’équiper deux escadrons : matériel hétéroclite englobant des chars M-3, des auto-mitrailleuses M-8, des Jeep blindées, des scout-cars d’origine américaine et des Bren-carriers d’origine britannique. Matériel qui conforte l’amour-propre des cavaliers, mais qui limite leur efficience. La configuration de l’Indochine et les variations climatiques imposent la maîtrise de l’élément aquatique si l’on veut rayonner dans la péninsule. Le général Leclerc s’en était aperçu lors de la reconquête de My Tho. Le commando Ponchardier, amené sur place par des chalands de débarquement de la Royale et de la Royal Navy, avait bouté le le Viêt-minh de la localité, tandis que les blindés de la colonne Massuy y parvenaient avec 24 heures de retard dues aux coupures de route. Quiconque s’en tient aux axes routiers ne contrôle que le quart de l’Indochine.

Cette fois, les services officiels feront bien les choses. Une commission française prospecte les surplus américains du Sud-Est asiatique. À Manille, elle découvre des véhicules chenillés Carrier Cargo M-29, ou Crabe. À l’origine, ces engins sont conçus pour le transport en régions arctiques, mais l’adjonction de deux gouvernails et de deux caissons étanches leur confère une vocation amphibie. À défaut d’hélice, la propulsion est assurée par les chenilles. L’engin évolue facilement dans l’eau, quoique lentement. Même de faible intensité, le courant contrarie sa course, d’où une dérive et des changements sur le sable, il peut pousser jusqu’à 60 km/h. Effectivement tout terrain, ce véhicule ne connaît de réelles difficultés que lorsque la profondeur de l’eau est insuffisante pour flotter et que la vase formant le lit de la voie d’eau ne permet pas d’adhérence ou ou que des masses compactes d’herbes flottantes, communes dans les giongs, entravent sa marche. Dans les deux cas, le halage à bras est le meilleur palliatif. Par ailleurs, en pleine charge, avec l’armement, les munitions, l’équipement radio, les vivres et les quatre hommes d’équipage, il dispose d’un franc-bord de 15 à 20 cm qui le rend vulnérable au clapotis et lui interdit tout emploi maritime.

Tout ceci, les coloniaux, puis les légionnaires de la 13e DBLE l’ont appris sur le terrain et souvent à leurs dépens. Employés isolément ou par groupes de deux à trois engins, particulièrement pour les évacuations sanitaires, un grand nombre de Crabe tombent en panne ou s’enlisent et finissent sur place, détruits par explosifs.

À l’époque, un engin chenillé, blindé ou non, était affaire de cavaliers. Les régiments d’infanterie motorisée viendront plus tard. La viabilité du Crabe dépend maintenant du 1er REC, qui a la charge de son expérimentation et de l’élaboration d’une doctrine d’emploi.

Les 1er et 2e escadrons s’y emploient dès décembre 1947 dans la région du Tan An et de My Tho. Conduits par des chefs de panache, les capitaines de Baulny et Miloyevitch, et servis par des familiers de la mécanique, les Crabe enregistrent des succès. Peu à peu, les Képis blancs font pencher la balance en leur faveur, non sans pertes. Les huit pelotons des deux escadrons, la cavalerie du Delta, s’intègrent dorénavant dans le paysage lors d’opérations combinées ou de raids audacieux. Les résultats sont assez probants pour qu’un escadron de Crabe soit formé en 1949 au 1er REC, bientôt suivi au début 1950 du VI/1er REC.

 

Crabe et Alligator forment la cavalerie du Delta 

Entre-temps, le Viêt-minh a surmonté la terreur initiale que provoquait l’apparition des amphibies. Les engins sont de plus en plus souvent opposés à une résistance fanatique d’éléments enterrés et d’équipes de destruction qui recherchent le corps à corps. À l’origine, chaque Crabe est doté d’une arme automatique, soit le fusil-mitrailleur français 24/29, soit la mitrailleuse légère américaine de 7,62 mm. Chaque peloton dispose d’un Crabe équipé d’un mortier de 60 mm et de deux autres porteurs de canons sans recul de 57 mm qui peuvent exécuter des tirs à 360°. Des essais préliminaires avec la mitrailleuse lourde US de 12,7 mm furent abandonnés pour des impératifs de poids et d’encombrement. En fait, l’engin ne peut s’apparenter à un char de combat. En cas d’engagement rapproché, l’équipage ne peut compter que sur son armement individuel.

Un autre problème vient se greffer, celui de l’infanterie d’accompagnement lors de reconnaissances profondes. À l’exception des commandos bien entraînés, les unités d’infanterie conventionnelle perdent rapidement le contact avec les engins. L’embarquement d’une section d’infanterie pour chaque escadron de Crabe est alors envisagé. Cette solution n’est pas viable, car le fractionnement du sou tien transporté obère sa puissance de feu tout en alourdissant les vecteurs. D’autre part, le temps manque pour familiariser la troupe aux manœuvres des amphibies, et l’éparpillement d’un escadron sur le terrain rend difficile un prompt regroupement des unités à pied.

La solution réside sous la forme du LVT Alligator, dont l’armée française possède des exemplaires au Centre d’opérations amphibies d’Arzew. Ceux-ci entament leur carrière opérationnelle du 2 au 4 novembre 1950 dans la région de Tra Vinh. Début d’une mise en œuvre sous les couleurs françaises, car l’Alligator est indissociable des marines dans la reconquête des îles et des atolls occupés par les Japonais. Dès 1942, du Pacifique à Iwo Jima et Okinawa, aux confins du Japon, les LVT sont les bonnes à tout faire des « nuques de cuir ». Les engins reprennent du service sous l’étoile blanche en Corée dès 1950, en même temps qu’au 1er REC.

Contrairement au Crabe, le Landing Vehicle Track (LVT, véhicule chenillé de débarquement) est initialement conçu pour un emploi marin — il est dérivé d’un véhicule conçu par Donald Roebling, spécialisé dans le sauvetage dans des régions inondées telles que la Floride et la Louisiane — et est capable de se mouvoir sur terre.

Deux compartiments à l’avant abritent le moteur, le pilote et le radio. La coque de l’engin forme une vaste cuve ouverte dont la porte arrière, qui s’abaisse, facilite l’embarquement et le débarquement. Des plaques de blindage frontales offrent une protection relative contre les armes légères. Il est dépourvu d’hélice, et ses chenilles à godets assurent une vitesse de 4 à 6 nœuds, suivant l’importance de la houle (ou des courants). Sur terre et malgré ses 18,5 t en charge, l’amphibie peut pousser jusqu’à 50 km/h. Toutefois, ses chenilles et son train de roulement souffrent vite sur un terrain dur. À l’inverse, l’état d’une route après son passage relève de la compétence du génie et des ponts et chaussées.

La végétation altère peu la mobilité de l’engin. Les arbres moyens ne lui résistent pas, de même que les couverts relativement développés. Toutefois, en raison du peu de largeur des chenilles et de la faible garde au sol, le LVT s’enlise facilement en terrain boueux. Or, si l’équipage du Crabe fait franchir un obstacle difficile à l’engin, par le muscle éventuellement, il en va différemment pour l’Alligator.

Du fait de ses qualités marines supérieures à celles du Crabe et en tenant compte des restrictions précédemment citées, l’Alligator trouve son plein emploi dans les débarquements côtiers et les raids. Dans ce dernier cas, un peloton de LVT fournit un appréciable appui de feu au commando débarqué pour un coup de main, dispositif prédisposé à être mis en œuvre lors d’actions de plus grande ampleur.

Un peloton d’Alligator comprend 8 véhicules :

  • un de commandement,
  • quatre de transport,
  • deux d’appui,
  • un de dépannage.

Le LVT standard est armé de quatre mitrailleuses américaines (deux de 7,62 mm, deux de 12,7 mm) avec boucliers ; deux canons sans recul de 75 mm arment également deux engins par peloton. Le LVT A4 d’appui est complètement ponté et doté de la tourelle de l’automoteur M-8 armé d’un obusier de 75 mm, d’une redoutable efficacité. Plus tard, des améliorations sont apportées par le sous-groupement amphibie du 1er régiment de chasseurs à cheval à des LVT de transport. Ceux-ci sont équipés de 40 mm Bofors jumelés à deux 12,7 mm. Le volume de feu ainsi obtenu, conjugué à la précision de tir, a un effet dévastateur sur les défenses en bambou qui ceinturent les villages fortifiés. La conjugaison sera reprise par la Légion, notamment au 11e escadron. L’équipage d’un Alligator se compose de huit hommes.

Les résultats des premières expériences débouchent sur l’adjonction d’un peloton d’Alligator aux 2e, 6e et 1er escadrons de Crabe, avec un commando local (vietnamien ou cambodgien) servant d’élément porté aux LVT.

Le 1er septembre 1951, le groupe d’escadrons forme corps en constituant le 1er groupement autonome, et les trois escadrons deviennent sous-groupements amphibies. Logistiquement indépendante, la nouvelle unité reste attachée à l’unité mère (1er REC) par l’étendard et les traditions.

Au Nord Viêt-nam et à la même période, le 2e groupement autonome voit le jour. Il se compose d’un PC, d’un escadron de commandement et de soutien, du 8e escadron basé à Haiphong et d’un escadron du 1er chasseurs basé à Nam Dinh. Au Centre Viêt-nam, le 7e escadron, qui reste attaché au 1er REC, forme le noyau du sous-groupement amphibie basé à Hué.

À partir de 1952, les raids amphibies ont provoqué l’abandon par le Viêt-minh de ses repaires de la plaine des Joncs. Cet état de fait contribue, avec l’engagement de bâtiments de débarquement lourds de la marine nationale, au déploiement du 1er groupement autonome à Tourane au printemps 1953. Devenu unité de réserve générale, il rayonne durant la mousson d’été sur le littoral annamite. En hiver, il opère au Tonkin.

Une réforme intérieure intervient cependant le 1er avril 1953. Les groupements autonomes deviennent groupements amphibies ; les sous-groupements, quant à eux, deviennent groupes d’escadrons, chacun possédant un escadron de Crabe et un escadron porté sur LVT.

Le 4 septembre 1952 à 3 h 45, des portes béantes des LST Ronce et Orne s’échappent les premiers blindés amphibies du 1er GA. La mise à l’eau soulève des gerbes qui masquent les engins pour quelques secondes. Pétaradants, les Alligator abordent bientôt la plage en dégoulinant de toutes leurs chenilles.

L’opération Caïman est lancée. Elle succède et précède bon nombre d’opérations montées régulièrement pour affaiblir l’appareil du Viêt-minh de la Rue sans joie, à une trentaine de kilomètres au nord de Hué et en bordure de mer.

Sous la protection des mitrailleuses des amphibies, le 56e bataillon vietnamien débarque du LST Orne, et, accompagné des Crabe, pousse sur Vinh Xuong qui est aussi l’objectif de la III/13e DBLE.

De nombreuses traces laissées sur le sable du rivage laissent à penser que l’ennemi est maintenant alerté. Effectivement, vers 9 h 30, les Viets accrochent la Légion sur la crête de Vinh Xuong. C’est l’assaut. Marchant au canon, les Alligator se portent à la rescousse. Goguenards, les légionnaires les accueillent dans le hameau qu’ils viennent de prendre. Les cadavres de trente réguliers jonchent le terrain. Pourtant le nombre d’armes saisies sous-entend un effectif relativement important qui s’est dilué dans la jungle avoisinante.

Le commandement délègue l’effort principal à la 13e DBLE. En conséquence, cette unité bénéficie du soutien des moyens amphibies du groupement et des M24 du 1er REC pour l’attaque de Thanh Huong.

Dans la matinée, les premiers éléments pénètrent sans encombre dans la localité, mais ils le doivent aux ordres de l’état-major du Viêt-minh. Jugeant les Français suffisamment enferrés, les bo doïs se dévoilent par des sonneries de clairon qui commandent un feu d’enfer. Le capitaine Vadot évalue rapidement l’ampleur de l’opposition. L’importance des armes automatiques et l’armement individuel relevé sur les premiers cadavres révèlent un effectif de deux bataillons appartenant au régiment 101. La compagnie de tête de la 13e est en passe d’être débordée. Légionnaires ou non, la pression est trop forte pour chacun d’eux. Seul, le volume du feu tempère ceux d’en face. Mais, à ce rythme, les munitions se font rares. Crachant de toutes ses 12,7, un Alligator se présente à point nommé. Il aère le dispositif et permet le repli de la compagnie. Un Vietnamien, membre de l’équipage, se fait remarquer par son insouciance de la mitraille. Posément, il vide chargeur sur chargeur sur les positions individuelles viets.

Profitant de l’arrivée du 56e bataillon vietnamien sur son flanc gauche, le capitaine Vadot conduit une charge à la baïonnette au son des premières notes du Boudin égrenées par le clairon. Le Viet fléchit.

Certains semblent se rendre pour mieux ouvrir le feu à bout portant. On ne se fait pas de cadeaux. Les armes automatiques, parfois tirées à la hanche, et les 57 sans recul prennent violemment à partie les Viets qui combattent à découvert. Ces pertes leur deviennent insupportables. Alors, l’ennemi abandonne l’assaut frontal et profite de sa supériorité numérique pour se fondre dans l’environnement qui est le sien et riposter.

La disproportion des effectifs ne permet pas au capitaine Vadot d’espérer emporter la décision. Il remanie son dispositif par un mouvement tournant sur Vinh Huong, sous la protection des blindés. Le Viêt-minh associe le repli à une difficulté des Français et se rue à ce qu’il croit être la curée. Excès de confiance dont profitent les équipages des M24 et des Alligator, qui ne connaissent pas de pénurie de munitions.

Ressentant les deux heures de combat d’affilée et l’hécatombe due aux amphibies, les bodoïs n’insistent pas. Vers 13 heures, la III/13e DBLE achève son repli, couverte par le 111/5e REI qui vient d’arriver.

La poursuite de la 111/13e DBLE par les Viets incite le général Leblanc à faire larguer le 3e BPC sur la DZ Édith, au sud de Trung Dong, pour prendre de flanc la contre-attaque du Viêt-minh.

La protection par un groupe d’Alligator sur la zone de saut évite aux paras un mini-désastre. Outre des sautes de vent qui se solderont par 28 blessés, les paras sont éparpillés, à tel point qu’il leur faudra deux heures pour se regrouper. Mais, durant ce laps de temps, ils constituent des cibles isolées, idéales pour les compagnies viets. D’où l’importance de la présence des amphibies du 1er REC, dont l’intervention, conjuguée à des appuis aériens et d’artillerie, réussit à circonscrire la menace.

De son côté, la couverture aérienne peut maintenant intervenir sans craindre de toucher les éléments amis imbriqués avec les Viets. Les trois B-26 et les dix Bearcat de protection aérienne arrosent les concentrations de troupes surprises en terrain découvert.

Ce répit et le renfort du III/5e REI permet à l’unité de la 13e DBLE de relancer son attaque. Les Viets accélèrent leur repli sur Thanh Huong lorsque la menace des Bérets rouges se précise.

Dans l’après-midi, la prise de la localité console la Légion de ses trente tués. Près de trois cents cadavres de réguliers sont dans l’attente d’une sépulture. Dans la nuit du 4 au 5 septembre, plusieurs centaines de bo doïs se font encore étriller dans leur tentative de rompre l’encerclement.

Les deux jours suivants, les Alligator sillonnent la Rue sans joie sans rencontrer de résistance organisée. L’opération est démontée le 7 septembre. Le régiment d’élite 101 est hors de combat, Caïman lui a coûté 600 tués et 200 prisonniers. Sur le terrain, les légionnaires amassent un impressionnant butin : 200 fusils, 10 mitrailleuses, 20 fusils-mitrailleurs, une quinzaine de mortiers. Et les tournées de Pernod s’accompagnent du feu d’artifice des munitions, mines et grenades que l’on fait sauter.

En conclusion, il convient de souligner l’intelligence dans la conception d’emploi des matériels amphibies, mais également l’adaptation à l’évolution de la guerre et à la tactique ennemie des commandants d’unités, et la remarquable flexibilité de leurs subordonnés, qui, en toute circonstance, tendirent toujours à obtenir un rendement optimal.

Les groupements amphibies

L’ordre de bataille des groupements amphibies se présente comme suit :

  • 1er groupement amphibie basé à Tourane avec 1er groupe d’escadrons amphibies (1er escadron de Crabe, 11e escadron porté LVT), le 2e GEA (2e escadron de Crabe, 12e escadron LVT), le 3e GEA (3e escadron de Crabe, 13e escadron LVT) ;
  • 2e groupement amphibie basé à Haiphong avec le 1er groupe d’escadrons du 1er REC (8e escadron de Crabe, 18e escadron porté LVT), le 1er GEA du 1er chasseurs, le 7e GEA (7e escadron de Crabe, 17e escadron LVT).

Le 1er juillet 1953, le 7e GEA ne dépend plus du 1er REC et passe au 1er GA, en remplacement du 1er groupement amphibie qui va grossir les rangs du 2e groupement amphibie.

Conjointement ou isolément, selon la nature du terrain et les possibilités spécifiques des engins, Crabe ou Alligator continuent de se distinguer jusqu’au cessez-le-feu dans les différents types de missions qui leur sont imparties :

  • accompagnement et appui d’infanterie ;
  • exploration et exploitation ;
  • bouclage (lointain et rapproché) ;
  • débarquements et raids ;
  • intervention rapide.

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