L’Europe à l’heure des choix face à la réalité géopolitique et à la guerre

La rencontre brutale, en direct, des présidents Zelenski et Trump, à la Maison Blanche ce vendredi 28 février 2025 a créé stupéfaction et sidération. Elle a achevé de déconstruire l’ordre international tel qu’il était en vigueur au bénéfice d’un possible nouvel ordre mondial. Celui-ci s’appuie désormais sur le rapport de forces qui est devenu la règle pour les années à venir. Les 27+1 (Royaume-Uni) sont désormais contraints d’agir pour affirmer leur identité collective, la défense de leurs intérêts, le rejet de la vassalisation. Encore faut-il que cela ne soit pas des mots mais qu’il y ait des actes.

Reprenons les réunions successives qui ont rassemblé les européens depuis deux semaines. En synthèse ? Des communiqués, des déclarations, de la calinothérapie pour le président Zelenski bien qu’il ait fait preuve d’une rare résilience.

Or, D. Trump a montré sans fioriture et encore moins de diplomatie qu’America first était sa ligne de conduite. Cela est cohérent avec sa campagne électorale qui a conduit à une victoire sans appel. Celle-ci cependant le contraint à tout faire pour obtenir une meilleure majorité lors des élections du Congrès dans deux ans et sans doute obtenir les changements qu’il envisage comme un nouveau mandat présidentiel. Cette révision de la Constitution impose un vote favorable des deux-tiers dans chacune des deux chambres du Congrès et une ratification par trois-quarts des États fédérés.

Dans ses relations avec l’Ukraine, il faut préciser que D. Trump déteste ceux qui lui résistent. En l’occurrence, cette détestation a été clairement affichée désormais depuis la scène du bureau ovale. Dès lors que l’on demande de l’aide aux Etats-Unis, on devient un vassal pour les Etats-Unis et les Etats-Unis exercent leur privilège de suzerain. Dans les armées, on dit souvent que celui qui paie commande. Ni les Ukrainiens ni les européens ne pensaient être les vassaux de Washington mais D. Trump a rappelé qu’il était le suzerain américain.

Rappelons aussi que le président Zelenski ne devait pas être reçu à Washington. Une intervention du président Macron auprès de D. Trump a permis cette invitation. Il est toujours possible d’affirmer aujourd’hui qu’il s’agissait d’un piège mais le visionnage de l’entretien laisse surtout la place à plusieurs interprétations. Restons-en aux faits. Le président ukrainien a été congédié et sa démission est évoquée avec force depuis par les Etats-Unis pour faire aboutir les négociations de paix. Bref, le changement des alliances est un fait : d’un autre côté, la Russie et les Etats-Unis, de l’autre les Etats européens incluant l’Ukraine.

Par ailleurs, D. Trump s’est engagé à une paix rapide en Ukraine. il considère que celle-ci a perdu la guerre même s’il ne faut rien préjuger justement en temps de guerre. Il est clair désormais, mais ceci confirme toutes les déclarations de l’administration Trump, qu’actuellement l’Ukraine n’est plus une priorité pour les Etats-Unis, qu’elle n’est pas en mesure ni de changer le cours de la guerre, ni de reconquérir les territoires perdus malgré des victoires tactiques localisées. Il utilise donc tous les moyens de pression à sa disposition dont la dernière est sans aucun doute une suspension des livraisons d’armes prévues par l’administration Biden.

Enfin, il est clair aussi que l’Union européenne est méprisée, gênante pour les ambitions économiques des Etats-Unis et que pour D. Trump, seule la Russie de Poutine est digne d’intérêt notamment pour faire face à la vraie menace qui est chinoise.

Et l’Europe dans tout cela ?

Après l’effet de sidération faisant suite à la débâcle diplomatique de l’Ukraine, les européens tentent de faire face : soutien au président Zelenski, aides maintenues ou renforcées, évocation d’une force militaire d’interposition franco-britannique, « trêve » d’un mois évoquée ce dimanche par le président Macron… excluant les combats terrestres, sans un accord de l’autre belligérant… et annonce contredite par le Royaume-Uni qui privilégie les rapports avec les Etats-Unis. Bref, rien de concret. Les européens tout comme l’Ukraine ne sont pas à la table des négociations. Encore faut-il créer un rapport de forces qui permet cette présence face aux Etats-Unis.

Or, avoir parié sur une défaite de D. Trump pendant des mois a sans doute pesé dans la balance. L’annonce progressive d’une victoire et surtout le succès électoral de D. Trump le 6 novembre auraient dû mettre l’Union européenne en ordre de bataille. Elle ne l’a pas fait et elle agit désormais en panique et dans l’urgence.

Pourtant, il aurait été aisé de définir une réaction concrète et salutaire à Londres ce dimanche 2 mars 2025. Ainsi, une coalition d’Etats européens, donc une alliance politique de circonstance y compris avec le Canada, aurait pu être créée pour soutenir l’Ukraine. Cette coalition aurait pu annoncer par exemple

  • Le lancement d’une génération de forces pour projeter une force d’interposition robuste, sur le théâtre ukrainien en cas de cessez-le-feu. Elle apportait ainsi une garantie de sécurité. Le secrétaire d’état à la défense américain l’avait évoquée le 12 février ;
  • Face aux actions hostiles de D. Trump, mettre dans la balance que les Etats européens ne fourniraient une force d’interposition en Ukraine que s’ils étaient associés aux négociations ;
  • Avec l’aval du président Zelenski, reconstruire l’Ukraine d’après-guerre par l’Europe et non par les Etats-Unis ;
  • Les minerais stratégiques présents en Ukraine exploités par des entreprises européennes et non par des sociétés américaines ;
  • Enfin, une absence des européens à la table des négociations interdirait toute levée des sanctions économiques à l’encontre de la Russie. 16 trains de sanctions sont en vigueur.

Bien sûr il y aurait des mesures de rétorsions dont les droits de douane, l’énergie, les normes américaines par exemple ITAR dans l’armement, ne sont pas les moindres mais la création d’un rapport de force conduit à des sacrifices qu’il faut savoir accepter au moins pour les deux ans à venir (les échéances électorales aux Etats-Unis), et dans une plus longue durée avec l’objectif d’une « souveraineté collective » de l’Union européenne.

Rappelons aussi quelques faits concernant la défense européenne

  • D’abord en septembre 2014, six mois après l’invasion de la Crimée, les Etats-membres de l’OTAN décidaient de monter leur effort de défense à 2% du PIB. En 2022, seuls 9 d’entre eux (et pas la France) avaient atteint cet objectif, 23 membres aujourd’hui sur 32.
  • Les normes européennes ont privilégié l’investissement dans des domaines autres que la défense au point que les banques ont évité ce financement, « peu éthique » selon l’Union européenne ;
  • Un fonds européen de la défense pour l’innovation et la recherche de 13 milliards d’euros… sur six ans était évoqué en 2021. En 2023, malgré l’invasion de l’Ukraine, il a été limité à moins de 8 milliards.
  • Depuis de nombreuses années, la France a demandé sans succès de ne pas inclure les budgets dédiés à la défense dans le calcul du déficit budgétaire limité à 3% du produit intérieur brut.

Il fallait des décisions concrètes, à temps, et aujourd’hui mme Von Der Leyen, présidente de la commission européenne, annonce un plan de défense élargissant ses compétences de fait. En particulier, un assouplissement des règles budgétaires est envisagé pour favoriser des investissements dans la défense. « Cela permettra aux Etats membres d’augmenter de manière significative leurs dépenses de défense sans déclencher la procédure de déficit excessif », a-t-elle déclaré depuis Bruxelles… Annonce bien tardive et opportuniste ! et puis l’Ukraine sait qu’elle ne peut se passer de l’aide militaire américaine dans l’immédiat. Cela augure quelques surprises.

Mes interventions de ces derniers jours

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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2 Commentaires

  1. Bonjour
    L’UE est une erreur car il sera impossible de mettre d’accord 27 pays aux intérêts divergents.
    Mettez 27 personnes dans une pièce et essayez de dégager un accord global sur des questions politiques. Il y aura toujours des gens qui seront réfractaires. Ces 27 personnes accepteront des compromis si un chef leur impose ses vues, c’est ce que faisaient les US.

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