samedi 5 octobre 2024

L’influence française passe par l’indépendance totale des médias

Lors de son allocution devant le corps diplomatique, le président Macron a appelé jeudi 1er septembre à « assumer une stratégie d’influence et de rayonnement de la France » et, pour ce faire, à « mieux utiliser le réseau France Médias Monde ». Les vives réactions suscitées par ces propos posent la question du rapport entre l’influence et la liberté médiatique.

La réponse des journalistes de France 24 et de RFI aux propos présidentiels ne se sont pas fait attendre. Dans leurs communiqués respectifs les premiers affirment que leur chaîne n’est pas « un opérateur de la diplomatie d’influence », et les seconds que « nos journalistes ne sont en aucun cas et ne seront jamais un outil au service de votre communication et de votre politique ». Légitimes dans le fond, ces déclarations reflètent une méconnaissance de l’environnement informationnel à l’heure de la compétition globale.

Le monde journalistique français est longtemps resté en surplomb des péripéties politiques. Ce n’est plus possible. La guerre, qui ne consiste pas à tuer des hommes mais à réduire une entité stratégique rivale à l’impuissance collective, s’est étendue à l’exploitation des contradictions sociales et cognitives d’une nation pour la faire agir dans le sens souhaité. C’est ce que l’on nomme la guerre par le milieu social (GMS), ou political warfare en anglais.

Acteurs essentiels de la vie publique dans une démocratie, il était inévitable que les journalistes deviennent des cibles privilégiées. Leurs biais, contraintes, attentes, réflexes, impératifs, centres d’intérêt ou vulnérabilités sont étudiés et exploités par les professionnels de la guerre de l’information. L’écosystème médiatique se réduit ainsi progressivement à une caisse de résonance pour les story telling élaborés par une myriade d’acteurs rivaux, publics ou privés. Les jeux d’influence sont omniprésents.

On voit à cette aune que si nulle menace sérieuse ne pèse (encore ?) sur la liberté d’informer en France, la possibilité de le faire sans être instrumentalisé n’est plus une évidence. La saturation de l’espace informationnel rend difficile le tri des données. La multiplication des constructions narratives biaisées, mais intelligemment à construites à l’heure des impératifs économiques du buzz, influe sur les perceptions. L’âge de l’information est aussi celui où, paradoxalement, les masses ont de plus en plus de difficulté, réelle ou perçue, à accéder à une information fiable. Elles ne croient plus à l’objectivité des médias traditionnels. C’est ce qui ouvre la voie aux intoxications les plus diverses.

Le chaos dans lequel sont aujourd’hui plongés la Centrafrique et le Mali, livrés aux groupes armés et mis en coupe réglée par des mercenaires russes, résulte d’un Azincourt médiatique. Malgré leur poids médiatique en Afrique, France 24 et RFI n’ont pas vu venir ou su contrer les entreprises de désinformation des opérateurs russes de la guerre informationnelle. Ces derniers ont même intelligemment anticipé et exploité le souci d’objectivité et, reconnaissons-le, une certaine naïveté de ces médias pour leur faire relayer leurs éléments de langage.

Les journalistes se sont longtemps tenus à l’écart de la guerre des puissants. Il ne leur est plus possible de rester sur le Mont Pagnotte. Ils sont devenus à la fois cibles et acteurs des guerres de société actuelles.

L’influence est la transparence

Les régimes autoritaires russe ou totalitaire chinois n’ont aucune inhibition dans le recours à la désinformation. Les démocraties anglo-saxonnes elles-mêmes ont montré leurs limites en ne résistant pas toujours à la tentation des fake news dont la plus fameuse est celle des armes de destruction massive en Irak.

Aveuglés par la recherche d’avantages tactiques à court terme, ces acteurs ont entaché leur crédibilité stratégique. Leur parole est démonétisée, ce qui sème le doute sur leur modèle et de leurs intentions. La manipulation est le tombeau de l’influence car les individus ou les groupes y regarderont à deux fois avant de faire à nouveau confiance à qui les a trompés. Il ne reste dès lors plus qu’à s’enfoncer dans une spirale du mensonge appuyée par la force, qu’elle soit militaire ou économique.

Paradoxalement, l’influence ne réside donc pas dans la capacité à tromper mais dans la transparence. Elle est d’ailleurs inaccessible aux puissances impériales, dont les visées ne peuvent s’afficher sans susciter le rejet. Mais une démocratie d’équilibres comme la France a tout intérêt à y avoir recours. Influencer, pour elle, c’est exposer sans fard ses objectifs, ses valeurs et son modèle parce que ses intérêts fondamentaux résident dans le multilatéralisme et la diffusion d’une certaine idée de la liberté et des droits de l’homme.

L’influence française se reconstruira lorsque ses médias seront capables de délivrer l’information la plus sûre et la plus objective au monde. Il ne suffit pas pour cela de révéler certaines fake news mais d’en identifier les émetteurs, les motivations, les rouages. Lorsque le New York Times se livre à une énième opération de French bashing, il serait utile d’analyser pourquoi au lieu de simplement en relayer les éléments. Lorsque la propagande russe se déchaîne au Mali, il ne serait pas superflu d’en décrypter les dessous. La contrepartie en serait bien évidemment de révéler aussi les vilains secrets ou les magouilles douteuses concoctées à Paris.

Pour restaurer son influence, la France doit adopter une approche intégrée. Cela ne veut pas dire se mettre en rang et marcher au commandement de l’exécutif mais bien faire concorder ses actes et ses discours tout en prenant conscience des instrumentalisation extérieures.

À titre de comparaison, les ONG américaines bénéficient d’une immense notoriété. Seulement, les instances dirigeantes de ces organisations entretiennent des relations incestueuses avec les élites de Washington qui n’hésitent pas à faire des aller-retours entre le board des ONG et des responsabilités politiques. Pour ne rien arranger, le gouvernement américain autorise depuis les années 1980 leur utilisation en guise de couverture pour leurs opérations spéciales. Cela se sait. Aussi n’exercent-elles pas tant une influence réelle qu’elle ne font peser un rapport de force basé sur les moyens matériels qu’elles peuvent apporter.

Avec des moyens moindres, une organisation comme Médecins du Monde est infiniment plus respectée en raison de sa stricte neutralité qui fait plus pour l’image de la France que les manipulations des ONG américaines pour celles de Washington. Créer et multiplier les Médecins du Monde médiatiques français, au-dessus de tout soupçon de collusion avec quelque acteur que ce soit, serait le meilleur moyen de faire rayonner notre pays, ses intérêts et ses valeurs. La liberté de la presse est un besoin de l’homme. Elle est également un bien à défendre. Et enfin, une arme.

Raphaël CHAUVANCY
Raphaël CHAUVANCY
Raphaël CHAUVANCY est officier supérieur des Troupes de marine. Il est en charge du module "d’intelligence stratégique" de l'École de Guerre Économique (EGE) à Paris. Chercheur associé au CR 451, consacré à la guerre de l’information, et à la chaire Réseaux & innovations de l’université de Versailles – Saint-Quentin, il concentre ses travaux sur les problématiques stratégiques et les nouvelles conflictualités. Il est notamment l'auteur de "Former des cadres pour la guerre économique", "Quand la France était la première puissance du monde" et, dernièrement, "Les nouveaux visages de la guerre" (prix de la Plume et l’Epée). Il s’exprime ici en tant que chercheur et à titre personnel. Il a rejoint l'équipe de THEATRUM BELLI en avril 2021.
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