mardi 19 mars 2024

L’OTAN est-elle une alliance militaire indispensable aux démocraties ?

En Europe et plus largement dans le monde les menaces grandissent, même si certains, notamment en France, choisissent de les ignorer. Le paradoxe est que l’Europe prise dans sa globalité est à la fois un géant économique mais aussi un nain militaire du fait de la dispersion de ses efforts, qui restent de la responsabilité nationale. En conséquence avons-nous d’autres choix pour notre défense que nous appuyer sur l’OTAN ? C’est la question à laquelle le GCA (2S) Gilles Rouby s’attache à répondre.

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Il y a 56 ans, le 7 mars 1966, le général de Gaulle décidait de retirer les militaires français du commandement intégré de l’OTAN. Cette décision a pris depuis, en France, une dimension politique telle qu’elle constitue un marqueur très fort de notre identité nationale et que les échanges sur la relation entre la France et l’OTAN demeurent très polémiques. Pour notre politique étrangère, la relation de la France avec les États-Unis et donc indirectement avec l’OTAN est depuis cette époque réglée par la célèbre posture dite des 3A, bien connue des diplomates : Amis, Alliés mais non-Alignés !

De leurs côtés, les partis extrêmes de l’échiquier politique national considèrent l’appartenance à l’OTAN comme une obstruction à leurs programmes autoproclamés de restauration de la souveraineté nationale. Le général de Gaulle fut pourtant lui-même le premier à proposer l’aide de la France aux États-Unis lors de la crise aigüe des missiles que l’URSS voulut installer à Cuba en 1962, faisant la preuve par là d’une solidarité à l’égard de l’Alliance atlantique que même le Royaume Uni n’égala pas.

Notons également, au passage, le sens péjoratif en français de l’acronyme « OTAN » généralement utilisé par les détracteurs de cette organisation à comparer à l’image très positive que porte l’expression « Alliance atlantique » employée par les partisans. L’emploi de l’un ou de l’autre de ces deux termes cache souvent le regard que chaque interlocuteur porte en fait sur les États-Unis.

Quoi qu’il en soit, le contexte particulier de cette année 2022 nous impose une nouvelle fois une réflexion en profondeur sur l’OTAN car les défis qui se présentent dépasse largement le cadre de la plupart des Nations, prises individuellement.

Un désordre géostratégique mondial grandissant

Pour porter un regard neutre sur un sujet aussi sensible, observons les évolutions du monde depuis une trentaine d’années.

En 1989, la Chine avait un PIB de 347 milliards de dollars soit 6 % du PIB Américain et 18 % du PIB Japonais, les deux plus grandes puissances économiques de l’époque. Or, en 2010, dix ans après son entrée à l’OMC, la Chine communiste est devenue la deuxième puissance économique mondiale. Elle a développé son économie à grande vitesse en profitant notamment de la cupidité générale des Occidentaux et des règles imprécises de l’Organisation mondiale du commerce sur les subventions d’État qu’elle a utilisées massivement pour faire émerger discrètement des champions nationaux dans tous les secteurs. Les effets de cette montée en puissance ont été impressionnants sur les économies occidentales provoquant désindustrialisation, chômage, dépendance complète pour de très nombreux équipements, dont les plus emblématiques étaient encore récemment les masques anti-COVID…

Or, cette émergence économique éclair s’est également accompagnée d’une montée en puissance équivalente de l’outil militaire. En 2000, le budget chinois de la défense était inférieur à celui de la France : il est aujourd’hui six fois plus élevé et le Secrétaire général du Parti communiste chinois n’hésite plus à fixer l’objectif majeur du pays : devenir en 2049, pour les cent ans de la création de la République Populaire de Chine, la première puissance économique et militaire du monde. Au rythme actuel, on peut même penser qu’en 2030, l’objectif sera déjà atteint. Et si l’on considère, en perspective, l’attitude belliqueuse du pays en mer de Chine, malgré les décisions de la Cour permanente d’arbitrage de la Haye, ou son silence assourdissant envers Moscou quant à l’invasion de l’Ukraine, il faut très sérieusement s’interroger sur notre posture face à des ambitions générales qu’elle ne cache plus : imposer le communisme à la chinoise au reste du monde…

En 1989, la chute du mur de Berlin a marqué le début de la fin du bloc soviétique dont l’existence orientait tous les efforts de défense occidentaux depuis la Deuxième Guerre mondiale. Certains y ont même vu la fin de l’histoire… Pourtant, la Russie communiste est-elle sortie de 80 ans de marxisme-léninisme guérie de l’expérience ? Soucieuse de rejoindre le camp des démocraties et de partager leur vision du monde ? L’invasion et l’occupation de l’Ossétie et de l’Abkhazie en Géorgie en 2008, puis de la Crimée et du Donbass en Ukraine en 2014 et 2022 montre clairement que non. Le dirigeant russe actuel ― pourtant admiré par beaucoup de nos leaders politiques ― déteste les Occidentaux et ne rêve que de rétablir l’ordre mondial décidé à Yalta en 1945…

Et que dire de la Turquie qui, tout en étant membre de l’OTAN depuis 1952, achète des équipements militaires ultra sensibles aux Russes ? Des systèmes de défense aériennes propres à perturber profondément les systèmes d’information de l’Alliance ? Tout en vendant aux Russes des drones utilisables contre l’Ukraine ou en menaçant la Grèce, membre de l’OTAN, de s’approprier en force les matières premières enfouies dans sa zone économique exclusive…

Et passons sur l’Iran qui aide Moscou contre Kiev, souhaite officiellement la destruction d’Israël et cherche à se nucléariser de plus en plus vite… Ou sur la Corée du Nord qui tire des missiles potentiellement nucléaires dans l’espace aérien Japonais…

Force est de constater, après ce rapide et parcellaire survol des frictions du monde, que le monde non démocratique est de plus en plus menaçant.

Rapport des forces économiques et militaires global

Au-delà des ambitions et postures nationales affichées, penchons-nous un peu sur les moyens associés aux stratégies volontaristes des uns et des autres. Deux indicateurs donnent toujours une idée assez précise de la puissance réelle d’un pays : sa richesse mesurée à travers son PIB et sa capacité militaire mesurée à travers son budget de la défense.

En 2021, le PIB des États-Unis tournait autour 23 000 milliards de dollars, celui de la Chine autour de 17 000 milliards $ et celui de l’Union européenne autour de 14 000 milliards $ (sans le Royaume Uni) pour un PIB mondial de 96 000 milliards $. Au-delà, l’Inde affichait un PIB de 3 100 milliards $, la Russie de 1 700, l’Iran de 1 400 et la Turquie de 800 milliards de dollars à comparer au PIB de l’Allemagne (4 200), de la France (2 900) et de l’Italie (2 100).

Les premières conclusions qui s’imposent sont les suivantes : l’Occident (États-Unis, Europe et Canada) représente plus de 50 % du PIB mondial, la Chine 18 % et la Russie 1,7 %. La part de la seule Europe des 27 est de 15 % (18 % avec le Royaume-Uni). Les économies additionnées de l’Allemagne, de la France et de l’Italie représentent cinq fois le poids de l’économie russe. Voilà qui permet de relativiser la puissance et les ambitions des uns et des autres et de mesurer assez objectivement leur capacité à faire durer un effort de guerre.

En 2021, le budget américain de la Défense a avoisiné les 800 milliards $, celui de la Chine les 293 milliards, 313 milliards pour les Européens, 76 milliards pour l’Inde et 65 milliards pour la Russie. On peut observer de ce deuxième état de fait que l’Europe n’atteint pas 40 % du budget de la Défense américain. Et comme nous savons bien qu’elle dépense de manière désordonnée, incohérente, pays par pays, sans craindre les duplications inutiles ou les « trous capacitaires » malgré les efforts de Bruxelles, sa puissance militaire est très parcellaire. La Chine qui, elle, agit d’un bloc, est sur une trajectoire de hausse très rapide de son budget militaire (+7 % en 2022) et aura en volume, en 2023, dépassé l’ensemble des budgets militaires des nations Européennes. Inutile de dire que, d’un point de vue efficacité, la Chine est déjà devant l’Europe.

La Défense Européenne, alternative à l’OTAN ?

Face à une Chine qui devient très puissante et menaçante et à une Russie agressive depuis 15 ans, ne nous trompons pas de diagnostic : La Défense européenne n’est qu’un concept, très séduisant sans doute, mais utopique. Les militaires savent bien depuis mars 1918 que, sans commandement unique[1], il n’y a pas d’efficacité dans l’action globale. Or, l’Union européenne est tout sauf un ensemble monolithique fonctionnant comme un bloc.

Sa capacité à agir comme puissance militaire autonome face à un conflit d’envergure mondiale ou régionale, bref, à mener une défense collective solide de ses frontières et de ses valeurs, demeure et demeurera une chimère aussi longtemps que l’Europe sera une confédération d’États-Nations.

Pour une Défense européenne digne de ce nom, il faudrait une Europe fédérale à l’américaine. Or, les Européens ne le souhaitent pas vraiment et la France, sans doute, moins que les autres. Imaginer qu’on puisse faire disparaître notre identité nationale dans un magma fédéral informe est juste à l’opposé de notre histoire, de notre culture et de notre orgueil national.

Ajoutons pour compléter que la guerre russe en Ukraine montre à quel point l’Allemagne et la France demeurent opposées encore aujourd’hui, 65 ans après la création de la CEE, sur des sujets aussi stratégiques que la politique énergétique, le nucléaire, le système de défense (dissuasion nucléaire contre défense anti-missiles), les équipements de défense, etc. Or, si une Défense européenne existait un jour, elle serait majoritairement sous leadership allemand compte tenu du poids économique et militaire à venir de ce pays.


  1. Le 21 mars 1918, les Allemands qui ont rapatrié du front russe plus d’une centaine de divisions après la révolution d’octobre 1917, déclenchent une offensive avec pour objectif de rompre le front allié entre Arras et la Fère afin d’acculer les Anglais à la défaite avant l’arrivée des troupes américaines. L’offensive est à deux doigts de réussir car les deux commandants en chef ont des priorités différentes : Haig souhaite assurer la liaison avec les ports de la Manche, Pétain souhaite protéger Paris. Face à la gravité de la situation, le 26 mars 1918, les hauts représentants civils et militaires anglais et français se réunissent à l’hôtel de ville de Doullens, petite ville à une trentaine de kilomètres au nord d’Amiens et décident de confier le commandement unique des forces alliées à Foch. Cette décision sera décisive sur le sort de la guerre qui se terminera 8 mois plus tard.
CERCLE MARÉCHAL FOCH
CERCLE MARÉCHAL FOCH
Le G2S change de nom pour prendre celui de Cercle Maréchal Foch, tout en demeurant une association d’anciens officiers généraux fidèles à notre volonté de contribuer de manière aussi objective et équilibrée que possible à la réflexion nationale sur les enjeux de sécurité et de défense. En effet, plutôt qu’un acronyme pas toujours compréhensible par un large public, nous souhaitons inscrire nos réflexions sous le parrainage de ce glorieux chef militaire, artisan de la victoire de 1918 et penseur militaire à l’origine des armées modernes. Nous proposons de mettre en commun notre expérience et notre expertise des problématiques de Défense, incluant leurs aspects stratégiques et économiques, afin de vous faire partager notre vision des perspectives d’évolution souhaitables. (Nous contacter : Cercle Maréchal Foch – 1, place Joffre – BP 23 – 75700 Paris SP 07).
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1 COMMENTAIRE

  1. J’ai un peu de mal à suivre le raisonnement surtout jusqu’à la conclusion … Merci pour le rappel historique du 21 mars 1918, sur l’unité de commandement. En déduire que la France ne peut pas s’entendre militairement avec l’Allemagne est très hasardeux … Si nous ne sommes pas (encore?) dans une unité de commandement militaire européen, rien n’empêche de coordonner nos achats, nos outils, nos méthodes, et pourquoi pas notre dissuasion ? L’Allemagne n’est pas notre ennemi, et les « 3A » peuvent très bien s’appliquer à elle aussi, et au reste de l’Europe. Coordonner, synchroniser, n’est pas nécessairement « s’aligner », que ce soit avec les USA ou l »Alliance Atlantique ou l’Allemagne …

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