(Suite du billet du 12 mars 2023 Nous, les Occidentaux et la guerre en Ukraine : des enseignements y compris pour la LPM ?)
I.1 La fin de la mondialisation heureuse
Après la pandémie de la COVID qui a montré la fragilité de l’économie mondiale mondialisée et dont les dépendances révélées ont été vite oubliées, la guerre en Ukraine l’a sans doute achevée. La mondialisation « mère de la prospérité » a de fait affaibli les occidentaux, Américains compris. La guerre a profondément aggravé ces dépendances qu’elle a créées, développées, entretenues au détriment des souverainetés nationales. Certes, la souveraineté ne peut pas s’exercer dans tous les domaines.
Dans l’esprit de préserver la liberté de décider en fonction de nos intérêts, il s‘agit alors de déterminer avec réalisme et anticipation ce qui est essentiel, partageable et à abandonner. La commission d’enquête parlementaire actuelle sur le fiasco du nucléaire en France en est d’ailleurs un parfait exemple : une France exportatrice et autosuffisante consommant 460 Térawattheures en 2022, n’en produisant plus que 445 notamment du fait en grande partie de « la fin annoncée du nucléaire », les centrales n’en produisant plus que 279 et imposant donc une importation à grand frais.
De fait, chacun gardera en mémoire la dépendance coupable et intéressée de l’Allemagne au gaz russe, celle du pétrole russe d’une grande partie des Etats européens et mis sous embargo seulement au 5 février 2023. La Pologne en bénéficiait malgré sa position antirusse viscérale, mais légitime historiquement, jusqu’à la coupure officielle de l’approvisionnement en pétrole par la Russie le 24 février 2023. Il a fallu un an pour faire cesser l’importation du pétrole russe … fourni désormais par l’Inde au positionnement proche de la Russie et nous le revendant sous forme de diésel et de kérosène. Le carburant diésel nécessaire en France était en partie dépendant de sa production dans l’ex-URSS (22% dont 9% de Russie en 2021).
Le Monde, 12 mars 2022
Pendant cette première année de guerre, les oléoducs et les gazoducs de Russie en Europe ont continué de transporter les hydrocarbures. Epargnés par les combats, une partie d’entre eux les font transiter par l’Ukraine (ou la Biélorussie sinon la Turquie), ce qui implique des droits de transit. Les gazoducs Nord Stream I et II contournant l’Ukraine ont été l’objet de sabotages. La pression médiatique pour connaître les auteurs a fait apparaître depuis peu l’hypothèse plausible d’une action ukrainienne non revendiquée mais dont on peut douter qu’elle ait été le fait d’un groupe isolé.
Le Monde, 12 mars 2022
De même, la France et nombre d’États sont dépendants pour leurs centrales nucléaires de l’uranium retraité ou enrichi. Les États-Unis ou la France relocalisent désormais la capacité de retraitement dont la Russie contrôle 13 centres sur 20. En 2022, la France a aussi importé 312 tonnes d’uranium enrichi en provenance de Russie, représentant l’équivalent d’un tiers de la quantité d’uranium enrichi nécessaire pour faire fonctionner les centrales françaises pendant un an, soit 67 % du total des importations d’uranium enrichi en France.
L’énergie n’a pas été le seul domaine touché. Les terres rares, indispensables à nos technologies, proviennent en grande partie de Chine, non qu’elles soient rares mais parce que nos économies occidentales les ont rejetées car elles étaient trop polluantes. La fabrication des microprocesseurs concentrée à Taïwan et leur importance notamment pour les armements perfectionnés (et nos téléphones) ont incité les Occidentaux à relocaliser les usines sur leurs territoires respectifs pour anticiper un contrôle sur l’île par la Chine. La dépendance des microprocesseurs ne sera cependant pas supprimée avant plusieurs années.
Le domaine alimentaire n’a pas été épargné et a impacté nos économies. Les pénuries diverses ont touché les produits de base. Le chantage à l’exportation de blé que ce soit pour l’Ukraine (5e exportateur) ou la Russie (1er exportateur) s’appuyait officiellement sur l’assistance alimentaire, officiellement pour combattre la famine en Afrique émotionnellement plus mobilisatrice que l’intérêt économique. L’accord provisoire vise essentiellement à assurer des rentrées financières aux deux belligérants tout en permettant à la Russie, second exportateur mondial, de fournir des engrais indispensables à l’agriculture de nombre d’Etats acheteurs.
Le Monde, 10 mars 2022
Nul doute aussi que les intérêts américains ont été pris en compte alors que les fonds d’investissement américains contrôleraient 30% des terres agricoles ukrainiennes notamment dans la zone occupée par les Russes. Quant à la Turquie, intermédiaire diplomatique mis en valeur par beaucoup dans cet accord, elle est non seulement dépendante du gaz russe — la Russie est son premier fournisseur en gaz —, fournit la Hongrie en gaz par le Turkish Stream construit par Gazprom sous la mer Noire, mais est aussi dépendante à 45% de l’importation du blé russe.