Un rapport extrêmement instructif sur ce que je qualifie de « retour sur investissement » de notre engagement militaire en Afghanistan a été remis en janvier 2012 par Françoise Hostalier, députée du Nord, au président de la République. Demandé par lettre du 3 octobre 2011, il émet 20 propositions sur les orientations de la politique de coopération et d’aide publique au développement en Afghanistan ainsi que sur les formes de contributions possibles du secteur privé français.
La première remarque est que la France n’est toujours pas en mesure d’avoir ce retour sur investissement suite à un engagement militaire (attendons de voir les résultats pour la Libye et pas uniquement dans le domaine militaire…).
Cette députée écrit en effet que « les structures françaises ayant une responsabilité dans le financement d’actions (AFD, MAEE, Economat des Armées, CIMIC ou Pôle de stabilité, etc.) ne font aucun effort pour attirer les entreprises françaises ou faire travailler des ONG françaises ». (…).
En outre, elle constate que l’AFD « excluait de travailler avec des entreprises françaises afin de ne pas risquer d’être suspecté de favoritisme »… vieille maladie française de travailler pour le roi de Prusse et d’être plus irréprochable que d’autres en oubliant que nous sommes en guerre économique et que l’argent du contribuable dépensé doit impérativement aujourd’hui lui revenir indirectement par des nouveaux marchés ou par l’emploi à travers les entreprises. Le temps de l’altruisme vertueux et du panache est révolu. Nous n’en avons plus les moyens. Il faut quand même rappeler les sommes donnés par la France en 2011 s’élevaient à 36,7 millions d’euros.
Françoise Hostalier souligne enfin « qu’à aucun moment il n’a été question d’entreprises françaises ou d’ONG françaises pour la réalisation des travaux ou des missions. En ce qui concerne les appels à projets et les délégations de travaux pour les réaliser, il semble qu’aucune ONG ou entreprise française n’ait répondu aux appels d’offre. Il apparaît également que certains marchés ont été passés de gré à gré et qu’aucune structure française n’ait été sollicitée ».
La seconde remarque traite de l’efficacité des actions de reconstruction dans les zones de déploiement des troupes françaises. Françoise Hostalier critique fortement le « Pôle Stabilité » constitué de 11 experts déployés en Kapisa et Surobi et s’interroge sur son utilité. Elle remarque aussi que les actions menées par le pôle de stabilité, celles des CIMIC (coopération civilo-militaire) ou plus généralement les actions de coopération ordinaire « ne semblent ni coordonnées, ni véritablement contrôlées ». Il faut sans doute lui rappeler que la CIMIC est en appui des forces armées et répond donc à une logique opérationnelle.
En revanche, peut-on poser la question de savoir si le « pole stabilité » a vraiment voulu coopérer avec les forces françaises ? En l’occurrence, déployer comme les autres nations une « provincial reconstruction team » (26 en Afghanistan), unité interface entre les autorités locales et les forces armées de la coalition pour favoriser la bonne gouvernance et la reconstruction, serait à mon avis le meilleur outil civilo-militaire dès lors que la vision interministérielle prévaut. Remarquons que, dans la zone française, la TF La Fayette travaillait avec la PRT américaine. Conclusion ?
Une troisième remarque concernerait volontiers la volonté (et sans doute l’intérêt) pour nos entreprises à s’engager sur ce qu’on pourrait appeler des théâtres d’opérations « économiques ». Outre une « bonne gouvernance », toute résolution d’un conflit implique une dimension économique pour contribuer à la reconstruction d‘un pays détruit par la guerre. Ce rapport montre à l’évidence que nos entreprises ne sont toujours pas conquérantes.
Une réflexion s’impose donc sur la conquête de marchés s’intégrant dans la reconstruction d’une société civile alliant soutien de l’Etat aux entreprises, identification des opportunités, information et accompagnement des entreprises, évaluation des résultats aussi pour notre économie. Le groupement interarmées des actions civilo-militaires de Lyon a d’ailleurs élaboré un document sur l’aide qu’il peut apporter aux entreprises sur les théâtres d’opérations (lire aussi le rapport d’information de la commission de la défense nationale sur les actions civilo-militaires du 12 juillet 2011).
Enfin, je réagis sur quelques unes des 20 propositions énoncées.
Proposition 4 : (…) « L’ambassadeur de France en Afghanistan doit être l’unique coordonnateur de toutes les politiques économiques, y compris celles engagées actuellement par les forces armées ». Je n’en suis pas convaincu si je lis bien ce rapport. A défaut d’un pilotage interministériel qui n’arrive pas à se constituer depuis 2000 ( !), je crois qu’il vaut laisser le pilotage économique au ministère de l’économie et des finances qui me semble mieux armé et motivé pour agir, face à un ministère des affaires étrangères plus axé sur une diplomatie culturelle et un ministère de la défense peu intéressé par ce qui n’est pas pour lui dans son cœur de métier.
Je ne peux que soutenir les propositions 12 et 13 qui visent à imposer aux acteurs publics français de privilégier et d’appuyer les acteurs économiques français … dès lors qu’ils payent effectivement des impôts en France et qu’ils produisent français. Cela aurait dû être évident.
La proposition 18 vise à réintroduire le service de santé des armées dans la construction d’un pole médical au sein de l’armée afghane. Sans doute il serait aussi utile de se rappeler que nos médecins militaires ont largement contribué à la construction de systèmes de santé civils dans nos anciennes colonies. Cette coopération militaire devrait être effectivement remise à l’honneur mais avons-nous encore assez de médecins militaires ?
La 20ème et dernière proposition incite à employer notamment les anciens militaires ayant servi sur le théâtre afghan. Ceux-ci pourraient revenir servir et mener des actions autres que militaires dans le cadre de la transition en s’appuyant sur le recours au service civique senior créé par la loi du 10 mars 2010. Cela me paraît être une bonne idée. Encore faut-il que cette assistance soit pilotée et contrôlée au service de la stratégie d’influence de la France en Afghanistan. Serait-ce dans le cadre de la direction de la coopération militaire ? A voir
Donc un rapport passionnant à lire mais qui ne rassure pas sur la capacité de l’administration française à favoriser un retour sur investissement suite à un engagement militaire. Dépassant tous les clivages gauche-droite dans cette période électorale, une réflexion sur la stratégie d’influence de la France et sur sa volonté à capitaliser sur ses engagements s’impose d’une manière urgente pour l’efficacité et la rentabilité notamment économique de ses actions.