Lorsqu’on évoque le sujet avec un militaire, plusieurs valeurs viennent immédiatement à l’esprit : la discipline, le sens du devoir, la sacralisation de la mission, la disponibilité, l’esprit de sacrifice… Parmi ces valeurs, il y en a une qui tient une place tout à fait particulière : la loyauté au chef.
Pour le militaire, la loyauté est en effet un double exercice de vérité et de discipline, dû à celui ou celle qui exerce sur lui une autorité hiérarchique. Elle trouve sa place naturelle dans le processus décisionnel. Et elle revêt une importance très spéciale dans les situations opérationnelles.
La vérité c’est celle que l’on doit à son chef en toutes circonstances, avant que la décision ne soit prise, lorsqu’il s’agit de lui apporter son appréciation de situation, ses idées, son sentiment. Elle passe avant le désir de plaire ; elle prend même le risque délibéré de déplaire ; car elle s’expose clairement à l’éventualité d’un point de vue divergent. Mais elle ne signifie en aucune manière une volonté de s’opposer ni un manque d’adhésion à suivre.
Car vient ensuite, une fois la décision prise, le temps de la discipline. Elle consiste à mettre en œuvre les choix du chef, sans arrière-pensée, même quand ces choix ne sont pas ceux qu’on avait préconisés. Mieux encore : cette discipline conduit le subordonné à faire siennes les idées du chef[1] !
Cette forme de loyauté, abrupte, parfois rigide, déroutante à bien des égards, n’est pas toujours comprise dans le monde civil. On y rencontre davantage de subordonnés agissant selon des logiques plus subtiles, voire intéressées : ils disent oui d’emblée à leur autorité, mais n’agissent ensuite pas nécessairement dans le sens acté… La décision prise peut n’être considérée que comme une simple base de négociation ; là où le subordonné militaire voit la formalisation d’une mission, dont le caractère revêt une forme de sacralité !
Cette loyauté « à la mode militaire » peut surprendre ; elle peut même générer certains réflexes de méfiance pour ceux qui la découvrent : si un subordonné affirme avec une telle conviction une opinion contraire, n’est-il pas suspect de manquer de la plus élémentaire fidélité ? Pourra-t-on compter sur lui pour exécuter des ordres ou appliquer des consignes contraires aux idées qu’il avait défendues avec tant de vigueur ? Un homme qui semble s’opposer à la volonté du chef avec cette sincérité un peu rude n’est-il pas à considérer comme un potentiel rebelle ou factieux ?…
Cette ambiguïté apparente de la loyauté militaire est en particulier source d’incompréhension entre chefs militaires et autorités politiques. Là où les premiers considèrent leur transparence et leur sincérité comme la manifestation la plus élémentaire de leur comportement loyal, les seconds sont parfois tentés d’y voir au contraire une possible marque de désobéissance en devenir. Ces a priori sont restés vivaces ; et cela est particulièrement visible lorsque de nouvelles équipes se mettent en place…
En dépit de ces préventions, il est important de cultiver cette loyauté « de type militaire ». Car, dans un cadre opérationnel, elle conserve son importance capitale : à la fois gage de cohésion des unités et de cohérence de l’action, elle est consubstantielle du savoir-être militaire. Et ce d’autant plus qu’elle se double le plus souvent d’une loyauté du chef vis-à-vis de ses subordonnés : une forme de « réciprocité » qui fait le ciment des forces engagées au combat.
Elle doit probablement être en revanche mieux expliquée à ceux qui sont tentés de voir dans cette forme binaire de transparence et de discipline, apparemment contradictoire, des ferments d’inertie, d’obstruction, voire de rébellion. Car les chefs militaires du XXIe siècle restent des acteurs parfaitement loyaux, au service de leur pays, et aux ordres de ceux et celles qui ont en charge son destin. Ces derniers doivent simplement savoir qu’un militaire leur dira toujours la vérité, même quand elle dérange, exécutera toujours les ordres reçus[2], même quand il croit qu’on aurait pu faire autrement, et acceptera toujours la responsabilité de ses actions, même quand il pourrait se réfugier derrière les ordres reçus.
GCA (2S) Alain BOUQUIN
Texte tiré du dossier 23 du G2S : L’éthique dans le métier des armes
NOTES :
- Par exemple en juin 1940 quand les chefs appellent au renoncement ;
- Ou encore au cours de la guerre d’Algérie lorsque des discours ambigus ou des modes d’actions discutables ont pu pousser quelques-uns, souvent haut placés dans la hiérarchie, à rejeter les décisions prises…