Pourquoi un dossier sur l’éthique ? Tant de choses ont déjà été dites sur ce sujet. D’ailleurs les principes moraux sur lesquels le militaire doit appuyer son action ne sont-ils pas bien encadrés, admis et reconnus dans nos démocraties ?
Les raisons sont très simples : quand on exerce le métier des armes, une réflexion permanente en matière d’éthique est indispensable. En effet, les conditions, le contexte, l’environnement dans lesquels est conduite l’action guerrière, ainsi que la nature de l’adversaire, parce qu’ils ne cessent d’évoluer, nécessitent que ces questions soient constamment revisitées. C’est une réflexion qui concerne aussi bien ceux qui préparent l’avenir des armées que ceux qui sont amenés à prendre au quotidien les décisions d’emploi. C’est ce à quoi s’attache l’armée de terre, qui enrichit sa réflexion sur l’exercice du métier des armes, au travers d’un livre vert intitulé « L’alliance du sens et de la force » qui vient de paraître.
C’est en outre un sujet sur lequel nous autres, anciens, du fait de notre expérience, avons des choses à dire aux jeunes générations ; ne serait-ce que pour porter témoignage, sans chercher à donner de leçons, mais davantage en livrant le fruit de ce qu’ont pu être nos débats, nos dilemmes, nos états d’âme, avec le recul que procure le temps…
Ce qui est frappant, c’est que cette réflexion semble obéir à un schéma, suivre un cheminement. Les discussions tenues au sein du G2S illustrent ce parcours.
Au début était la guerre…
Le combat, la perspective de la mort, celle que l’on peut être amené à porter ou celle que l’on accepte par avance, sont au centre de toute tentative de raisonner le sens donné à l’action militaire. Ils déterminent l’orientation que les soldats veulent donner à une éthique qui leur soit propre et qui soit adaptée à leur besoin.
Morale et déontologie, force et violence, légitimité et légalité… sont au cœur de leurs enjeux moraux et de leur vocation. On ne peut réfléchir à l’éthique militaire sans commencer par disséquer ce que doit être l’éthique de l’engagement guerrier.
Les armements
Viennent ensuite, immédiatement après des considérations sur l’emploi de la force armée, des interrogations sur les armes elles-mêmes. Sont-elles « propres », licites, dignes… ?
Ces questions revêtent aujourd’hui une acuité toute particulière au moment où les progrès de l’intelligence artificielle ouvrent des perspectives nouvelles en matière de drones, de robots-tueurs, de systèmes d’armes létaux autonomes (SALA) : est-ce toujours à l’homme et non à la « machine » que doit revenir la décision de donner la mort ?
La confrontation croissante à des adversaires de type terroriste, qui ne respectent plus l’éthique du combattant selon nos critères, et peuvent employer des armes sales, pose d’autres formes d’interrogations quant à la nature des équipements et procédés de combat à utiliser pour leur faire face efficacement.
Enfin, il faut noter que l’action du militaire ne se cantonne plus aux théâtres extérieurs. C’est aussi sur le territoire national que le soldat doit agir, sous le regard d’une opinion publique particulièrement attentive. C’est donc aussi aux conditions de cette mission nouvelle qu’il convient de réfléchir pour s’y préparer.
Un modèle social original
Cette éthique militaire, qui trouve pour une large part son origine dans l’engagement opérationnel, détermine plus largement la mise en place d’une éthique organique, du temps de paix, qui modèle l’apprentissage et l’adoption d’un comportement social particulier : éthique du commandement, éthique des relations humaines, corpus de valeurs partagées que l’on cultive en vue de la finalité militaire, statut spécifique… C’est un véritable savoir-être militaire qui s’est institué au fil du temps et qui s’adosse à cette conscience profonde de la singularité d’une éthique militaire.
Tout est conçu au sein des armées comme si le fait d’être des compagnons d’armes potentiels devait orienter une forme de structure sociale spécifique : discipline, justice, esprit de sacrifice, rapport à la prise de décision, franchise parfois abrupte, loyauté… en sont les aspects les plus illustratifs.
Une éthique du combattant a donc fini par fixer le contour d’une éthique du soldat, plus vaste, couvrant l’ensemble des champs de la vie militaire.
Le dossier que vous livre le G2S se propose de parcourir ce cheminement de la réflexion éthique. Il n’a pas vocation à poser des évidences intangibles ou des règles immuables : il passe en revue des questions qui doivent être celles de tous ceux qui exercent le métier des armes (ou s’y destinent).
Bonne lecture !
GCA (2S) Alain Bouquin