Nos quatre soldats (voir leur biographie sur le site de JD Merchet) tués ce 20 janvier 2012 servaient dans les OMLT (operational mentoring liaison team, Cf. le mamouth). Vivant avec les soldats afghans, partageant leur vie, ils avaient vocation à ce que ces troupes afghanes soient aptes à défendre leur pays. Depuis 2002, l’armée française a formé ainsi plus de 25 000 officiers, commandos et gendarmes afghans. Je me rappelle, comme vous sûrement, de ces premières images sur nos chaînes de ces équipes il y a quelques années où elles faisaient le coup de feu, sans susciter de réaction d’ailleurs dans notre opinion publique sauf peut-être la surprise. Le rapatriement sera sans aucun doute l’occasion pour les Français de leur rendre hommage sur le pont Alexandre III en ce début de semaine. Souhaitons que nos médias donnent à cet hommage la même place qu’ils ont su donner cette semaine au journaliste de France 2 tué en Syrie.
Cet engagement indirect des OMLT a permis de conceptualiser en 2011 ce mode d’action désormais appelé assistance militaire opérationnelle (Cf. mon article dans le Casoar d’octobre 2011, « Des commandos nord-Vietnam à l’assistance militaire opérationnelle d’aujourd’hui » et « Approche française de l’assistance à une force armée étrangère » dans le dernier numéro de Doctrine du centre de doctrine d’emploi des forces). Cependant ce document spécifiait aussi la vigilance dont les insérés devaient faire preuve dans un environnement finalement potentiellement hostile. La sécurité de ces forces est l’un des premiers principes à respecter pour ce type de mission nécessaire dès lors que nos intérêts stratégiques ne sont pas directement menacés.
Les réactions indignées qui ont résulté de cette attaque du 20 janvier sont compréhensibles mais méconnaissent les réalités de la guerre. Celle-ci comprend aussi ce genre d’actions qui n’est pas un meurtre comme je l’ai entendu dire. Nos anciens en Indochine, en Algérie encadrant des troupes locales, isolés, ont subi aussi ces attaques venant de l’intérieur de la part notamment de ralliés. En Afghanistan, entre mars 2009 et juin 2011, 57 personnes dont 32 soldats américains ont été officiellement tués dans ces conditions. La trahison existe et existera (Cf. L’infiltration des forces de sûreté afghanes sur armees.com). Elle en aura d’autant plus d’impact que le commanditaire saura qu’il pourra faire pression sur une décision politique.
Or nos forces sont soumises effectivement à cette exigence politique d’un « niveau de pertes compatible avec l’état de l’opinion » (Cf. Le Monde du 21 janvier 2012). L’avoir trop dit notamment dans le cadre de la campagne présidentielle a incité, à mon avis, au choix de ces attaques de l’intérieur alors qu’ils ne peuvent l’emporter sur le terrain grâce notamment à nos forces. Heureusement que les réactions initiales et violentes surgies à l’attaque du 20 janvier sur notre présence en Afghanistan ont été atténuées au contact de la réalité stratégique.
Cette attaque conduit donc à quelques conclusions ou observations.
Les engagements militaires doivent être décorrélés des débats politiques internes. Ils nécessitent un consensus politique qui devrait s’appuyer à la fois sur l’information parlementaire et sur un code de bonne conduite des partis. Il faut préserver la liberté d’action du chef des armées et donc celle des forces armées sur le terrain. Leur mission, pour des raisons évidentes d’efficacité, ne doit pas être subordonnée à des calculs politiciens, notamment électoraux.
En revanche, ces mêmes forces armées doivent intégrer et anticiper dans les opérations leurs effets possibles sur le territoire national. J’avais été surpris et désolé de savoir qu’une opération ayant provoqué la mort de l’un de nos hommes avait eu lieu par exemple le 14 juillet dernier. Dans tous les cas, cette date symbolique pour la France était une date aussi pour les Talibans qui ont une forte stratégie médiatique. Il devait se passer « quelque chose » ce jour là pour faire pression et sa forte probabilité aurait dû faire annuler toute opération.
La question du moment choisi par l’attaque doit donc être évoquée alors qu’un traité d’amitié franco-afghan est en cours de finalisation avec la visite du président Karzai le 27 janvier 2012. Cette attaque du niveau tactique avait à mon avis un effet recherché au niveau stratégique qui ne se limitait pas à instiller la méfiance entre militaires français et militaires afghans mais visait aussi à empêcher les relations durables entre l’Afghanistan et la France notamment dans la coopération militaire.
Enfin, deux réflexions s’imposent :
- la première est celle de la vigilance personnelle que malheureusement le temps émousse. Le Français ne croit pas à la trahison. Cependant cet acte, qui n’est pas nouveau dans la guerre, aurait-il pu être évité ? Cela n’est pas sûr et la prise de risque est inhérente à l’encadrement de forces locales. Il faut l’assumer.
- La seconde est la suite donnée à l’auteur de l’attaque compte tenu du contexte juridique de l’opération qui n’est pas une opération de guerre : Qui le détient ? Sera-t-il considéré comme un « ennemi combattant » ? Sera-t-il jugé ? Par qui, ses pairs ? Pour quelle peine ? Ce sont ces nombreuses questions qui, aujourd’hui, entravent les actions militaires des soldats occidentaux et pas uniquement en Afghanistan (Cf. la Somalie et ses pirates). J’aurai une tendance à penser que cet homme sera un jour libéré comme ancien combattant malgré son acte qui reste un acte de guerre au service d’une stratégie. Il pourrait même devenir un héros pour les Talibans … et devons-nous le tolérer, au moins pour le respect des familles des soldats tués sans oublier la question de la réparation éventuelle : que va proposer la France pour obtenir réparation et pourquoi pas le faire dans le cadre du droit et de la coutume locale puisque nos forces doivent les respecter ? Le sang versé en Afghanistan doit avoir un prix devant cette « perfidie d’un lâche » comme l’a souligné le général de Bavinchove lors de la levée des corps en Afghanistan.
Comprendre la défense par la Revue Défense Nationale
Pour aborder un sujet moins grave, j’attire votre attention sur la dernière livraison de la revue de la défense nationale (www.defnat.com) qui propose un grand nombre d’articles sur la défense dans le cadre de la mise à jour du Livre Blanc. S’y expriment donc un certain nombre d’experts et de politiques. Je retiendrai seulement l’article du général Copel (Air) et vice-président du Haut comité français pour la défense civile, qui démontre que les programmes Rafale (42 milliards déjà consommés) et nucléaire (20% des quelque 16,5 milliards d’euros de crédits d’équipements des armées) « nous ruinent » en évoquant le budget de la défense. Il constate aussi que « nos armées vivent chichement pour ne pas dire qu’elles vivent mal ». Décapant et intéressant.
Cette revue qui tire seulement à trois mille exemplaires est sans doute la seule revue de fond traitant des questions de défense, en toute indépendance. A titre de témoignage, y étant abonné depuis 1982, elle m’est devenue une source importante de réflexions ou d’informations. J’oserai donc conseiller nos élites à parcourir régulièrement cette revue de qualité (et même à s’y abonner pour la soutenir) pour suivre les débats sur la défense et sur la stratégie militaire. Cela éviterait ce qui m’apparaît parfois comme un manque de culture sur les questions militaires et de défense nationale.