dimanche 21 juillet 2024

Un autre regard sur les insurrections

Avant d’aborder ce sujet intéressant

Quelques brèves

Ayons une pensée pour le sergent Kalafut du 2ème REP, tué en opération dans le nord du Mali ce 8 mai par un  » engin explosif improvisé » (en fait une mine antichar, correction) placé par un groupe djihadiste (Cf. aussi le Figaro, ces jeunes qui meurent pour la France).

Je note anecdotiquement que Cécile Duflot reprend sa fonction de députée à la commission de la défense nationale de l’Assemblée à la place de sa suppléante Danièle Hoffman-Rispal (PS). Le bilan de celle-ci a été particulièrement faible car elle n’a pratiquement pas été présente aux travaux de la commission si je me rapporte aux comptes rendus de séance (Cf. aussi mon billet du 12 août 2012). Espérons que Cécile Duflot sera plus productive. A défaut, son compagnon pourra twitter des idées.

Des commémorations

Cette semaine a vu la commémoration de la fin de la seconde guerre mondiale le 8 mai par l’Europe occidentale puis par la Russie le 9 mai. Je remarquerai que cette dernière date est aussi celle de la célébration de l’Europe. Paradoxe ou instrumentalisation des dates anniversaires ? Certes, le symbole de l’écrasement de la barbarie nazie est clairement établi. L’affirmation des identités nationales et du sacrifice des peuples l’est aussi. Néanmoins le nationalisme est dénoncé en Europe de l’ouest (Cf. Tribune du président de la République, Le Monde du 9 mai 2014) alors que le patriotisme est valorisé à l’Est. Il l’a été il y a quelques mois en France.

Cela n’en reste pas moins un peu paradoxal alors que la présidente par intérim de la RCA – où nous intervenons aujourd’hui – évoque le 10 mai dans le même quotidien, « le manque de nationalisme » comme l’une des causes de la crise centrafricaine… Alors vérité ici, contre-vérité là-bas… Confusion des mots, mots interchangeables ou simplement confusion des esprits et des concepts ?

Cependant, comme dans d’autres communes de France, mon village a commémoré avec conviction le sacrifice des Anciens en présence de Michel Pouzol, député de la circonscription, des élus, des militaires habitant la commune, de la population, de plus d’une centaine d’enfants du primaire accompagnés d’un enseignant, d’une délégation de collégiens canadiens.

Cela me conduit à réagir sur une proposition de Valéry Giscard d’Estaing qui, pour une raison simplement économique, ne comprend pas un 8 mai férié. Lui qui a fait partie des forces françaises entrant en Allemagne en 1945, j’aurai compris qu’il défende l’idée d’une journée dédiée au devoir de mémoire et au recueillement d’une nation réunie. Les administrations devraient en effet toutes être représentées obligatoirement aux cérémonies, écoles et enseignants compris et non sur le simple volontariat. Les citoyens devraient être plus associés à ces cérémonies. Aujourd’hui, celles-ci reposent sur la bonne volonté des maires, des élus et des associations notamment patriotiques.

Un peu de contrainte sociale devrait donc être rétablie pour éviter que notre nation ne se délite plus. Ainsi, les entreprises ne devraient-elles pas être associées sous une forme à imaginer ? Faire fonctionner l’économie est nécessaire mais cette économie pourrait-elle exister sans la paix obtenue hier par le sacrifice de nombreux Français, aujourd’hui par une armée crédible ? Elles répondront qu’elles payent des impôts pour cela. Est-ce suffisant ? L’argent peut-il remplacer les convictions ? Je ne le crois pas.

Le libre-choix doit-il être préservé ? Je ne le crois pas non plus. Une commémoration vise à donner un sentiment d’une appartenance nationale. Or constatons son émiettement communément caricaturé en « nationalisme, fauteur de guerre », ceci justifiant le combat contre toute appartenance à une communauté dite nationale.

Des conditions de plus en plus favorables aux insurrections

Cela me conduit à cette réflexion sur les insurrections. Elles pourraient concerner demain nos sociétés occidentales préoccupées par leur bien-être ou par l’application doctrinaire de libertés croissantes, en contradiction avec la réalité du monde d’aujourd’hui et à venir, au détriment de la sécurité collective. Le djihadisme intérieur en est le premier signe.

En effet, dans notre environnement proche qu’il soit européen ou méditerranéen, l’insurrection devient le mode d’action privilégié des peuples et des groupes contestataires contre un Etat établi. Cette stratégie indirecte violente est de plus en plus employée pour contester un pouvoir illégal, ce que l’on peut comprendre, ou pour remettre en cause un pouvoir légal mais considéré comme illégitime par une partie de sa population, ce qui est plus difficile à tolérer s’il y a eu des élections.

Cependant, les printemps arabes ont montré le dilemme de l’emploi d’une force policière ou d’une force militaire, sinon des deux contre « le peuple » dont on doit déterminer dans un contexte international et juridique à quel moment il s’agit d’une rébellion, d’une insurrection, d’une cause légitime. Le résultat est aussi ces policiers ukrainiens qui ne veulent plus se battre contre les prorusses dans l’Est de l’Ukraine.

C’est aussi le moment où la force policière laisse la place à la force militaire si elle accepte de s’engager dans ce type d’action (exemple du refus de l’armée tunisienne). Je pourrai enfin rappeler la situation lors des émeutes de 2005 où les syndicalistes de la police française appelaient les forces armées à la rescousse. La fiabilité des uns et des autres, leur loyauté envers le régime face à l’insurrection mérite de faire l’objet d’études sur la capacité d’un Etat à faire face à une insurrection illégitime dans le contexte actuel. Le fait est que les gouvernements concernés sont fragilisés et peinent à obtenir une légitimité confortant leur légalité. Le roman national est aussi nécessaire pour affirmer cette  légitimité et la détermination nécessaire à maintenir le fonctionnement des institutions.

La problématique d’insurrections futures dans la zone européenne mérite en outre d’être étudiée. Aujourd’hui, l’Europe permet la renaissance de l’histoire des peuples sur les frontières acquises par les conquêtes ou les traités passés. Les régions anciennes de l’Europe réaffirment leur passé face aux Etats d’aujourd’hui, favorisées par un processus de destruction interne de l’Etat grâce à des institutions de plus en plus illisibles pour le citoyen et faisant la part belle à toute minorité par la langue régionale, des règles particulières, des autonomies au statut particulier. Je citerai l’Ecosse, la Catalogne, la Corse, le pays basque.

Les évolutions à venir en France ne peuvent pas non plus être négligées. La création des régions françaises moins nombreuses pour favoriser une meilleure gestion du territoire est une bonne chose mais créer ces entités ne vont-elles pas reconstituer les anciennes provinces, de nouvelles féodalités. La région « Bretagne » telle qu’elle s’imagine aujourd’hui n’est-elle pas l’expression future de ce risque.

Cette évolution constitutionnelle conduit donc au risque potentiel de l’éclatement futur de la France telle qu’elle existe aujourd’hui. Cependant à la différence d’hier, alors que la sécession et le séparatisme étaient réglés par le recours à la force par le pouvoir central, il n’en sera plus de même demain. L’Europe sera le cadre naturel des nouveaux Etats plus ethniques, plus homogènes culturellement, plus « nationaux », apprenant les langues régionales avant la langue nationale et reconstituant leur identité d’origine ou supposée.

S’ajoutent enfin la menace plus proche des combattants du Djihad. L’Europe, la France se préparent, sans doute contraintes à agir sous la pression des familles qui n’acceptent pas cette situation, à lutter contre le recrutement djihadiste. Selon les dernières estimations des services de renseignement (les effectifs fluctuants au cours des semaines montrent un certain doute sur les chiffres), il y aurait 2 000 Européens parmi les groupes islamistes radicaux et 8 500 étrangers au total. Cette force armée, demain peut-être de l’intérieur, est autrement plus nombreuse et motivée que les quelques terroristes nationaux que nous avons connus.

J’attends encore le débat sur la proposition de loi du député Jacques Myard (Cf. Mon billet du 19 janvier 2014) imposant la déchéance de la nationalité de celui qui combat à l’étranger sans l’accord de l’Etat français. Proposition politiquement incorrecte, enterrée ?

Que faire sinon maintenir la capacité contre-insurrectionnelle des armées

Michel Goya aborde la contre-insurrection dans la Revue Défense Nationale (Cf. numéro de mai 2014). Article intéressant, il reprend d’une manière plus moderne les théories que nous connaissons. Cependant la lecture de la doctrine américaine interarmées de la contre-insurrection aurait pu permettre d’élargir cette réflexion. La première version avait fait suffisamment de bruit pour que l’on puisse supposer que la seconde version (Cf. doctrine américaine interarmées du 22 novembre 2013), résultat d’une dizaine d’années d’expérience contre-insurrectionnelle soit lue et étudiée.

Or, elle intègre deux actions qui me paraissent majeures et que Michel Goya n’évoque pas : l’approche globale et la stratégie d’influence. Pour être efficace dans ces longues guerres, l’action militaire et l’action civile doivent être intégrées dans une stratégie militaire générale sur le  long terme.

Il est donc surprenant de voir l’absence de réflexion française aujourd’hui sur la contre-insurrection malgré cinq ans d’engagement réel en Afghanistan. L’engagement est terminé, on passe à autre chose. Or n’est-ce pas la guerre la plus vraisemblable à laquelle nous devons nous préparer ? Il est vrai qu’elle fait appel d’abord à des effectifs, sans doute moins à du matériel de haute technologie, coûteux justifiant aux environs de 50% du budget de la défense et à l’emploi pourtant peu vraisemblable.

Les armées doivent donc faire effort sur cette compétence contre-insurrectionnelle qui répond mieux à mon avis à la résolution des conflits et aux menaces existantes dans le cadre du contexte actuel et des contraintes de nos sociétés modernes :

1) Combattre une insurrection n’est pas la recherche de la victoire mais c’est le combat pour le temps qui permet la sortie de crise dès lors que les insurgés comprennent dans leur majorité l’échec de leur combat. Seules des forces armées entrainées en permanence à ce type de guerre pourront répondre à cette menace qu’elle soit extérieure et intérieure et finalement dissuader ces perturbateurs, pour reprendre un terme de l’amiral Castex.

2) Le droit international et notamment humanitaire n’est pas adapté à ce type de conflit. En effet, les insurgés se servent de la population pour se protéger, recruter, inhiber les actions contre-insurrectionnelles. Cette guerre est « population centrée » car celle-ci est l’enjeu pour chaque belligérant. Cependant, autant les forces occidentales respectent les non-combattants, autant elles sont mises en situation d’infériorité tactique sinon stratégique face à un adversaire qui n’est pas entravé par les règles de plus en plus complexes et ingérables de la guerre.

De fait, si les armées occidentales veulent continuer à être le bras armé des démocraties qu’elles servent, notamment en apportant le gain attendu d’un engagement militaire, une partie du droit international devra être revue puisque la guerre ne peut être supprimée. Comment combattre autrement avec efficacité un insurgé dissimulé, sans uniforme, banalisé ?

3) Comme dans toutes ces guerres, l’affrontement des volontés, entre belligérants, entre belligérants et populations, est au cœur de la sortie de crise. La stratégie d’influence et de communication doit être permanente et pensée dans le long terme. Les forces armées doivent l’intégrer mais prendre aussi en considération les effets des actions militaires « physiques » dans cette logique d’influence. Cela entraine naturellement la détermination d’un seuil pour les actions militaires au contact de la population civile. Seul l’ennemi, qui doit être qualifié de tel par le politique, doit être l’objet de toutes les attentions du recours assumé à la force…

4) Enfin, il faut renforcer le sentiment d’appartenance à la nation. La sensibilisation aux questions militaires doit être relancée ainsi que l’unité nationale. Le risque du séparatisme est pour l’instant éloigné en France mais que ferions-nous s’il apparaissait avec des foules revendicatives et régionalisées ? L’exemple de la Bretagne il y a peu, la Corse ce week-end devraient poser la question. Revenant à l’exemple ukrainien, il est intéressant de voir que le parlement ukrainien vient de rétablir un service militaire obligatoire qu’il avait supprimé en 2013. Vision à courte vue, poids de l’utopie issue de l’Ouest à l’époque ?

La responsabilité de l’Etat est de se préparer aux menaces futures aux formes pas toujours perceptibles. Cependant, que ce soit pour défendre nos frontières ou celle de l’Union européenne, en cas de menace grave, comment la France pourrait-elle rétablir le service militaire en cas de besoin avec une armée en peau de chagrin? Question qui ne manque pas d’intérêt et je ne voudrai pas être à la place des politiques du moment.

Ainsi, il est intéressant d’entendre Kader Arif, secrétaire d’Etat aux Anciens combattants et à la Mémoire, regretter sur les plateaux de télévision le 8 mai la suspension du service national et vanter les mérites du service militaire obligatoire C’était une « erreur d’avoir supprimé le service militaire », car il le considère comme un formidable creuset républicain. Alors rétablir le service militaire pour 800 000 jeunes ? Personne n’y croit, d’abord parce que l’armée n’en est plus capable. Ensuite, le coût financier serait rédhibitoire.

En revanche, initialiser une garde nationale que j’avais déjà évoquée en complément de la réserve (Cf. Mon billet du 25 mars 2012 « Après Surcouf, encore un groupe anonyme au sein de la défense : Janus et la garde nationale » et le 1er avril 2012 « Garde nationale et retour de l’histoire polémique ») me semble une piste à creuser pour les volontaires pendant que nous avons encore le temps de revitaliser l’esprit de défense. Ce serait aussi l’opportunité donnée aux Français de fraiche date qui le souhaitent de prouver leur attachement à leur pays d’adoption.

Cette citoyenneté, « complète » par le fait d’accepter le port d’une arme pour défendre son pays, serait enfin le moyen de brasser une partie de la jeunesse volontaire. Vecteur d’influence du service à la Patrie, elle pourrait irriguer par son engagement la société civile.

Pour conclure

Cette réappropriation de la défense du pays par un plus grand nombre de citoyens vise à renforcer le lien entre l’armée et la nation, à maintenir aussi l’unité de la communauté nationale. Elle garantit une République une et indivisible comme le rappelle la Constitution de 1958. Son action serait renforcée par les compétences acquises par les armées et par les réservistes notamment dans la contre-insurrection qui s’apparente au premier niveau au contrôle du territoire et à sa défense opérationnelle. Ces forces au demeurant dissuasives par leur préparation et par leur engagement garantiraient le fonctionnement pacifié des institutions et l’unité nationale. Finalement, c’est bien le rôle à mon avis d’une armée.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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