vendredi 4 octobre 2024

Une année 2018 à la hauteur des ambitions stratégiques de la France ?

Cette année 2018 a débuté sur un rythme important dans les domaines des relations internationales et des forces armées.

La situation internationale reste erratique.

Après de fortes tensions, les deux Corées se sont rapprochées au moins dans l’objectif des jeux Olympiques sans que cela ne lève la menace nucléaire de la Corée du Nord… et n’écarte une conquête de la Corée du Sud par des moyens conventionnels sous parapluie nucléaire…

En revanche, au Moyen-Orient, les combats continuent. En Syrie. Assad veut reconquérir l’ensemble du territoire alors que la Turquie combat les Kurdes sur le territoire syrien sans que beaucoup d’Etats ne s’émeuvent. Ne s’agit-il pas d’un acte de guerre lorsqu’on déploie des forces armées dans un Etat voisin ? Certes la Russie et sans doute la Syrie ont dû donner leur aval, ce qui montre bien la duplicité des Etats.

Les Etats-Unis ont déployé quelque 2 000 conseillers en Syrie et veulent une force de 30 000 soldats arabo-kurdes avec la volonté d’entraver la construction de l’arc chiite voulu par l’Iran. Pendant ce temps, l’Iran est soumis à des troubles sociaux internes alors que la suspension de son programme nucléaire reste douteuse et que son activisme au Moyen-Orient en Syrie et au Yémen suscite la méfiance.

Le Moyen-Orient ne serait pas non plus aussi explosif si la décision des Etats-Unis d’installer réellement leur ambassade à Jérusalem n’avait pas été prise. En même temps, le gouvernement israélien fait voter une loi rendant Jérusalem indivisible.

A la fois plus loin et plus près de nous, la Chine avance ses pions depuis 2013 avec ses « nouvelles routes de la soie » au service de sa stratégie de grande puissance. L’intérêt des médias notamment depuis cet été peut interroger avec une approche bien positive. Le bienfait de telles routes pour l’Union européenne serait réel…

La France en action

L’action du président de la République a été importante pour positionner la France comme un acteur majeur des relations internationales suite à l’effacement de l’Allemagne au moins pour des raisons de politique intérieure, du Royaume-Uni pour cause de Brexit et de divergences importantes avec les Etats-Unis, compte tenu de l’isolationnisme de l’administration Trump.

Replacer la France comme acteur incontournable en Europe apparaît donc comme un objectif majeur. Ainsi, dès le 1er janvier 2018, le président de la République et la chancelière Merkel ont transmis ensemble leurs vœux pour la nouvelle année puis sont de nouveau réunis cette semaine pour célébrer le traité de l’Elysée signé en 1963 entre les deux Etats par le général De Gaulle et le chancelier Adenauer.

D’un côté, agir avec l’Allemagne, acteur économique ; d’un autre côté, agir avec le Royaume-Uni, acteur politique et militaire. Ainsi la rencontre franco-britannique était importante à Sandhurst, l’équivalent de Saint-Cyr. Il ne s’agissait pas uniquement de traiter des migrants mais aussi de politique étrangère et de coopération militaire. Il suffit de se reporter au communiqué final particulièrement dense (Cf. Communiqué).

Cependant, s’appuyer totalement sur l’engagement britannique pourrait s’avérer bien périlleux comme toujours en fonction des intérêts nationaux britanniques. Il suffit de se rappeler l’échec des porte-avions qui devaient être construits ensemble. De fait, la France est désormais limitée à un seul porte-avions et le discours du président à Toulon cette semaine a confirmé qu’il n’y en aurait pas de second. S’ajoute aussi cette nouvelle annonce de réduction des effectifs militaires des forces britanniques qui passeraient selon le Times, pour l’Armée de terre britannique à 71 000 soldats, sans que les autres armées ne soient épargnées. La France sera la première armée d’Europe mais à ses frais.

Redonner à la France une place internationale crédible apparaît comme un autre objectif majeur. E. Macron s’est rendu en Chine et a mis en garde contre toute tentation hégémonique de la deuxième puissance mondiale. La France a des intérêts dans la région Pacifique. Il a reçu le président Erdogan et a acté l’échec de l’adhésion de la Turquie. Il faut se reporter à nouveau au communiqué clôturant la rencontre de Sandhurst pour se rendre compte des ambitions françaises.

Vœux aux armées et engagement présidentiel

Cependant, les ambitions diplomatiques françaises ne seraient pas grand-chose sans des forces armées qui leur donnent la puissance nécessaire.

Les vœux du chef des armées ont montré trois orientations. Je ferai abstraction de l’appel présidentiel aux forces armées « n’ayez pas peur » face au changement. Les armées ont montré depuis plusieurs dizaines d’années qu’elles s’adaptaient tous les cinq ou sept ans, bien plus facilement que toutes les administrations françaises réunies. Il aurait mieux fallu nous dire « ne soyez pas méfiants et faites-moi confiance ».

  • Le service national universel verra bien le jour et sera conduit par l’ensemble des ministères concernés, avec un financement ad hoc, qui ne viendra en rien impacter la loi de programmation militaire 2019-2025.
  • Le budget de la défense sera augmenté de 1,8 milliard d’euros en 2018 pour le porter à 34,2 milliards d’euros. Le président a aussi réaffirmé son objectif de « sincérisation » budgétaire : le budget des opérations extérieures passera de 450 millions d’euros en 2017 à 1,1 milliard en 2020. En contrepartie, le Président a réclamé aux Armées « la plus grande exigence collective ». Il est vrai qu’il est possible de citer le coût élevé du transport aérien militaire au titre des opérations. Cependant, comme le rapport du contrôle des armées le rappelait le 1er décembre 2017, « Pour différentes raisons (déficiences de certains processus, manque d’effectif, jeunesse de certains services résultant des restructurations récentes, formation insuffisante du personnel), les procédures de passation et d’exécution de ces marchés » posaient problème. Les militaires ont fait au mieux en fonction des déficiences politiques et des exigences opérationnelles.
  • Enfin, la priorité de la dissuasion nucléaire est réaffirmée dans ses deux composantes maritimes et aériennes sachant que la dissuasion nucléaire consomme plus de 10 % du budget des armées. Cela était déjà annoncé lors du quinquennat précédent et cela n’est pas anodin. Le terrain avait aussi été préparé par l’intervention du directeur général des relations internationales et de la stratégie du ministère des armées, Philippe Errera, ( Le Monde du 14 janvier 2018). Certes, la position « pro-dissuasion » malgré son coût, pourrait se comprendre. Ainsi, pour M. Errera, « pour nombre d’acteurs, l’arme nucléaire ne sert pas qu’à dissuader, elle sert même de moins en moins à ça ». L’arme nucléaire deviendrait une arme d’emploi mais la France serait-elle capable d’aller jusqu’à agir avec une opinion qui ne suivrait pas la décision politique ? A voir.

Concernant les armées, il faut souligner la publication d’un ouvrage collectif « Le soldat au XX et XXIe siècle » dans la collection « Folio Histoire » aux éditions Gallimard. Il rassemble des articles parus ces dernières années dans la revue trimestrielle « Inflexions ».

Présenté par le général François Lecointre, chef d’état-major des armées, ce projet antérieur à sa nomination et qu’il a porté est soutenu par une conviction profondément ancrée : « Il est important que la parole du soldat se fasse entendre ». Je partage bien entendu cette vision … depuis bien longtemps avec tout ce que cela a néanmoins impliqué.

Le général Lecointre développe sa pensée (Cf. Le Figaro du 17 janvier 2018) dans une tribune intitulée « Oser écrire pour renouveler la pensée sur l’action militaire ». Je retiens ce paragraphe exprimant ces valeurs qui ont du sens : « L’honneur, le courage, le sacrifice, l’héroïsme, longtemps ces thèmes sont restés en marge de toute pensée actualisée et de toute réflexion de fond » sans oublier le sens de l’action militaire.

Enfin, je suis satisfait que nos soldats accusés de viols en RCA aient fait l’objet d’un non-lieu (Cf. Le Monde du 15 janvier 2018). Il n’empêche que, comme toute situation juridique aujourd’hui, les personnes subissant des accusations ont sans aucun doute vu leurs vies personnelle et professionnelle profondément bouleversées. Il ne faudrait pas l’oublier.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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