CONTEXTE GÉOPOLITIQUE :
Au sein du gouvernement de Cyrille Adoula, constitué à la suite de la première sécession stanleyvilloise du 2 août 1961, une lutte d’influence oppose les lumumbistes (dont le chef de file est le ministre Gbenyé) à leurs confrères. Cette situation amène le président Kasavubu à dissoudre le MNCL (Mouvement national congolais Lumumba). Les opposants s’exilent au Congo français, où ils créent le CNL. Des contacts s’établissent avec Pierre Mulélé, formé en Chine aux techniques de la guerre subversive, à la tête d’un maquis au Kindu. De son côté, Gbenyé charge Gaston Soumialot, un autre élève des Chinois, de porter la révolution au Maniéma et au Nord Katanga. La ville frontière d’Uvira, prise le 15 mai 1964, devient un vaste camp d’entraînement militaire et d’endoctrinement, d’où partiront les Simbas à la conquête d’un territoire grand comme la France. Livrés à leurs instincts et davantage motivés par la sorcellerie que par la lutte idéologique, les Simbas (lions) plongent le Congo dans une sauvagerie sans équivalent dans l’histoire contemporaine. En face, à l’exception des troupes du colonel Mulamba qui infligent aux rebelles une sévère défaite à Bukavu, l’ANC se disloque en une multitude de bandes qui prennent part à l’horreur collective. Alarmés par la situation générale, les gouvernements américain et belge, les milieux financiers et miniers tirent Tshombé de son exil en Espagne, où il se trouve depuis la tentative de sécession du Katanga en 1960 ; il devient Premier ministre du gouvernement central le 26 juin 1964. Dans l’attente d’un hypothétique renouveau de l’ANC, Tshombé rappelle ses gendarmes katangais et fait le plein de mercenaires, qui deviendront le fer de lance de la contre-offensive gouvernementale.
En sautant sur l’aérodrome de Stanleyville (aujourd’hui Kisangani), les paras-commandos belges vont sauver des tortures et du massacre un demi-millier de civils européens tombés au pouvoir des Simbas.
Adopté le 12 novembre 1964, le principe d’une intervention au Congo belge pour délivrer et évacuer des otages se heurta au problème de la distance (10 000 km). Les Américains aplanirent la difficulté en plaçant à la disposition des Belges douze quadrimoteurs C-130E Hercules et en réglant les questions particulières aux mouvements aériens.
Dans l’esprit du gouvernement belge, il d’une mission de sauvetage et non d’une opération guerrière. Les armes lourdes et moyennes écartées pour disposer d’hommes supplémentaires. L’opération sur Stanleyville est montée par le colonel LAURENT, en étroite collaboration avec le colonel GRADWELL, commandant les équipages américains du 464th Troop Carrier Wing, qui venaient de la base d’Évreux. La Task Force belge se compose du 1er bataillon SAS (Bérets rouges), dont les effectifs insuffisants seront renforcés par la 12e compagnie du 2e bataillon commando (Bérets verts).
Fort de l’homologation en France, l’année précédente, du parachute français TAP 665 sur le C-130, le commandement décide de conserver les parachutes français au lieu d’utiliser des voilures américaines inconnues des paras belges. La préparation est menée dans un secret absolu. Pour cette raison, les 564 paras-commandos et leurs 19 véhicules embarquent sur l’aérodrome de Kleine Brogel, fief du 10e Wing de chasse, le 17 novembre 1964. Ils atterrissent le lendemain sur l’île de l’Ascension dans l’Atlantique Sud. Grâce à deux avions américains affectés aux communications rapides entre Bruxelles, Washington et Léopoldville, l’état-major de la Task Force est tenu régulièrement au courant de l’évolution de la situation politique et des efforts diplomatiques. C’est à Ascension que les paras apprennent le but réel de l’opération. Une fois connue la menace lancée par les rebelles d’exécuter les otages en cas d’intervention, la rapidité devient une véritable hantise pour les Belges. Malgré les obstacles parsemant l’aérodrome de Stanleyville et l’éventualité d’une défense antiaérienne, ce lieu est choisi comme zone de saut parce qu’il permet par sa longueur de larguer tout le personnel par sticks de 32 hommes en un seul passage. L’altitude sera de 230 m et l’intervalle entre chaque appareil fixé à 20 secondes.
Le 18 novembre, la Task Force arrive à Kamina (Congo), ce qui la place à trois heures de vol de son objectif. Le feu vert tombe le lundi soir. Le saut est donc prévu pour le lendemain matin à 6 heures.
Dès leur arrivée au sol, les paras se désharnachent et se mettent et position de tir. Les mitrailleuses MAG, larguées en conteneurs sont pointées sur le fleuve. Une première satisfaction pour les chefs de section. Outre la précision exemplaire de l’atterrissage due au CARP, la force d’intervention, pardon sauvetage, ne déplore que quatre blessés, à cause des obstacles disposés par les Simbas sur la piste de l’aérodrome. Alors que la formation de C-130 se présente pour un second largage, des tirs de mitrailleuse éclatent sur l’aérodrome. Sans dommage pour les avions, ils pimentent la descente des dispatchers qui ont sauté en même temps que les conteneurs, dont quelques voilures présentent des déchirures par balles. Une fois regroupés, les paras-commandos s’affairent à dégager la piste, encombrée de véhicules sans roues et de près de quatre cents fûts de 200 litres emplis d’eau. Le colonel LAURENT prête main-forte à ses hommes. Quand la piste devient enfin praticable, sa montre affiche 6 h 42. La première vague a sauté 42 minutes auparavant. Il semble que c’était hier. Harassés par cette performance, Bérets rouges et Bérets verts se donnent le temps de griller une cigarette.
En cheminant vers son objectif, les bâtiments et la tour de contrôle, la 11e compagnie du capitaine PEIRLINCK surveille l’orée de la brousse qui longe la piste à moins de 200 m. Une observation aux jumelles révèle au lieutenant MERTENS la présence d’une centaine de Simbas près de la tour. Jusqu’à présent, les seules traces laissées par les Simbas étaient les mitrailleuses trouvées abandonnées autour de la piste quelques foyers encore chauds. Des rafales crépitent lorsque les Belges arrivent au contact. Mal ajustées, elles n’occasionnent aucun dommage, ce qui sauve la vie à ceux des Simbas qui se font capturer. Non utilisée, une mitrailleuse de 12,7 mm est découverte sur le terrain. Entre-temps, les autres pelotons de la 11e compagnie investissent l’aérogare et le salon d’accueil saccagés. L’état de la tour de contrôle n’est guère meilleur. Parmi les débris qui jonchent le sol, un téléphone se met à sonner. Machinalement un para décroche, pour entendre un Européen déclarer la présence d’otages à l’hôtel des Chutes et à la résidence Victoria. L’information est immédiatement communiquée au colonel LAURENT.
C’est à ce moment qu’une fusillade éclate au sud, suivie du vrombissement de véhicules lancés à toute allure dans la direction de la tour de contrôle. Larguée au centre de la piste, la 13e compagnie du lieutenant PATTE s’est emparée, après une marche forcée, de l’hôtel Résidence, susceptible d’abriter des otages. Les paras n’ont trouvé que des ruines, mais trois voitures qui stationnaient là sont parvenues à passer entre les rafales, après un démarrage foudroyant. Alertés, les hommes de la 11e compagnie détruisent les deux premières voitures qui se présentent. La troisième s’immobilise. Au milieu des cadavres des occupants, gisent des piles de billets de banque et des documents de Gbényé. À tort, les paras croient à l’élimination du leader des rebelles. En fait, ce dernier a déjà fui dans le nord du pays.
Cette péripétie achevée, le colonel LAURENT monte son dispositif pour la prise de la ville, située à 4 km environ. Les C-130, qui tournaient au-dessus de l’aérodrome en attendant son nettoyage, se posent. Des rampes surgissent quatre Jeep blindées Minerve, quatre Jeep radio et onze fardiers à moteurs AS 24 pouvant transporter plus de 200 kg de charge. La colonne prend la route de Stanleyville à 5 heures (Zoulou). En tête, les Jeep de reconnaissance de la 11e compagnie ; au centre, le peloton de mortiers qui vient de récupérer une Jeep dont le chauffeur Simba n’aura plus besoin ; en serre-file, la 13e compagnie. L’opposition apparaît pratiquement nulle. Quelques détonations de-ci de-là. La colonne augmente l’allure. À 5 h 40, les éléments précurseurs pénètrent par l’avenue Grison. La 11e déboîte et se fait accrocher au carrefour de la rue de l’Église et de l’avenue Lothaire. Les paras giclent et se ruent à l’assaut. Les rares survivants Simbas s’enfuient en hurlant dans la rue Ketelé. Tandis qu’ils les poursuivent, les paras voient venir à eux un Blanc halluciné, rescapé d’un groupe d’otages abattus quelques instants auparavant par les Simbas.
Le Belge confirme à ses sauveteurs la présence des otages à la résidence Victoria. Jusqu’au matin, ils étaient tous en vie et relativement bien traités, grâce à la présence de cadres. Au passage des C-130, l’attitude des rebelles avait changé. Les otages avaient été rassemblés dans la rue, à l’exception de ceux qui logeaient au quatrième étage et qui s’étaient barricadés en voyant le saut des paras. Plus intelligent que les autres, un « colonel » rebelle avait ordonné de mener les otages vers les paras. La fusillade au carrefour avait stoppé la colonne. Bon gré mal gré, les Simbas avaient d’abord obéi à leur chef, tout en manifestant une nervosité accrue sur la conduite à tenir. Pour le malheur des otages, un officier arrivant sur les lieux avait froidement tiré. La frénésie du meurtre s’était alors emparée des rebelles…
Les paras se ruent sur le lieu du massacre. Les caniveaux drainent des ruisseaux de sang provenant d’une cinquantaine de corps. Des blessés hurlent d’horreur sous les rafales que tirent encore des Simbas acharnés. Poursuivis par les paras, ceux-ci réussissent à s’évanouir dans la ville. Les infirmiers et les médecins paras prodiguent leurs soins aux survivants. Roulés dans des couvertures, les morts sont rassemblés dans le jardin d’une villa. Parmi eux se trouve le cadavre du médecin-missionnaire dont le seul tort avait été de naître américain. Après la première réaction physique inhérente à la confrontation d’un tel spectacle, les paras, particulièrement les jeunes, se sentent différents. Ils n’oublieront pas de sitôt les voitures d’enfant mitraillées.
Au cours du nettoyage du secteur méridional, la 13e compagnie a libéré la mission du Sacré-Coeur et ses 50 occupants. Sur les renseignements de deux rescapés, elle reçoit pour mission de sauver les otages détenus à l’hôtel des Chutes. Les paras foncent. À un carrefour survient un camion bourré de Simbas qui ouvrent le feu. Riposte foudroyante des affûts jumelés des Jeep de reconnaissance, qui allonge la liste des « martyrs de la Révolution ». Les freins crissent encore que des paras se ruent déjà à l’intérieur de l’hôtel. Trois otages Blancs sont libérés. Le temps manque pour charger le monceau d’armes et les munitions correspondantes. Une garde est laissée tandis que le reste de la troupe fonce vers le camp Ketelé, situé dans la partie orientale de la ville. Pas le moindre signe de vie n’y règne. En fouillant des maisons, les paras en comprennent la raison : bon nombre d’Européens se sont réfugiés dans leurs caves, où ils vivent dans la hantise des Simbas en fuite. Le temps pressant, les Belges invitent ces civils à gagner les quartiers libérés. Au square Léopold-II, l’attention des soldats est attirée par des vieillards enfermés dans leur maison par les rebelles et qui gesticulent derrière les fenêtres. Un éclair ponctué d’une déflagration assourdissante projette un groupe de paras à plat ventre, « sonnés ». C’est l’œuvre d’une roquette bazooka, tirée par un Simba d’une villa voisine. Le colonel survient à ce moment. Surpris par la vision de ses hommes à terre, il rabroue le lieutenant en lui rappelant l’urgence de la situation !
La compagnie force les portes du camp Ketelé à 7 heures. La place est vide d’Européens. Deux camions simbas sont capturés ainsi qu’une mitrailleuse de 12,7 mm. La 13e compagnie établit des barrages routiers à l’est et au sud pour intercepter les fuyards. Le cas du para CLOSSET, blessé dans le dos par balle, prouve que le secteur reste dangereux. Vers 9 heures, deux événements se produisent. La jonction s’établit entre une colonne de l’ANC, l’Armée nationale congolaise et les paras. Retardés par des embuscades, les premiers sont passablement énervés et, par un inutile tir de mortiers sur le camp Ketelé, mettent en danger un peloton de la 13e compagnie. Enfin, une excellente liaison sol-air fonctionne grâce à la remise en service de la tour de contrôle, moins de trois heures après l’arrivée des aéroportés. À cette heure, les Belges sont maîtres de la ville, dont les habitants commencent à affluer sur l’aérodrome sous l’escorte d’un peloton para.
Le commandement décide alors de patrouiller à l’extérieur de la ville dans l’espoir de retrouver des Blancs. À 10 h 30, les Bérets verts de la 12e compagnie commando nettoient les axes principaux jusqu’en bordure de la ville indigène. Le premier peloton se heurte à une vive résistance de Simbas retranchés dans l’école des maristes. Pour venir à bout de ces forcenés, les paras ont recours aux bazookas et aux grenades au phosphore. Sur la rive gauche de Stanleyville, les exécutions d’otages se poursuivent en raison de la non-intervention des troupes congolaises qui avaient pour tâche de nettoyer ce secteur et d’y rétablir l’ordre. Ces unités, composées en majorité d’hommes de peu de valeur, constituent un vivant cauchemar pour les officiers belges contraints de les encadrer.
Du côté Task force, la 13e compagnie libère une quarantaine d’otages place du Marché, puis, à 13 h 30, reprend la route de l’aérodrome, sa mission terminée. Tandis que le peloton de mortiers assure la protection du périmètre du Congo Palace, le peloton du sous-lieutenant HARDY, de la 11e compagnie, libère 40 otages après avoir nettoyé une usine proche du Palace et pris le contrôle de la Brasserie et de l’école des sœurs franciscaines.
En se portant au secours d’une centaine d’Européens signalés place Caron, le 3e peloton compte un blessé grave qui expirera à Léopoldville. À 13 heures, la 11e compagnie reçoit aussi l’ordre de regagner l’aérodrome.
À 13 h 15, un C-I 30 décharge l’antenne chirurgicale qui s’installe dans l’hôpital situé dans le périmètre de défense de l’aérodrome. A ce moment-là, l’opération Dragon rouge a permis de sauver 500 Européens. L’insécurité demeure, et les paras savent qu’un relâchement pourrait se payer cher. Ainsi, des Simbas sont repérés dans les caves sombres de l’hôpital. Faute de moyens d’éclairage, les dispatchers qui assurent la défense du bâtiment surveillent les voies d’accès et empêchent une éventuelle sortie en y jetant de temps à autre une grenade offensive. Au premier étage, un para rencontre un Simba qui lui tire une balle de pistolet. Raté. En revanche, la rafale du PM VIGNERON coupe presque en deux l’agresseur.
Le colonel LAURENT organise une conférence avec l’ANC pour délimiter les zones d’influence des deux parties. Écœuré par le saccage auquel se livre la soldatesque dans les secteurs libérés par les paras, le colonel tient à démarquer ses hommes de leurs compromettants alliés. Remarquables de passivité, les Congolais ont attendu la fin du nettoyage par les Belges pour faire leur apparition, au grand dam des habitations des Blancs et surtout de celui des femmes indigènes. La rivière Djubu-Djubu formera la ligne de démarcation. Les paras conservent l’aérodrome et la partie ouest ; l’est passe sous la responsabilité de l’ANC.
De retour au terrain d’aviation, le colonel LAURENT trouve ses paras en position de défense. Depuis quelques heures, la pression s’accentuait. Au début, des coups de feu étaient tirés de la brousse en bout de piste. Les Belges lancent alors des patrouilles pour aérer le périmètre et assurer la sécurité des avions qui évacuent les blessés vers Léopoldville. Ensuite, des attaques en règle seront repoussées par le peloton LEGRELLE. Au moment où les trois compagnies regagnent l’aérodrome, les Simbas déclenchent une cinquième attaque, appuyée par des mortiers et des armes automatiques. Des renforts se joignent au peloton du lieutenant LEGRELLE pour briser l’assaut, mené par des guerriers dont l’accoutrement reflète les croyances. Alors qu’ils ne portent pas de chemises, beaucoup arborent des cravates ; d’autres des casquettes, des baudriers, voire des parapluies. En adoptant les symboles des Blancs, les Simbas s’imaginent en acquérir la puissance. Probablement stimulée par les conseillers chinois, la magie tenait une grande place chez les rebelles. Le mot « Maïa » scandé pendant un tir était censé transformer les projectiles ennemis en eau grâce à la « dawa » (protection magique consécutive à une cérémonie rituelle). La proximité des Simbas permettait aux paras belges d’entendre les raffinements qu’ils leur promettaient entre deux « Maïe » : castration, découpage en morceaux et dégustation des dits morceaux… Probablement drogués au chanvre, les Simbas se font hacher sur place. Le peloton de mortiers entre en action en traitant les arrières rebelles. L’attaque se voit enfin brisée. Les cadavres s’amoncellent devant les emplacements de combat des Belges. Deux T-28 pilotés par des Cubains anticastristes rompent le silence par des interventions sur le village muléliste au nord-ouest de la piste.
À la tombée de la nuit, une patrouille de reconnaissance de la 12e compagnie se fait « allumer » depuis la zone amie par des armes automatiques. Les tirs proviennent de parachutistes congolais arrivés depuis peu et pour qui tout homme venant de la brousse ne peut être qu’un ennemi.
C’est à l’aube que les Belges peuvent se reposer durant quelques heures, pendant que le colonel LAURENT et son état-major dressent les plans de la prochaine intervention à Paulis…
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Anecdote : Le jeune Patrick Nothomb, futur père de l’écrivain Amélie Nothomb, était consul de Belgique et représentant sur place du gouvernement belge ; il a fait partie des otages. Il a écrit un témoignage : « Dans Stanleyville ».
Bonjour,
Je recherche des photos des événements de Stanleyville en 1964 (révolte des Simbas) pour une conférence des Associations Mémoires du Congo et Union royale belgo-africaine.
Nous souhaiterons savoir si nous pouvons disposer des trois photos publiées sur votre site, si celles-ci vous appartiennent bien et si vous en auriez d’autres.
Il est évident qu’en tant qu’associations nos moyens ne sont pas pléthoriques.
Merci de prendre contact par mail pour la suite.
Bonne journée,
C. VROONEN.