mardi 19 mars 2024

27 juillet 1214 : La bataille de Bouvines

dico des guerresEn 1213, la lutte qui oppose le roi d’Angleterre Jean sans Terre à Philippe Auguste entre dans une phase décisive. Ce dernier qui, au cours des années précédentes, a subi de graves revers qui lui ont fait perdre le duché de Normandie et les comtés de Poitou et d’Anjou, décide de contre-attaquer.

Pour cela, il lui faut des alliés. Menant une diplomatie très active, il va forger une coalition dirigée contre le roi de France. Le premier prince qui répond à son appel n’est pas des moindres puisqu’il s’agit de l’empereur Otton IV de Brunswick. Celui-ci est issu de la puissante lignée des Welfen par son père, le duc de Brunswick Henri le Lion, mais est Plantagenêt par sa mère Mathilde, sœur de Jean sans Terre. Empereur depuis 1209, il est entré en conflit l’année suivante avec le pape Innocent III qui s’oppose à sa politique italienne, et notamment à ses visées sur le royaume de Sicile. Le pape a alors prononcé contre lui une sentence d’excommunication, en 1210, et lui a suscité dans l’empire un compétiteur en faisant élire, en 1211, un prince de la lignée des Hohenstaufen, rivaux des Welfen, le jeune Frédéric II. Dans ce conflit, Innocent III reçoit le soutien de Philippe Auguste qui veut se concilier une papauté avec laquelle il n’a pas toujours été en bonne intelligence et pour qui Otton est un ennemi. Ainsi donc, en s’apprêtant à intervenir aux côtés de Jean sans Terre en 1213, Otton IV agit certes en allié fidèle de son oncle Plantagenêt, mais aussi en fonction de la lutte qu’il mène dans l’empire contre Frédéric II de Hohenstaufen et ceux qui le soutiennent.

Outre l’empereur, Jean sans Terre parvient à attirer dans son parti deux grands seigneurs français, Renaud de Dammartin, comte de Boulogne, et Ferrand de Portugal, comte de Flandre. Renaud de Dammartin, issu d’un puissant lignage d’Ile-de-France, devenu comte de Boulogne en 1190, est un personnage agité et louvoyant. Après avoir servi efficacement Philippe Auguste, il a été cependant poussé vers l’alliance anglaise par des préoccupations d’ordre économique : il tient, avec Boulogne, une des principales villes portuaires par lesquelles passe le flux commercial entre la France et l’Angleterre. Ferrand de Portugal, quant à lui, tient le comté de Flandre du chef de sa femme Jeanne de Flandre qu’il a épousée en 1212 ; de cette époque date son ressentiment à l’égard du roi de France : Philippe Auguste qui a usé de ses prérogatives de seigneur féodal pour arranger le mariage de Jeanne a également profité de cette occasion pour obtenir des jeunes époux des concessions territoriales en Artois, leur arrachant la cession des châtellenies de Saint-Omer et d’Aire. A cela s’ajoute que le nouveau comte de Flandre est sensible à l’intérêt économique de ses sujets. Ceux-ci ont en effet des relations commerciales privilégiées avec l’Angleterre qui, par ses exportations de laine, fournit alors à la draperie flamande l’essentiel de sa matière première. Ainsi, des considérations économiques et plus encore les menées brutales du roi de France en Artois poussent Ferrand de Portugal à négocier avec Otton IV et Renaud de Dammartin, et finalement, après bien des hésitations, à entrer dans la coalition forgée par le roi d’Angleterre.

Pour briser l’alliance en cours de formation, Philippe Auguste qui, à l’appel du pape alors en conflit avec Jean sans Terre, projette un débarquement en Angleterre et qui a choisi de se servir du port de Damme comme base de départ, décide d’envahir la Flandre au mois de mai 1213. Dans un premier temps, l’opération se déroule aisément : Cassel, Ypres, Bruges sont pris, Gand est assiégé, Lille et Douai occupés. Mais une prompte descente de la flotte anglaise sur Damme surprend la flotte du roi de France qui est en partie détruite. Cet échec est suivi d’une violente contre-offensive royale, mais malgré une campagne sauvage, au cours de laquelle Lille est incendié, Philippe Auguste ne peut conserver que Douai et Cassel. Cette guerre de Flandre a définitivement rejeté Ferrand et ses sujets dans le camp de Jean sans Terre.

A l’automne 1213, le roi d’Angleterre, qui finance et nourrit largement l’effort de guerre de ses alliés continentaux, pense que le temps est venu de reconquérir ce que, depuis 1202, Philippe Auguste lui a arraché. Son plan consiste à contraindre le roi de France à combattre sur deux théâtres d’opérations en même temps : au nord, l’armée impériale renforcée par les contingents des comtes de Flandre et de Boulogne et une petite armée anglaise doit se porter vers la Flandre gallicante, tandis qu’à l’ouest, une armée anglo-aquitaine dont Jean sans Terre prendra lui-même la tête marchera vers le Poitou et l’Anjou. C’est de ce côté-là que va commencer la guerre. Au mois de février 1214, Jean sans Terre débarque à La Rochelle. En quelques mois, il s’assure des positions solides en Poitou et en Saintonge. Au mois de juin, il franchit la Loire, prend Angers le 17 et vient mettre le siège devant le château de La Roche-aux-Moines le 19. Face à ses adversaires, Philippe Auguste est contraint de diviser ses forces : sur la frontière du nord, l’empereur Otton IV est menaçant, il lui faut donc se porter de ce côté. Aussi confie-t-il la conduite des opérations à l’ouest à son fils Louis (le futur Louis VIII). Ce dernier, avec des contingents levés principalement dans la partie occidentale du domaine royal, se présente devant La Roche-aux-Moines le 2 juillet 1214 ; l’arrivée de son armée jette la confusion dans le camp des assiégeants qui lèvent précipitamment le siège et repassent la Loire. Le danger est conjuré de ce côté-là et Louis peut envoyer un message de victoire à son père qui, sur la frontière de Flandre, se prépare à affronter l’armée d’Otton, de Renaud et de Ferrand.

C’est à Valenciennes que l’empereur concentre son armée. Elle est composite : autour d’Otton, les contingents de chevaliers impériaux sont originaires des principautés d’empire fidèles au parti welf : Saxe, Basse-Lorraine, Brabant, Hollande. Ferrand de Portugal a autour de lui les Flamands, tant les nobles que les gens de pied des communes qui constituent une infanterie redoutable. Représentant Jean sans Terre, son demi-frère Guillaume « Longue Epée », comte de Salisbury, est venu à la tête de soudoyés anglais. Quant à Renaud, comte de Boulogne, outre la chevalerie de son comté, il conduit une forte troupe de mercenaires que les textes désignent comme des « Brabançons », originaires probablement tout autant du Brabant que des pays mosans où se recrutent ces combattants professionnels. Les effectifs de l’armée impériale sont mal connus ; on peut admettre le chiffre de 1 500 chevaliers, sur lequel les sources narratives s’accordent à peu près toutes, mais ni l’effectif des sergents à cheval ni celui des gens de pied (sans doute importants) ne peuvent être déterminés avec certitude. Tous les combattants ont pris comme signe distinctif une croix portée sur la poitrine et sur le dos, à l’heure d’affronter l’ost du roi de France.

Cet ost français semble plus homogène, recruté principalement dans le nord et l’est du royaume. Le roi groupe autour de lui les forces militaires d’Ile- de-France, du Vermandois et de la Picardie, il a reçu l’aide du comte de Champagne et du duc de Bourgogne – ce dernier présent en personne – qui lui fournissent de forts contingents d’hommes de cheval. À côté des contingents montés, constitués de chevaliers et de sergents à cheval, l’armée royale dispose aussi de l’infanterie des « gens de communes », levée selon un système en vertu duquel, dans le cadre du domaine royal, les villes, les villages, les communes ainsi que certaines abbayes doivent fournir des gens de pied, des charrettes ou de l’argent, la contribution de chaque localité étant fixée au prorata de sa population. Ainsi que le montre la célèbre Prisée des sergents, ce système fournit au roi une infanterie d’appoint et des moyens de transport. Au total, Philippe Auguste réunit autour de lui environ 1 300 chevaliers, 1 300 sergents à cheval et de 4 à 6 000 gens de pied. Cette armée combat sous les plis de l’oriflamme de Saint-Denis, enseigne sacrée levée solennellement depuis Louis VI, et qui marque, à l’heure du péril, la présence auprès du roi de France de saint Denis, protecteur du royaume.

La campagne qui s’engage commence par des hésitations, une marche et une contre-marche. Otton IV et ses alliés sont dans l’expectative : l’échec de Jean sans Terre en Anjou a anéanti leur plan de guerre ; ils restent donc immobiles autour de Valenciennes, attendant que tous les contingents semoncés par l’empereur le rejoignent. C’est ce que Philippe Auguste redoute, aussi décide- t-il, dans un premier temps, de marcher à l’ennemi pour l’attaquer avant que la totalité de ses troupes soit rassemblée. Il choisit de gagner Tournai, afin de prendre à revers un ennemi qui l’attend venant du sud. Il quitte donc Péronne le 23 juillet et gagne Douai, puis de là se porte sur Tournai. Pour atteindre cette ville, il faut emprunter un passage resserré puisque la seule route praticable au milieu d’une région très marécageuse passe par le pont de Bouvines qui permet de franchir la Marcq au sud-est de Lille. L’ost royal est à Bouvines le 26. Mais Philippe Auguste, qui comptait surprendre l’armée ennemie, s’aperçoit que son mouvement a été détecté. Otton IV est déjà à Mortagne, à une quinzaine de kilomètres au sud de Tournai. La situation des Français devient périlleuse : la seule voie de repli est celle qui passe par le pont de Bouvines ; le passage est étroit, l’armée royale risque d’être prise là comme dans une nasse. Phi- lippe Auguste décide alors de se retirer rapidement vers Lille. Ce repli qui commence au matin du dimanche 27 juillet 1214 se fait en ordre : en avant-garde marche l’infanterie des communes avec le charroi ; au centre, le gros de l’armée entoure la personne du roi ; enfin l’arrière-garde est constituée par les Champenois et les Bourguignons.

Les coalisés, dont le service de renseignement fonctionne bien, sont aussitôt avertis du mouvement de retraite des Français. Ils décident de tirer parti de la situation en poursuivant l’adversaire : dans la situation où il est, une retraite précipitée pourrait facilement tourner au désastre. Le roi de France parvient cependant à atteindre le pont de Bouvines avant que l’adversaire ait pu le rattraper. Le charroi et les bagages ainsi que les gens de communes ont déjà franchi la Marcq et sont en sûreté sur la rive gauche. Cependant, alors que Philippe Auguste est toujours décidé à se replier sur Lille, l’arrière- garde commandée par le duc de Bourgogne est rejointe et violemment attaquée par l’avant-garde impériale menée par le comte de Flandre. L’engagement est vif ; le duc de Bourgogne tient bon, mais fait avertir le roi de France que la pression ennemie est de plus en plus forte. Le roi réunit alors un conseil de guerre dans lequel, à côté des barons de France, un conseiller clerc, frère Guérin, de l’ordre des Hospitaliers, futur évêque de Senlis, se fait particulièrement remarquer par sa saga- cité dans le domaine militaire. Là, il est décidé d’accepter la bataille. L’ost royal est en ordre et sa discipline est telle qu’il peut effectuer une volte-face qui lui permet de se ranger rapidement en bataille face à l’ennemi. Les gens de communes, rappelés, repassent la Marcq. Du côté de l’ost impérial, la facilité avec laquelle les Français ont fait front, alors qu’on les croyait presque en fuite, étonne.

Otton range son armée en bataille face à la ligne française et la divise en trois corps, « batailles » ou « échelles » à l’aile gauche son avant-garde commandée par Ferrand de Portugal ; au centre, le corps de bataille principal où l’empereur se tient en personne à côté de la bannière d’empire portée sur un chariot ; à l’aile droite se trouve Renaud, comte de Boulogne entouré de sa chevalerie et de ses Brabançons qui combattent à pied et à la pique. En face, l’ordre des Français, en trois « échelles », est comparable à celui qu’a adopté l’armée impériale : à l’aile droite, les contingents de Champagne et de Bourgogne ; au centre le roi avec la « bataille » principale ; à l’aile gauche Robert, comte de Dreux, cousin germain du roi. L’action est engagée par l’aile droite française : c’est d’abord un corps de 300 sergents à cheval qui part à l’attaque des Flamands, puis c’est au tour des Champenois, sui- vis des Bourguignons d’aller ébranler la ligne adverse. Le combat contre les gens de communes flamands est rude : le duc Eudes III de Bourgogne a un cheval tué sous lui. Mais après trois heures d’assauts répétés, le comte Ferrand est blessé et pris par les Français. L’aile gauche de l’armée impériale est enfoncée ; de ce côté la victoire des troupes françaises est totale. La lutte est un temps plus incertaine au centre et à gauche de la ligne. Au centre, une violente attaque des troupes impériales qui combattent à pied met en péril la cohésion de la ligne française. Philippe Auguste, environné d’ennemis, est renversé à terre et en danger d’être pris, mais il est dégagé et après une vigoureuse contre-attaque française c’est au tour d’Otton d’être directement menacé. Finalement, le centre de la ligne impériale est enfoncé, le char portant la bannière d’Otton est pris et l’empereur lui- même est contraint de se retirer du champ de bataille, non sans avoir, auparavant, eu un cheval tué sous lui.

La fuite d’Otton marque la victoire des Français, mais sur leur gauche, face au comte de Dreux, Renaud de Boulogne va mener le combat jusqu’au bout. Au début de la bataille, les Anglais du comte de Salisbury ont mené une action offensive dangereuse, mais une contre-attaque de Philippe, évêque de Beauvais, brise l’élan des Anglais et le demi-frère de Jean sans Terre est lui-même frappé, jeté à terre et capturé. Après la déroute du contingent anglais, les Français se heurtent au dispositif mis en place par le comte de Boulogne qui utilise l’infanterie des « Brabançons » comme une forteresse vivante au centre de laquelle il peut se retrancher entre deux charges contre la ligne française ; l’historiographe de Philippe Auguste, Guillaume le Breton, décrit ainsi la tactique de Renaud : « D’un nouvel art usait en la bataille, car il avait fait un double parc de sergents à pied bien armés, joints et serrés ensemble à la circuite en la manière d’une roue : dedans ce cerne, n’y avait qu’une seule entrée par quoi il entrait, quand il voulait reprendre son haleine ou quand il était trop empressé de ses ennemis ; il fit cette chose par plusieurs fois. » Cette combinaison de l’action offensive de la cavalerie et d’un dispositif défensif appuyé sur une infanterie armée de piques permet à l’aile droite impériale de tenir encore en échec les Français alors que le comte de Flandre est déjà captif et que l’empereur est en fuite. Mais Renaud, lors d’une sortie, est environné par des sergents français qui tuent son cheval. C’est alors une véritable ruée, les Français se bousculant pour prendre le comte de Boulogne ; finalement celui-ci remet son épée à frère Guérin. Après la prise du comte, il ne reste plus, face aux troupes de Philippe Auguste victorieuses, que 700 Brabançons qui résistent encore. Une ultime action menée par Thomas de Saint-Valéry à la tête de 50 chevaliers et 2 000 sergents à pied aura raison d’eux ; ils seront tous massacrés.

A la fin de la journée, la victoire française est complète ; parmi les prisonniers, on dénombre 5 comtes et 25 bannerets ; prudemment le roi interdit de « chasser » l’ennemi en fuite au-delà d’un mille car la nuit tombe et le pays, en avant, est coupé et mal connu. Cette victoire de Bouvines aura des conséquences importantes, tant en France qu’en Angleterre et dans l’empire. Pour Otton IV, empereur contesté, excommunié, la défaite est une catastrophe. Sans argent, sans armée, vaincu en bataille, c’est-à-dire jugé par Dieu, il voit son parti se disloquer. Frédéric II de Hohenstaufen et Innocent III triomphent ; Otton IV mourra en mai 1218. En Angleterre, Jean sans Terre va, après Bouvines, se trouver confronté à des difficultés croissantes : l’échec de ses tentatives de reconquête en Poitou et en Anjou, le coût considérable de sa politique continentale, la perte de prestige que le conflit avec la papauté et les défaites face au roi de France ont fait subir au pouvoir royal sont autant d’éléments qui font grandir le mécontentement ; notamment au sein d’un baronnage sur lequel pèsent de plus en plus lourdement les exigences militaires et financières du roi. La révolte ouverte éclatera au début de l’année 1215 et le 15 juin Jean sans Terre sera contraint d’octroyer à ses barons la Magna carta qui, sous couvert de rétablissement des « bonnes coutumes », tend à imposer un contrôle des barons sur le gouvernement royal.

En France, la bataille de Bouvines est un événement salué avec un enthousiasme que l’historiographie capétienne se plaît à décrire longuement. La victoire des armes du roi de France est interprétée comme un signe majeur de la protection divine qui s’étend sur le souverain et sur son royaume : dans cette guerre, Philippe Auguste est présenté comme le défenseur d’une cause juste, il est le champion du pape face à un prince excommunié, le seigneur féodal qui fait triompher le droit contre des vassaux révoltés et félons, le combattant d’une guerre juste qui lutte pour défendre son royaume et sa couronne contre des ennemis qui ont juré de les détruire. C’est l’image qui ressort de la Philippide de Guillaume le Breton ou de certains récits contemporains, tel celui du moine anonyme de Marchiennes, écrit probablement peu de temps après l’événement. C’est que Bouvines est la première victoire remportée en bataille rangée par un roi capétien ; en tant que telle, elle sera célébrée et presque sacralisée, de la volonté même de Philippe Auguste qui fondera près de Senlis l’abbaye de la Victoire associant dans une même action de grâces Bouvines et La Roche-aux-Moines, le succès du père et celui du fils, marquant ainsi la signification dynastique de l’événement.

Bertrand SCHNERB

In Dictionnaire Perrin des guerres et des batailles de l’histoire de France, éditions Perrin.


Écouter l’émission de Canal Académie avec l’historien Dominique BARTHÉLEMY

Lire aussi l’ouvrage de Dominique BARTHÉLEMY, La bataille de Bouvines – Histoire et légendes, aux éditions Perrin (2018).

Retour sur l’un des épisodes fondateurs de la nation France et du roman national : la victoire des chevaliers de Philippe Auguste lors de la batailles de Bouvines.
La bataille de Bouvines, remportée le 27 juillet 1214 par Philippe Auguste, près de Lille, sur un empereur allemand, un comte de Flandre et d’autres coalisés, que finançait tous le roi d’Angleterre, a été l’un des événements les plus célébrés de l’histoire de France. Du XIIIe au XXe siècle, elle a été considérée comme un succès décisif, obtenu au terme de combats difficiles qui avaient mis à l’épreuve le roi, sa chevalerie et ses communes. Philippe Auguste n’avait-il pas mordu la poussière et failli être tué ? Vainqueur avec l’aide de Dieu, après une grosse frayeur, il avait pu ensuite traîner en charrette, jusqu’à Paris, le comte de Flandre prisonnier, blessé, exposé aux quolibets (« te voilà ferré, Ferran ! »). Bouvines couronnait ainsi l’un des règnes les plus constructifs de notre histoire, et son « souvenir », mêlant l’histoire aux légendes, pouvait à la fois galvaniser la France dans ses guerres nationales et alimenter le débat politique sur la royauté, la noblesse, l’armée populaire.

Sur l’ampleur de la bataille de Bouvines comme sur la possibilité d’en connaître exactement le déroulement, Voltaire et Michelet avaient déjà exprimé des doutes. Un essai fameux et suggestif de Georges Duby les a repris en 1973. Dominique Barthélemy approfondit et réoriente la critique historique, au terme d’enquêtes serrées sur les chevaliers présents à la bataille et sur l’élaboration et la réécriture des récits de Bouvines. Il commence par raconter la bataille en l’inscrivant dans son contexte féodal, et en suggérant qu’elle a été dramatisée à dessein par la propagande capétienne. Il entraîne ensuite son lecteur, avec vivacité, dans un tourbillon de récits sélectifs et d’affabulations médiévales et modernes dont il tente à chaque fois de lui expliquer les enjeux.

Est-ce que pour autant tout est faux dans ce chapitre de la traditionnelle histoire de France, et celle-ci n’est-elle qu’un « roman national » ? C’est ce que l’on n’est pas forcément obligé d’en conclure.
Agrégé et docteur, Dominique Barthélemy est professeur d’histoire médiévale à l’université de Paris IV-Sorbonne et à l’École pratique des hautes études. Auteur reconnu, il a déjà publié L’An mil et la Paix de Dieu. La France chrétienne et féodale, 980-1060 ainsi que, chez Perrin, La Chevalerie.
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