Le Commandement du combat futur vient de publier « Action aéroterrestre future », un document de prospective qui dessine les contours de l’engagement terrestre français à l’horizon 2040. Face aux bouleversements technologiques et géopolitiques, l’état-major mise sur une transformation radicale de ses capacités.
Le document, présenté le 1er décembre 2025 à l’École militaire dans le cadre d’un séminaire du Centre d’Études Stratégiques-Terre (CEST), ne se contente pas d’une simple actualisation doctrinale du document « Action Terrestre Future » publié en 2016 : il propose une refonte de la vision du combat au sol, intégrant les accélérations technologiques et les évolutions géopolitiques qui redessinent les conflictualités mondiales.
La conviction est forte : quelle que soit la sophistication des technologies, « la guerre commence et se termine au sol ». La maîtrise du terrain reste le pilier de la puissance militaire. C’est là que s’affrontent les volontés, que vivent les populations et que se concrétise finalement la victoire. Une centralité qui confère à l’action aéroterrestre un rôle incontournable dans les opérations multi-milieux multi-champs (M2MC), concept qui englobe désormais les dimensions terrestre, aérienne, maritime, spatiale, cyber et cognitive.
Cette permanence du combat au sol s’explique par trois dimensions invariantes : la rugosité physique du terrain (relief, urbanisation, climat), la complexité humaine (multiplication des acteurs, poids des populations civiles) et les contraintes temporelles propres aux opérations terrestres, qui imposent un rythme différent de l’accélération générale des cycles décisionnels.
Un monde en recomposition profonde
Le document dresse un tableau sans concession de l’environnement stratégique. La rivalité sino-américaine structure la scène internationale, tandis que la supériorité militaire occidentale, longtemps considérée comme acquise, est ouvertement contestée. Les BRICS et d’autres puissances émergentes redéfinissent les équilibres mondiaux. À cette recomposition géopolitique s’ajoutent des défis technologiques majeurs : intelligence artificielle, robotique, systèmes spatiaux, hyperconnectivité bouleversent les modes d’action militaires.
La crise écologique n’est pas oubliée : raréfaction des ressources, tensions autour de l’accès à l’eau, migrations massives instrumentalisées comme armes hybrides. Sur le plan sociétal, les armées devront composer avec le vieillissement des populations, l’individualisation croissante et la fragilisation du lien social qui complique la mobilisation collective.
Plus préoccupant encore, le document insiste sur la convergence des menaces : États adverses, groupes armés non étatiques, crime organisé et acteurs hybrides articulent désormais leurs actions, du banditisme de prédation aux affrontements majeurs sous parapluie nucléaire, en passant par la guerre cognitive et informationnelle.

Cinq dynamiques qui transforment le combat
L’état-major identifie plusieurs tendances lourdes qui vont métamorphoser le visage du combat aéroterrestre. L’accélération, d’abord : portée par la 6G, les constellations de satellites et l’intelligence artificielle, elle comprime drastiquement les délais entre détection, décision et frappe, permettant un « ciblage de masse » inédit.
La complexification, ensuite, résulte de la multiplication vertigineuse des acteurs et de l’élargissement du champ de bataille. Celui-ci s’étend désormais du sous-sol à l’espace, du domaine cyber à la sphère cognitive. Les dispositifs militaires doivent se disperser pour échapper à une observation quasi permanente.
Le durcissement du combat constitue la troisième dynamique : les stratégies d’interdiction d’accès se généralisent, la létalité s’accumule, les feux saturent l’espace de bataille, créant des no man’s land battus en permanence. Parallèlement, la vulnérabilité des armées occidentales s’accroît : leur dépendance aux réseaux, aux systèmes spatiaux et à des chaînes logistiques mondialisées devient un talon d’Achille exploitable.
Huit facteurs de supériorité à maîtriser
Pour conserver l’initiative dans ce contexte hostile, le document définit huit « facteurs de supériorité opérationnelle ». La supériorité décisionnelle, fondée sur la maîtrise des données, la connectivité et l’IA, arrive en tête, tout en soulevant le paradoxe de centres de commandement hyperconnectés mais potentiellement vulnérables.
Les forces morales – savoir, vouloir, pouvoir, agir – sont érigées en capital stratégique, tant pour le combattant individuel que pour la société dans son ensemble. S’y ajoutent la masse (disposer d’effectifs suffisants), l’agilité (s’adapter rapidement), la protection (survivre dans un environnement hostile), la coopération (agir en synergie multi-milieux), l’endurance (tenir dans la durée) et l’initiative (saisir les opportunités tactiques).
Ces principes se déclinent en dix aptitudes opérationnelles concrètes : mobiliser rapidement les forces vives de la Nation, déployer des capacités sur tous les théâtres, résister à l’usure et à l’attrition, combiner les effets dans tous les milieux, frapper au contact comme en profondeur, innover en permanence, aveugler et sidérer l’adversaire, comprendre finement l’environnement, diriger des coalitions complexes et influencer les perceptions.
Chaque aptitude répond à des défis identifiés : accélération de la montée en puissance, résilience logistique, orchestration des drones et robots, maîtrise de la guerre informationnelle, ou conduite d’opérations multinationales dans un contexte dégradé.
Trois axes de transformation prioritaires
La conclusion du document fixe les priorités d’adaptation.
- L’augmentation drastique de la létalité, par la puissance de feu, l’allonge des systèmes d’armes et la capacité à saturer les défenses adverses.
- La réinvention de la manœuvre, face à un champ de bataille devenu transparent et à des contraintes technologiques inédites.
- Le renforcement multidimensionnel de la protection – défense sol-air et anti-drones, cybersécurité, dispersion tactique, mais aussi protection cognitive face aux opérations d’influence.
L’état-major plaide pour une véritable « économie de guerre » capable de soutenir un effort prolongé, une culture de l’innovation ouverte associant industrie de défense et acteurs civils, et une préparation en amont des conflits, notamment dans la mobilisation nationale et la cohérence des fonctions stratégiques.
« Action aéroterrestre future » se veut ainsi bien plus qu’un simple exercice prospectif : c’est une feuille de route pour transformer en profondeur l’armée de Terre, face à un environnement stratégique radicalement plus exigeant que celui auquel elle s’est préparée depuis la fin de la guerre froide.






