mardi 26 novembre 2024

Audition conjointe du Secrétaire général de la Garde nationale et du chef de la division « cohésion nationale » de l’état-major des armées, sur le rôle des réserves et la défense globale (Assemblée nationale, 2 avril 2024).

M. le président Thomas Gassilloud. Mes chers collègues, comme vous le savez, je me trouvais la semaine dernière en Pologne, en Ukraine, à Kiev et Odessa, et en Moldavie, et j’ai pu constater sur le terrain la forte motivation à gagner la guerre en cours. Les débats sont intenses au parlement ukrainien sur les questions de mobilisation. Une partie importante de ma visite a aussi concerné l’innovation et j’ai été assez impressionné par la façon dont les Ukrainiens travaillent notamment sur les drones : ils produisent chaque jour plusieurs milliers de drones, au travers de 150 entreprises, avec énormément d’innovations, parfois en lien avec des entreprises françaises. La situation sur place n’en reste pas moins assez compliquée. Une ville comme Odessa, où nous nous trouvions jeudi et vendredi, est chaque jour la cible d’une trentaine d’attaques de drones ou de missiles, ce qui implique de chaque fois gagner des bunkers ou des souterrains pour se protéger.

Je remercie les vice-présidents qui ont présidé les différentes auditions et je suis content notamment que celle qui portait sur la culture et la défense vous ait plu, car c’était un pari assez osé d’inscrire la culture dans nos travaux. J’essaye de mobiliser en ce moment Rachida Dati pour qu’elle puisse venir devant notre commission début juin.

Aujourd’hui, nous avons le plaisir d’accueillir M. le général de division Louis-Mathieu Gaspari, secrétaire général de la Garde nationale, et le général de brigade Frédéric Barbry, chef de la division « cohésion nationale » de l’état-major des armées, pour évoquer la question des réserves. Nous étions il y a une dizaine de jours en Italie et j’ai découvert que les Italiens n’avaient pas de réserve. Nous, nous en avons une, qui fonctionne bien et avec une forte ambition de doublement à l’horizon 2030. C’est pourquoi cette audition est importante, pour faire le point sur à la fois l’attractivité des réserves, leur équipement, leur formation et leur trajectoire de montée en puissance, puisque bien entendu, au-delà de l’ambition, il faut que nous nous en donnions les moyens.

Monsieur le général Gaspari, en tant que secrétaire général de la Garde nationale, vous êtes sans doute le plus à même de nous éclairer sur les mesures que vous mettez en œuvre pour développer l’attractivité de ces réserves. Nous serions particulièrement heureux de vous entendre à propos notamment des actions que vous menez à destination des entreprises et aussi des universités et des collectivités territoriales.

De votre côté, Monsieur le général Barbry, vous avez pris la tête de la nouvelle division « cohésion nationale » de l’état-major des armées et vous exercez également les fonctions de délégué interarmées aux réserves. Vous nous livrerez certainement les raisons qui ont conduit à la création de cette division et les éléments de sa feuille de route. S’agissant des réserves opérationnelles, vous nous parlerez sans doute des perspectives envisagées dans le cadre du plan réserves 2035, pour rendre les missions des réservistes encore plus attractives, et des éventuels défis que vous rencontrez pour remplir les objectifs ambitieux de montée en puissance de la réserve.

Peut-être l’un ou l’autre pourra-t-il nous parler aussi du cas particulier que représente le nouveau statut qui sera inauguré cette année au travers des volontaires de l’armée de terre pour le territoire national, notamment dans le cadre des Jeux olympiques et paralympiques. Je crois d’ailleurs qu’une compagnie de réservistes sera amenée à défiler lors du 14 juillet. Ce contrat permettra un engagement de quelques mois et ces réservistes pourront ensuite être reversés soit dans l’active soit dans la réserve avec un contrat classique.

M. le général de division Louis-Mathieu Gaspari, secrétaire général de la Garde nationale. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les présidents de groupe, Mesdames et Messieurs les députés, je suis très heureux en ma qualité de secrétaire général de la Garde nationale, de me retrouver dans cette salle de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale pour répondre aux questions que vous vous posez sur la défense globale. J’avais eu l’honneur il y a onze mois, pratiquement jour pour jour, de vous présenter la Garde nationale et de vous exposer mon ambition pour elle, dans le cadre de vos travaux sur la loi de programmation militaire. C’est avec un plaisir renouvelé que je me tiens devant vous aujourd’hui pour vous expliquer comment la Garde nationale que j’ai transformée en profondeur depuis que j’ai pris mes fonctions est un acteur de la défense globale, telle qu’elle est définie dans l’ordonnance du 7 janvier 1959.

Je suis intimement convaincu que la Garde nationale et son secrétariat général ne concourent qu’à un seul objectif : renforcer la résilience de notre pays et rehausser ses forces morales, afin de parvenir à une France unie et résiliente. Comme indiqué dans la dernière revue nationale stratégique, la Garde nationale et son secrétariat général sont des acteurs de la défense globale.

Je souhaiterais, Monsieur le président, saluer l’engagement remarquable des réservistes opérationnels qui donnent de leur temps et de leur énergie pour être utiles à leur pays et pour assurer la sécurité de nos concitoyens, ainsi que pour renforcer la protection de notre territoire, aux côtés bien évidemment de leurs frères d’arme. Leur engagement, que j’ai la chance de mesurer au cours de chacun de mes déplacements dans les territoires, force le respect et l’admiration. Permettez-moi également, Monsieur le président, de vous remercier, et vous aussi Mesdames et Messieurs les députés, pour le soutien résolu et constant que vous apportez à la Garde nationale et aux réserves opérationnelles depuis que j’ai pris mes fonctions.

La Garde nationale n’est assurément pas la garde nationale américaine, ni même celle de 1789 qui était dirigée par le marquis de La Fayette. Et elle n’est pas non plus la Garde républicaine. Elle a été créée en 2016, après la vague d’attentats terroristes qui a frappé notre pays et qui a poussé le président de la République de l’époque, Monsieur François Hollande, à créer un réceptacle pour toutes les énergies qui se sont alors manifestées et voulaient être utiles au pays. La Garde nationale est née exactement le 13 octobre 2016 par décret. Aujourd’hui, c’est le creuset fédérateur des réserves opérationnelles relevant du périmètre de sécurité et de défense, sans pour autant constituer un commandement organique et autonome.

Sa mission est simple : les réservistes opérationnels qui la composent concourent, le cas échéant par la force des armes, à la défense de la nation et à la sécurité de la population, ainsi qu’à la protection du territoire. Aujourd’hui, elle est forte de 80 000 réservistes opérationnels, 8 ans après sa création. Ils sont répartis à peu près équitablement entre le ministère des armées et le ministère de l’intérieur et des outre-mer. La Garde nationale dont j’ai la chance et l’honneur d’être le secrétaire général marche donc sur deux jambes. J’insiste sur un point : la préparation et l’emploi relèvent des prérogatives de chacune des chaînes opérationnelles.

Le secrétariat général constitue l’instance permanente de gouvernance de la Garde nationale dont j’assure la direction et qui est chargée de mettre en œuvre les politiques au titre des réserves qui ont été arrêtées par les deux ministres concernés et qui incluent le développement de nos partenariats. On me demande aussi de faire rayonner la Garde nationale, c’est-à-dire de la valoriser, de mieux faire connaître l’engagement au sein des réserves et de mettre en place des mesures d’attractivité qui permettent de recruter et de fidéliser des réservistes désireux de servir leur pays. En quelque sorte, le secrétaire général que je suis est un VRP de l’engagement, c’est-à-dire qu’on me demande de partager l’engagement au sein des réserves militaires et de le faire vivre pour que cette force puisse être utile au pays et apporter son concours en assurant la protection des Français et celle du territoire.

J’exerce mes fonctions dans un contexte inédit, dans la mesure où le président de la République a décidé de doubler les effectifs de réserve opérationnelle. Aujourd’hui, la Garde nationale compte 80 000 réservistes opérationnels ; demain, en 2030, elle en rassemblera 160 000, toujours à peu près équitablement répartis entre le ministère de l’intérieur et celui des armées. Toutefois, cette montée en puissance ne doit pas être considérée comme une fin en soi, mais elle doit bel et bien s’avérer utile pour faire face aux nouvelles menaces et répondre aux besoins opérationnels des forces armées et des forces de sécurité intérieure.

Les réservistes opérationnels de la Garde nationale sont des « citoyens augmentés » qui renforcent la résilience de notre pays. En donnant de leur temps et de leur énergie pour être utiles à leur pays, ils augmentent la surface de contact dans les territoires des armées, mais aussi des forces de sécurité intérieure. Ce sont des « citoyens augmentés » par la place singulière qu’ils occupent dans notre pays, dans la société et dans leur société. Ils sont à la charnière entre la nation, son armée et ses forces de sécurité. Leur positionnement leur permet donc de diffuser l’esprit de défense au sein de la société. Ils acquièrent aussi au contact des forces de sécurité intérieure des savoir-faire, mais surtout un savoir-être. Ces compétences acquises font d’eux des acteurs de la gestion des crises. Différents épisodes de crise ont en effet émaillé l’histoire de notre pays. Or les crises d’aujourd’hui ne se succèdent plus mais se superposent. Chaque fois, les réservistes opérationnels ont répondu présents pour aider à les gérer. Quand il faut gérer des crises, il convient de renforcer la cohésion nationale et de rehausser les forces morales de notre pays. Pour toutes ces raisons, les « citoyens augmentés » que sont les réservistes opérationnels de la Garde nationale renforcent indéniablement la résilience de notre pays.

Le développement de partenariats par le secrétariat général de la Garde nationale est un instrument au service de la défense globale. Il se traduit par la faculté totalement singulière de signer en bonne intelligence avec des employeurs, qu’ils soient publics ou privés, des conventions de partenariat pour permettre l’engagement de salariés et d’agents publics qui ont fait le choix de servir dans la réserve. L’idée est de poser un cadre juridique, normatif, qui puisse leur permettre d’effectuer des périodes de réserve dans de bien meilleures conditions que ce que la loi autorise. J’ai la faiblesse de penser que ce dispositif ne fonctionne pas mal. Un réserviste sur deux est aujourd’hui un actif, en effet. Il serait donc illusoire de croire qu’il soit possible de doubler les effectifs de la réserve opérationnelle sans travailler avec les employeurs. C’est la raison d’être essentielle du secrétariat général de la Garde nationale.

Cette stratégie partenariale se traduit par la signature de conventions de partenariat avec les entreprises, qu’elles soient privées ou publiques, les collectivités territoriales et également les établissements d’enseignement supérieur. En en signant une, les personnes morales s’engagent aux côtés de ceux qui s’engagent. Elles partagent alors la responsabilité collective de la défense globale. Autrement dit, en signant une convention de partenariat, les employeurs deviennent également des acteurs de la défense globale. Tout un écosystème facilite ainsi la montée en puissance des réserves opérationnelles, chacun détenant une partie du puzzle. Mon rôle consiste dès lors à assembler ces pièces en essayant de fédérer les énergies et de développer des synergies avec tous les acteurs de la réserve nationale.

À titre d’exemple concret, nous étions à Nîmes à la fin du mois de février et nous avons signé deux conventions de partenariat qui me semblent particulièrement emblématiques de ce que le secrétariat général de la Garde nationale peut accomplir : avec le CHU et avec l’agglomération de Nîmes. Chaque fois, elles permettent d’ouvrir trente jours à leurs salariés pour qu’ils puissent effectuer une période de réserve. Je vous rappelle que la loi autorise un salarié à aller voir son chef d’entreprise pour lui dire qu’il souhaite effectuer une période de réserve, mais seulement durant 10 jours. Les conventions de partenariat sécurisent donc totalement le statut juridique du réserviste. Elles reconnaissent également l’engagement citoyen de la personne morale signataire. C’est un dispositif gagnant/gagnant.

La stratégie partenariale que j’ai totalement rénovée repose sur deux piliers : une approche par les territoires – ce n’est en effet pas depuis Paris qu’il sera possible d’augmenter les effectifs de la réserve opérationnelle ; c’est au contraire dans les territoires que tout se joue, en parfaite osmose avec l’état-major des armées et avec le ministère des armées et le ministère de l’intérieur et des outre-mer ; les élus ont d’ailleurs un rôle à jouer en mettant leur réseau au service de la montée en puissance de la réserve opérationnelle – et une autre approche par les compétences. En effet, nous essayons aussi d’aller chercher des compétences qui n’existeraient pas dans les armées ou dans les forces de sécurité intérieure. Au niveau national, à peu près mille conventions de partenariat ont été signées depuis 2017. En 2023, j’en ai signé 169, alors que la moyenne atteignait 120 jusqu’à présent. Ce résultat est à mettre à l’actif de tout le réseau de la Garde nationale et de tous ses acteurs, et notamment des correspondants de la Garde nationale, qui sont des pivots et des relais de la Garde nationale au sein de tous les territoires. Aujourd’hui, l’enjeu est pour moi de développer ce réseau à l’outre-mer et auprès des Français de l’étranger.

J’ai signé ce matin une convention avec une société de transport, secteur en tension. La STEF nous a accueillis dans ses locaux du XVIe arrondissement, et j’ai signé cette convention en présence du directeur central du service de l’énergie opérationnelle. Pourquoi ? Parce que lui-même est extrêmement intéressé à disposer de réservistes possédant des compétences qui existent de manière native dans cette entreprise. Le président de celle-ci a décidé d’offrir 15 jours à ses salariés pour qu’ils puissent effectuer des périodes de réserve en maintenant l’intégralité de leur rémunération. Ce dispositif est gagnant/gagnant, car les entreprises qui optent pour ce partenariat bénéficient du label délivré par le ministère des armées, mais aussi du soutien aux politiques de réserve qui est éligible à la RSE. Les entreprises concernées peuvent ainsi consigner ce soutien dans leur déclaration de performance extra-financière.

Enfin, en contribuant aux travaux menés par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, le secrétariat général de la Garde nationale est aussi acteur de la réflexion sur la défense globale. Nous sommes acteurs dans la stratégie nationale de résilience, et nous montrons que nous sommes capables de produire du « jus de cerveau » pour montrer que les réserves contribuer à renforcer la résilience de notre Pays. Ces travaux étant quelque peu confidentiels et menés dans des cercles restreints, je ne m’étendrai pas plus ces sujets.

En conclusion, la Garde nationale – j’en suis intimement persuadé depuis que j’ai pris mes fonctions – joue un rôle clé dans la conception de la défense globale, en ce sens qu’elle démultiplie les capacités de résilience de la nation.

M. le président Thomas Gassilloud. Je vous remercie, mon général. Nous allons passer la parole au général Barbry, qui est à la tête de la nouvelle division « cohésion nationale », pour entrer dans le vif du sujet des missions et des nouvelles modalités d’organisation dans les armées. Vous aurez peut-être l’occasion d’aborder également les réserves de niveau deux et le logiciel ROC, qui avait comme belle promesse de recenser les compétences des différents réservistes pour permettre d’examiner comment les mobiliser davantage.

M. le général de brigade Frédéric Barbry, chef de la division « cohésion nationale » de l’état-major des armées. C’est au titre de délégué interarmées aux réserves que j’évoquerai avec vous la place qu’occupe la réserve des armées dans la défense globale. Je suis tout particulièrement honoré de prendre la parole dans le cadre de cette thématique, après avoir écouté attentivement les autorités civiles et militaires déjà auditionnées par vous.

La division « cohésion nationale » créée le 1er août 2023 est en charge à la fois de la réserve, de la politique des réserves et de la jeunesse, ainsi que des relations avec l’éducation nationale et les entreprises. Cette structuration permet de disposer d’un écosystème qui est parfaitement cohérent, tant les problématiques de la réserve sont étroitement liées à la jeunesse, en matière de recrutement notamment, et aussi aux entreprises, sur la thématique de l’emploi, évoquée par mon camarade. Nos actions sont conduites bien évidemment sans préjudice de celles de la Garde nationale, avec laquelle nous entretenons des liens tout particuliers et très étroits au quotidien.

Depuis la suppression de la conscription, la réserve a permis de renforcer les forces d’active sur un large spectre de missions et dans une logique majoritairement de complément individuel. Il ne faut pas oublier qu’avant la fin de la conscription, nous avions sept millions de réservistes et qu’aujourd’hui, nous sommes à plus de 40 000 en étant passé à un étiage de l’ordre de 30 000 réservistes.

Aujourd’hui, compte tenu des nouveaux enjeux et des nouvelles menaces, il paraît indispensable de pouvoir disposer d’une réserve rénovée, qui soit à la hauteur de ces nouveaux défis et qui permette de mieux contribuer à la résilience et à la défense de la nation. La loi de programmation militaire votée cet été nous procure le cadre général de l’action. Quantitativement, les différentes marches à gravir y sont inscrites. Dès 2024, les armées devront recruter 3 800 réservistes supplémentaires ; je devrais même dire avoir un solde positif de 3 800 réservistes supplémentaires, puisqu’avec un taux de fidélisation de cinq ans environ, il faut que nous renouvelions de 20 % notre stock annuel, c’est-à-dire concrètement que, cette année, nous allons devoir recruter 11 800 réservistes, soit 20 % de 40 000, plus le solde positif de 3 800. C’est extrêmement important à prendre en compte, puisqu’en 2030, avec un solde positif inscrit dans la loi de programmation militaire de 8 500, plus les 20 % que je viens d’évoquer avec vous, c’est environ 24 000 réservistes qu’il nous faudra recruter, c’est-à-dire sensiblement le même volume que la totalité du recrutement pour les armées d’active. C’est donc un défi majeur pour les armées, mais il sera soutenu par les avancées significatives contenues dans cette même loi de programmation militaire : relèvement de la limite d’âge à 72 ans, facilitation et augmentation de la durée de convocation des réservistes salariés à 10 jours – c’est une obligation pour toute entreprise de plus de 50 salariés –, augmentation du nombre de jours de convocation des anciens militaires – puisque nous étions sur un pas de 5 jours pour la durée de 5 ans pour les réservistes opérationnels de deuxième niveau (RO2) et que nous sommes passés à cinq jours par an pendant cinq ans, c’est-à-dire 25 jours –, grâce à l’élargissement des conditions d’accès à la réserve des militaires en situation de non-activité (congé pour convenance personnelle, congé de maternité ou de paternité), ainsi que des mesures d’attractivité et de fidélisation pour les réservistes, notamment la possibilité d’accéder au grade supérieur.

Au titre du code de la défense, article L. 4211-1, la réserve s’entend comme suit : la réserve opérationnelle comprend à la fois les volontaires qui ont souscrit auprès de l’autorité militaire un engagement à servir dans la réserve opérationnelle, dont les réservistes spécialistes, qui sont aujourd’hui à hauteur de 41 000, les anciens militaires soumis à l’obligation de disponibilité, qui étaient 63 000 au 31 décembre 2023, et une réserve citoyenne de défense et de sécurité comprenant les volontaires agréés, qui sont au nombre de 4 254 au dernier comptage annuel. Aujourd’hui, le ministère des armées compte un peu plus de 41 000 réservistes opérationnels de premier niveau (RO1), c’est-à-dire volontaires ayant signé un contrat dans la réserve pour une durée d’un à cinq ans. Depuis le début de l’année 2024, nous sommes sur une dynamique positive qui devrait nous permettre d’atteindre les 43 800 à la fin de l’année.

Si je dresse une carte d’identité très rapide, le réserviste est plus féminisé que son homologue d’active. Le taux de féminisation s’élève en effet à 23 % et il se porte à 33 % dès lors que nous avons affaire à des ab initio, c’est-à-dire en excluant les anciens militaires qui ont souscrit un engagement à servir dans la réserve (ESR). Le réserviste est aussi plus âgé que son camarade d’active d’environ 7 ans, la moyenne d’âge du militaire d’active étant de 32,5 ans, alors que celle du réserviste est de 39,8 ans, ce qui s’explique par sa typologie et notamment par la proportion d’anciens militaires d’active ayant signé un ESR. Sous réserve de l’incertitude liée à l’absence de déclaration des candidats, le réserviste ab initio est issu pour 42 % du secteur privé et pour 25 % du secteur public, dont 5,5 % pour le ministère des armées. Enfin, il est issu à 40 % environ de l’active et à 53 % de la société civile, le différentiel de 7 % correspondant à ceux qui sont issus du service national. Ce taux est en décroissance, puisque nous sommes passés ces cinq dernières années de 10 %, à 9 %, puis à 8 % et enfin à 7 %, et escomptons une extinction d’ici 5 à 6 ans.

Cette carte d’identité est appelée à se transformer. La réserve rénovée sera certainement plus féminisée, plus jeune, davantage issue de la société civile. L’état final recherché est en effet de l’adapter tant quantitativement – mais ce n’est pas un but en soi – que qualitativement aux besoins de nos armées et aux évolutions de notre société. À cet effet, son emploi sera accru et rénové dans ses missions, avec une réserve stratégique (dont la réserve territoriale) et une réserve de compétences.

Véritable réservoir de force, la réserve contribuera principalement avec ses unités constituées à remplir les deux fonctions stratégiques majeures : à la fois la fonction protection et résilience sur le territoire national, dans l’hexagone comme outre-mer, et la fonction intervention. Ces compléments individuels renforceront la résilience des armées tant dans les domaines organiques qu’opérationnels. Cette réserve repensée passera ainsi d’un modèle de complément à la constitution d’une réserve véritablement stratégique, selon un modèle fondé sur une meilleure intégration avec l’active.

Cette montée en gamme passe par la redynamisation de la réserve opérationnelle de deuxième niveau (RO2), celle qui regroupe les 63 000 réservistes anciens militaires d’active qui ont une obligation de disponibilité de 5 ans après leur départ de l’institution. Aujourd’hui, cette réserve monte en gamme et est obligatoirement rattachée au système d’information réservistes opérationnels connectés (SI ROC) et la loi de programmation militaire permet de mieux préparer ces réservistes. Non seulement nous avons multiplié le nombre de jours de convocation possible, mais nous avons également étendu le domaine d’opération. Auparavant, nous convoquions la réserve opérationnelle de deuxième niveau uniquement pour confirmer leurs adresses et pour vérifier leurs aptitudes. Désormais, nous pouvons les maintenir dans leur domaine de compétence, ce qui est une avancée notable. Cette RO2 doit être mieux préparée pour être en mesure de consolider les unités d’active et de réserve, et pour les régénérer en cas de conflit majeur.

Aujourd’hui, sur les 40 000 réservistes opérationnels de premier niveau, la réserve de complément et la réserve de compétences représentent 60 %, tandis que les unités élémentaires de réserve correspondent à 40 %. Le but de la montée en gamme est de basculer ce ratio et de passer à 40 % de réserves de complément et de compétences, et à 60 % d’unités élémentaires de réserve. Ces dernières se déclineront en unités équipées et entraînées dans les trois armées, directions et services, en constituant des réservoirs de forces pour renforcer la protection des installations militaires, opérer sur les zones arrière, compléter ou relever les unités d’active engagées en intervention. Chaque Armée, direction et service possède son propre plan de montée en puissance de ses unités. On peut ainsi citer l’armée de terre, qui va constituer à la fois des bataillons de réserve sur la base de ses brigades interarmes et des bataillons territoriaux puis, au fur et à mesure de la montée en puissance, des unités de combat. De son côté, la marine nationale créera des flottilles côtières notamment, sur la façade Atlantique en 2024, la Méditerranée en 2025 et la Manche en 2026, tandis que l’armée de l’air constituera vingt escadrons de réserve territoriale adossés aux bases aériennes. Les directions et services ne sont pas en reste, puisque chacun va créer des entités nouvelles. À titre d’illustration, le service de l’énergie opérationnelle créera dès 2027 une unité de soutien pétrolier auprès de la base pétrolière interarmées sur un modèle à parité entre réserve et active. Pour y arriver, des mesures nouvelles porteront notamment sur le recrutement, l’instruction et l’entraînement rénovés.

Le chantier est considérable et constitue un changement de paradigme, dans l’appréhension et l’emploi des réserves au sein des armées, mais au-delà de l’augmentation de la capacité opérationnelle, c’est aussi en termes d’externalité positive une augmentation de la surface de contact des armées auprès de la population civile, un moyen d’augmenter le niveau d’intégration des armées au sein de la nation, chaque réserviste étant un ambassadeur de l’institution. Ce défi ne saurait être relevé sans la mobilisation de tous les acteurs, internes bien évidemment, mais externes également, car ils sont la clé de l’emploi au juste niveau de la réserve rénovée.

M. le président Thomas Gassilloud. Vous avez parlé des escadrons de réserve territoriale et des flotilles, mais ils restent dans le cadre des engagements traditionnels. Dans l’armée de Terre, au contraire, un nouveau contrat voit le jour et prévoit un engagement de 4 mois. Pourriez-vous nous expliquer comment il fonctionnera et ce qui en est attendu ?

M. le général de brigade Frédéric Barbry. Sans préjuger des prérogatives des armées, directions et services, ce contrat n’est pas stricto sensu un contrat de réserviste. Je ne suis pas le plus à même de pouvoir l’évoquer. Pour autant, il s’agit d’un contrat extrêmement intéressant, puisque ce sera le marchepied à un engagement, que ce soit dans l’active ou dans la réserve. C’est un segment qui manquait, puisqu’auparavant, les volontaires de l’armée de terre avaient des contrats qui n’allaient pas en-deçà d’une année. L’armée de Terre a considéré qu’il était intéressant de pouvoir proposer cette offre supplémentaire, qui sera effectivement testée et validée dès les Jeux olympiques.

M. Philippe Sorez (RE). Messieurs les généraux, je vous remercie pour votre présentation. Permettez-moi au nom du groupe Renaissance de vous rappeler l’attachement que nous avons en faveur des militaires de la Garde nationale.

À plusieurs reprises, M. le général Gaspari a signalé que la politique partenariale matérialisée par la signature de conventions entre le ministère des armées, les entreprises et les collectivités constituait le principal levier de transformation de la Garde nationale. Monsieur le général Gaspari, j’aimerais vous poser plusieurs questions à ce sujet. Tout d’abord, pourriez-vous nous expliquer en quoi cette politique partenariale dont vous avez esquissé les grandes lignes dans vos remarques préliminaires est un mécanisme gagnant/gagnant, comme vous l’avez dit et comme vous l’aviez dit dans le passé aussi ? Autrement dit, comment bénéficie-t-elle concrètement aux salariés réservistes, aux entreprises et aux armées ? De plus, pourriez-vous nous informer sur les actions concrètes en ce qui concerne la territorialisation d’une part et l’approche par les compétences d’autre part, visant à renforcer cette stratégie partenariale ? Par exemple, qu’en est-il du développement de la Garde nationale dans les territoires d’outre-mer ou du recrutement de réservistes spécialistes de l’industrie ?

Monsieur le général Barbry, la cible du plan réserves 2035 consiste à doubler le nombre de réservistes opérationnels pour atteindre quatre-vingt mille en 2030 et cent cinq mille en 2035. Le taux de fidélisation des réservistes vous semble-t-il confirmer cette montée en puissance ? Ensuite, concernant le système ROC, pouvez-vous nous en dire plus sur les avancées et les futurs axes de travail portant sur l’efficacité de cette interface ?

M. le général de division Louis-Mathieu Gaspari. Merci, Monsieur le député, pour ces questions précises. Je vais essayer d’y répondre de la manière la plus claire possible. La politique partenariale que le secrétariat général de la Garde nationale met en œuvre est vraiment un dispositif gagnant/gagnant. Tout le monde s’y retrouve, parce que la convention de partenariat qui est signée par une personne morale sécurise totalement le statut juridique des réservistes. Le réserviste sait qu’il est autorisé par son chef d’entreprise à faire quinze, vingt ou trente jours de réserve sans que son contrat de travail soit rompu et sans être obligé de prendre des jours de congé ou de RTT. Aujourd’hui, les chefs d’entreprise maintiennent entièrement la rémunération de leurs salariés lorsqu’ils font une période de réserve. Le salarié continue de toucher son salaire et reçoit en plus les émoluments que l’armée lui accorde, cette somme étant totalement défiscalisée. C’est une plus-value énorme.

Aujourd’hui, un salarié se doit de prévenir son employeur avec un préavis de quatre semaines. Là encore, la convention de partenariat permet de réduire ce préavis en fonction des circonstances. La moyenne aujourd’hui est de trois semaines. Nous en avons donc gagné une. Le chef d’entreprise peut aussi laisser son salarié partir beaucoup plus vite, par exemple s’il s’agit d’aller éteindre un feu de forêt, parce que sa marque employeur s’en trouvera valorisée. Le réserviste n’éteindra pas l’incendie, mais il aidera les pompiers à y parvenir. Lorsque le chef d’entreprise maintient tout ou partie de la rémunération de son salarié réserviste, c’est considéré comme du mécénat et c’est donc éligible à une réduction d’impôts. Le système est un peu complexe, mais en fin de compte le chef d’entreprise économise de l’argent. La RSE est aussi un dispositif extrêmement vertueux et intéressant pour convaincre les chefs d’entreprise qui hésiteraient à soutenir les réservistes opérationnels. Depuis la transposition d’une directive européenne, au mois de décembre 2023, le soutien aux politiques de réserve devient en effet un critère éligible à la RSE. Le chef d’entreprise peut donc l’indiquer dans sa déclaration de performance extra-financière.

Le label Partenaire de la défense nationale délivré par le ministère des armées représente aussi un plus et les entreprises peuvent concourir au prix de la Garde nationale, qui est remis chaque année par le ministre des armées. Parmi les entreprises qui contribuent particulièrement, il en est aussi de toutes petites. En 2021, le ministre a ainsi remis ce prix à une entreprise qui ne comptait que cinq employés et un réserviste, soit 20 % de son effectif, effort extrêmement important qui explique notre choix.

En ce qui concerne l’approche par les compétences, nous constatons aujourd’hui que, dans les armées et les forces de sécurité intérieure, toutes les compétences n’existent pas de manière native et que les créer coûterait de l’argent et prendrait du temps de formation. En allant chercher des compétences qui existent ici ou là, nous enrichissons au contraire les armées et les forces de sécurité intérieure. Des métiers en tension ont été identifiés (transports, santé, cyber, maintenance aéronautique, restauration, etc.). Tisser des partenariats avec des entreprises détenant ces savoir-faire s’avère extrêmement vertueux, car l’approche par les compétences permet de répondre à un besoin spécifique des armées ou des forces de sécurité intérieure. Aujourd’hui, je cherche d’ailleurs plus à travailler dans ce sens qualitatif qu’à viser la quantité. Les armées s’enrichissent de toutes ces compétences qu’elles ne détiennent pas. De plus, les réservistes jouent un rôle de charnière entre la nation et ses armées.

Étendre mon réseau de correspondants de la Garde nationale dans les outre-mer est un axe fort, car ce sont des pépites. Elles ont un système de résilience dont nous gagnerions parfois à nous inspirer. Nous avançons petit à petit. En juillet 2023, la Garde nationale a ainsi signé une convention de partenariat avec l’université de Cayenne et, en décembre 2023, le ministre des armées a signé 12 partenariats en Nouvelle-Calédonie. Nous étendons petit à petit notre réseau.

M. le président Thomas Gassilloud. Merci, mon général. Si j’ai bien compris, notre collègue parlait aussi de la réserve industrielle de défense. Pourriez-vous nous en dire un mot ? S’agit-il d’une réserve militaire mise au service de l’industrie et doit-elle intégrer le périmètre de la Garde nationale ?

M. le général de brigade Frédéric Barbry. Effectivement, une montée en gamme de cette réserve particulière, gérée et commandée par le délégué général pour l’armement, est prévue à terme. En 2030, la cible est de 2 940 réservistes industriels de la défense. Les premiers ont été recrutés par l’armée de terre, parce que, dans ses statuts, la délégation générale pour l’armement ne peut accueillir que des ingénieurs. Cinq ont été recrutés dans l’entreprise Scania et leurs contrats ont été signés conjointement avec mon camarade de la Garde nationale. Ces réservistes ont pour mission de venir travailler une dizaine de jours auprès de la base industrielle et technologique de la défense et auprès de structures étatiques. En fonction du secteur d’activité, le gestionnaire sera l’une des trois armées.

M. le président Thomas Gassilloud. Il s’agit donc d’une réserve militaire qui sera mise à disposition d’entreprises civiles. Comment se dérouleront les missions ?

M. le général de brigade Frédéric Barbry. Il s’agit bien d’une réserve militaire. Les réservistes ont signé un engagement à servir dans la réserve et, à ce titre, ils font pleinement partie des effectifs qui sont pris en compte dans la réserve opérationnelle par le secrétariat général de la Garde nationale. Ils ont pour vocation, dans le cadre d’une économie de guerre, d’apporter des compétences aux industriels étatiques et privés.

Concernant la fidélisation, il s’agit d’atteindre en 2030 la cible de quatre-vingt mille réservistes opérationnels et celle de cent cinq mille en 2035. Le défi est considérable. Aujourd’hui, un réserviste s’engage pour une durée moyenne de cinq ans. Nous devons donc renouveler les effectifs à hauteur de 20 % tous les ans. C’est quasiment un seuil critique, raison pour laquelle il nous faut augmenter notre capacité à fidéliser. Nous y réussirons d’une part en anticipant davantage sur les calendriers de mise en œuvre des différentes missions proposées aux réservistes et en leur apportant une encore meilleure considération. C’est tout l’intérêt de ce plan que d’avoir une réserve rénovée, qui soit mieux formée, mieux équipée et qui pourra s’épanouir encore davantage. Au terme d’un sondage réalisé auprès de 38 000 réservistes et avec un taux de réponse de 50 %, nous obtenons un taux de satisfaction de 90 %, tandis que 98 % des employeurs militaires sont contents des réservistes qu’ils emploient au quotidien. Il nous faut impérativement poursuivre ces efforts.

Quant au SI ROC, il a été créé en 2017 et était prévu initialement pour les gestionnaires. Il a servi également aux utilisateurs, grâce à une interface web dans un premier temps. L’application qui pourra être téléchargée sera disponible avant l’été. C’est une avancée majeure, puisqu’elle permettra à la nouvelle génération de pouvoir entretenir un lien quasi permanent avec l’employeur militaire. Le SI ROC est également en pleine phase de montée en puissance, puisqu’avant l’été, nous disposerons d’un nouveau module (Infocentre) qui nous permettra de piloter la performance de la réserve en temps réel. Nous y adjoindrons aussi des modules de compétences. Nous voulons en effet pouvoir aller chercher la réserve dont nous avons besoin sur des segments critiques. En lien avec la direction des ressources humaines du ministère de la défense, nous avons réalisé une cartographie des métiers les plus en tension. À partir de cinquante spécialités critiques, nous avons établi un plan d’action, ce qui implique un partenariat avec notre camarade de la Garde nationale.

Mme Caroline Colombier (RN). Au nom de mon groupe, je souhaite tout d’abord vous remercier pour vos propos très enrichissants sur le rôle des réserves et de la défense globale. Nous sommes en effet très attachés à cette dimension de notre modèle d’armée qui permet à chaque citoyen français de servir son pays selon ses disponibilités et ses compétences. Nous tenons à saluer tous ces militaires réservistes qui, aux côtés de leurs camarades d’active, assurent bien souvent des missions de premier plan, particulièrement ces dernières semaines avec le relèvement du plan Vigipirate à son niveau le plus haut et à l’approche des Jeux olympiques, où ils seront fortement mobilisés. Les réserves contribuent donc à cette incarnation du lien de notre armée avec la nation française auquel nous sommes très attachés.

J’aimerais vous interpeler sur les standards de recrutement des réserves. Tels que fixés par les textes, ils étaient un doublement d’ici 2030, soit 80 000, puis 105 000 en 2035, pour atteindre l’objectif d’un pour deux militaires d’active. La cible d’augmentation pour 2024 était fixée à 3 800, vous l’avez confirmé. Le tiers d’année déjà écoulé vous laisse-t-il optimiste quant à l’atteinte de cette cible ? Ne craignez-vous pas que ces objectifs de recrutement affaiblissent les critères de sélectivité, mais aussi de former des réservistes sans perspective d’employabilité, comme c’est le cas avec la PMS état-major de la marine nationale, ou de créer des postes artificiels pour remplir la cible ? J’allais vous interroger sur le nombre de conventions signées, mais vous avez répondu. Enfin, pouvez-vous nous dire un mot sur les réservistes du service de l’énergie opérationnelle, les besoins, la cible de recrutement et leur employabilité ?

M. le général de brigade Frédéric Barbry. Je confirme les cibles que vous mentionnez. Les marches sont fixées dans la loi de programmation militaire (3 825, 4 400, 5 500, 6 500, 7 500 et 8 500). Les militaires sont très pragmatiques. Nous sommes sur une belle dynamique, puisque nous avons atteint un solde positif en 2023 de 2 400 engagements à servir dans la réserve, ce qui est déjà considérable. Aujourd’hui, les premiers chiffres nous donnent à penser que nous avons des chances sérieuses d’atteindre la cible. Il n’y a pas d’effet d’éviction entre l’active et la réserve. Ce sont deux engagements à la fois séparés et complémentaires, dans cette vision de l’engagement qui est chère à notre jeunesse, dont il ne faut pas désespérer et qui montre au quotidien toute sa fougue et son allant, que soit dans l’active ou dans la réserve.

Vous évoquez enfin une artificialisation des postes. À mon niveau, je la vois d’autant moins que les projets foisonnent, avec la création d’entités nouvelles. Tout est mis en œuvre pour que chaque jour d’activité de la réserve soit utilisé à bon escient. Le nombre moyen de jours d’activité réalisés par les réservistes opérationnels s’établit à 36,2 en 2023, ce qui constitue la cible que nous attendions.

M. le général de division Louis-Mathieu Gaspari. Tout à l’heure, j’ai parlé de mille conventions, mais un peu plus ont été signées. 70 % l’ont été avec des entreprises (PME, ETI et grands groupes), 25 % avec des collectivités territoriales et 5 % avec des établissements d’enseignement supérieur. Une de mes priorités est de développer les liens avec les collectivités territoriales, car ce sont les premiers acteurs de la résilience dans les territoires. Une collectivité territoriale où il y a des réservistes me semble mieux armée pour faire face à un événement perturbateur. Mon autre priorité est de signer plus de conventions avec des établissements d’enseignement supérieur. L’expérience montre en effet que fidéliser des jeunes est plus facile, en tenant compte d’indisponibilités temporaires pour cause de mariage ou de changement d’emploi.

Aujourd’hui, de plus en plus de chefs d’entreprise, de patrons de collectivités territoriales, de chefs d’établissements d’enseignement supérieur s’engagent pour soutenir leurs salariés, leurs agents et leurs étudiants qui ont fait le choix de la réserve.

M. le général de brigade Frédéric Barbry. Je vous remercie de citer le service de l’énergie opérationnelle, qu’on oublie trop souvent, alors qu’il effectue au quotidien un travail de soutien remarquable. En 2024, la cible est de 187 ; en 2030, elle est de 354 et en 2035 de 710. Ce service est en marche vers la révolution de la réserve, avec notamment la constitution d’une base pétrolière interarmées à parité entre réservistes et personnels d’active.

M. le général de division Louis-Mathieu Gaspari. Ce matin, le directeur central de ce service m’expliquait d’ailleurs qu’il avait besoin de personnes en capacité d’assurer le transport de matières dangereuses.

M. Emmanuel Fernandes (LFI-NUPES). On le sait au moins depuis la Révolution française, ce sont les nations qui font les guerres et pas seulement les armées. Dans cette optique, la cohésion nationale est essentielle et le rôle joué par la réserve est primordial. Je reviendrai sur l’idée d’une conscription citoyenne pour renforcer la structure de la défense nationale. Merci en tout cas pour vos propos éclairants sur ce sujet hautement intéressant et déterminant pour nos armées.

Vous affirmiez, Monsieur le général Gaspari, dans une audition du 3 mai 2023, dans le cadre de la préparation de la loi de programmation militaire, que le SNU constitue un tremplin vers l’engagement, qu’il soit civil ou militaire. Comment voyez-vous les choses concrètement, sachant qu’il concerne des adolescents de 16 ans ? Sans instruction militaire, c’est impossible à mener en douze jours, alors même que les militaires nous disent être majoritairement réticents. Un tremplin de cette sorte est-il de nature à susciter de futurs « citoyens augmentés » ? Pensez-vous que le SNU est une initiative à soutenir ?

L’objectif est de disposer de 105 000 réservistes d’ici à 2035. Il est ambitieux, mais les moyens pour y parvenir le sont-ils autant ? A-t-on des personnels encadrants et formants pour garantir des moyens à la hauteur des missions assignées aux réservistes ? Comment financer correctement cette ambition ? La loi de programmation militaire est-elle suffisante ? Le Conseil d’État affirmait que non. Qu’en pensez-vous ?

Les missions des réservistes ne méritent-elles pas d’être diversifiées ? Vous l’avez dit, nous sommes dans un monde qui enchaîne les crises et qui les voit s’articuler pour devenir systémiques. Nous avons ainsi un besoin important de forces de sécurité civile, de personnels formés à gérer des crises issues des bouleversements climatiques qui frappent déjà notre pays et qui le feront à l’avenir plus fort et plus vite encore, sans compter les crises cyber, terroristes, humanitaires, etc. Nous avons besoin de cet engagement, mais il doit être élargi, renforcé, il doit être plus solidaire, plus populaire, qu’il soit civil ou militaire. Et c’est tout le sens de la conscription citoyenne proposée par La France insoumise-Nupes et qui, selon nous, serait d’une durée de neuf mois, rémunérée au Smic et à réaliser entre 18 et 25 ans. Elle répondrait bien davantage aux enjeux de demain que le SNU ou les réserves sous leur format actuel.

M. le général de division Louis-Mathieu Gaspari. Effectivement, le 3 mai 2023, j’avais de mémoire parlé du service militaire adapté et du service militaire volontaire, en disant qu’ils constituaient des tremplins pour l’insertion et j’avais dit que le SNU était un tremplin pour l’engagement. Je voulais dire d’engagements divers et variés. Tout ce que nous souhaitons, c’est que notre jeunesse s’engage d’une manière ou d’une autre. Si c’est dans la réserve militaire, je serai le premier content, mais l’important est de faire vivre dans nos plus jeunes générations la flamme de l’engagement qui est enfouie en chacun de nous. Il faut juste l’éveiller, l’attiser pour faire comprendre que l’engagement a du sens aujourd’hui. Le SNU peut effectivement constituer un moyen de susciter cet engagement.

Je citerai aussi l’exemple de la classe de défense et de sécurité globales que la Garde nationale parraine. Nous avons décidé collectivement de parrainer une classe de jeunes entre 14 et 16 ans qui pourraient donc avoir le profil que vous évoquez, mais qui sont dans un territoire qui peut paraître compliqué, dans le 93, à Sevran. Depuis octobre 2023, nous avons débuté avec eux une itinérance, un parcours. Le nom de l’établissement concerné est Blaise Cendras. Nous avons donc repris l’expression qui lui était chère : nous « bourlinguons » avec eux en les emmenant dans différents endroits. Je puis vous assurer que, quand nous les emmenons aux Invalides, dans une brigade de sapeurs-pompiers de Paris, sur une base aérienne, comme nous l’avons fait à Villacoublay, il se passe quelque chose. Ils se disent : « Ah oui, quand même… » Chaque fois, nous faisons passer un message fort. Aux Invalides, nous leur avons fait toucher du doigt que les armées ne laissent tomber personne, quand il y a un blessé. Sur la base aérienne, nous avons montré à ces jeunes qui viennent d’une filière électro-technique que, si les avions décollent, c’est parce qu’il y a derrière une armée d’électriciens et de mécaniciens qui met en condition les appareils. Cette jeunesse, même si elle est sur un territoire qui peut paraître compliqué, est attachante par ses capacités à s’ouvrir vers l’extérieur que n’ont peut-être pas ou moins certains adultes. Cela me remplit d’optimisme et je me dis que, si le SNU peut être un tremplin pour l’engagement, alors allons-y, pourquoi pas ?

M. le général de brigade Frédéric Barbry. La réserve rénovée a justement vocation à multiplier le spectre des missions confiées aux réservistes. Nous sommes bien sur une unicité, une communauté de destins. Nous ne faisons pas de différence entre armée de réserve et armée d’active. L’active et la réserve cheminent et réalisent leurs missions conjointement. Sinon, il n’y aurait pas d’esprit de corps et les armées y perdraient leur ADN. Tout l’intérêt pour nous est de pouvoir effectuer cette démarche de recherche de compétences pour aller chercher les spécialités critiques dont nous avons besoin.

La loi de programmation militaire a alloué des moyens à la réalisation de cette ambition et, vous le savez, ces derniers sont revus annuellement. La loi de finance initiale octroyait 193 millions d’euros. Compte tenu des mesures de rehausse et de l’emploi accru, nous avons bien vu qu’il fallait revoir cette somme. Plusieurs millions d’euros supplémentaires ont donc été alloués pour la réalisation de cette mission et pour permettre le juste emploi au bon niveau de la réserve, afin qu’elle puisse continuer à réaliser en moyenne ses 35,6 jours d’activité.

M. le président Thomas Gassilloud. En complément, je rappelle que l’objectif de ce cycle d’auditions est de promouvoir l’engagement de chacun pour une défense nationale efficace. Pour autant, l’ambition sur la réserve ne doit pas conduire à déresponsabiliser les ministères civils sur leur capacité à faire face à un choc. Les missions de la réserve doivent rester de nature militaire et, en même temps que nous la développons, nous devons dire à chaque ministère qu’il a une responsabilité dans le cadre de la défense globale de prévoir les modalités de remontée en puissance, si toutefois un jour nous étions face à une situation exceptionnelle, et non pas tomber dans le piège de dire que, comme les armées ont développé une réserve opérationnelle, si toutefois un jour nous étions face à un choc, elles l’absorberont.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Nous sommes évidemment sensibles au potentiel des réserves opérationnelles, qu’il s’agisse de leur utilité opérationnelle ou, comme vous l’évoquiez, Monsieur le général Gaspari, de l’augmentation de la surface de contact. Je ne pouvais qu’être très sensible à ce que vous avez dit sur le service de l’énergie opérationnelle. Ce sont les seules emprises militaires que j’ai sur mon territoire avec le centre de Varennes-sur-Seine. C’est l’occasion de leur rendre hommage.

Les conventions de partenariat sont évidemment très utiles. Nous voyons bien, c’est le cas dans mon département de Seine-et-Marne, comment cela se passe avec les collectivités territoriales. En revanche, pourriez-vous nous expliquer, pour les entreprises, l’organisation au niveau des territoires ? Qui va démarcher les entreprises ? Avez-vous des éléments statistiques sur les strates d’entreprises ou sociologiques ? Un ancien saint-cyrien qui dirige une entreprise, cela peut faciliter les choses. Vous parliez d’avantage fiscal. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Un exercice Vulcain a été mené avec les réserves. Pourriez-vous nous présenter un petit retour d’expérience de ce qu’il a donné ?

Pour augmenter la surface de contact, pensez-vous ou non qu’il serait utile de rendre obligatoire dans tous les collèges ou dans tous les lycées au moins une classe de défense ? C’est une magnifique réalisation. Malheureusement, elle suppose des volontaires.

Enfin, pourriez-vous nous expliquer comment les bataillons territoriaux s’articuleront par rapport à la DOT globale et à la gendarmerie ?

M. le général de division Louis-Mathieu Gaspari. La Garde nationale est territorialisée. À cet effet, j’anime un réseau de correspondants qui sont les pivots de notre stratégie territoriale. Nous sommes allés au niveau des zones de défense, au niveau des régions administratives et maintenant nous allons au niveau des départements. Ces correspondants sont des réservistes opérationnels, des citoyens qui parfois sont eux-mêmes des chefs d’entreprise. Ils connaissent donc parfaitement bien le tissu socio-économique de leur territoire et sont à même de pouvoir engager des discussions avec des chefs d’entreprise pour signer des conventions de partenariat, mais le CGNE n’agit pas tout seul. Il n’est pas hors sol, mais appartient à un écosystème très large. Vous avez la chaîne d’organisation territoriale interarmées de défense (OTIAD) et les fameux délégués militaires départementaux (DMD). Mon rôle consiste à développer des synergies entre tous ces acteurs, pour que, la force des réseaux étant démultipliée, nous arrivions à signer un nombre plus important de conventions de partenariat. C’est toute une alchimie, un écosystème qu’il faut animer. Je le fais volontiers, en liaison avec l’état-major des armées en ce qui concerne la chaîne OTIAD. C’est très vertueux. J’ai ainsi pu constater par exemple à Lyon ou à Bordeaux récemment que, quand tout le monde apporte sa pierre, les résultats sont excellents. Le secrétariat général de la Garde nationale est en quelque sorte un rouleau compresseur qui avance et développe sa stratégie partenariale.

Quand un chef d’entreprise décide de maintenir tout ou partie de la rémunération d’un salarié réserviste, c’est considéré comme du mécénat et cela ouvre droit à une réduction d’impôts, à hauteur de 60 % de la somme totale versée.

M. Jean-Louis Thiérot (LR). Nous avons vraiment intérêt à ce que le DMD communique davantage.

M. le général de division Louis-Mathieu Gaspari. Le correspondant de la Garde nationale n’est pas le DMD. En tout cas, mon rôle consiste à développer les synergies entre tous ces acteurs des réserves dans les territoires.

M. le général de brigade Frédéric Barbry. Monsieur le député, vous avez évoqué un exercice Vulcain, qui a effectivement été monté par la 4e brigade d’aérocombat dans l’Allier, près de Moulins. Il consistait à mettre en œuvre un état-major tactique de réserve (EMTR) qui faisait lui-même manœuvrer les escadrilles de réserve venant des trois régiments d’hélicoptères de combat. Le but était d’effectuer, dans le cadre d’une mission de type DOT, une surveillance de terrain en étroite collaboration avec à la fois les forces de sécurité intérieure, tous les acteurs de la chaîne de défense civile et la préfecture, qui avait monté son centre opérationnel. Cet exercice était quasi simultané avec un autre, l’exercice Vésinet, qui avait été mis en œuvre par la 2e brigade de blindés, à Strasbourg, et répétait sensiblement les mêmes savoir-faire. Cela montre toute la pertinence et le caractère très opérationnel d’un état-major composé à 100 % de personnels de réserve, mais capable de manœuvrer et d’avoir des effets tactiques sur le terrain.

Aujourd’hui, il existe en France 770 classes de défense, dispositif parfaitement vertueux mais qui n’est pas du ressort exclusif des armées, puisque le ministère de l’intérieur est présent. J’appelle votre attention sur le fait qu’il existe 6 950 collèges et 3 750 lycées, soit 10 000 établissements. Si nous étendons ce dispositif à l’ensemble d’entre eux, un problème de saturation risque de se poser. Une étude d’impact s’imposerait.

Enfin, les bataillons territoriaux traduisent une volonté de l’armée de terre afin que la réserve opérationnelle monte en gamme et en puissance. Des bataillons de réserve sont attachés aux brigades interarmes. En 2025-2026, six nouveaux bataillons de réserve seront rattachés aux brigades spécialisées. Et, à la fin de la loi de programmation militaire, les bataillons territoriaux reprendront pour modèle le régiment d’infanterie situé en zone de défense et de sécurité Île-de-France et qui constitue une sorte de laboratoire. Six autres seront également créés, chacun attaché à une zone de défense et de sécurité.

Mme Josy Poueyto (Dem). Merci à tous les deux pour la qualité de vos interventions.

Vous nous avez dit, Monsieur le général Gaspari, avoir constaté un engagement plus marqué des personnes morales. À quoi est-ce dû ? Comment se traduit-il et n’est-il pas moyen de lutter contre le scepticisme ambiant sur la capacité de notre nation à faire corps ?

Quel devenir voyez-vous pour la Garde nationale ? Quel est son lien avec le SGDSM, dont nous avons reçu le secrétaire général ?

Plus généralement, Monsieur le général Barbry, avez-vous le sentiment que les armées, directions et services sont au rendez-vous de l’ambition qu’est la défense globale ?

Enfin, j’aurais envie de vous demander à tous les deux quelle définition vous donnez à la défense globale.

M. le général de division Louis-Mathieu Gaspari. Je constate en effet un engagement plus marqué des personnes morales et il s’explique par le contexte qui est émaillé des difficultés que j’ai évoquées. Le contexte international est extrêmement troublé, avec le retour de la dynamique du rapport de force dans le règlement des oppositions inter-étatiques. Nous l’avions tous perdue de vue, mais elle revient de manière prégnante. Les chefs d’entreprise, les présidents de collectivité territoriale et les présidents d’université s’engagent résolument, parce qu’ils estiment qu’ils doivent soutenir leurs collaborateurs qui ont fait le choix d’être utiles à leur pays en rejoignant la réserve opérationnelle. Certes, le nombre de conventions signées chaque année augmente, mais je reçois aussi de plus en plus de sollicitations. Des chefs d’entreprise me demandent ainsi de présenter la valeur de l’engagement dans la réserve opérationnelle des armées. Cela n’existait pas auparavant. Des afterworks sont même organisés dans les entreprises pour faire coïncider l’offre et la demande. Quelles sont les compétences détenues par les salariés d’une entreprise, dans le domaine de l’intelligence artificielle ou du nucléaire par exemple, et quels sont les besoins des employeurs militaires ?

Jusqu’à présent, la moyenne des conventions de partenariat se situait à 19 jours. Dans les deux dernières que nous avons signées à Nîmes, nous sommes partis sur une base de 30 jours. Les chefs d’entreprise se montrent ainsi plus « généreux » pour soutenir leurs salariés souhaitant rejoindre la réserve. C’est à mettre aussi en relation avec les liens que nous avons tissés avec les élus des territoires. Cet écosystème est totalement acquis à la valeur de l’engagement et chacun apporte sa pierre à l’édifice.

M. le président Thomas Gassilloud. Vous avez bien dit que le SGGN n’était pas un commandement, puisque la préparation et l’emploi des forces relevaient des chaînes opérationnelles. Que pensez-vous de ce modèle ? Estimez-vous qu’il faudrait aller plus loin, avec une réserve plus intégrée, à l’image de la garde nationale américaine ? Ou bien êtes satisfaits de ce modèle et des équilibres qui ont été trouvés ?

M. le général de division Louis-Mathieu Gaspari. L’édifice a 8 ans d’âge et je pense qu’après 8 ans, on n’a pas encore totalement atteint sa maturité. Il faut en tout cas que je consolide ces fondations sur lesquelles je construis l’avenir, pour que demain autre chose puisse être envisagé, mais ce ne sera pas avant 10 ou 20 ans. Il faut que la Garde nationale créée en 2016 trouve définitivement sa place dans l’ecosystème des réserves et qu’elle puisse être utile au pays. Le secrétariat général n’existe pas pour lui-même, mais parce qu’il a une mission à remplir : être utile au pays. Or, aujourd’hui, tout n’est pas consolidé pour me permettre d’envisager une évolution.

En ce qui concerne le travail avec le SGDSN, nous sommes associés à la réflexion sur la stratégie nationale de résilience dans l’hypothèse d’engagements majeurs. De premiers travaux ont été conduits de septembre 2022 à mars 2023, et ils ont débouché sur l’exercice Orion 23. Nous avons été chargés de piloter un groupe de travail baptisé « Épaisseur RH et mobilisation de la réserve ». Nous avons essayé de dresser une cartographie de l’ensemble des réserves qui existent sur le territoire national. Il en existe vraiment beaucoup et nous avons constaté un défaut de gouvernance. Nos travaux nous ont en tout cas permis de tisser des liens avec les responsables de ces réserves pour examiner ce que nous pourrions faire s’il y avait demain une crise qui les solliciterait en cas de mobilisation générale des armées et des forces de sécurité intérieure.

M. le général de brigade Frédéric Barbry. Concernant le point de rendez-vous des armées, directions et services, je dirais que les armées sont mobilisées pour recruter des réservistes et pour communiquer. Elles ont mis en place des dispositifs novateurs que j’ai évoqués. Jusqu’à cette année, la marine nationale n’avait pour seule réserve que d’anciens marins d’active. C’est en train de changer avec la constitution des flotilles. Elle s’ouvre à des recrutements ab initio. C’est un changement de paradigme complet, une véritable rupture. Les armées, directions et services sont engagés tant d’un point de vue quantitatif que qualitatif, car il s’agit de rehausser la capacité d’engagement opérationnel des forces armées françaises.

Pour répondre à votre question sur la défense globale, madame la députée, je reprendrai les propos du général Durieux, qui a tracé quatre cercles concentriques : défense militaire, défense nationale, sécurité nationale et sécurité internationale. La défense globale est à trouver à l’intersection de ces cercles et également en matière de cohésion. Cohésion et résilience sont deux principes physiques, la cohésion consistant à agglomérer des particules différenciées et la résilience à retrouver son état initial. La défense globale vise à atteindre au sein de la population française cet état de cohésion qui lui permettra d’aboutir à la résilience.

M. Xavier Batut (HOR). Je voudrais tout d’abord vous remercier pour votre disponibilité et vos propos liminaires. Dans un contexte géopolitique instable et face à des défis sécuritaires en constante évolution, il est essentiel d’explorer les différentes initiatives visant à renforcer notre résilience nationale. À cet égard, je souhaite aborder la politique partenariale menée sur l’ensemble du territoire par le secrétariat général de la Garde nationale, notamment en ce qui concerne les entreprises partenaires de la défense. En effet, la direction générale de l’armement a lancé la réserve opérationnelle de la défense, avec un objectif de 3 000 réservistes d’ici 2030, pour permettre de renforcer l’industrie de l’armement en cas de crise majeure. Dans ce cadre, pouvez-vous nous détailler les principaux mécanismes mis en place pour faciliter l’engagement de ces réservistes un peu particuliers ?

M. le général de division Louis-Mathieu Gaspari. Ma réponse s’appuiera sur la journée du 5 octobre 2023, au cours de laquelle la réserve industrielle de la défense a été lancée officiellement. Les réservistes issus de la société Scania évoluent dans un cadre juridique totalement sécurisé et leur chef d’entreprise leur laisse une douzaine ou une quinzaine de jours pour qu’ils puissent travailler au profit de l’organisme de maintenance de l’armée de terre. Nous en sommes au départ.

M. le général de brigade Frédéric Barbry. Pour lever une ambiguïté sémantique, la réserve industrielle de la défense est consacrée dans le décret du 17 août 2023. Elle relève de l’autorité du délégué général pour l’armement et correspond en tout point à ce que vient d’évoquer mon camarade. La cible est de 3 000 en 2030 et nous en sommes au début de cette montée en gamme, d’autres réservistes industriels de la défense devant être recrutés dans les prochaines semaines.

M. le président Thomas Gassilloud. Cette réserve vise-t-elle à conforter les capacités industrielles militaires ou les entreprises de la BITD face à une charge de travail accrue, ou les deux à la fois ?

M. le général de brigade Frédéric Barbry. Les deux à la fois.

M. Fabien Roussel (GDR-NUPES). Messieurs les généraux, merci pour vos interventions, vos explications et les moyens que vous déployez pour faire vivre une réserve citoyenne et militaire au service de la nation. C’est un travail important que je salue au nom de mon groupe. Depuis la fin de la conscription, ces hommes et ces femmes volontaires sont effectivement indispensables pour assurer des événements tels que les Jeux olympiques et paralympiques, mais aussi la sécurité de nos concitoyens ou leur venir en aide en cas d’événement tragique.

Permettez-moi de vous interroger en mettant en perspective la guerre en Ukraine, suite à l’agression russe. La réserve opérationnelle militaire, composée de volontaires ou d’anciens militaires, est un réservoir de forces pour intervenir auprès de nos armées d’active en complémentarité. Vous avez parlé de montée en gamme à cet effet, de rupture et de changement de paradigme. Dans ce cadre et au vu des annonces du président de la République sur la possibilité d’envoyer des « troupes » françaises en Ukraine, de ne se donner aucune limite dans l’intervention française dans ce conflit, vous n’avez pas évoqué si la réserve opérationnelle avec ses volontaires ou ses anciens militaires était mobilisée ou pas. Vu le niveau d’alerte et d’engagement de nos armées d’active mis en avant par le président de la République, qu’en est-il de la réserve opérationnelle militaire ? Est-elle aussi en état d’alerte ? Est-elle mobilisée dans la perspective de l’envoi de troupes en Ukraine et d’une participation en complémentarité avec l’armée d’active ? Est-elle préparée ?

M. le général de brigade Frédéric Barbry. Il faut prendre en compte le statut de nos réservistes. La réserve opérationnelle comporte deux niveaux. Selon le code de la défense, celle de deuxième niveau peut être convoquée en cas de menace grave, mais cela nécessite un texte réglementaire pris par le Premier ministre en Conseil des ministres. Aujourd’hui, il n’y a pas de mobilisation de la réserve opérationnelle, qu’elle soit de premier ou de deuxième niveau. La réserve opérationnelle de premier niveau continue d’agir sur convocation et sur la base du volontariat.

M. Fabien Roussel (GDR-NUPES). Il n’y a donc pas de crise majeure, puisqu’il n’y a pas de convocation.

M. le président Thomas Gassilloud. Il n’est en effet pas nécessaire de convoquer la réserve et donc de prendre ce texte réglementaire pour la mobiliser davantage. Je précise que le service national n’est pas supprimé, mais seulement suspendu. On pourrait donc imaginer une mobilisation encore supplémentaire, si la situation l’exigeait. Tout est prêt dans le code de la défense à cet effet.

M. Jean-Marie Fiévet (RE). Je vous remercie pour ces présentations et pour vos diverses réponses. Dans l’ambition fixée par le président de la République lors de son discours du 13 juillet 2022, la transformation de notre système de réserve est au cœur de notre loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, répondant à une ambition claire de notre dernière revue nationale stratégique, une France unie et résiliente. Face à cette ambition de taille, la Garde nationale joue un rôle essentiel, en rassemblant les réserves de nos différents corps d’armée, mais aussi de notre gendarmerie et de notre police nationale. Elle apporte une réponse concrète au désir d’engagement de la jeunesse et incarne un réel tremplin pour le développement des réserves. Le tout contribue largement au renforcement des liens armée/nation, ainsi qu’à la cohésion de nos territoires. Officier sapeur-pompier, je sais à quel point ces éléments sont chers à nos concitoyens.

Monsieur le général Gaspari, alors que vous avez pris vos fonctions au 1er août 2022 et que votre mandat arrive bientôt à son terme, quel bilan tirez-vous de ces deux années et quels sont les enjeux à venir pour la Garde nationale et son secrétariat général ?

Monsieur le général Barbry, avec un objectif à l’horizon 2035 d’un réserviste pour deux militaires d’active, quelles opportunités ou éventuelles pourraient amener cette nouvelle répartition de nos forces de défense nationale ?

Mme Gisèle Lelouis (RN). Messieurs les généraux, je vous remercie pour votre présence et de vous prêter au jeu des questions. En juin 2020, le général Thierry Burkhard avait présenté douze visions stratégiques, l’une d’elles visant à donner à la force terrestre opérationnelle plus de masse pour faire face à la haute intensité, ce qui passe par une plus grande implication des réservistes opérationnels. Or on ne peut créer une réserve sérieuse sans l’équiper. C’est là que le bât blesse, l’attente avant les entretiens de recrutement pouvant durer jusqu’à un an, à cause de mauvais outils informatiques. Le matériel ou l’armement pour bon nombre de réservistes est bien souvent désuet, voire absent, surtout quand certains projettent sur la guerre de haute intensité. Comment équiper de nouveaux réservistes si on éprouve déjà des difficultés à moderniser les équipements actuels des unités élémentaires de réserve ? N’y a-t-il pas une incohérence entre ambition et budget alloué ? À un ou deux ans sur cinq, la déperdition des effectifs est de 70 % en raison de difficultés annexes ? Comment conserver des réservistes si leur image des armées est écornée par les dysfonctionnements ? Comment peut-on pousser pour faire respecter la loi de programmation militaire votée l’an dernier ?

M. Jean-Pierre Cubertafon (Dem). Je tiens tout d’abord à vous remercier pour vos propos instructifs et révélateurs de l’enjeu que représentent les réserves pour la défense et les intérêts vitaux de notre nation. Je souhaite par ailleurs saluer votre engagement au service de la cohésion nationale qui demeure un défi majeur dans le contexte actuel de menaces accrues. Renforcer cette cohésion est une priorité ; cela passe notamment par l’apprentissage de la citoyenneté, auquel vous vous attachez, je vous en remercie.

La situation sécuritaire est préoccupante, particulièrement à l’approche des Jeux olympiques et paralympiques. Il semble nécessaire d’accroître la condition de la réserve à l’accomplissement des missions de défense dans laquelle nos réservistes auront pleinement un rôle à jouer. Comment envisagez-vous celui-ci dans le cadre des Jeux olympiques et paralympiques ? Quelle amélioration est envisageable dans le contexte des menaces actuelles pour une meilleure organisation de nos réserves au sein de la défense globale ?

M. le général de division Louis-Mathieu Gaspari. C’est effectivement pour moi pratiquement l’heure du bilan, puisque je rends mon tablier de secrétaire général de la Garde nationale cet été. Cela fait dix-huit mois que j’ai la chance et l’honneur d’être secrétaire général de la Garde nationale et c’est un vrai bonheur, car ce que je vois me rend optimiste. Les réservistes que je rencontre au cours de mes itinérances me rendent très fiers de ce qu’ils sont et de ce qu’ils font. Ils sont tous particulièrement engagés, ils ont envie de sens dans leur vie. Ils ont une occupation professionnelle qui est très prenante, mais ils ont envie d’un petit supplément d’âme. Ils sont pétris de superbes qualités humaines et morales. Ce week-end, j’ai répondu à un mail que j’ai reçu d’un jeune réserviste de Bordeaux, où nous nous étions rendus. Il était fier d’avoir passé deux jours aux côtés du secrétaire général de la Garde nationale, parce qu’il a vu le dynamisme qui est le nôtre, l’envie qui est la nôtre de participer à l’enjeu de doublement des réserves opérationnelles. J’observe également la même tendance du côté des employeurs. Ils ont vraiment l’envie de soutenir l’engagement de leurs salariés qui accomplissent des périodes de réserve. C’est un signe fort, qui nous doit nous rendre collectivement optimistes. Pour autant, le travail doit continuer, et un mandat de deux ans n’est pas suffisant pour tout ce que j’ai envie de réaliser. En tout cas, je sais que mon successeur continuera cette œuvre collective.

J’ai acquis la conviction que la Garde nationale n’est plus une option, c’est une obligation. Nous n’avons pas d’autre choix que de contractualiser avec la Garde nationale si nous voulons que notre pays soit plus résilient, plus fort et mieux armé pour répondre aux menaces qui pèsent sur lui. L’engagement des réservistes doit être mis en exergue par le biais de conventions de partenariat. Oui, je suis optimiste ; oui, je trouve que la Garde nationale commence à trouver sa place dans l’écosystème des réserves. Je vous dois beaucoup et les réservistes vous doivent beaucoup, car vous êtes nos premiers soutiens, nos premiers relais dans nos territoires. Donc, merci, car sans vous, ce serait nettement plus compliqué.

M. le président Thomas Gassilloud. Ce n’est pas encore tout à fait la fin de votre mission, mon général, mais en tout cas, nous pouvons vous remercier de votre participation aux auditions et des interactions que nous avons pu avoir avec vous pendant votre mission.

M. le général de brigade Frédéric Barbry. 500 000 réservistes, un pour deux militaires d’active : opportunité ou menace ? C’est clairement une opportunité, très nette en matière de rehausse des ambitions et des capacités opérationnelles des forces armées, et aussi en termes d’externalités positives. Plus nous aurons de réservistes, plus nous aurons d’ambassadeurs et plus nous rendrons poreuse la notion de cohésion nationale. Le chef d’état-major des armées soulignait qu’un citoyen français peut passer toute sa vie sans jamais discuter avec un militaire. Avec 500 000 réservistes, il y a de grandes chances que ce soit de moins en moins le cas. Cette évolution apportera aussi des opportunités RH, car en 2035 les armées ne pourront plus fonctionner comme aujourd’hui. Le système de gestion RH devra être plus plastique, avec des porosités entre active et réserve, des parcours croisés, à l’instar de nos camarades américains qui ont des carrières plus séquencées et plus mobiles.

Le parcours du réserviste est encore trop insatisfaisant, je le reconnais. Pour autant, nous sommes en train de l’améliorer. Le SI ROC, pierre angulaire de la réforme de la réserve opérationnelle, évolue. Sur ROC, nous avions un tunnel constitué d’une série d’étapes séquentielles ; dans quelques semaines, le parcours du candidat sera entièrement rénové pour être accéléré. L’ambition du plan réserves 2035 est de passer de quatre ou cinq mois à une dizaine de semaines pour que chaque candidat puisse signer son engagement. Il importe aussi d’engager davantage les armées, directions et services, de fournir directement les fiches de poste dans ROC et de refondre la visite médicale initiale, qui constitue un petit point de friction. Or le service de santé des armées est en train de revoir comment fluidifier cette problématique. J’ai donc bon espoir qu’avant la fin de l’année, nous puissions accélérer grandement le recrutement.

En matière d’équipement et d’armée, j’aime à rappeler qu’il y a quelques années, quand il a fallu que les forces armées neutralisent deux terroristes dans le cadre de la mission Sentinelle, ce sont deux réservistes qui ont ouvert le feu et y sont parvenus. Ils disposaient donc d’un armement efficace et savaient s’en servir. Ils étaient au niveau d’aguerrissement et de formation de leurs camarades d’active. D’ailleurs, lorsque nous croisons des patrouilles dans nos rues, elles sont souvent composées à la fois de réservistes et de militaires d’active. Je mets au défi quiconque de savoir qui est qui.

Le budget qui a été défini permet la montée en gamme que j’ai évoquée. Tout n’est pas encore parfait, mais la loi de programmation militaire nous permettra de réussir.

Enfin, en ce qui concerne l’engagement de la réserve durant les Jeux olympiques et paralympiques, contrairement à ce qui prévaut outre-Atlantique, nous préférons faire travailler ensemble la réserve et l’active. C’est ce qui constitue la force des armées françaises. La mission qui sera demandée lors des Jeux inclura donc des réservistes et des militaires d’active.

M. le président Thomas Gassilloud. Merci à tous les deux, Messieurs les officiers généraux, pour cette audition. Nous avons bien noté qu’au-delà de leur rôle opérationnel, les réservistes contribuent largement à la culture de défense et au lien société civil/armée dans notre pays. Merci pour votre travail au quotidien pour développer ces réserves et ainsi la surface d’adhérence des armées avec la société civile.

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