jeudi 10 octobre 2024

Audition de la ministre des Armées (Commission Défense de l’Assemblée nationale, 6 juillet 2017)

M. le président Jean-Jacques BrideyMes chers collègues, nous accueillons ce matin, dans une salle presque comble, Mme Florence Parly, ministre des Armées, que je remercie pour sa présence et sa ponctualité.

Avant de lui donner la parole, je souhaite vous dire un mot du fonctionnement de notre commission. Les auditions de Mme la ministre, des chefs d’état-major et de certains industriels, qui peuvent détenir des informations confidentielles, ne sont pas retransmises sur le site Internet de l’Assemblée nationale et se déroulent en l’absence de journalistes. J’ajoute que vous devez, bien entendu, vous abstenir de tweeter… Chacun se doit de respecter cette confidentialité car il importe que s’instaure un climat de confiance avec nos interlocuteurs, afin que nous puissions les questionner librement et qu’ils nous apportent des réponses d’autant plus précises qu’ils seront assurés de ne pas les retrouver dans la presse ou des tweets à l’issue de nos rencontres.

Madame la ministre, je vous remercie de participer à la première réunion de notre commission. Nombre des députés ici présents sont nouveaux – nous ne devons être que sept ou huit à avoir été membres de cette commission sous la précédente législature. Nous devrons donc sans doute faire œuvre de pédagogie. Beaucoup de questions paraîtront peut-être banales, mais les réponses qui y seront apportées seront intéressantes. Je ferai en sorte que tous les groupes puissent s’exprimer.

Mme Florence Parly, ministre des Armées. Monsieur le président, Mesdames, Messieurs les députés, je suis ravi de pouvoir intervenir devant vous peu de temps après votre élection. Ayant moi-même intégré le Gouvernement il y a seulement quinze jours, je me considère comme faisant également partie des nouveaux.

C’est, bien entendu, un grand honneur pour moi que d’avoir été nommée ministre des Armées par le président de la République. C’est aussi, et surtout, une immense responsabilité. Je mesure l’engagement et le courage des femmes et des hommes du ministère ainsi que les risques auxquels ils sont confrontés. Ces femmes et ces hommes, nous apprendrons à les découvrir ensemble puisque le président de votre commission me disait à l’instant combien il tenait à ce que vous puissiez rendre visite à nos forces et accéder aisément au ministère ainsi qu’aux industries de défense, qui font également partie de notre écosystème.

Pour ma part, je me suis rendue pour la première fois auprès de nos troupes le week-end dernier, lorsque j’ai accompagné le chef de l’État à la réunion du groupe « G5 Sahel », qui se tenait à Bamako, au Mali. J’ai eu l’occasion d’y rencontrer nos soldats qui participent à l’opération Barkhane, et j’ai pu mesurer leur abnégation et leur sens du service. Je veux saluer leur courage, leur esprit de responsabilité, leur dévouement et leur professionnalisme.

Je tiens également à témoigner notre reconnaissance envers toutes celles et à tous ceux qui ont donné leur vie au service de notre pays et de notre sécurité. J’étais, il y a deux semaines, à Pamiers pour rendre hommage au caporal Albéric Riveta tombé le 18 juin dernier au Mali. Il avait vingt-deux ans et venait de Tahiti. Le dialogue que j’ai pu avoir avec sa famille montre la force de son engagement ; ce qui, au fond, lui importait, c’était d’avoir la certitude que ce jeune homme avait réalisé son destin, c’est-à-dire sa passion, qui était de servir son pays. Vous comprendrez que j’en garde une très vive émotion.

Il est de notre responsabilité de nous montrer dignes de l’engagement des femmes et des hommes du ministère des Armées. Votre commission a toujours été un exemple à cet égard, et je suis certaine qu’elle saura se montrer à la hauteur de la gravité et de la force des enjeux auxquels nous sommes confrontés. Je vous remercie, Monsieur le président, de m’avoir permis de m’adresser à vous si rapidement. J’espère que nous pourrons nouer ces liens de confiance indispensables pour travailler efficacement. J’ai eu l’occasion, dans un lointain passé, de travailler avec la commission des Finances dans un excellent climat ; je ne doute pas qu’il en sera de même avec la commission de la Défense.

Dans cette intervention liminaire, je reviendrai tout d’abord rapidement sur les principaux aspects de notre environnement stratégique actuel, puis j’aborderai le rôle du ministère des Armées et les opérations extérieures auxquelles participent nos soldats. Enfin, je commencerai à tracer avec vous ma feuille de route pour les années qui viennent.

En ce qui concerne notre environnement stratégique, nos armées sont, comme vous le savez, fortement sollicitées, sur le territoire national comme à l’étranger, afin de faire face aux nombreuses menaces qui pèsent sur notre pays. Ces menaces sont de deux natures différentes : d’une part, la menace terroriste, généralement liée à la faiblesse de certains États, et, d’autre part, la résurgence de stratégies de puissance mises en œuvre par certains pays – j’y reviendrai.

La lutte contre le terrorisme constitue aujourd’hui le principal engagement de nos armées en opération, tant sur le territoire national qu’à l’extérieur. Depuis le début des années 2000, la menace terroriste s’est intensifiée et s’est répandue sous l’effet conjugué de la mondialisation, de l’expansion de l’islam radical et de la faillite de certains États ; c’est ce qui a donné naissance à de véritables franchises planétaires, comme Al-Qaïda.

En Irak et en Syrie, pour la première fois, un groupe terroriste, Daech, a réussi à conquérir un territoire et tenté d’y fonder un État. C’est une évolution du terrorisme à laquelle nos armées ont dû s’adapter, face à un ennemi qui utilise des modes d’action inédits et ne s’interdit aucune pratique, même les plus barbares.

Par ailleurs, nous avons vu s’estomper, ces dernières années, la frontière entre notre sécurité intérieure et celle qui est assurée sur des théâtres d’opérations ou de veille stratégique éloignés. Là encore, le phénomène n’est pas nouveau, mais l’accroissement des moyens de communication et de la mobilité lui a donné une ampleur inédite, qui a été bien prise en compte dans les travaux de préparation des deux derniers Livres blancs de 2008 et 2013. C’est dans ce cadre qu’interviennent aujourd’hui les armées françaises au Levant comme au Sahel.

Cependant, l’importance accordée, de façon bien compréhensible, à la lutte contre le terrorisme ne doit pas nous faire oublier la réapparition de stratégies de puissance mises en œuvre par un certain nombre de pays. Il ne s’agit pas de débattre ici de la légitimité qu’a tel ou tel pays de vouloir peser sur la scène internationale ; ce sont les moyens utilisés et les tensions qui peuvent en découler qui nous préoccupent.

Deux pays attirent plus particulièrement notre attention.

La Russie, tout d’abord, a effectué ces dernières années un retour remarqué sur la scène internationale : l’occupation d’une partie de la Géorgie puis de la Crimée ainsi que le soutien apporté aux séparatistes ukrainiens en sont autant d’exemples. Par ailleurs, la Russie s’est lancée dans un vaste plan de modernisation de ses capacités militaires, dont elle avait du reste bien besoin compte tenu de l’état de ses forces, et dont elle fait régulièrement montre sur le terrain, en Syrie en particulier. En témoignent également la présence régulière de sous-marins au large de nos ports ou les vols de bombardiers à long rayon d’action en lisière de nos espaces aériens. Ces opérations, qui sont bien entendu destinées à être connues et visibles, participent d’une stratégie d’affirmation de puissance.

La Chine, ensuite, mène une véritable politique du fait accompli en cherchant à transformer unilatéralement la mer de Chine méridionale en une sorte de mer intérieure. Cette politique, qui provoque de nombreuses tensions, s’appuie sur un budget de défense en très forte augmentation et se traduit par l’aménagement systématique d’installations militaires sur des îlots revendiqués par d’autres pays. Si nous ne prenons pas part à ces litiges, nous appelons au règlement pacifique des contentieux et nous sommes extrêmement attentifs au respect de la liberté de navigation reconnue par la convention des Nations unies pour le droit de la mer. Ainsi, nous exerçons régulièrement cette liberté en faisant transiter un certain nombre de bâtiments de la marine nationale dans cette zone, sans provocation mais avec la volonté de montrer que nous entendons exercer les droits reconnus par les conventions internationales.

Ces menaces ne nécessitent pas toutes une réponse militaire, mais elles nous imposent de maintenir des capacités d’intervention fortes et crédibles et de fortifier nos relations avec nos alliés.

Je ne serais pas complète si je ne mentionnais pas la menace « cyber », qui désigne les nouveaux moyens numériques de hacking utilisés par des États ou des substituts d’État pour fragiliser nos systèmes de défense ou perturber le fonctionnement de nos entreprises. L’utilisation du « cyber » par tous nos ennemis est un tournant dans nos stratégies de défense. Cette menace prend des formes multiples ; même des actes anodins peuvent emporter de graves conséquences. Le seul vol de données peut avoir des effets très importants pour notre sécurité nationale. Nous avons ainsi en tête les troubles provoqués récemment par plusieurs cyberattaques de dimension mondiale, dont la dernière a infecté deux millions de serveurs dans le monde. De telles attaques peuvent avoir des conséquences extrêmement concrètes pour nos systèmes de défense comme pour le quotidien de nos concitoyens. Nous devons donc adapter notre système de défense à ce nouveau type d’incursions afin de nous protéger et d’être capables de riposter.

J’en viens à notre revue stratégique. Conformément à l’engagement pris par le président de la République, j’ai lancé, le 30 juin dernier, les travaux d’une revue stratégique de défense et de sécurité visant à actualiser ceux qui avaient été menés dans le cadre des Livres blancs et à prendre en compte ces nouvelles menaces qu’il nous faut comprendre et anticiper. Cette revue stratégique de défense permettra de préparer l’élaboration de la prochaine loi de programmation militaire, qui nous occupera beaucoup au cours de l’année 2018. Sa caractéristique première est d’être un exercice concentré dans le temps et dans la composition de son comité d’experts. Une quinzaine de personnes a été réunie autour d’une personnalité bien connue, spécialiste des questions de défense : le député européen Arnaud Danjean. Les conclusions de cette revue sont très attendues par les acteurs du monde de la défense et de la sécurité. Le comité procédera à de très larges consultations, auxquelles vous serez naturellement associés. J’ajoute que ses conclusions, une fois validées, vous seront formellement présentées, et je suis certaine que le président Danjean aura à cœur de faciliter ce dialogue en prenant en compte les demandes que vous formulerez, le cas échéant.

Dans un contexte changeant, il convient, par ailleurs, d’évaluer les opportunités qui nous sont offertes dans le cadre du renforcement des relations bilatérales que nous entretenons avec nos partenaires et dans celui du projet d’Europe de la défense.

Un des enjeux des années à venir sera le positionnement de certains de nos alliés clés. Je pense à deux d’entre eux en particulier : les États-Unis et la Grande-Bretagne.

Outre-Atlantique, nos alliés américains adoptent actuellement des positions ambiguës et demandent un effort plus important aux nations de l’OTAN sans en garantir ouvertement la sécurité. Nous avons, par définition, confiance en notre allié – puisque c’est notre allié –, mais cette confiance ne doit entamer en rien notre vigilance. Ces termes, vous l’avez remarqué, ont été pesés au trébuchet.

Quant au Royaume-Uni, ses choix en matière de sécurité et de défense à la veille du Brexit sont encore flous ; c’est un facteur d’incertitude supplémentaire. Nous devons donc bâtir notre propre défense pour nous assurer que nos intérêts et nos priorités seront respectés et créer un lien toujours plus étroit avec nos alliés, en particulier européens.

À cet égard, la relation franco-allemande est un pilier de l’Europe de la défense. La réponse allemande à l’invocation par la France de l’article 42-7 du traité sur l’Union européenne dès novembre 2015 s’est traduite par des engagements nouveaux, tant au Levant qu’au Sahel, engagements qui vont bien au-delà des réponses traditionnelles de Berlin sur les théâtres extérieurs. Nous travaillons sans relâche au renforcement de notre relation bilatérale de défense. Très concrètement, notre coopération militaire se traduit, par exemple, par la formation commune des pilotes et mécaniciens d’A400M français comme allemands ou par la création, à l’horizon 2021, d’un escadron commun d’avions C-130J.

Dans le domaine opérationnel, nous sommes engagés de manière complémentaire sur les mêmes théâtres d’opérations, au Mali ou en Irak par exemple. Nous cherchons par ailleurs à renforcer les engagements opérationnels de la brigade franco-allemande et nous opérerons, en 2018, un déploiement conjoint en Lituanie dans le cadre de la « présence avancée rehaussée » de l’OTAN.

Concernant l’industrie d’armement, la création de KNDS a permis de faire émerger un leader industriel européen.

Enfin, le conseil des ministres franco-allemand qui se tiendra mercredi prochain et qui sera suivi d’un conseil franco-allemand pour la défense et la sécurité permettra de donner un nouvel élan à ce partenariat, décisif pour la relance de la défense européenne.

Qu’en est-il de nos alliés britanniques ? Malgré les incertitudes liées au Brexit, la relation franco-britannique est centrale pour notre défense. Elle est historique et exprime une solidarité fondamentale, renforcée par le statut nucléaire des deux États. Bien entendu, le Brexit ne sera pas sans conséquences sur l’évolution du budget de la défense britannique ; on peut s’attendre à une révision des priorités et un probable rééquilibrage atlantique des Britanniques. In fine, c’est de la volonté politique de la France et du Royaume-Uni de surmonter ces obstacles que dépendra l’avenir des accords très importants de Lancaster House. La France entend donc poursuivre cette coopération, sur le plan opérationnel comme sur le plan capacitaire. Sur le plan opérationnel, une force expéditionnaire commune interarmées a été validée en avril 2016 ; cet outil permettra de faire face à un large spectre de crises, y compris de haute intensité.

Au plan capacitaire, la coopération de défense franco-britannique a été confortée par la revue stratégique de défense et de sécurité conduite par Londres en 2015. Celle-ci doit lancer des projets importants, notamment dans le domaine des missiles, du système de combat aérien futur (FCAS) ou de la guerre des mines. Ces engagements programmatiques ne semblent pas, pour l’heure, être remis en question par Londres. Le succès du premier tir du missile franco-britannique anti-navire léger, le 21 juin dernier, est une illustration très concrète de cette coopération capacitaire et industrielle.

Il importera, quoi qu’il arrive, que le Royaume-Uni reste lié à la France et à l’Union européenne, selon des formes à définir, en matière de défense et de sécurité.

Un mot, maintenant, de l’Europe de la défense. Notre défense doit vraiment s’inscrire dans un cadre européen. À cet égard, nous bénéficions d’une fenêtre d’opportunité assez extraordinaire, puisqu’en décembre 2016, le Conseil européen a approuvé les conclusions du Conseil des affaires étrangères et de la défense et décidé l’établissement d’une capacité militaire de planification et de conduite au niveau stratégique pour les missions non exécutives.

Plus récemment, lors du Conseil européen de juin dernier, les chefs d’État et de gouvernement de l’Union ont promis de « renforcer la coopération au sein de l’UE en matière de sécurité extérieure et de défense » et ont appelé à la mise en œuvre rapide d’un Fonds européen de la défense. La Commission européenne a immédiatement annoncé qu’il serait doté de 90 millions d’euros dans un premier temps, puis de 500 millions par an à partir de 2020. Nous passons ainsi des lettres aux chiffres, des promesses à la traduction très concrète de véritables engagements. Ce faisant, nous allons pouvoir développer et soutenir l’industrie européenne de la défense, notamment les petites et moyennes entreprises. Le président de la République s’est félicité de ces avancées. Mais il nous appartient de poursuivre nos efforts en matière de construction de l’Europe de la défense, au service d’une Europe qui protège nos concitoyens.

Le renforcement de l’Europe de la défense ne doit pas être compris comme un affaiblissement de notre engagement au sein de l’OTAN ; je suis convaincue que nous avons intérêt à développer les complémentarités entre l’une et l’autre. L’OTAN demeure en effet un élément clé de notre système de défense et nous en restons des membres actifs et vigilants. Dernièrement, lors du sommet de l’OTAN du 25 mai, Donald Trump a marqué les esprits en refusant de s’engager explicitement en faveur de la défense collective des alliés, qui est l’un des fondements de cette organisation. Face à la perspective d’un moindre engagement américain, la relance de l’Europe de la défense, dont j’ai rappelé les jalons et les avancées, est d’autant plus justifiée.

J’ajoute que le maintien de notre attachement à la solidarité atlantique s’accompagne d’une vigilance toute particulière sur les principaux sujets abordés lors du dernier sommet, à savoir le « partage du fardeau », qu’il s’agisse des moyens budgétaires ou de l’engagement des forces, et l’extension des prérogatives de l’OTAN en matière de lutte contre le terrorisme et la question du financement qui s’y attache.

Je voudrais maintenant vous dire un mot du ministère des Armées, avant d’évoquer les récentes réformes de son organisation. Tout d’abord, pourquoi un ministère des Armées plutôt qu’un ministère de la Défense ? La question a fait polémique. Ce choix revêt évidemment une dimension historique, puisqu’il renvoie à la fondation de la Ve République. Au-delà, il s’agit surtout de faire référence de manière très explicite aux femmes et aux hommes, civils et militaires, qui composent nos armées, ainsi qu’à la diversité des missions, des métiers et des talents. Il faut y voir un hommage rendu à leur engagement, à leur professionnalisme et à leur sens du service.

Comme vous le savez, les armées se divisent en quatre forces, dont trois sont placées sous l’autorité de mon ministère.

L’armée de terre, tout d’abord, achève cet été un cycle de deux ans de transformations majeures qui ont débuté au printemps 2015, avec la décision du précédent président de la République de porter les effectifs de la force opérationnelle terrestre de 66 000 à 77 000 hommes. Le ministère a relevé avec succès ce véritable défi en matière de formation et de recrutement.

M. le président. Et d’équipement…

Mme la ministre. Bien sûr, car, sans matériels, les soldats ne pourraient remplir les missions qui leur sont confiées.

Je me rendrai à Satory cet après-midi, afin de me rendre compte concrètement de la manière dont nous avons pu mener cette transformation capacitaire en un temps record.

Vous avez raison, Monsieur le président, d’évoquer les équipements, car on m’a fait part du vieillissement du parc actuel des véhicules de combat – dont certains datent des années 1970 –, qui a été soumis à rude épreuve au cours des 25 dernières années, compte tenu du taux d’utilisation et de l’engagement de nos forces.

Enfin, dans le domaine opérationnel, les engagements sur les théâtres d’opérations extérieurs et le territoire national ont fait l’objet d’un rééquilibrage. Les 20 000 militaires de l’armée de terre actuellement en posture opérationnelle agissent en effet pour moitié sur notre sol, principalement dans le cadre de l’opération Sentinelle.

La marine nationale, quant à elle, a conservé toutes les composantes permettant d’accomplir l’ensemble des missions d’une marine, depuis l’action de l’État en mer jusqu’au combat de haute intensité en mer, sous la mer, dans les airs ou vers la terre. J’irai demain à Toulon à la rencontre des marins pour me faire présenter leurs missions. Fortement sollicitée, comme toutes nos armées, la marine a un niveau d’engagement très supérieur à celui qui était prévu par le Livre blanc de 2013. Il en résulte une usure des matériels, parfois très anciens, et des tensions sur les équipages.

L’armée de l’air, enfin, continue à mener un plan ambitieux de transformation qui se traduit par une modernisation de ses moyens, notamment la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire, et le renforcement de ses capacités opérationnelles et de renseignement. Cette modernisation est essentielle, car elle permet à nos forces aériennes d’assurer un large spectre de missions au service de la protection des Français et de contribuer à la souveraineté de notre pays. L’armée de l’air concourt ainsi à la protection du territoire national en assurant en permanence la police du ciel et protège les Français contre les menaces aériennes, tout en étant très présente sur les théâtres extérieurs, au Levant et au Sahel.

Je tiens également à mentionner un élément très important pour la cohésion et l’efficacité de nos armées ; je veux parler de la chaîne de santé opérationnelle, qui – et c’est une caractéristique de nos armées – garantit au combattant blessé ou malade ses meilleures chances de survie et, le cas échéant, de moindres séquelles, tant physiques que psychologiques : vous savez que nos soldats qui rentrent d’opération peuvent souffrir de très lourds traumas psychologiques. J’ai pu le constater lors de ma visite de blessés à l’hôpital Percy. Ce système de santé nous est envié par beaucoup d’armées pour son exceptionnelle capacité de projection sur le terrain.

Le service du commissariat des armées est également très important pour le bon fonctionnement de nos armées, en particulier en opération, auxquelles il apporte un soutien réactif et adapté. C’est une mission très exigeante, puisqu’il s’agit d’accompagner nos forces au plus près, quelles que soient leurs conditions d’engagement, sur les théâtres d’opérations extérieurs comme sur le sol national, dans le cadre d’opérations telles que Sentinelle.

Notre ministère est également composé de services à dimension civile, dont je citerai les principaux. Le secrétariat général pour l’administration (SGA) a pour mission de piloter l’action du ministère et toutes les politiques transverses ; il est l’administration compétente pour les prestations de service et un acteur central de la modernisation du ministère.

La direction générale de l’armement (DGA) est responsable de l’équipement de nos forces : elle conçoit, commande et évalue les systèmes qui équipent nos armées. Elle joue donc un rôle opérationnel majeur évident, mais c’est aussi un acteur économique décisif puisqu’il est le premier investisseur de l’État.

Enfin, je n’oublie pas les services de renseignement qui relèvent de mon ministère : la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la direction du renseignement militaire (DRM) et la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD). Ils combattent, dans le silence, les menaces contre notre pays, nos intérêts et nos ressortissants, et je voudrais ici leur rendre hommage.

Comme je le soulignais plus tôt, nos armées sont engagées dans des opérations intérieures. En mer et dans les airs, 2 000 marins et aviateurs sont mobilisés au quotidien dans le cadre de missions permanentes, avec les capacités associées : navires, aéronefs, chaînes de détection… Celles-ci sont complétées par des missions plus ponctuelles, notamment pour assurer la sécurité d’événements majeurs tels que le Salon du Bourget.

À terre, l’opération Sentinelle aura mobilisé, depuis trente mois, plus de 140 000 soldats. Ils sont en ce moment 7 000 à être déployés, plus 3 000 en réserve ; cela représente une consommation de moyens considérable. Ces militaires interviennent en complément de l’action du ministère de l’Intérieur face à la menace terroriste. Ils patrouillent en zone publique dans une cinquantaine de départements métropolitains et outre-mer, dans les gares et aérogares, devant les sites culturels ou touristiques, les écoles et lieux de culte, parcourant ainsi jusqu’à 30 kilomètres par jour. Leur vigilance et leur professionnalisme n’ont jamais été pris en défaut : ils ont permis de détourner des attaques potentiellement très graves – je pense aux événements qui se sont déroulés au Louvre ou plus récemment à Orly. Je tiens, du reste, à remercier les élus et les services déconcentrés de l’État pour la qualité de l’accueil qu’ils réservent à nos soldats.

Pour autant, nous ne devons pas oublier que ces opérations sur notre sol ont généré des tensions importantes dans nos armées, principalement l’armée de terre. Pour soulager ces efforts, le ministère a entrepris une rénovation en profondeur de sa politique des réserves, afin de mobiliser plus facilement les réservistes opérationnels au profit des missions de protection. Ce travail porte ses fruits ; il a été amplifié par la création de la Garde nationale, constituée des réservistes en armes des ministères de l’Intérieur et des armées.

Je conclus ce chapitre en vous indiquant que j’ai demandé aux armées de réfléchir à une évolution de l’opération Sentinelle dans la perspective de la sortie prochaine de l’état d’urgence, et ce en étroite coopération avec le ministère de l’Intérieur.

Quelques mots maintenant sur les opérations que nous menons au Levant et sur la lutte contre Daech, puisque l’autre moitié de nos militaires est mobilisée dans des opérations extérieures.

Le Levant constitue aujourd’hui, et c’est compréhensible, le théâtre d’opérations le plus médiatisé de nos armées. La France est intervenue en septembre 2014 à la demande du gouvernement irakien, afin de l’aider à lutter contre Daech, qui venait de s’emparer de Mossoul, deuxième ville du pays. Nous avons alors rejoint la coalition internationale composée de 63 autres États, de l’Union européenne, de la Ligue arabe et, depuis peu, de l’OTAN. Face aux attaques terroristes menées sur notre sol en 2015 depuis Raqqa, nous avons étendu notre action à la Syrie au titre de la légitime défense de notre pays et intensifié notre action.

Notre objectif sur ce théâtre est extrêmement clair : éradiquer la menace que représente Daech. À cette fin, nous aidons les forces locales à venir à bout des djihadistes. Cela signifie concrètement qu’avec nos partenaires de la coalition, nous les formons et les équipons en amont des combats et nous les appuyons avec du renseignement et des frappes aériennes et d’artillerie durant les combats. En parallèle, nous menons une campagne systématique de destruction des infrastructures de Daech. Pour ce faire, nous avons déployé de très importants moyens qui font de la France l’un des principaux contributeurs de la coalition, notamment grâce à nos avions Rafale.

Mais, pour éradiquer durablement la menace de Daech, l’action militaire n’est pas suffisante. La France travaille donc parallèlement à l’apaisement des conflits confessionnels et tribaux en Irak et soutient la politique de réconciliation menée par le Premier ministre irakien.

Grâce à notre action et à celle de nos partenaires, Daech recule sur tous les fronts depuis deux ans. Il a perdu la plupart de ses grandes villes en Irak et se retrouve assiégé dans ses deux capitales : Raqqa et Mossoul. Mais la progression des forces de la coalition dans ces deux villes s’accélère, de sorte que nous sommes optimistes sur l’issue de ces opérations, après de longs mois de combats très durs. Certes, les djihadistes se défendent avec acharnement, et la campagne sera encore difficile, mais son issue ne fait désormais plus de doute.

Le Sahel constitue aujourd’hui le principal théâtre d’engagement des armées françaises, qui y fédèrent les contributions de nombreux partenaires et de la coalition internationale.

À la demande des autorités maliennes, nous sommes intervenus au Mali en janvier 2013 dans le cadre de l’opération Serval, afin de repousser l’offensive des groupes djihadistes et de sauvegarder la capitale, Bamako. En dépit du succès de cette opération, les djihadistes n’ont pas pour autant renoncé au combat : ils se sont adaptés, dispersés et ont étendu leurs actions au-delà des frontières. C’est pourquoi, en août 2014, nous avons décidé de régionaliser notre intervention en passant de l’opération Serval, centrée sur le Mali, à l’opération Barkhane, qui couvre les cinq pays de la bande sahélo-saharienne : Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad, soit un théâtre d’opérations de la taille de l’Europe ! L’objectif de cette opération est de lutter contre les groupes djihadistes afin d’empêcher la reconstitution de sanctuaires terroristes. Les armées déploient pour cela des moyens conséquents : plus de 4 000 hommes, plusieurs centaines de blindés et une quarantaine d’aéronefs de tous types.

Aujourd’hui, après quatre années d’intervention, la menace est contenue, mais elle n’est pas éradiquée pour autant. Les terroristes profitent de la précarité et de l’absence de l’État dans certaines régions, en particulier dans le nord du Mali, pour se maintenir et entretenir une collusion permanente avec les trafiquants de tout poil.

Les États sahéliens ont accentué leur coopération dans le cadre du « G5 Sahel ». Une force conjointe antiterroriste a notamment vu le jour, à laquelle la France apporte son soutien. Ce fut l’un des messages majeurs que le président de la République, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, et moi-même avons délivré à nos partenaires lors du sommet qui s’est tenu dimanche dernier à Bamako. Cependant, nous sommes conscients que, là comme ailleurs, la solution militaire ne réglera pas tout et qu’une solution politique est nécessaire. Il est donc indispensable de relancer le processus de paix signé en 2015 et dont l’application piétine.

Via l’opération Barkhane, la France apporte également un soutien logistique, des conseils et du renseignement à la Force multinationale mixte (FMM) qui réunit le Nigeria, le Tchad, le Niger et le Cameroun et intervient dans la région du lac Tchad contre le tristement célèbre groupe terroriste Boko Haram.

L’opération Daman est, quant à elle, la troisième plus importante OPEX, avec près de 700 hommes déployés. Elle est la composante française de la mission des Nations unies au Liban, la FINUL, dont l’objectif est de stabiliser le sud du pays.

Un mot de la sécurité maritime. La France demeure une puissance maritime de premier plan. Dans l’océan Indien et dans le Golfe de Guinée, par exemple, nous maintenons un bâtiment qui participe à la lutte contre la piraterie et le terrorisme menée par les coalitions dans le cadre des résolutions des Nations unies. En Méditerranée, nous participons également à l’opération européenne Sophia, qui lutte contre les trafics de migrants et d’armes au large de la Libye.

Cependant, les opérations extérieures à proprement parler ne sont pas les seules sollicitations qui pèsent sur nos armées ; elles veillent aussi sur certaines zones de crise où nous n’intervenons pas directement mais où nos intérêts pourraient être menacés. C’est le cas en Libye où, par les opérations Barkhane, au sud, et Sophia, au nord, et par un soutien à l’Égypte et la Tunisie, à l’est et à l’ouest, nous tentons d’endiguer la menace terroriste et de contenir les nombreux trafics qui se développent sur le sol libyen.

Enfin, la Centrafrique faisait encore l’objet d’une opération spécifique jusqu’à l’an dernier : l’opération Sangaris, lancée en 2013 et conclue en 2016, a permis de mettre fin au chaos et d’empêcher un génocide annoncé. Elle a contribué à la transition démocratique et a passé le relais aux forces de l’ONU et de l’Union européenne.

Cette liste d’engagements est une source de fierté : nous avons sauvé le Mali d’Al-Qaïda, nous avons empêché une guerre civile en République centrafricaine et nous avons presque défait Daech. Ne voyez dans mes propos aucun triomphalisme : je sais qu’il reste beaucoup à faire. Mais j’insiste sur le fait que, malgré des moyens restreints, nos troupes sont parvenues à intervenir sur tous les théâtres d’opérations où leur action était nécessaire.

Cet engagement, remarquable, n’est pas sans conséquences. En effet, notre niveau d’engagement actuel est supérieur de 30 % aux contrats opérationnels prévus dans la loi de programmation militaire. Autrement dit, entre les moyens budgétaires associés à la loi de programmation militaire et le niveau d’engagement des forces, le décalage est de 30 %… C’est dire à quel point les hommes, les femmes et les matériels ont été sollicités. Cette utilisation intensive de nos forces fragilise le capital opérationnel et humain de notre modèle d’armée. Des vulnérabilités apparaissent, qui peuvent d’ores et déjà conduire à des pertes d’aptitudes opérationnelles : nos ravitailleurs aériens ont un âge moyen de cinquante et un ans, 60 % des véhicules blindés ne sont pas au niveau de protection nécessaire ; quant à nos pétroliers ravitailleurs, ils ne respectent pas la réglementation en matière de protection de l’environnement, puisqu’ils sont équipés d’une coque simple et non de la double coque obligatoire. Nos armées souffrent également d’un manque de personnels dans de nombreux secteurs, comme le renseignement, la cyber-sécurité ou la maintenance des équipements. D’un point de vue matériel, les ressources consacrées à l’entretien programmé du matériel ont été, certes, augmentées par mes prédécesseurs, mais elles restent insuffisantes.

J’ai donc l’espoir qu’avec vous, nous pourrons, dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire, mettre en cohérence ce modèle d’utilisation intense de nos forces avec les moyens qui leur sont nécessaires. En tout état de cause, ce sera le premier axe de ma feuille de route : donner les moyens de la réussite à nos forces armées.

Il faut savoir – pardon à ceux qui n’ont pas besoin de ce rappel historique – que depuis dix ans, les moyens du ministère des Armées ont été particulièrement réduits, dans un contexte sécuritaire qui s’est pourtant durci depuis 2014. Le ministère a fortement contribué aux économies de dépenses publiques depuis 2006. Ainsi, entre 2000 et 2016, les crédits de la défense ont connu une quasi-stagnation en euros courants puisqu’ils n’ont progressé que de 2 % alors que, sur la même période, les dépenses publiques ont augmenté de 32 % et celles de l’État de 15 %. Et pour ce qui est des effectifs, depuis 2006, le ministère a perdu 65 000 personnels, soit 20 % du total.

Je le précise d’emblée : mon objectif n’est pas de revenir au statu quo ante. Le ministère a su s’adapter et gagner en efficacité et en efficience. Mais, tout en poursuivant cette transformation, j’entends remettre notre outil de défense au niveau de ses engagements et des missions que lui confie la Nation. Faute de ressources suffisantes, plusieurs pays voisins éprouvent la plus grande difficulté à retrouver une armée assez solide pour assurer ses missions : c’est le cas du Royaume-Uni dont les forces peinent à se régénérer depuis leurs interventions en Irak et en Afghanistan. Nous ne pouvons prendre le risque de voir notre armée incapable d’agir par manque de moyens.

Le président de la République a réaffirmé son engagement de porter, à l’horizon 2025, les dépenses militaires à 2 % du PIB. Je précise que cet effort s’entend hors pensions et hors OPEX, soit 50 milliards d’euros à périmètre constant – certains sont tentés de voir les choses différemment et soutiennent, usant de techniques que vous connaissez parfaitement, que nous sommes déjà à 2 %.

M. le président. Nous en sommes à 1,7 %.

Mme la ministre. Le sujet n’est pas de donner dans l’affichage mais bien de passer de 1,7 %, en effet, à 2 % du PIB ; il n’est pas question d’y intégrer les Anciens combattants et autres missions qui, si elles participent au paysage général, n’ont jamais fait partie du périmètre de comptabilisation de l’effort de défense. Car tout cela correspond à une réalité physique : il ne s’agit pas seulement de chiffres mais de moyens, de personnels, de régénération de nos équipements.

Avant même d’élaborer le prochain projet de loi de programmation militaire, mon objectif est de préparer le projet de loi de finances pour 2018 et, plus urgent encore, d’examiner la gestion pour 2017 puisque, vous le savez, des ajustements, à la suite du rapport de la Cour des comptes, sont prévus à très brève échéance.

Le dimensionnement de notre outil de défense est avant tout un choix politique. Tous les choix politiques sont possibles ; encore faut-il qu’ils trouvent une traduction concrète dans les moyens donnés aux forces armées.

Je reviens sur notre ambition européenne. Les décisions récentes du Conseil européen nous offrent une réelle opportunité de construire une défense forte, plus protectrice parce que conçue, précisément, à l’échelle de l’Europe, et dont les moyens seraient davantage mis en commun. En tant que principale puissance militaire européenne, la France a un rôle éminemment moteur à jouer. Nous devrons d’abord organiser la complémentarité opérationnelle et capacitaire et, au-delà du couple franco-allemand, associer non seulement de grands pays comme l’Espagne et l’Italie, mais aussi le plus grand nombre de nos partenaires européens afin que ces derniers n’aient pas l’impression d’une Europe à deux vitesses, avec d’un côté des acteurs majeurs et de l’autre les « petits pays ».

J’en viens à mes projets pour ce qui concerne les ressources humaines. Mes prédécesseurs avaient lancé un plan important d’amélioration des conditions de vie et de travail des personnels du ministère ; j’entends en poursuivre la réalisation car il est de notre devoir d’offrir les meilleures conditions de vie possible à ceux qui prennent tant de risques pour défendre nos libertés. Beaucoup a été fait dans le domaine de la qualité de vie, des conditions de travail, d’hébergement, de l’habillement – qui constituent également de réels éléments de sécurité pour nos soldats – de plus grande qualité, comme dans celui de la simplification des procédures administratives : c’est un élément de cohésion au sein du ministère et notamment entre personnels civils et militaires.

Si le ministère de la Défense, devenu ministère des Armées, s’est profondément modernisé, l’effort en la matière n’est pas achevé. La véritable mue ainsi engagée a en tout cas valeur d’exemple dès lors qu’on évoque la réforme de l’État – nous pouvons en effet être très fiers de cette performance : la diminution de 65 000 personnels n’a pas empêché des gains d’efficacité significatifs, j’y insiste. Nous allons poursuivre l’adaptation du ministère aux défis de la modernité, en ce qui concerne tant les hommes que les matériels, qui certains doivent être renouvelés par l’entrée en service de nouvelles générations d’équipements permettant un réel saut technologique : la réforme de la DGA sera à cet égard un élément déterminant. Nous allons prochainement désigner un nouveau DGA qui aura pour mission non seulement d’améliorer la qualité et de veiller à la modernité de nos équipements, mais également d’engager une profonde transformation visant à trouver des modes de financement innovants pour accélérer le renouvellement des matériels.

Un mot sur les industries de défense, dont il a beaucoup été question lors du Salon du Bourget. Une défense nationale crédible doit pouvoir s’appuyer sur une base industrielle et technologique de premier plan. J’ai rappelé que la DGA était le premier investisseur de l’État : 17 milliards d’euros par an sont dépensés chaque année pour couvrir à la fois nos besoins d’armement et nos besoins en infrastructures. Ces programmes d’investissement, très structurants pour nos armées et pour notre industrie, apportent une contribution essentielle au développement économique, à l’innovation et à l’emploi. Notre industrie de la défense irrigue un tissu de 1 800 entreprises représentant quelque 15 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 150 000 emplois. Elle dégage sept milliards d’euros d’excédent commercial, contribuant ainsi de manière décisive à notre commerce extérieur.

L’industrie de défense est aujourd’hui confrontée à deux défis principaux : celui de l’innovation et celui de la coopération et l’intégration européenne.

L’innovation est un des moteurs du développement de l’économie. Nous la soutiendrons en portant à un milliard d’euros le budget annuel de la recherche et technologie de défense, contre 730 millions aujourd’hui. Un effort tout particulier sera consacré aux petites et moyennes entreprises (PME). Nous serons particulièrement attentifs aux technologies et aux filières clés qui seront protégées. Enfin, nous proposerons une initiative pour l’innovation dans les technologies de sécurité et de défense, appuyée sur les programmes des investissements d’avenir (PIA).

Par ailleurs, la période récente a été riche en consolidations industrielles dans le secteur de la défense, avec des mouvements tels que nous n’en avions pas connu depuis le début des années 2000 : KNDS, OneMBDA, Airbus Safran Launchers, ou encore le rapprochement en cours entre Safran et Zodiac. La consolidation industrielle reste un enjeu primordial de développement de nos entreprises et il reste encore beaucoup à faire, en particulier au niveau européen.

Je tiens enfin à partager quelques-unes de nos réussites à l’exportation. Mon prédécesseur s’est montré particulièrement actif en la matière et j’entends bien poursuivre dans cette voie. En 2016, les prises de commande ont en effet atteint 14 milliards d’euros. La France exporte donc désormais plus d’armements qu’elle n’en achète ; il faut s’en féliciter compte tenu du rôle que joue cette industrie dans le développement économique du pays et sa balance commerciale.

Nous remportons également des contrats de long terme comme la conception et la réalisation pour l’Australie de 12 sous-marins. J’accueillerai le Premier ministre australien dimanche prochain à Cherbourg pour inaugurer les premiers locaux dédiés aux travaux d’ingénierie de ce chantier. Nos succès commerciaux sont le fruit de la grande qualité de nos matériels et de nos technologies ainsi que d’une structuration coordonnée et efficace entre les autorités politiques, la DGA, les armées et les industriels. « L’équipe France » est en ordre de marche ; j’y prendrai pleinement ma place au service d’une politique d’exportation volontariste, coordonnée et dynamique.

Pour finir, je souhaite placer au cœur de mon action à la tête du ministère le renforcement du lien entre armées et Nation, lequel commence naturellement par le respect pour les anciens combattants qui doivent être pleinement intégrés à la société et recevoir à la hauteur de ce qu’ils ont donné – anciens combattants qui, vous le savez, sont de plus en plus jeunes. Ce lien passe également par la jeunesse : les armées ont toute leur place dans leur formation. Elles doivent continuer à porter auprès des jeunes les valeurs de la République. Le chantier du service national obligatoire, voulu par le président de la République, participe de cette dynamique. J’ai demandé à la secrétaire d’État placée sous ma responsabilité, Geneviève Darrieussecq, de bien vouloir suivre spécifiquement ces dossiers.

J’en ai terminé, vous présentant mes excuses pour l’excessive longueur de mon propos. Je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions, sollicitant votre indulgence dans la mesure où j’ai pris mes fonctions il y a seulement deux semaines et que je ne saurai donc avoir réponse à tout. J’entends toutefois vous répondre, quitte à le faire de manière différée. (Applaudissements)

M. le président. Nous vous remercions, Madame la ministre, pour ce panorama très dense et très complet ; j’ai pu constater à quel point mes collègues suivaient attentivement vos propos. Je commencerai par donner la parole aux représentants des groupes – par ordre d’inscription – puis la laisserai aux autres députés inscrits.

M. François André. Nous vous remercions, Madame la ministre, pour cette présentation tout à la fois dense et didactique. Ma question portera sur l’exécution de la loi de programmation militaire. Cette dernière a connu, depuis son adoption en 2013, des évolutions peu courantes, marquées par des inscriptions annuelles supérieures aux prévisions – on avait plutôt connu l’inverse dans le passé. De 31,6 milliards d’euros annuels prévus en 2013, on est passé à près de 33 milliards sous l’effet de l’actualisation de juillet 2015 qui a permis la montée en puissance de la force opérationnelle terrestre, le renforcement de notre capacité de transport aérien et l’accroissement de nos capacités de renseignement et de cyberdéfense. De même, en matière d’effectifs, la loi de programmation militaire prévoyait, d’ici à 2019, une diminution de 33 675 postes, déflation ramenée à 15 000 postes seulement lors de l’actualisation, jusqu’à ce que le président Hollande mette un terme aux suppressions d’effectifs au lendemain des attentats perpétrés à Paris et à Saint-Denis.

Au sein de cette commission, nous pouvons tous nous féliciter de cette augmentation d’un milliard d’euros entre la LPM initiale et le projet de loi de finances pour 2017. Mais la vigilance s’impose : connaissant très bien l’administration de Bercy, Madame la ministre, vous le savez mieux que personne. Cette vigilance s’impose sur trois points : d’abord sur la mise à disposition effective de la réserve de précaution car, sauf erreur de ma part, des crédits sont réservés ; ensuite sur les risques constants de report d’un exercice à l’autre – la fameuse « bosse budgétaire » ; enfin sur la couverture par les crédits interministériels des surcoûts des OPEX, au-delà des crédits ministériels inscrits en projet de loi de finances.

Sur ces trois points comme sur la trajectoire de la loi de programmation militaire, quels éléments d’information pouvez-vous nous apporter à ce stade de l’exécution de la loi de finance pour 2017 ?

M. le président. La réponse risque d’être très longue !

M. Joaquim Pueyo. Nous vous remercions pour votre intervention, Madame la ministre. Nous sommes tous d’accord pour considérer la lutte contre le terrorisme comme une priorité pour la France et pour l’Europe.

Pour ce qui est du budget, ma question rejoint celle de l’intervenant précédent : quelle sera la trajectoire qui permettra d’atteindre un budget des armées représentant 2 % du PIB, soit, tout de même, quelque 50 milliards d’euros en 2025. Or, pour 2018, le chef d’état-major des armées, le général de Villiers, réclame d’ores et déjà trois milliards d’euros supplémentaires dont un milliard pour les OPEX. Quid, par ailleurs, des crédits gelés, estimés à plus de deux milliards d’euros ?

Ma deuxième observation concerne la mise en œuvre du service national obligatoire. Je reste très sceptique sur cette mesure : mobiliser 700 000 à 800 000 jeunes pendant un mois, pour quoi faire ? Si c’est pour renforcer le lien entre les armées et la Nation, des dispositifs ont déjà été mis en place comme la réserve opérationnelle, le service civique, le service militaire adapté, les établissements pour l’insertion dans l’emploi (EPIDE), les cadets de la défense. Instaurer un service national obligatoire me paraît compliqué compte tenu des contraintes budgétaires.

J’en viens pour finir à la politique de sécurité et de défense commune. La plupart des membres de la commission de la Défense de la précédente législature étaient favorables au renforcement de l’Europe de la défense, souvent invoquée mais qui n’existe toujours pas dans les faits – le traité de Lisbonne n’a pas été totalement mis en œuvre sur ce point. Dès lors, définirons-nous une stratégie européenne ? Les besoins sont énormes. Déjà nous avions proposé de modifier le dispositif Athena, ce qui a été fait, si bien que l’Europe intervient désormais à Bamako pour former les militaires, les gendarmes et les policiers maliens. L’opération Sophia, en mer Méditerranée, permet quant à elle de venir en aide aux réfugiés qui quittent l’Afrique pour l’Europe dans de très mauvaises conditions. Les déficits publics des pays membres de l’Union européenne, on le sait, ne doivent pas dépasser 3 % du PIB ; aussi, êtes-vous favorable à la possibilité de ne pas prendre en compte, dans le calcul de ce déficit, les sommes considérables que dépensent certains États pour cette Europe de la défense ? J’ai déjà posé cette question à plusieurs reprises à votre prédécesseur, sachant que si la France y est disposée, d’autres pays le sont moins.

Mme Marianne Dubois. Le 18 mars dernier, le président de la République présentait sa politique de défense. Il projetait d’instaurer un service militaire obligatoire encadré par les armées et par la gendarmerie nationale, quelque 600 000 jeunes devant être concernés chaque année. Mardi dernier, dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre n’a évoqué que très brièvement la création d’un nouveau service national, sans mentionner s’il serait obligatoire. Les contraintes budgétaires, j’imagine, donnent un sérieux coup de frein à ce projet. En outre, nous avons travaillé pendant un an, avec Joaquim Pueyo, sur la question et toutes les personnes auditionnées nous ont confirmé le caractère illusoire d’un service militaire de courte durée. Pourquoi dès lors ne pas privilégier une autre forme de service national comme les cadets de la défense, dispositif qui a fait ses preuves au Canada, et que la suppression de la journée défense et citoyenneté (JDC) permettrait de financer ?

Mme la ministre. Au risque de vous décevoir, je ne suis pas en mesure de répondre de façon très précise à vos questions sur le budget puisque toutes les décisions ne sont pas encore prises. Je tiens néanmoins à souligner que tous les points de vigilance que vous avez relevés sont les miens. Vous l’avez rappelé, l’une des difficultés de l’élaboration du budget pour 2018 tient au fait que le socle budgétaire de 2017 ne comporte pas tous les effets en année pleine liés aux décisions prises après l’attaque du Bataclan ou et autres événements importants survenus pendant l’année 2016. Pour mon collègue Gérald Darmanin, c’est de l’argent frais qu’il va falloir trouver ; mais, de mon point de vue, ce n’est pas de l’argent frais puisqu’il s’agit de financer des opérations déjà engagées et sur le financement desquelles nous ne disposons d’aucune marge de manœuvre, à moins de les interrompre. Nous travaillons en bonne intelligence avec le ministère de l’Action et des Comptes publics mais il est trop tôt pour savoir quelles décisions seront prises dans la perspective du projet de loi de finances pour 2018.

Des mesures d’ajustement pourraient néanmoins être décidées dans l’immédiat afin de tenir compte des impasses budgétaires mises en lumière par la Cour des comptes.

Il est vrai qu’une réserve très importante de crédits a été mise en place sur les crédits votés en loi de finances pour 2017, dont nous n’avons pas la disponibilité effective pour un montant de 2,7 milliards d’euros.

Nous avons également un « matelas », un « coussin », une « bosse » – appelez-la comme vous voulez – de crédits de paiement qui correspondent à des programmes engagés mais dont la trésorerie, en quelque sorte, en termes de crédits budgétaires, peut-être plus ou moins pilotée ; à ceci près que, au bout d’un certain temps, il faut tout de même payer. Si on ne le fait pas, on finit par payer des intérêts moratoires, on crée des situations délicates pour un certain nombre d’entreprises, etc. Nous restons donc très attentifs à ce qu’on ne majore pas les reports en question.

Quant à la couverture des surcoûts des OPEX, elle n’est pas amenée à se réduire : ces opérations coûtent de 800 millions à un milliard d’euros par an, alors que le socle initial ne prévoit « que » 450 millions d’euros. C’est pourquoi, année après année, il faut rechercher, en cours d’exercice, le financement du complément. Nous avons eu de bonnes et de mauvaises années : parfois le ministère de la Défense a pu bénéficier, conformément à la loi de programmation militaire, d’un financement complémentaire par le biais d’une cotisation interministérielle, si vous me permettez de l’appeler ainsi ; mais il y en a eu de moins bonnes, celles où le ministère a dû financer lui-même ce complément.

Dans nos discussions avec le Premier ministre et son cabinet, nous faisons valoir des arguments très solides, très sérieux car fondés sur des réalités. Nous verrons bien, dans les jours qui viennent, si nous aurons été entendus. Quoi qu’il advienne, je puis vous assurer que nous sommes pleinement engagés pour protéger au mieux les moyens prévus pour 2017, car nous avons parfaitement conscience que les années 2017 et 2018 se tiennent : diminuer les moyens décidés pour 2017 rendra d’autant plus difficile le financement de ceux de l’année 2018. Il faut de surcroît être réaliste : les conditions d’arbitrage pour le budget de 2018 ne seront pas très faciles non plus…

J’ai bien connaissance du chiffre que le chef d’état-major des armées a rappelé comme cible : il a raison de considérer qu’il faut trouver les financements pour les OPEX et, en même temps, assurer la régénération de l’équipement des armées. Nous ne sommes pas en désaccord sur ce point.

J’ai bien entendu toutes les questions que vous vous posez sur le service national obligatoire. Sachez qu’à ce stade le projet n’est pas figé et que nous avons conscience qu’il sera nécessaire d’y travailler tous ensemble, que sa mise en place ne pourra être que progressive, que le dispositif devra peut-être revêtir un caractère modulaire – d’autant que nous ne partons pas de rien puisqu’il existe plusieurs mécanismes comme la réserve, la garde nationale… qu’il nous faudra d’ailleurs sans doute revisiter. J’insiste sur le fait que le service national ne peut être de la seule responsabilité du ministère des Armées, mais qu’il doit relever d’une politique interministérielle destinée à améliorer l’employabilité de nos jeunes tout en les sensibilisant aux enjeux de défense et de sécurité – on mesure bien là la nature duale des objectifs que le service national devra poursuivre. Mme Darrieussecq s’investira tout particulièrement sur le sujet. Reste qu’il m’est pour l’heure quelque peu difficile de vous annoncer de quelle manière nous allons travailler et sous quelle forme. Nous vous tiendrons de toute façon très étroitement associés car je ne doute pas que vous aurez de nombreuses propositions à nous soumettre, et qui nous éclaireront beaucoup.

M. Philippe Folliot. Entamant au sein de cette commission ma quatrième législature, je puis affirmer que le métier de militaire n’est comparable à nul autre parce qu’au bout de l’engagement du soldat il y a le sacrifice suprême, celui de la vie. Le président de la République a montré qu’il en avait bien conscience à travers sa très symbolique visite à Percy le jour même de son investiture, et en consacrant sa première visite hors Europe à nos troupes engagées dans l’opération Barkhane.

Permettez-moi de redire après vous, Monsieur le président, combien il est important que les règles de fonctionnement de la commission soient respectées : ici, le ministre de la Défense a toujours eu des alliés, quels que soient les groupes, contrairement à d’autres ministres, comme celui que vous avez été dans une vie antérieure… Et cet état d’esprit, au sein de la commission de la Défense, sera d’autant plus nécessaire que nous aurons à définir la future loi de programmation militaire, enjeu considérable s’il en est. Les précédentes LPM avaient toutes affiché des objectifs et des moyens en adéquation, qu’elles aient été adoptées sous une majorité de gauche ou sous une majorité de droite, mais la traduction budgétaire n’a pas toujours suivi, au point qu’il nous a fallu voter une actualisation de la dernière LPM pour corriger un certain nombre de dérives.

Par ailleurs, il ne faut jamais oublier que les deux tiers des déflations d’effectifs de l’État ont été supportés par le seul ministère de la Défense. Cet élément me semble devoir être mis en avant dans les discussions que vous aurez bientôt sur les arbitrages budgétaires.

Vous aurez, nous aurons plusieurs défis à relever. J’en mentionnerai deux : d’abord, sachant que l’opération Sentinelle a des conséquences importantes sur la préparation opérationnelle de nos forces, comment entendez-vous, Madame la ministre, assurer l’avenir ? Ensuite, en ce qui concerne la situation de nos matériels, je ne citerai qu’un chiffre : seulement 300 véhicules de l’avant blindés (VAB) sur 2 700 sont en état de fonctionner !

M. Bastien Lachaud. Nous vous remercions, Madame la ministre, pour cette présentation. Je tiens à préciser que je regrette le changement de l’intitulé de votre ministère : s’il est important de saluer les personnels civils et militaires qui défendent la patrie, et nous en sommes tous d’accord au sein de cette commission, il n’est pas moins important, à notre époque, de rappeler la mission fondamentale de nos armées qui est de défendre le territoire national et sa population.

Voilà qui m’amène à vous interroger sur nos relations avec l’OTAN. Vous avez évoqué la position ambiguë des Américains ainsi que la nôtre, qui oscille entre confiance et vigilance. Pour nous, l’OTAN reste une alliance qui date de la guerre froide et dont les objectifs paraissent quelque peu dépassés, une alliance qui sert principalement les intérêts étasuniens plutôt que l’ensemble des intérêts alliés.

Au salon du Bourget, la semaine dernière, j’ai rencontré plusieurs industriels, dont un représentant de MBDA, qui m’expliquait que le fait que nous n’ayons toujours pas de missiles air-sol de moyenne portée pour équiper nos hélicoptères Tigre nous avait conduits à acheter sur étagère des missiles américains, notamment pour des opérations en Afghanistan ; mais lorsque nous avons voulu les déployer au Mali, nous avons dû attendre pendant six mois l’autorisation américaine pour les utiliser ! De même, les opérations franco-allemandes menées dans la perspective de l’Europe de la défense, s’inscrivent pour la plupart dans le cadre de l’OTAN. Quel est, dès lors, l’intérêt d’une défense européenne si elle n’est pas indépendante vis-à-vis de l’OTAN ?

Dans le même ordre d’idée, envisagez-vous de revenir sur la loi du 20 avril 2016 autorisant l’accession de la France au protocole sur le statut des quartiers généraux militaires internationaux créés en vertu du Traité de l’Atlantique nord – laquelle loi autorise le retour des forces de l’OTAN sur le territoire national alors qu’elles n’y avaient plus accès depuis la décision du général de Gaulle ?

Enfin, plus grave encore, qu’en est-il de la mise en conformité de nos armements avec les normes OTAN ? Il y va en effet de la souveraineté nationale si nous nous trouvons – comme du reste c’est déjà souvent le cas – avec des armes américaines ou qui doivent être conformes aux normes de l’OTAN.

M. André Chassaigne. Je fais un peu la voiture-balai, je ne vais donc pas répéter ce qui a déjà été dit.

M. le président. Vous n’êtes pas le dernier à vous exprimer au nom des groupes, Monsieur Chassaigne.

M. André Chassaigne. Madame la ministre, vous avez indirectement dessiné le périmètre de votre ministère, si bien que je m’interroge sur votre compétence vis-à-vis de l’industrie de l’armement, mais surtout sur votre compétence en ce qui concerne les anciens combattants et le devoir de mémoire. J’appelle ici votre attention sur une doléance de toutes les associations d’anciens combattants : avoir un interlocuteur. Elles auraient certes souhaité un ministre… Dans la configuration actuelle, y aura-t-il une personne qui sera leur interlocuteur privilégié ? Cette question, j’y insiste, inquiète les associations. Il faut que le Gouvernement marque sa reconnaissance pour ce qu’ont fait nos anciens pour nos libertés.

Ensuite, j’ai apprécié que vous n’ayez pas présenté la volonté de porter le budget de la défense à hauteur de 2 % du PIB comme un simple objectif, mais bien comme une réponse aux besoins. Chacun sait bien qu’il s’agit en fait d’une injonction de l’OTAN, les PIB variant du reste d’un pays à l’autre. Je considère qu’il s’agit d’un mauvais objectif et qu’il ne faut pas raisonner en termes de trajectoire, mais en se posant la question : comment répondre, en termes de budget, aux besoins afin de mettre à niveau notre défense nationale ? Et j’insiste sur les mots « défense nationale », car je ne pense pas forcément à une force de projection destinée à intervenir dans d’autres pays.

Envisagez-vous de réexaminer la part, très importante, du nucléaire dans le budget de la défense ? Quelle sera votre politique en la matière ?

Mènerez-vous une politique de fabrication française ? Notre fusil est allemand, nos pistolets sont suisses, nos mitrailleuses sont belges, nos munitions d’un peu partout, les chaussures de nos soldats sont allemandes, les tenues de combat fabriquées en Tunisie – et retouchées en France du fait de leur mauvaise qualité ; et j’ajoute que les couteaux d’apparat sont, je crois, allemands – ils ne sont même pas fabriqués en France alors que le fleuron de l’industrie coutelière se trouve à Thiers, dans la circonscription où j’ai été élu !

Enfin, les industries de l’armement sont de plus en plus aux mains de capitaux privés alors que nous avons une industrie publique de l’armement. Pensez-vous conforter cette dernière de façon que nous maîtrisions vraiment la fabrication de nos armements et afin que nous cessions de la confier aux groupes privés qui songent avant tout à leurs intérêts financiers et pas forcément à celui de la Nation ?

M. Olivier Becht. Je félicite Mme la ministre pour sa nomination et lui souhaite pleine réussite dans sa mission.

Vous avez souligné, Madame la ministre, les incertitudes quant à l’application de l’article 5 du traité de l’Atlantique nord, qui est pourtant historiquement sa raison d’être. Vous avez par ailleurs souligné que l’effort sur les plans financier et opérationnel pour l’Europe de la défense repose en réalité sur deux États dont l’un ne sera bientôt plus membre de l’Union européenne. Envisagez-vous, avec le président de la République, d’apporter des modifications institutionnelles à l’Europe de la défense et, dans l’affirmative, dans quel cadre ?

Mme la ministre. Je ne pourrai pas répondre à toutes les questions, d’autant qu’elles comportent bien des sous-questions…

Je commencerai par la relance de l’Europe de la défense. La situation a évolué de façon assez rapide ces dernières années puisque le traité de Lisbonne a créé un poste de haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, actuellement occupé par Federica Mogherini, chargée d’élaborer une stratégie globale pour l’UE, mission confirmée par le Conseil européen. Nous avançons sur plusieurs fronts : sur le front opérationnel puisque, très récemment, une capacité de planification et de conduite des opérations a été mise en place, dont nous cherchons à améliorer le financement, en particulier à travers la révision du dispositif Athena ; sur le front capacitaire ensuite, puisque la Commission européenne est en train d’élaborer un projet de règlement portant sur un Fonds européen de la défense dont le financement sera consacré à des projets industriels européens menés en coopération entre les différents pays. Ce dernier point est encore en discussion, notamment dans le cadre d’un processus nommé « Coopération structurée permanente ».

Beaucoup reste à accomplir, mais l’important est de faire avancer la construction de l’Europe de la défense dont on a beaucoup parlé, sans que ce soit jusqu’à présent suivi de beaucoup d’effets. À ce titre, la qualité de la relation franco-allemande sera un élément clef : même si ce processus doit irriguer le plus grand nombre de pays européens, nous avons besoin de pays moteurs pour initier la démarche. Nous reparlerons de ces sujets le 13 juillet en conseil de défense franco-allemand et lors de la rencontre entre le président de la République et la chancelière allemande.

Vous m’avez ensuite interrogée sur l’impact de l’opération Sentinelle sur la préparation opérationnelle des forces. Nous en sommes pleinement conscients et c’est pourquoi nous souhaitons, avant tout, stabiliser l’effectif engagé dans ce dispositif – et si « stabiliser » ne signifie pas forcément « réduire », cela ne veut pas dire pour autant « augmenter ». Nous recherchons le moyen de rendre la force Sentinelle plus flexible afin d’en renforcer l’efficacité. Il m’est difficile de vous en dire davantage à ce stade mais je ne doute pas que nous poursuivrons cet échange.

Vous regrettez, Monsieur Lachaud, le nouvel intitulé du ministère. Je me suis déjà exprimée sur ce point et j’entends bien que les opinions peuvent diverger.

Pour ce qui est de nos relations avec l’OTAN, il est vrai que nous nous trouvons dans une période quelque peu charnière puisque, au fond, les intentions de notre allié américain ne sont pas tout à fait claires et lisibles. Nous sommes tous très vigilants pour éviter que l’OTAN ne devienne le vase d’expansion des États-Unis en matière d’engagements budgétaires au cas où ils voudraient moins s’impliquer dans la protection de leurs alliés européens. Je ne suis pas spécialiste des affaires de l’OTAN, aussi ne m’aventurerai-je pas dans l’histoire de cette organisation, mais on sait très bien que l’effort américain est tout à fait significatif – la contribution des États-Unis est même la plus importante. Que les Américains cherchent à faire monter en puissance la participation des alliés est plutôt compréhensible, mais cela reste une question de proportion – laquelle doit rester raisonnable –, et ne doit pas impliquer un désengagement de leur part. En tout cas, nous n’avons pas du tout l’intention de pratiquer la politique de la chaise vide au sein de l’OTAN, cela parce que nous faisons preuve d’une très grande vigilance en la matière.

Comme l’OTAN ne participe pas à toutes les opérations dans lesquelles nous sommes engagés, nous considérons que quand l’organisation demande davantage d’argent en particulier auprès de la France, nous avons quelques arguments à faire valoir pour ne pas contribuer nécessairement dans les proportions souhaitées. Ce qui ne signifie pas que l’objectif de 2 % du PIB ne soit pas un bon objectif pour nous en termes d’effort national de défense.

Nous souhaitons pouvoir continuer à mener des opérations sans nécessairement devoir compter sur la participation de l’OTAN. Nous n’avons donc pas le sentiment de sacrifier notre autonomie, notre souveraineté, y compris en ce qui concerne les armements. Pour le peu que j’ai pu constater du fonctionnement de l’organisation, l’un de ses atouts majeurs a été de développer, au fil des années, une interopérabilité potentielle entre les armées des différents pays, et « potentielle » ne signifie pas obligatoire ; mais, dès lors que nous ne disposons pas d’un système d’armements intégrable dans une unité de commandement, nous nous privons de facto de la capacité, si nous le décidons, de participer à un certain nombre d’opérations. De ce point de vue, il ne s’agit pas de renoncer à notre autonomie, à notre souveraineté, mais de disposer d’une capacité supplémentaire, d’une liberté que nous nous donnons.

Il n’en reste pas moins que nous veillons à notre autonomie, en particulier en ce qui concerne les composants américains qui doivent être soumis à ce que les spécialistes nomment la procédure ITAR (International Traffic in Arms Regulations). Autrement dit, nous ne souhaitons pas être dépendants d’un certain nombre de matériels ou de composants que l’industrie américaine fabrique ; échapper à ce monopole et y échapper parce qu’il est américain, voilà deux bonnes raisons de ne pas nous lier les mains. C’est pourquoi la capacité que nous aurons, à terme, de développer une industrie de la défense plus européenne, nous rendra moins dépendants des États-Unis.

J’ai rappelé que l’industrie de l’armement était importante pour l’économie nationale. M. Chassaigne a énuméré tous les matériels que nous ne fabriquons pas…

M. André Chassaigne. Il y en a d’autres encore !

Mme la ministre. Il y en a peut-être d’autres, mais vous n’avez pas cité la très longue liste de ce que nous fabriquons encore. C’est l’histoire du verre d’eau à moitié vide ou à moitié plein, et il me semble pour ma part qu’il est bien plus plein que vide. Qui plus est, dans la mesure où nous nous inscrivons résolument dans un espace économique européen, il est parfois préférable d’acheter européen plutôt qu’américain… Et surtout, lorsque les matériels en question sont disponibles très rapidement, cela peut présenter un intérêt opérationnel certain. Je sais que je ne vous convaincrai pas avec ce type d’arguments…

M. André Chassaigne. J’ai des exemples précis.

Mme la ministre. Je ne saurai vous répondre en ce qui concerne les couteaux de Thiers, mais je vous promets de prendre en considération cette dimension très importante pour notre économie. Vous pourrez me compter parmi les farouches défenseurs de l’industrie nationale même si elle doit s’inscrire dans un cadre européen.

J’en viens aux anciens combattants. Le parti a été pris de désigner des secrétaires d’État sans attributions préétablies. Cela étant, il me paraît important que la secrétaire d’État placée auprès de moi ait une feuille de route aussi claire que possible. Nous sommes en train de mettre un point final à ce qui sera une lettre de mission que je lui adresserai et qui pourra, bien sûr, être corrigée au fil du temps en fonction des besoins. Or les anciens combattants et le devoir de mémoire constituent l’un des thèmes dont je souhaite qu’elle soit chargée à titre personnel ; il y aura donc bien une interlocutrice dédiée pour les associations d’anciens combattants, pour l’Office national des anciens combattants et des victimes de guerre (ONAC-VG), etc. Elle se tient d’ores et déjà à votre disposition pour aborder avec vous ces questions.

Je terminerai par une question à laquelle je ne saurai pas bien répondre mais qui se trouve bien, si j’ose dire, sur mon écran radar, à savoir le poids du nucléaire dans le futur. Nous savons que, dans le cadre de la loi de programmation militaire, c’est l’un des sujets qu’il nous faudra traiter : la force de dissuasion nucléaire nécessitera probablement des investissements complémentaires qui n’ont pas nécessairement vocation à figurer dans le projet de budget pour 2018 sur lequel, du reste, nous travaillerons ensemble.

M. le président. Nous vous remercions, Madame la ministre, pour toutes ces réponses.

Huit députés devaient encore intervenir, mais l’agenda de Mme la ministre ne le permet pas. Si leurs questions sont urgentes, qu’ils me les adressent par écrit et je les transmettrai – elles seront intégrées au compte rendu. Dans le cas contraire, nous attendrons la prochaine audition.

Mme la ministre. Je suis à votre disposition.

M. Patrice Verchère. Je souhaite intervenir au nom du groupe Les Républicains. Cette audition s’est révélée très utile ; toutefois, non seulement elle s’est déroulée en même temps qu’était examiné en séance le projet de loi prorogeant l’état d’urgence, mais nous ne pouvons même pas poser notre question. Je trouve cela dommage.

M. le présidentL’audition a tout de même duré deux heures.

M. Patrice Verchère. Eh bien, pour une première audition, elle est un peu ratée. (Protestations.)

M. le président. Pas du tout !

M. Louis Aliot. Monsieur le président…

M. le président. Non, l’audition est terminée !

M. Louis Aliot. je suis député comme les autres. Les non-inscrits n’ont pas eu droit à la parole alors que j’avais levé le doigt presque le premier !

M. le président. J’ai donné la parole aux représentants des groupes. Si vous avez une question, vous pouvez en transmettre une version écrite.

Mme la ministre. Et nous y répondrons, Monsieur le député.

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