M. le président Jean-Jacques Bridey. Avant de commencer cette audition, je voudrais dire quelques mots. Mon général, cela fait maintenant cinq ans que vous occupez les fonctions de chef d’état-major de l’armée de terre. Je siégeais déjà dans cette commission à votre arrivée, je m’en souviens. Je vois d’ailleurs d’autres « anciens », ici. Durant ces cinq ans, aussi bien sous la précédente législature que sous l’actuelle, nous avons toujours eu plaisir à échanger avec vous de manière franche, amicale, constructive et directe. Vous avez fait beaucoup pour nous transmettre, avec pédagogie, votre philosophie de l’armée de terre. Je dis cela parce que vous quitterez vos fonctions à la fin du mois de juillet de cette année. (Exclamations attristées sur tous les bancs.) Il s’agit probablement de votre dernière audition devant cette commission, à moins qu’un événement extraordinaire ne nous amène à vous entendre d’ici la fin du mois de juillet, une hypothèse que je ne peux raisonnablement considérer avec envie, même si elle nous donnerait le plaisir de vous revoir. Mon général, je me fais le porte-parole de mes collègues : c’est avec beaucoup de tristesse que nous allons vous voir partir. Vous avez atteint la limite d’âge, me dîtes-vous, et pourtant, vous êtes bien jeune ! Mais ce sont les règles dans nos armées… Merci pour tout ce que vous avez fait pour l’armée de terre et pour avoir tant contribué à une meilleure compréhension entre les armées et le Parlement. De tous : un grand merci !
Général Jean-Pierre Bosser. Merci pour ces mots chaleureux, Monsieur le président, et pour les regards, non moins chaleureux, que j’ai croisés dans cette salle tout au long de votre propos. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de m’accueillir une nouvelle fois parmi vous. Il est en effet probable que cette audition soit, pour moi, la dernière en tant que chef d’état-major de l’armée de terre, ce qui rend ce moment singulier. Si vous le permettez, mon propos liminaire sera donc un peu plus long que d’habitude. Au cours des cinq années écoulées, j’ai eu, avec les parlementaires de la commission de la Défense et des forces armées de l’Assemblée nationale, des relations de qualité, riches et denses. Depuis le début de cette législature, vous m’avez reçu à de nombreuses reprises, pas moins de six fois en deux ans, en comptant aujourd’hui. Ces auditions sont des moments importants – et je le dis régulièrement à mes hommes en unités – qui complètent utilement, à mon sens, le travail que vous faites, en vous rendant très régulièrement dans les forces, que ce soit à l’occasion de missions d’information, de rapports thématiques, ou simplement dans vos circonscriptions. J’ai d’ailleurs noté avec beaucoup de satisfaction que vous étiez nombreux à visiter le centre d’entraînement en zone urbaine (CENZUB) le 30 avril dernier. Pour ma part, je présidais la cérémonie de Camerone, à Aubagne, et déplacer Camerone le 30 avril, c’est évidemment très compliqué. Mille excuses, donc, pour ne pas vous avoir vu alors !
Au fil de ces auditions et des relations que nous avons nouées, je crois pouvoir dire que nous avons toujours travaillé en pleine confiance, ce qui m’a permis d’être extrêmement libre dans mes propos. De votre côté, j’espère que cette relation de confiance vous a amené à remplir votre mission dans de bonnes conditions. Je suis persuadé que vous saurez établir des relations de la même qualité avec mon successeur. Dans ce propos liminaire, et au moment où je me prépare à quitter l’armée de terre, je vous propose, non pas un testament – ce serait bien triste ! –, mais une appréciation de situation déclinée en trois points : ma vision de l’armée de terre aujourd’hui, ce que je perçois comme les défis qui l’attendent à l’avenir et les points d’attention qui sont les miens et que je transmettrai à mon successeur, alors que nous sommes désormais au milieu de la première année de la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025.
Notre armée de terre est très engagée en opérations extérieures comme sur le territoire national. Elle fait la Guerre – avec un G majuscule – au Sahel et au Levant notamment, où nos soldats conduisent, toutes les semaines, des opérations de combat difficiles. Une des caractéristiques de notre engagement, par rapport à bon nombre de nos alliés, est que nous sommes une armée d’emploi et que, de fait, nous nous exposons. Nous combattons sur le terrain et délivrons des feux. La task force Wagram a été, par exemple, la seule force terrestre conventionnelle non américaine engagée au combat pendant l’opération Inherent Resolve et ce, pendant huit mandats depuis août 2017 (soit 18 000 coups de canon tirés en deux ans). L’armée de terre est aussi devenue un acteur majeur de la protection du territoire national, par ses unités engagées, en alerte et en réserve. Elle use de la force, en dernier recours et toujours avec retenue, comme en témoigne l’intervention de soldats de Sentinelle du 152e régiment d’infanterie pour neutraliser un terroriste qui s’en était pris à la population française, lors du marché de Noël de Strasbourg, le 11 décembre dernier.
Mais si l’armée de terre fait la guerre, elle se doit, en contrepartie, de soutenir ses blessés et ses familles de militaires décédés. En cinq ans, j’ai rendu hommage à vingt soldats morts en service et suis resté en contact avec 107 familles endeuillées ou proches de soldats blessés grièvement. Je ne veux surtout pas que l’armée de terre les oublie mais bien plus, je souhaite que toute notre communauté nationale continue à exprimer son soutien à leur égard. Je veux d’ailleurs souligner très positivement l’action de Mmes Anissa Kheder et Laurence Trastour-Isnart qui conduisent, depuis janvier, une mission d’information sur le suivi des blessés et qui visitent nos régiments. C’est pour moi une preuve de l’attention que vous leur accordez. De mon côté, je poursuis mon objectif de donner de la visibilité sur le sujet des blessés. Le samedi 22 juin prochain, nous organiserons la 3e édition de la Journée nationale des blessés de l’armée de terre (JNBAT), une journée que chaque régiment et garnison va relayer au niveau local. Cette 3e JNBAT aura une visibilité particulière dans Paris : elle se déroulera, toute la journée, au parc André Citroën, avec des concerts de musique militaire l’après-midi et l’ouverture au grand public de trente stands tenus par des organismes et associations d’entraide. De nombreuses actions menées au profit des blessés seront d’ailleurs présentées au grand public comme l’innovation dans les domaines de la protection et de la reconstruction physique et morale. Vous y êtes cordialement invités à partir de 10 heures, que ce soit à Paris ou dans les régiments de vos circonscriptions. Pour les courageux qui seront à Paris, vous pourrez arriver dès 8 h 45 pour assister au lever des couleurs et au footing de cohésion, avec les familles ! Ceux qui veulent découvrir les tenues de sport rénovées de l’armée de terre sont ainsi les bienvenus sur une boucle qui peut faire deux, quatre, six ou huit kilomètres, de sorte que chacun pourra trouver chaussure à son pied ! (Sourires.) Je transmettrai également à mon successeur un projet ambitieux de « maison des blessés » afin de compléter l’accueil et la reconstruction des soldats en situation de handicap, pendant la période située entre la fin des soins donnés par le service de santé des armées et le retour à l’emploi, qui peut durer entre zéro et trois ans. Pendant ce temps, nos garçons et nos filles sont des convalescents militaires ou des militaires convalescents, qui ne trouvent pas forcément dans les congés de longue maladie passés à domicile un cadre propice à retrouver un emploi le moment venu. J’attire enfin votre attention sur le fait que nos morts et nos blessés ne sont pas des victimes mais bien des héros, dont le sacrifice nous oblige.
Le deuxième point que je voudrais souligner, c’est la prise de poids, ou la prise de muscle, de l’armée de terre depuis les attentats de 2015. À travers le modèle « Au contact », l’armée de terre s’est profondément transformée, alors qu’elle arrivait à la fin du cycle de la professionnalisation. Elle a gagné 11 000 hommes par la création de 33 unités élémentaires et l’installation de la 13e demi-brigade de Légion étrangère (DBLE) sur le plateau du Larzac. L’armée de terre est désormais « sur ses chiffres » au prix d’efforts considérables pour tenir le cap de l’attractivité, du recrutement et de la fidélisation. Cette remontée en puissance nous a confrontés à des seuils critiques en termes de formation, de taux d’encadrement, d’infrastructures, d’équipements ou encore de soutiens. Elle a également conduit à un fort rajeunissement de nos soldats. Pour ce qui concerne la partie stationnement, l’armée de terre s’est beaucoup réformée, restructurée et a besoin d’un peu de stabilité, pour retrouver son équilibre.
Troisièmement, l’armée de terre est reconnue et respectée. Elle a trouvé ce qui lui manquait pour être pleinement épanouie, c’est-à-dire une forme d’estime de soi. Elle a fait son retour dans le cœur des Français. Elle incarne l’unité de la Nation et en assure la continuité. Elle fait aujourd’hui l’objet d’une popularité qui nous oblige. Elle est estimée par nos concitoyens parce qu’elle est un creuset de civisme, un symbole de méritocratie et parce qu’elle incarne un corpus de valeurs. Fort de ce constat, elle attire d’autant plus que nos jeunes concitoyens sont à la recherche de sens et de valeurs. Je suis très heureux de la courbe de recrutement de 2019 et de nos objectifs remplis dans les trois catégories de recrutement : officiers, sous-officiers et militaires du rang. L’armée de terre est aussi reconnue parce que les attentats sur le territoire national et les opérations extérieures ont rappelé à tous les Français que la guerre était une des vérités de l’Histoire. Cette guerre, l’armée de terre la fait avec courage, détermination mais aussi retenue. Ce regard bienveillant porté sur l’armée de terre s’accompagne d’une exigence d’excellence de la part des Français et de nos dirigeants politiques. L’armée de terre est enfin reconnue par nos Alliés, pour son efficacité opérationnelle, mais également pour sa réflexion prospective et stratégique. J’ai pu constater toute l’attention portée à l’armée de terre lors du séminaire Action terrestre future (ATF) en Grande-Bretagne les 13 et 14 mars derniers.
Dernier point : l’armée de terre est désormais entrée dans le compartiment de terrain de l’innovation. Elle est solide car elle dispose d’une doctrine cohérente avec le contexte actuel et qui fait face aux menaces futures. C’est dans cette perspective que l’armée de terre a refondu tout son corpus de textes fondateurs : Action terrestre future à but prospectif, le Livre bleu sur l’exercice du commandement, le Livre vert sur l’exercice du métier des armes, que je vous avais distribué en septembre 2018 et enfin, le Livre kaki sur les traditions militaires dans l’armée de terre que j’ai l’honneur de vous remettre aujourd’hui. Il me semble important de m’arrêter sur ce Livre kaki, troisième livre de la trilogie, car les traditions sont souvent mal comprises. Les traditions, comme la vie de l’unité du soldat, sont un référentiel qui lui donne le courage de surmonter les épreuves, de la fierté et de la confiance dans l’avenir. Comme l’a montré la récente visite de la ministre et du chef d’état-major des armées au régiment de marche du Tchad, hériter du serment de Koufra du général Leclerc, les traditions ont ce pouvoir d’enraciner les soldats dans un « plus grand que soi » et de donner du sens à son action.
Nous devons également relever les défis des nouvelles menaces et des nouveaux moyens qu’offre la technologie. Je pense, par exemple, aux robots, à l’intelligence artificielle (IA), mais aussi aux drones. L’armée de terre disposera à terme de 1 300 drones, allant du nano drone de quelques grammes au drone tactique dont les performances permettront d’appuyer l’engagement d’une unité au combat dans la durée et sur de fortes distances. Mais les défis technologiques les plus médiatisés ne doivent pas nous faire oublier des capacités structurantes, tout autant nécessaires mais parfois moins connues. Si la réalité de la menace cyber est bien réelle et si l’armée de terre doit y prendre toute sa part, il est essentiel que nous restions à la pointe de l’innovation dans le domaine des systèmes de commandement et de renseignement tactiques qui nous permettent, en opérations, de garder l’ascendant sur l’adversaire. Je rappelle d’ailleurs que SCORPION, que l’on résume maintenant un peu rapidement au Griffon, est avant tout une bulle opérationnelle aéroterrestre, c’est-à-dire un système d’armes complet et intégré, avec hommes et matériels, et qui dispose de moyens d’information et de communications particulièrement aboutis.
L’armée de terre cherche aussi à garder un temps d’avance sur ses adversaires grâce à sa capacité d’appropriation rapide des innovations. L’état-major de l’armée de terre se réorganise en créant un pilier « Numérique et Innovation » aux ordres d’un officier général directement subordonné au major général de l’armée de terre. La meilleure illustration est probablement la création du Battle Lab Terre qui viendra concrétiser les efforts de structuration du Pôle Innovation Terre et dont j’ai souhaité planter le drapeau sur le plateau de Satory. Pourquoi le plateau de Satory ? Parce que c’est l’endroit où est établie la section technique de l’armée de terre (STAT), qui est un peu le noyau historique des travaux de haute technologie, mais aussi les bureaux de recherche de Nexter, d’Arquus, le cluster de Saclay ou le laboratoire de l’école Polytechnique.
Toutefois, même si l’armée de terre a besoin de compétences techniques de pointe dans ses rangs, il lui faut toujours cultiver certains fondamentaux. Vous le savez, l’armée de terre suit depuis 2019 un fil directeur autour de « l’esprit guerrier », combinaison d’aguerrissement, de haute technologie et de traditions militaires. Cette idée d’esprit guerrier peut sembler datée. Mais c’est tout l’inverse : je suis persuadé qu’elle est pleinement actuelle. L’issue d’un engagement armé ne dépend pas que du nombre de combattants, de la qualité des matériels, ou même de la stratégie des chefs. La victoire est intimement liée aux forces morales qui permettent au soldat de faire la différence sur le terrain. En cette année du Centenaire, nous pouvons évoquer nos « Poilus » de 14. Entretenir l’aguerrissement et cultiver les traditions cimentent la cohésion d’une unité. Cet esprit guerrier, cette mobilisation de ressources physiques, mentales et psychologiques pour surmonter l’adversité, ne vient pas seul. Il est sans cesse à forger, à entretenir et à transmettre. C’est l’une de nos missions majeures. Voilà dépeinte en quelques traits l’armée de terre telle que je la vois aujourd’hui.
J’en viens maintenant aux défis à venir. Je ne les ai pas hiérarchisés. Le premier vous surprendra peut-être. Il s’agit de la maîtrise du temps ou la recherche des équilibres. La remontée en puissance des effectifs sous forte contrainte opérationnelle a entraîné un déséquilibre dans le cycle formation-entraînement-engagement-remise en condition. Monsieur Thomas Gassilloud l’a d’ailleurs noté, dans son dernier rapport. Même si ce déséquilibre est, en partie, résorbé, des points de vigilance persistent. Le rythme et l’intensité de nos engagements opérationnels, conjugués à l’importance de maintenir un entraînement de haut niveau ont un effet d’érosion sur nos unités et leurs équipements. Pour autant, si la suractivité est réelle, surtout dans les unités pourvoyeuses de l’opération Sentinelle, avec des conséquences sur le taux d’absence, qui a un fort impact sur le moral et les familles, celui-ci est en cours de rééquilibrage. Je souligne quand même, qu’en moyenne, en 2018, les soldats de la force opérationnelle terrestre ont passé 136 jours hors de leur domicile.
Nous avons aussi le devoir de veiller à l’organisation du temps de service de nos soldats et de générer de la respiration entre les activités pour faciliter la conciliation entre vie professionnelle et vie privée. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place un dispositif de pilotage qui suit avec acuité le nombre de jours hors domicile et le nombre de jours d’entraînement. Tout ceci milite pour une gestion intelligente du temps de service. Le président de la République a clairement dit qu’il était opposé à une transposition, aux militaires, de la directive européenne sur le temps de travail (DETT) de 2003. Vous connaissez ma position, je n’en veux pas non plus. Mais refuser la DETT ne nous exonère pas d’un travail interne sur la façon de mieux organiser et sans doute d’optimiser le temps passé au régiment.
Le deuxième défi réside dans la préservation du capital humain et la bataille des compétences. Nous avons gagné la bataille des effectifs – 11 000 hommes en deux ans – et retrouvé une masse critique au moment de la remontée en puissance, en 2015. Il nous faut désormais gagner la bataille des compétences. À partir de 2020, nous allons être confrontés au renouvellement des contrats des cohortes de la remontée en puissance initiée en 2015. Tout ceci nous impose un effort important en matière de fidélisation. Pour fidéliser, il nous faut donner des repères, dissiper au maximum les incertitudes. Nous devons éclairer l’avenir en ayant un discours de clarté et utiliser tous les leviers possibles pour fidéliser. À cet égard, le chantier de la réforme des retraites ou les travaux relatifs à la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) représentent des enjeux majeurs pour l’avenir de l’armée de terre. Ils doivent être envisagés de manière globale en respectant notre singularité et en prenant en compte leur impact sur le moral, sur l’attractivité du métier des armes et sur la condition du personnel. Il faut conserver à l’esprit, dans ces travaux de réformes, que les équilibres sont d’autant plus fragiles que nous touchons à l’humain. À chaque fois que des travaux étaient entrepris sur la question des retraites, nous avons constaté des départs parmi nos sous-officiers supérieurs spécialistes. Mais je voudrais vous rassurer : même si le sujet reste le premier abordé au cours des tables rondes en 2019, je n’ai pas constaté une hausse de départ par rapport à la moyenne, ce qui est plutôt un signe positif.
Troisième défi : la maîtrise des ressources et la consolidation de la remontée en puissance. La LPM 2019-2025 nous offre l’opportunité de rapprocher les moyens de nos ambitions et d’inscrire la remontée en puissance de l’armée de terre dans la durée, notamment au travers de l’approche « à hauteur d’homme ».
Vous savez à quel point il était devenu essentiel de remplacer des équipements à bout de souffle. Pour autant, comme le dit la ministre « chaque euro dépensé doit être un euro utile ». Nous devons donc veiller à quantifier et justifier le plus précisément possible nos besoins ; à être exigeants quant à la qualité et à la pertinence de la dépense ; à être rigoureux dans l’armement et l’exécution des contrats opérationnels. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé au commandant des forces terrestres de consolider le cadrage de la préparation opérationnelle par les ressources. C’est un peu nouveau. Auparavant nous avions l’habitude d’allouer le temps par tiers. Il s’agit maintenant d’optimiser l’emploi de toutes les ressources : le potentiel des véhicules, les munitions, les infrastructures de préparation opérationnelle, et naturellement le temps disponible des unités.
Sans détailler les livraisons depuis janvier 2019, il faut noter que l’armée de terre a notamment reçu 5 000 fusils d’assaut HK 416 F sur les 9 600 prévus en 2019, dont 1 000 livrés en mai, soit l’équivalent d’un régiment ; deux hélicoptères Caïman sur les neuf prévus en 2019 (un livré le 7 mai 2019) ; un Cougar sur les quatre prévus en 2019 ; 75 postes de tir missiles à moyenne portée – MMP (soit la totalité de ce qui était prévu en 2019). La balle est désormais dans le camp des industriels pour les livraisons attendues en 2019.
Quatrième éclairage : l’armée de terre doit être une armée ouverte à d’autres champs, avec le défi du rayonnement. Cela passe notamment par la communication qui doit être adaptée aux attentes de la jeunesse, en tirant le meilleur parti des réseaux sociaux. Il est vrai que le recrutement se fait maintenant beaucoup grâce aux réseaux sociaux au travers notamment de clips du service d’informations et de relations publiques des armées (SIRPA) Terre, de Twitter ou de la communication très réussie de certains régiments. Mais la communication et les réseaux sociaux posent la question de l’équilibre délicat à trouver entre liberté d’expression et devoir de réserve. Pour autant, je note que les choses se déroulent plutôt bien cette année. L’armée de terre est aussi présente dans le champ des idées. C’est dans cette dynamique que s’inscrit le renouveau de la pensée militaire, dont l’École de Guerre Terre est une des illustrations. Nous inaugurerons, jeudi prochain, à l’École militaire, un colloque sur les grands principes de la guerre. J’ai délibérément voulu poser la question de savoir si, plus d’un siècle après Foch, les grands principes de la guerre demeuraient inchangés. J’ai choqué beaucoup de gens ! (Sourires.) Mais je note avec intérêt que tous les pays qui vont concourir à l’Initiative européenne d’intervention (IEI) ont répondu présents. Cela veut dire que l’armée de terre reste une référence grâce à plusieurs grands officiers penseurs en la matière.
Il nous faut en effet penser les guerres de demain. Le paysage guerrier est en mutation très rapide. La supériorité militaire occidentale qui était jusqu’alors difficilement contestable pourrait être concurrencée par des puissances mondiales. L’amiral Prazuck ne dit-il pas que la Chine produit l’équivalent de la marine française tous les quatre ans ? Les décennies à venir risquent donc de voir le rapport de force s’équilibrer avec le retour de la « haute intensité » (capacités de déni d’accès, technologies nivelantes). Que nous le voulions ou non, le combat aéroterrestre perdurera, voire restera au centre de tous les conflits.
Un dernier point : je ne veux pas terminer mon propos consacré aux défis sans affirmer la place de l’armée de terre dans les alliances et les grandes organisations internationales et rappeler que nos relations internationales militaires restent un défi. J’ai souhaité positionner l’armée de terre comme une référence en Europe. 11 000 hommes servent en permanence à l’extérieur de nos frontières, au contact de nos alliés et partenaires (OPEX, OME, PPE). L’armée de terre est naturellement et culturellement tournée vers l’international. On le dit trop peu. C’est pour renforcer son interopérabilité avec ses principaux partenaires que l’armée de terre développe des capacités intégratrices (CaMo, Main Ground Combat System – MGCS). Cette interopérabilité est la clé du succès en opération. C’est dans cet esprit que nous soutenons la constitution, à terme, d’une communauté SCORPION – on peut la rêver ! – comme il existe aujourd’hui une communauté Léopard. C’est d’ailleurs par ce type d’initiatives que nous garantissons notre capacité à jouer un rôle et à influer au sein d’opérations, en coalition, dans un cadre européen, Otanien ou ad hoc. Le corollaire est que nous devons réfléchir à notre niveau d’ambition dans l’OTAN, ainsi qu’à l’articulation entre notre investissement dans l’OTAN et notre investissement dans l’Union européenne.
Je terminerai par quelques grands points d’attention, au cours de cette première année de programmation militaire. Comme je vous l’avais présenté schématiquement, lors de l’audition du 26 septembre, la LPM 2019-2025 s’inscrit dans l’ambition du président de la République de disposer d’une armée de premier plan et de référence. L’armée de terre est aujourd’hui en ordre de bataille et « prête à déboucher ». Les moyens humains et financiers sont au rendez-vous. Les moyens capacitaires sont sur axe. Ils nous donnent les moyens de nous engager simultanément dans les quatre compartiments de la LPM (hauteur d’homme, réparation, modernisation et innovation) pour atteindre nos objectifs. Pour autant, j’identifie trois points auxquels je suis particulièrement attentif et qui conditionnent cette manœuvre d’ensemble.
Le premier point d’attention concerne le moral. Celui-ci est bon, légèrement à la hausse, mais je considère qu’il demeure fragile. L’armée de terre est le reflet de la société. Elle n’est pas immunisée contre ses fragilités et ses maux. Toutes les tables rondes auxquelles je participe me le confirment : il y a de nombreuses préoccupations. Il y a des préoccupations liées au pouvoir d’achat. Les rémunérations et leur faible évolution sont problématiques, dans un contexte de pression fiscale et d’augmentation du coût du logement. Cette pression est renforcée par le coût de la mobilité. Je me réjouis que MM. Lainé et Furst abordent ce sujet à travers leur mission d’information sur la politique immobilière du ministère car c’est une préoccupation de premier ordre qui est grandissante.
Il y a aussi des attentes fortes quant à la concrétisation de la LPM. L’objectif d’un effort de défense porté à 2 % du PIB en 2025, l’annonce d’une LPM « à hauteur d’homme » ont fait naître, chez les soldats, de fortes attentes qu’il ne faut pas décevoir, notamment en matière d’habillement ou d’équipements individuels. Concernant le plan Famille, engagé par Madame la ministre, et dont l’armée de terre a été l’un des principaux contributeurs, il est globalement positif. Notre ambition est maintenant que chaque unité de l’armée de terre puisse porter un projet fédérateur en 2019 et le concrétiser dans sa garnison. Nous devons être très attentifs à ces sujets et donner des repères, dissiper au maximum les incertitudes.
Le deuxième point d’attention est la lutte contre le détournement de nos ressources. Ce sont des mots qui sont peut-être un peu forts. Mais il y a eu jusqu’à l’année dernière une tentation récurrente d’employer nos soldats comme force d’appoint des forces de sécurité intérieures, ce qui n’est pas leur vocation. Je le rappelle, nos soldats ne sont ni équipés, ni entraînés, ni commandés pour remplir des missions de maintien de l’ordre. Nous avons veillé à ce que notre singularité militaire soit préservée. Nous sommes aussi très attentifs à la façon dont le service national universel (SNU) se met en place. Cette année, la contribution des armées à la mission de préfiguration du SNU a été décisive pour la réussite de cette première étape, avec la conception et la conduite du stage de formateurs de formateurs à Brettigny et aux écoles de Coëtquidan, il y a quinze jours. Nous en sommes fiers d’ailleurs ! Mais l’investissement pour la préfiguration du SNU ne peut être représentatif de ce que pourra soutenir l’armée de terre dans un dispositif qui concernera plus de 700 000 jeunes. Si nous devions être sollicités en 2020 pour 40 000 jeunes à la même hauteur que ce que nous faisons cette année pour la préfiguration (2 000 jeunes), cela aurait des conséquences majeures sur notre propre capacité de formation et sur notre capacité à remplir notre contrat opérationnel. Le SNU doit s’orienter vers une certaine autonomie avec, à terme, une administration dédiée et un budget spécifique, conformément à ce qui a été décidé initialement.
Le troisième et dernier d’attention est notre ambition capacitaire. L’armée de terre participe également à l’ambition européenne de défense, au plan industriel. Afin de prolonger SCORPION, il faudra lancer sérieusement le programme MGCS. La France doit en effet continuer à peser pleinement dans la définition de nos futurs matériels terrestres et elle ne pourra sans doute le faire qu’en coopération avec nos alliés les plus proches. C’est la raison pour laquelle je défends de plus en plus l’idée d’un trinôme associant armée de terre, direction générale de l’armement et industries de défense pour réussir la transition capacitaire et dépasser certaines difficultés. Ces dernières sont essentiellement culturelles et historiques. Entre l’armée de terre et les industries de défense, les visions peuvent parfois être en décalage, le segment terrestre au profit de notre armée de terre n’étant pas toujours le plus valorisant pour certains de nos industriels, par rapport à d’autres segments qui sont sans doute économiquement plus intéressants. C’est la raison pour laquelle j’appelle de mes vœux la tenue de revues des principaux programmes de la LPM. Nous devons veiller à ce que la dynamique engagée dans cette LPM « percole » jusque dans les usines de nos industriels.
M. le président. En temps et en heure ! La commission y est très attentive.
Général Jean-Pierre Bosser. J’y suis très attentif et je sais que la ministre, comme vous-même, l’êtes également. L’avenir de l’armée de terre passe aussi par une industrie terrestre forte et souveraine, mais surtout au rendez-vous.
En conclusion, laissez-moi vous redire tout le plaisir que j’ai eu à travailler à vos côtés. Je vous remercie pour toutes les marques d’intérêt que vous avez manifestées à l’égard de l’armée de terre. Sachez que nos soldats et leurs familles y sont particulièrement sensibles car ils savent pouvoir compter, au travers de leur représentation nationale, sur un soutien indéfectible de leur pays.
Je vous remercie.
(Applaudissements sur tous les bancs.)
M. le président. Je passe la parole aux nombreux parlementaires qui souhaitent vous poser des questions, en commençant par les deux rapporteurs pour avis compétents pour l’armée de terre et ses équipements, MM. Thomas Gassilloud et Jean-Charles Larsonneur.
M. Thomas Gassilloud. Je tiens à vous remercier, Mon général, non seulement pour cet exposé, mais aussi pour les excellentes relations que ma collègue co-rapporteure Sereine Mauborgne et moi-même avons pu entretenir avec vous ; vous avez toujours répondu présent. C’est avec brio que vous avez accompli votre mission tout au long des cinq dernières années, durée d’ailleurs sans précédent depuis les années 1990. Vous avez mis en œuvre des projets structurants pour l’armée de terre, parmi lesquels je retiendrai notamment un effort de pédagogie qui permet de donner un sens à l’engagement et aux missions de nos soldats, parfois déboussolés par les grandes mutations de notre monde.
J’en viens à ma question, qui porte sur l’évolution du recrutement des officiers de l’armée de terre. Aujourd’hui, ils sont recrutés pour 30 % par voie directe, c’est-à-dire via l’école spéciale militaire de Saint-Cyr, pour 20 % sur contrat et pour les 50 % restants par voie de promotion interne. Avec le déploiement des matériels de la gamme SCORPION, votre modèle d’armée est appelé à évoluer ; vous avez d’ailleurs évoqué la création, dans l’organigramme de l’armée de terre, d’un « pilier » compétent pour le numérique et l’innovation. Pour les ressources humaines, l’acquisition des compétences nécessaires constitue donc un enjeu du point de vue du recrutement ainsi que de la fidélisation des personnels, afin de valoriser les acquis de l’expérience de nos soldats. Pour faire face à ces défis, il est prévu que les filières de recrutement soient complètement revues en 2020 ; pouvez-vous nous présenter les premiers axes de vos réflexions en la matière ?
M. Jean-Charles Larsonneur. Je tiens à mon tour à vous remercier très vivement, Mon général, pour les excellents échanges que nous avons eus ces dernières années.
J’aimerais vous interroger sur certains aspects de l’exécution du budget 2018. Parmi les indicateurs de performance présentés par la documentation budgétaire, l’objectif 4 du programme 178 mesure la capacité de nos armées à « assurer la fonction stratégique intervention ». Dans son analyse des résultats, la Cour des comptes estime que les moyens de nos armées étaient insuffisants pour une opération correspondant à l’hypothèse d’engagement majeur de leur contrat opérationnel ; qu’en est-il pour l’armée de terre en particulier ?
Je souhaiterais vous interroger aussi sur deux autres sujets, qui sont d’ailleurs liés : le plan « MCO 2025 », qui modifie les équilibres entre maintenance opérationnelle et maintenance industrielle, et la préparation opérationnelle. En 2018, les crédits de l’entretien programmé des matériels ont été rehaussés de 13 %, afin de traduire la priorité accordée à ce domaine. Ces crédits ont ainsi permis de satisfaire de remplir globalement les objectifs de préparation opérationnelle fixés pour 2018, objectif d’autant plus ambitieux que les effectifs de la force opérationnelle terrestre ont crû de plus de 1 000 soldats. S’agissant de la disponibilité technique opérationnelle des matériels, elle serait globalement satisfaisante. Les AMX 10 RC, le VBCI de trente-deux tonnes et les VAB auraient fait l’objet d’une attention soutenue car ils sont particulièrement employés en OPEX. La documentation budgétaire évoque des avenants à leur contrat de soutien. Pourriez-vous nous en dire davantage sur ce point ?
M. Charles de la Verpillière. Mon général, j’ai pour vous deux questions, l’une d’ordre très général vaste et l’autre de nature plus technique. Moi qui, dans mon jeune temps, n’ai servi que sur une automitrailleuse légère Panhard, c’est-à-dire en vérité une « deux-chevaux » sur laquelle on avait greffé une tourelle, j’ai été très surpris de l’encombrant volume des engins du programme SCORPION que nous nous sommes fait présenter l’an dernier à Satory, à votre invitation, c’est-à-dire les véhicules Griffon et Jaguar. Comment manœuvrer avec des engins aussi hauts et aussi larges en milieu urbain, en même en terrain boisé, sans se faire arracher toutes les superstructures de ces engins ?
Ma seconde question concerne l’opération Barkhane. Certes, touchant à une opération extérieure, elle pourrait être adressée au chef d’état-major des armées. Mais puisque je ne vois ici personne, parmi mes collègues présents ce soir, qui soit désireux d’engager une controverse politique sur le principe même de cette opération, l’instant me paraît bon pour en évoquer certains aspects précis. Je dois vous dire, Mon général, que nous sommes nombreux à être inquiets de l’évolution de la situation dans la bande sahélo-saharienne. La situation se dégrade dans la zone, notamment au Burkina Faso – comme on a pu le constater à regret il y a quelques semaines – et au Mali, où les choses vont de mal en pis. Quel est votre sentiment sur cette situation ?
M. Philippe Michel-Kleisbauer. Lors de votre dernière audition, je vous avais interrogé sur l’intérêt que vous portiez aux obus de précision, téléguidés, filoguidés ou guidés par GPS ; vous m’aviez répondu que ce n’était pas votre priorité. Or, entre-temps, le président-directeur général de Nexter nous a indiqué que sa société investissait dans le développement d’obus de ce type et, il y a quelques instants, vous nous avez déclaré que pour nombre de sujets, la balle était dans le camp des industriels. Quel que soit son calibre, la balle a-t-elle changé de camp ?
M. Yannick Favennec Becot. Vous nous avez dit, Mon général, que le niveau de recrutement de l’armée de terre vous donnait satisfaction. Or un rapport sur l’exécution de la loi de finances pour 2018 en date du 15 avril dernier fait apparaître un déficit de 583 personnels dans les tableaux d’effectifs des armées, toutes armées confondues. Ce manque d’attractivité s’explique notamment par un manque d’attractivité des armées par rapport au secteur privé. Quelles sont les perspectives pour l’armée de terre en la matière ?
Mme Natalia Pouzyreff. En tant qu’utilisateur d’appuis de toute nature, quelle appréciation porte l’armée de terre sur les moyens de transport dont peuvent disposer les forces, comme les avions A400M, MRTT, C130J et C130H, les hélicoptères NH90, ainsi que ceux qui nous manquent peut-être, comme les hélicoptères lourds de type Chinook ? Pouvez-vous nous dresser un tableau d’ensemble de nos capacités et de nos besoins en la matière ? En outre, dans quelle mesure pouvons-nous nous appuyer sur nos alliés pour disposer de ces capacités de transport, si nous ne les possédons pas toutes nous-mêmes ? D’ailleurs, quelles initiatives serait-il pertinent que la France soutienne au niveau européen dans ce domaine ?
Général Jean-Pierre Bosser. Si j’ai bien compris votre question, Monsieur Gassilloud, vous m’interrogez sur le lien entre le recrutement de nos officiers ‒ quelle que soit leur voie de recrutement ‒ et le déploiement de SCORPION. C’est une question pertinente, car la guerre de demain crée de nouveaux besoins de compétences, notamment dans le domaine de l’espace, de la cybernétique ou du renseignement. Ce sont là des compétences d’importance majeure, que nous devons avoir à l’esprit dans nos politiques de recrutement. Le modèle de recrutement généraliste, celui de ma génération, n’est certainement pas celui de demain. Pour l’heure, dans les spécialités que j’évoquais, nous recrutons beaucoup d’officiers sous contrat, tout l’enjeu consistant à conserver ces spécialistes aussi longtemps que nous en avons besoin. En effet, je ne crois pas que ce soit à l’armée de terre de former des spécialistes dans certaines matières, comme la cybernétique et, qu’à ce titre, un recrutement sous contrat pour une durée donnée me paraît pertinent. C’est dans ce sens qu’évolue le mode de recrutement des officiers et qu’il continuera à évoluer, c’est-à-dire que cette évolution est moins déterminée par les règles de gestion des personnels que par les besoins de l’armée de terre.
Monsieur Larsonneur, les moyens de l’armée de terre sont calibrés de façon à lui permettre d’être engagée sur trois théâtres d’opération ; or elle est aujourd’hui déployée sur quatre théâtres, ce qui représente davantage que son contrat opérationnel. Dès lors, il est bien évident que l’armée de terre ne pourrait pas, du jour au lendemain, être immédiatement engagée dans une opération majeure de plus. En revanche, si elle devait se projeter sur un nouveau théâtre d’engagement majeur, moyennant le retrait de l’un de ses théâtres d’opération actuels, il ne fait aucun doute qu’elle le pourrait.
S’agissant du « modèle 2025 » défini pour la chaîne de maintien en condition opérationnelle, les besoins exprimés par l’armée de terre, en matière de maintenance des matériels terrestres comme en matière de maintenance des matériels aéronautiques, sont satisfaits, et ils le seront largement. Concernant par exemple l’entretien programmé des matériels aéronautiques, un effort d’un milliard d’euros a été fait au titre du PLF2019 en autorisation d’engagement pour permettre la notification des nouveaux contrats pluri annuels. Les conditions sont donc réunies pour permettre à nos équipages d’effectuer le nombre d’heures de vol que l’on attend d’eux ; la balle, une fois de plus, est dans le camp des industriels.
Monsieur de la Verpillière, pour tout vous dire, la remarque que vous faites sur le Griffon et le Jaguar, je me suis fait exactement la même il y a une quinzaine d’années en voyant le VBCI pour la première fois : j’avais dans l’esprit les rues étroites de Bangui et doutais qu’il puisse y manœuvrer. Pourtant, j’ai été moi-même surpris par les remarquables capacités de manœuvrabilité de ces véhicules. Vous avez pu le voir vous-même lors de la démonstration que vous évoquiez : ils sont capables de faire le tour d’un arbre avec bien davantage d’agilité qu’un poids lourd de même gabarit.
En somme, je crois que dans l’architecture de nos engins blindés, il faut privilégier la protection, l’autonomie, la puissance de feu, la mobilité et la vitesse. Or, aujourd’hui, pour résoudre cette équation, on ne saurait faire mieux qu’un Griffon, un VBCI ou un Jaguar, modèles qui nous donnent tous pleine satisfaction. Certes, s’il fallait faire la guerre dans les sous-bois, mieux vaudrait débarquer… Mais tel a d’ailleurs toujours été le cas. Et puis, lorsque cela est possible, il est tout de même préférable de ne pas écraser purement et simplement des hectares entiers de forêts, sauf à ce que l’on veuille en revenir aux temps du corps blindé mécanisé, où l’on n’avait guère de scrupule…
M. le président. Vous vous exposez à des questions sur le développement durable dans l’armée de terre ! (Sourires.)
Général Jean-Pierre Bosser. Monsieur le président, j’y suis tout à fait prêt car, aussi étonnant que cela puisse paraître, j’ai dans mes tiroirs une tribune écrite en mars sur « le rôle écologique du soldat » ! D’ailleurs, si l’un de vous a un média à recommander pour sa parution…
Mmes Patricia Mirallès et Josy Poueyto. C’est à M. Yannick Jadot qu’il faudrait vous adresser !
Monsieur Michel-Kleisbauer, lorsque vous m’avez posé la question de l’intérêt des obus de précision, nous opérions sur des théâtres encore relativement ouverts. Il est vrai que depuis, le retour d’expérience de notre artillerie au Levant a mis en évidence la nécessité de maîtriser davantage nos effets, dans des environnements de plus en plus contraints. Nous avons utilisé, pour la première fois, des obus Bonus, suffisamment précis, mais encore insuffisants pour limiter les dégâts collatéraux. C’est pourquoi, la semaine dernière, j’ai demandé à Nexter de remettre sur le métier un projet d’obus de précision de 155 millimètres que nous avions entamé il y a cinq ans.
Quant au recrutement, Monsieur Favennec Becot, je ne peux pas partager votre constat pour ce qui me concerne, car l’armée de terre est la seule des trois armées à avoir atteint ses objectifs de recrutement en 2018. Certes, cela ne veut pas dire que tous les postes sont pourvus, mais nos taux de sélection sont satisfaisants.
S’agissant des engagés volontaires de l’armée de terre, nous n’avons pas tout à fait retrouvé le ratio de deux candidats pour un poste que nous connaissions avant 2015, mais presque. En outre, tout ce que nous avons mis en place pour faciliter le recrutement a beaucoup de succès, notamment autour des réseaux sociaux. Je citerai en exemple une vidéo que nous avons publiée sur les tests physiques appliqués aux hommes et aux femmes, qui démystifie nos exigences.
S’agissant du recrutement de sous-officiers, à Saint-Maixent, il est satisfaisant tant en qualité qu’en quantité. Nous avons d’ailleurs ouvert des classes spécialisées pour former des étudiants dans les spécialités pour lesquelles la concurrence au recrutement est vive. Par exemple, nous avons mis sur pied un BTS CYBER au lycée militaire de Saint-Cyr-l’École, dont la première promotion est sortie le 14 juin. Nous avons aussi ouvert un centre d’enseignement technique à Bourges, filière Bac Pro maintenance des matériels aéronautiques ; dans les deux cas, ces projets sont très prometteurs et, d’ailleurs, rencontrent d’ores et déjà du succès ; en témoigne le fait que nous avons trois candidats pour une place.
S’agissant du recrutement d’officiers, le nombre de candidats a encore augmenté d’1% à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr comme à l’École militaire interarmes. En outre, je tiens à souligner aussi que, cette année, neuf polytechniciens choisiront l’armée de terre à l’issue de leur scolarité : c’est une véritable révolution !
En somme, j’ai toutes les raisons d’être satisfait de notre recrutement. D’ailleurs, la ministre des Armées l’a bien compris lorsqu’elle assistait hier au comité stratégique de l’armée de terre : l’armée de terre réussit à recruter et se tient prête à le faire encore davantage, pour le cas où le ministère pourrait accroître encore ses effectifs d’ici la fin de l’année et où les autres armées ne réussiraient pas à recruter autant que prévu.
L’ambition qui est la nôtre de peser dans les états-majors internationaux se heurte à une insuffisance de capitaines et de commandants. Le taux d’encadrement, pour ces deux grades, est de 12% dans les armées britannique et allemande tandis que nous sommes, nous, bien en deçà de ce niveau. Si je ne suis donc pas forcément demandeur d’effectifs supplémentaires de militaires du rang, je suis en revanche favorable à ce qu’on amplifie le recrutement d’officiers.
S’agissant enfin de la mobilité des troupes, il est vrai que je ne suis pas très content de la transition entre le Transall, qui est en train de mourir, et l’A400M, pour une raison simple : si l’A400M est un avion exceptionnel en termes de transport logistique, il ne l’est pas du tout, à ce stade, en termes de transport tactique. Pour l’instant, on ne sait pas larguer de parachutistes autrement que par une seule porte – pour un avion qui devait quand même être un des meilleurs du monde ! Je m’en suis ouvert auprès des industriels qui travaillent sur l’A400M. Je leur prêterai des parachutistes le jour où ceux-ci pourront être largués par deux portes. Cette année, les chiffres en matière de capacités d’aérolargage seront sans doute les plus faibles des trois dernières années car nous sommes au point mort bas, entre la perte des Transall et l’attente de la montée en puissance de l’A400M. En revanche, vous avez parfaitement raison : l’A400M étant sur trajectoire, nous pouvons tous espérer qu’en termes de largage de matériel ou de personnel, il remplisse la mission qu’on attend de lui, sachant que la France est un des rares pays au monde qui fasse encore de la mise à terre par la verticalité. On l’a bien vu pendant l’opération Serval : une opération visant à s’emparer d’un aéroport et à évacuer des populations peut commencer par une manœuvre d’assaut vertical.
Le deuxième point auquel nous sommes attentifs – et l’Afghanistan nous avait d’ailleurs un peu mis la puce à l’oreille – est celui des hélicoptères lourds. Si les Britanniques n’étaient pas à Gao, il nous manquerait un outil de projection lourd. S’il est illusoire de croire que nous allons acquérir des hélicoptères lourds, nous avons quand même des alliés qui en disposent, notamment les Espagnols, alliés extrêmement proches puisque nos brigades d’aérocombat sont très similaires. Si jamais, un jour, les Britanniques venaient à prendre un peu de distance dans la bande sahélo-saharienne, nous ferions appel à nos camarades espagnols. Je ne suis donc pas très inquiet s’agissant des voilures tournantes. Je le suis davantage s’agissant des avions.
M. Jean-Michel Jacques. Mon général, certains d’entre nous ont lu avec beaucoup d’intérêt vos écrits sur la spécificité militaire : tout y est dit. Je tenais à vous remercier pour cette trace écrite que vous nous laissez. Elle nous sera très utile dans les mois qui viennent pour expliquer à nos concitoyens la spécificité du métier de soldat.
Ma question porte sur l’espace comme enjeu stratégique. La maîtrise de l’espace est plus que jamais indispensable sur les champs de bataille : elle permet d’écouter, de mieux naviguer, de mieux commander, de mieux communiquer et d’observer. Nous avons un commandement interarmées de l’espace qui monte en puissance. Quelle juste place l’armée de terre va-t-elle prendre en ce domaine ?
Mme Sereine Mauborgne. Général, je voudrais d’abord vous remercier à titre personnel pour votre implication à acculturer les néophytes que nous étions, il y a deux ans, avec Thomas Gassiloud lorsque nous avons été désignés rapporteurs sur l’armée de terre. L’énergie que vous et vos équipes avez déployée ne l’a pas été en vain et aujourd’hui, nous sommes de fervents défenseurs de notre armée. Vous disiez dans votre propos liminaire que cette audition était pour vous la dernière. Durant ces cinq dernières années, vous avez souvent su anticiper les événements afin de mieux y faire face. Comment voyez-vous la suite pour l’armée de terre ? Quels seront les défis majeurs à relever ?
M. Thibault Bazin. Mon général, nous avons eu la chance, avec le groupe d’amitié France-Tchad, d’aller à N’Djamena et d’y être très bien accueillis sur le camp Kossei. Nous avons été impressionnés par le professionnalisme de nos forces – sous une chaleur terrible. J’ai découvert à cette occasion le souci de nos forces de mener, parallèlement à leur mission, une action locale. Je pense notamment à leur intervention en soutien informatique dans un établissement de la capitale du pays. Ce type d’actions est-il généralisé à tous les sites ? Une certaine liberté est-elle laissée à nos forces en la matière ? Appliquez-vous des critères et une certaine éthique à ces activités de soutien ?
M. Fabien Lainé. Au fil des auditions, nous en avons appris davantage sur le futur système de combat aérien futur (SCAF) et sur l’avion de combat omnirôle. On sait que le Tigre est en cours de modernisation. Ces moyens aériens et aéromobiles proposés par notre industrie couvrent-ils la palette nécessaire que vous pourriez espérer des moyens de la troisième dimension dans les combats futurs ? Sachant que vous êtes les premiers bénéficiaires des appuis-feu, de quels appuis-feu avez-vous besoin ?
M. Joachim Son-Forget. Vous avez fait état vous-même du calendrier des livraisons des HK416F. J’ai cru comprendre, pour ma part, que l’industriel était un peu en défaut quant aux délais de livraison, ce qui explique qu’il soit le grand absent de l’appel d’offres pour le fusil de précision semi-automatique alors qu’il aurait pu présenter le HK417. En cette période, beaucoup d’appels d’offres sont ouverts pour le renouvellement d’une grande partie de l’armement. C’est le cas pour nos pistolets en ce moment, ce le sera pour la mitrailleuse légère en remplacement de la Minimi dans quelque temps. La réflexion qui est menée actuellement intègre-t-elle assez les différentes contraintes de livraison ? Anticipe-t-on assez les changements à venir ? Arrive-t-on à dépasser le culte de l’interopérabilité, notamment en ce qui concerne les calibres choisis, là où nos alliés outre-Atlantique ne se gênent pas, eux, pour proposer de nouvelles solutions ? Nous avons des mécanismes, via les forces spéciales et via la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT), qui font des acquisitions intéressantes. Mène-t-on la même réflexion pour ces appels d’offres importants puisque de long terme ?
Mme Patricia Mirallès. À Barkhane, où je me suis rendue avec des collègues de la commission, nous avons pu constater la dureté du terrain et des conditions du matériel aérien et terrestre. Nous avons noté des difficultés concernant le Tigre. Airbus vous a-t-il donné des garanties s’agissant de la boîte de transmission et de la fiabilité des pare-brise, afin de permettre la pleine efficacité et la pleine disponibilité de cet hélicoptère – et donc d’assurer la sécurité de nos hommes ?
M. Christophe Lejeune. « C’est bien souvent la famille qui contribue à la force morale [du soldat] et incarne au quotidien ce qu’il a mission de protéger. Ainsi, s’il est nécessaire de rendre hommage à l’engagement et à l’héroïsme de nos soldats, il est non moins juste de reconnaître et de soutenir leurs familles. » Voici les mots que vous avez utilisés, Mon général, pour décrire toute l’importance que vous accordez au plan Famille lancé par la ministre des armées. L’armée de terre a institué un réseau Terre « Plan Famille » et institué depuis un an une évaluation trimestrielle auprès des commandants de formation et des conjoints de militaires. La première évaluation de l’efficacité des mesures sur le terrain a été réalisée en mai 2018 auprès de 104 formations et de 1 500 conjoints : elle révèle une satisfaction globale des commandants de formation à hauteur de 68 %. Mon général, quelles nouvelles mesures avez-vous mises en application dans le cadre du plan famille ? Quels ont été les résultats des dernières évaluations ?
M. Jean-Louis Thiériot. S’agissant du service national universel, j’ai pu ressentir, lors de mes échanges avec certains cadres, une réelle inquiétude par rapport à l’investissement en personnel qui est demandé à nos armées. Bien évidemment, il ne s’agit pas d’un service militaire – on est censé faire de la formation de formateurs – mais quel est aujourd’hui le niveau d’engagement de nos personnels pour cette première phase du service national universel ? Qu’est-il prévu pour les années à venir ? Quels retours avez-vous eus des premières sessions de formation qui ont été animées par nos personnels ? Quelles garanties sont-elles données à nos armées que ce service national universel ne restera pas pour elles une charge, ce qui réduirait évidemment notre capacité à respecter le Livre Blanc ?
Général Jean-Pierre Bosser. S’agissant de l’espace, on pourrait penser de prime abord que c’est un cadre relevant exclusivement de l’armée de l’air. En réalité, comme la marine, l’armée de terre est pleinement concernée par cette évolution pour les raisons que vous avez évoquées : l’espace conditionne les liaisons GPS, les liaisons radio, le renseignement et la lutte informatique – offensive comme défensive. L’espace deviendra demain le relais de nos yeux et de nos oreilles sur le terrain. Vous avez parlé d’un commandement mais je ne suis pas certain que tel sera le cas. Cela sera plus certainement un organisme à vocation interarmées. Bref, l’armée de terre tient à être un des acteurs de ce domaine.
J’identifie quatre défis majeurs pour l’armée de terre.
Le premier est celui de la juste pression qu’il faut exercer sur notre industrie de défense dans le cadre du respect de l’exécution des contrats. Une fois un contrat signé, les industriels sont souvent nos seuls interlocuteurs dans le cadre d’une relation client-fournisseur. Si une banque me dit que je ne peux pas retirer plus de 200 euros sur mon compte, je changerai de banque et choisirai celle qui me laissera retirer 500 euros vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Dans le secteur de la défense, en revanche, je n’ai pas le choix. En matière de pièces détachées, que se passe-t-il si l’industriel décide finalement de livrer, en quarante-huit heures, des pièces détachées pour un hélicoptère, sur une plateforme pétrolière, alors qu’il attend une semaine pour nous donner une pièce détachée pour un hélicoptère déployé au Sahel ? Je force le trait mais la relation avec les industriels est celle d’un coude-à-coude de la DGA, non pas face à l’industriel, à ce stade, mais avec lui. Le premier rendez-vous est celui de Scorpion. Nous attendons tous l’arrivée de ce programme cette année – les industriels s’y sont engagés. C’est un objectif ambitieux car nous avons créé, sur ce projet, un groupe d’industriels. C’est pour moi le point majeur.
Le deuxième défi est celui de l’international, pour lequel j’ai tenu à dépenser beaucoup d’énergie car il y a beaucoup à retirer de la relation avec nos camarades étrangers. Nous parlons notamment beaucoup de capacitaire et je vous citerai, à titre d’exemple, les quatre sujets que nous avons traités lors de la dernière réunion tournante que nous avons tenue avec mes homologues britannique et allemand autour d’action terrestre future.
Le premier sujet portait sur la haute intensité : il est intéressant d’avoir les visions britannique et allemande sur ce qu’est la haute intensité et de voir à quel point cela structure les modèles d’armée.
Le deuxième sujet touchait à l’engagement des robots, la guerre à distance, par procuration – celle des robots autonomes, avec ou sans l’humain – ayant été un sujet d’intérêt majeur dans la presse il y a quelque temps. Il est intéressant de savoir que certaines armées sont plus allantes que d’autres dans ce domaine et que les armées qui ont des difficultés à s’engager en opérations extérieures sont probablement aussi celles qui auront du mal à engager des robots demain.
Le troisième sujet concernait la déception. Dans notre doctrine d’emploi, nous avons un peu oublié les actions de déception. Nous allons fêter demain le soixante-quinzième anniversaire du Débarquement. Or, l’année du Débarquement, a été conduite une opération de déception exceptionnelle, dénommée Fortitude. Si pour nos amis britanniques, la déception est restée dans la doctrine, nous l’avons un peu évacuée. C’est dommage car la déception est une capacité majeure qui va du simple camouflage jusqu’à des manœuvres de grande ampleur.
Le quatrième sujet était celui de la pharmacologie, sujet que l’armée de terre a été seule à porter. La question est de savoir si on imagine demain un soldat augmenté, à qui nous allons faire prendre des pilules et des produits pour qu’il puisse mener la guerre jour et nuit, ou s’il s’agit plutôt du soldat non diminué. Nous percevons, avec l’aide des chercheurs de l’Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA) qui travaillent pour l’armée de terre, que nos soldats pourraient encore gagner en efficacité, à trois conditions : avoir un sommeil satisfaisant, une alimentation de qualité et une activité physique parfaitement adaptée à la préparation opérationnelle.
L’international permet de réfléchir à bien des sujets qui ne portent pas uniquement sur le fusil ou le Griffon. Nous pouvons partager des réflexions très intéressantes avec nos amis étrangers et c’est tout l’intérêt de ne pas oublier notre histoire. J’étais récemment au Japon où j’ai découvert que le général Lebon avait écrit toute la doctrine d’emploi de l’armée japonaise moderne. J’y ai aussi découvert que Georges Clemenceau avait déployé en 1919 des pilotes et des mécaniciens pour créer l’armée de l’air japonaise – dont on célèbre le centenaire. Enfin, nos ingénieurs maritimes ont créé les grands ports japonais. Bref, dans les relations internationales, il n’y a pas que le business et le capacitaire mais bien d’autres dimensions qu’il faut continuer à développer.
Le troisième défi est celui de la réserve, facteur de ressources majeur pour l’armée de terre. Nous atteignons nos objectifs quantitatifs et opérationnels. Nous pourrions d’ailleurs imaginer – pourquoi pas ? – que les Jeux olympiques de 2024 soient un grand objectif – dynamique et fédérateur – pour la réserve.
Enfin, le quatrième défi est celui de Scorpion, que nous avons déjà évoqué.
Vous m’avez interrogé sur ce que je qualifierais d’actions civilo-militaires. Il y a une tradition dans l’armée de terre qui veut qu’à chaque fois qu’un régiment part en opération, il y laisse une trace.
Je vous livre un exemple, il y a quelques années, alors que j’étais chef de corps, le régiment que je commandais est parti en mission au Liban avec des dizaines de livres et nous y avons construit une bibliothèque avec des ouvrages en langue française pour des jeunes de 0 à 15 ans. Vous évoquez, M. Bazin, un projet réalisé au Tchad dans le domaine de l’informatique qui est en pleine expansion en Afrique. Si ces projets sont courants, ce sont plus souvent des actions d’opportunité. Les unités projetées ont en effet à cœur de mener de nombreuses actions dites civilo-militaires allant du soutien médical à la réfection d’écoles, en fonction des besoins qu’elles perçoivent sur le terrain. Quel que soit le projet, il est avant tout le fruit de la relation que les régiments projetés entretiennent avec les pays dans lesquels ils sont déployés et avec les populations auxquelles ils sont attachés.
M. Lainé, très honnêtement, je suis un peu gêné pour vous dire ce que j’attends du SCAF et des nouveaux vecteurs aériens dans le domaine des appuis feux fournis par la troisième dimension. En effet, je n’imagine pas, pour le moment, qu’il y ait une révolution en termes de puissance de feu, entre les appareils qui existent aujourd’hui et ceux qui seront construits demain. En revanche, ce que j’attends des évolutions qui pourront être apportées dans la troisième dimension, ce sont des capacités de liaison améliorées pour travailler plus vite et en temps réel mais aussi bénéficier de capacités d’investigation plus développées, en s’appuyant sur l’intelligence artificielle. Dans ce domaine, j’ai récemment assisté à une démonstration du Patroller dorénavant équipé d’une boule optronique gyrostabilisée. Ce système d’observation est capable de détecter, d’identifier et de localiser, de jour comme de nuit, dans un champ atteignant presque 360°, tous les éléments observés. Il permet ainsi, presque immédiatement, de décrire une éventuelle unité ennemie. Voilà un progrès essentiel apporté par la troisième dimension à l’armée de terre. Pour répondre instinctivement à votre question, l’évolution résidera donc pour moi moins dans la puissance de feu que dans la désignation rapide des cibles et des objectifs.
Concernant le renouvellement des moyens, M. Son-Forget, je n’ai pas noté de retard dans la livraison des fusils d’assaut HK416. 5 000 exemplaires ont déjà été livrés et 9 600 autres seront reçus en 2019. Nous atteindrons alors la moitié de l’objectif fixé. Comme vous le savez, la firme allemande Heckler & Koch, comme Glock en Autriche, est une entreprise importante qui a produit, je crois, près de deux millions d’armes de poing l’année dernière. Je ne pense donc pas que les livraisons françaises soient complexes à mettre en œuvre. Mais pour l’armée de terre, le sujet est moins l’industriel qui nous fournit les armes que les processus de « certification » de nos besoins par la technostructure. Ainsi, si nous souhaitons acquérir un pistolet automatique déjà en dotation dans les forces spéciales dans des délais extrêmement courts en nous appuyant sur un industriel qui en a la capacité et avec les moyens financiers que vous nous avez fournis, nous ne le pourrions pas. En effet, pour acquérir cette arme, nous serions tenus de refaire l’intégralité du schéma de certification. C’est tout de même étonnant ! Il faudrait alors un an pour réussir à passer un marché concernant un matériel que nos armées utilisent déjà depuis 10 ans. J’en ai encore parlé au directeur de cabinet de la ministre des Armées ce matin et j’ai demandé à ce que les réflexions et les travaux se poursuivent sur la manière de raccourcir ces délais. La loi de programmation militaire « à hauteur d’homme » pourrait perdre une partie de son sens en raison de toutes ces lourdeurs. L’armée de terre demeure donc en appui comme elle l’a fait en mettant à la disposition de la direction générale de l’armement et de l’industriel Arquus des champs de tir à Mourmelon et à Mailly, dans le cadre des essais partagés pour le développement des tourelleaux téléopérés des Griffon, contribuant ainsi à ce qu’il n’y ait aucun retard sur le programme SCORPION.
Concernant votre question Mme Mirallès, le problème de boîte de transmission que vous évoquez concerne essentiellement l’hélicoptère NH90. Ce problème est connu et commun à toutes les flottes qu’elles soient française, espagnole ou autre. Je demeure persuadé qu’une des solutions est de n’avoir qu’un seul industriel. En effet, changer une boîte de transmission de NH90 en opérations demeure, encore aujourd’hui, compliqué. Si cet hélicoptère est très fiable, ce problème engendre des indisponibilités pouvant aller jusqu’à trois semaines.
Au sujet des pare brises de l’hélicoptère Tigre, je considère que c’est l’exemple type du problème des pièces détachées que j’évoquais précédemment. Il ne me semble pas envisageable d’annoncer qu’un Tigre est indisponible pendant 15 jours en raison de l’absence d’un pare-brise. Comme je l’ai déjà dit, j’estime que la gestion des pièces détachées des hélicoptères doit se rapprocher au maximum de celle des pièces détachées des automobiles. Sur ce point, les progrès sont encore trop lents. Il faudra probablement, un jour, taper du poing sur la table pour rappeler que nos hélicoptères sont engagés en opérations et qu’au vu des sommes déjà investies et de celles qui seront investies en 2019 dans le MCO aéronautique, l’armée de terre est en droit d’obtenir rapidement un joint qui coûte 15 euros et dont l’absence immobilise un hélicoptère pendant 15 jours.
Mme Patricia Mirallès. Ce qui me préoccupe le plus est le défaut de construction qui semble exister concernant ces pare–brises. L’industriel a-t-il traité ce sujet ?
Général Jean-Pierre Bosser. Pour moi, les défauts de jeunesse du Tigre étaient liés aux rivets des pare brises mais ont été corrigés. Il existe peut-être encore un problème de réflexion de la lumière mais Airbus Helicopters nous a, d’après les éléments en ma possession, proposé une solution qui a fait ses preuves en Australie et qui consiste à couvrir le pare-brise d’un film autocollant. Je réaliserai d’autres recherches et vous donnerai une réponse plus précise concernant ce sujet.
M. Lejeune, vous évoquez le plan Famille et, comme vous l’avez dit, la ministre des Armées a rappelé qu’il n’y a « pas de soldat efficace sans famille heureuse ». Les projets qui sont lancés dans chaque régiment de l’armée de terre sont souvent des projets ayant trait aux infrastructures et liés au plan Famille, qu’il s’agisse de la construction d’une maison des familles, de la réfection d’un foyer pour nos soldats ou de la mise en place du Wi-Fi. Mais il pourrait aussi s’agir de la construction d’un cinéma, structure qui existait auparavant et qui avait fait ses preuves. Pour moi, le succès du plan Famille repose avant tout sur le succès de la gestion de la mobilité. Certaines mutations ne sont aujourd’hui plus souhaitées par nos soldats et sont mal vécues. Au vu de la concurrence du secteur privé et de la nécessaire fidélisation, un de nos leviers demeure donc la mobilité. À ce titre, je vous encourage à recevoir en audition le directeur des ressources humaines de l’armée de terre afin qu’il vous présente les nouveaux projets mis en œuvre dans le domaine de la mobilité. J’estime, en effet, qu’il ne faut plus muter par principe. Il faut, par exemple, mettre en œuvre des logiques de bassin d’activité dans lequel nos hommes et nos femmes pourraient être affectés successivement, entre Suippes, Mailly, Mourmelon et Châlons-en-Champagne par exemple ou bien entre Pau, Bayonne, Montauban, Castres et Toulouse. Dans ces bassins, nos soldats peuvent faire carrière, changer de poste, progresser et avoir des responsabilités. Dans ce cadre, nous avons ainsi mis en place une « bourse aux emplois » qui consiste à proposer des postes et à laisser les intéressés s’arranger entre eux. Tout le plan annuel de mutation (PAM) ne se fera pas par les intéressés ni via ce système mais, cette année, c’est déjà entre 10 et 15 % du PAM qui aura été résolu par cette « bourse aux emplois ». C’est une petite révolution pour l’armée de terre qui est plutôt habituée à une logique verticale plus qu’horizontale mais cela fonctionne et évite certains désagréments. Une réflexion est également engagée concernant les mutations en région parisienne. En effet, il s’agit d’identifier le personnel qui souhaite y rester afin de ne pas le remplacer par quelqu’un qui ne souhaite pas y être muté. Il ne faut pas faire deux malheureux. Vous l’avez compris, pour moi, l’enjeu majeur du plan Famille est donc bien la mobilité
Pour le SNU, M. Thiériot, je voudrais vous rassurer et vous conforter dans l’idée que l’armée de terre est attentive et a été active dans la conception et dans la mise en œuvre de cette première phase expérimentale. Durant toute la phase de mise en situation, les armées ont appuyé le recrutement des cadres via les délégués militaires départementaux. De plus, la formation des cadres, que j’ai évoquée, a eu un grand succès, tant aux Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan qu’à Brétigny, succès reconnu par M. Gabriel Attal qui s’est rendu sur les lieux. L’investissement est également important dans le module « Défense et mémoires nationales » qui sera le module dispensé par les armées dans la phase d’internat. De plus, l’armée de terre prépare déjà activement la phase 2 et les stages qu’elle y proposera. En effet, nous y voyons une opportunité de rayonnement et de recrutement en présentant l’institution à ces nombreux jeunes à travers ce module. Nous aurons même peut-être plus de jeunes volontaires à l’engagement que de postes à pourvoir. Soyez donc parfaitement rassurés sur l’investissement de l’armée de terre.
En revanche, je souligne qu’il s’agit actuellement d’une phase expérimentale mais que, lors de la mise en œuvre plus large du SNU, et ce dès l’année prochaine avec plus de 40 000 jeunes à encadrer, l’engagement de l’armée de terre ne doit pas aller au-delà de ce qu’elle est capable de faire. Cet engagement ne pourra pas être proportionnel à une telle échelle. À défaut cela ferait courir un risque dans le domaine de notre capacité opérationnelle et dans les domaines budgétaire et humain. Conformément à la volonté du président de la République, il s’agit de bien cloisonner ces deux missions.
M. Philippe Chalumeau. Mon général, je voudrais tout d’abord vous exprimer notre admiration, notre reconnaissance et vous adresser nos remerciements pour votre engagement et votre magnifique carrière.
Ma question portera sur l’arrivée de l’intelligence artificielle ainsi que sur la rupture technologique et les enjeux énormes qui l’accompagnent. En effet, comme l’évoquait notre collègue Thomas Gassilloud lors de l’examen du rapport de la mission d’information sur les enjeux de la numérisation des armées, l’intelligence artificielle aura des implications aussi importantes que celles dues à l’invention de la poudre dans son temps. Dans ce cadre, je suis intéressé plus spécifiquement par le rôle des imprimantes 3D.
Après l’expérimentation réussie par le pole ingénierie de la 13e base de soutien du matériel, l’entreprise Prodways a annoncé la commande de deux imprimantes 3D industrielles de type ProMaker P1000 par la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT). Selon l’industriel, ces deux machines seront livrées avant l’été et pourraient être ensuite déployées sur un théâtre d’opérations extérieures. Mon général, pouvez-vous nous détailler l’usage que l’armée de terre compte faire de ces imprimantes 3D et préciser les opportunités que présenterait ce premier déploiement au sein des armées françaises ?
M. Jean-Marie Fiévet. Mon général, nous constatons avec plaisir que l’armée française compte de nombreux réservistes, engagés tant sur le territoire national que, parfois, en opérations extérieures. Comme l’ont montré leurs interventions décisives lors des attentats ayant eu lieu à proximité de la pyramide du Louvre ou de la gare Saint-Charles à Marseille, leur compétence n’est plus à prouver. J’ai d’ailleurs eu le plaisir de rencontrer dernièrement un certain nombre de réservistes appartenant au 24e régiment d’infanterie, commandé par le lieutenant-colonel Nicpon et composé uniquement de réservistes au nombre de 700. Leur engagement et leur dévouement font la fierté de nos armées et de la France tout entière. Mon général, avez-vous l’intention de former d’autres régiments de réservistes et, si c’était le cas, où les implanteriez-vous ?
M. Jean-Jacques Ferrara. Mon général, le 27 mai dernier, nous avons, avec notre collègue Mme Sereine Mauborgne, accompagné la ministre des Armées lors de son déplacement à Marignane sur le site d’Airbus Helicopters. Elle y a alors annoncé que le programme d’hélicoptères interarmées légers (HIL), appelé Guépard, serait anticipé et que les premiers appareils entreraient en service en 2026. Je souhaitais avoir votre avis sur l’état actuel du parc d’hélicoptères de l’armée de terre et savoir, en particulier, si des soucis pourraient apparaître dans les prochaines années avant la transition avec le HIL. Enfin, pour ne pas déplaire à mes collègues et au président de notre commission, je ne peux pas ne pas vous interroger sur le devenir de la flotte d’hélicoptères de type Caracal de l’armée de terre et son regroupement au sein de l’armée de l’air. Concernant ce dernier point, où en sommes-nous mon général ?
Mme Josy Poueyto. Général, sachez que nous vous regretterons mais que nous espérons tout de même vous retrouver dans d’autres lieux et d’autres circonstances. Au mois de septembre 2018, vous nous aviez fait part de votre réflexion sur la maintenance du matériel militaire, imaginant la mise en place de bases opérationnelles avancées qui feraient du MCO terrestre et influeraient évidemment sur le curseur maintenance industrielle – maintenance opérationnelle. Vous nous aviez alors annoncé que le général Soriano devait rendre un rapport sur ce sujet. Alors que nos équipements sont de plus en plus modernes et équipés de technologies de pointe rendant l’entretien délicat à mettre en œuvre sans ingénieur spécialisé, en particulier dans des environnements souvent hostiles, pouvez-vous nous préciser comment vous estimez possible de mettre en œuvre ces bases opérationnelles avancées et nous faire partager les premiers éléments de ce rapport ?
M. Loïc Kervran. Mon général, je confirme que nous vous regretterons, d’autant plus que vous avez cité deux fois le nom de Bourges aujourd’hui.
Je voulais plus sérieusement vous interroger sur la problématique de recrutement que vous avez évoquée et due tant à la remontée en puissance des effectifs qu’aux éventuelles sollicitations nées de la mise en place du SNU. À plusieurs reprises, j’ai eu vent de préoccupations concernant plus particulièrement la catégorie des sous-officiers supérieurs et vous avez évoqué tout à l’heure celles touchant les officiers subalternes, pouvez-vous nous en dire plus concernant ce sujet ?
Mme Séverine Gipson. Général, comme cela a été mentionné dans le rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2019 dans le domaine équipement des forces et dissuasion de notre collègue Jean-Charles Larsonneur, les armées disposent de stocks de munitions qui paraissent minimes au regard de leur besoin, situation qui nous a encore été rappelée ce matin par l’amiral Morio de l’Isle lors de son audition.
Qu’il s’agisse de munitions simples ou complexes, une vigilance accrue doit être portée sur l’évolution des stocks et la LPM prévoit une remontée en puissance des stocks, particulièrement pour les seconds. Il n’en demeure pas moins qu’un manque persiste dans le domaine des munitions les plus basiques. Comment évaluez-vous la trajectoire engagée et cela vous paraît-il suffisant ?
M. Jacques Marilossian. Je vous remercie pour votre exposé et vos réponses. Vous pouvez constater que la commission, en la présence de presque tous les groupes, rend unanimement hommage à votre action. Vous aviez émis l’année dernière un diagnostic concernant Sentinelle en évoquant la disponibilité et la visibilité des soldats mobilisés. Sentinelle 1 a été un dispositif éprouvant pour les soldats, corrigé par Sentinelle 2 qui en avait tiré les leçons. Dans le contexte d’une menace terroriste, semble-t-il, en légère baisse un plan Sentinelle 3 serait-il en cours avec pour objectif d’accroître la visibilité des forces armées sur le territoire tout en réduisant le nombre de soldats mobilisés ? Si c’est bien le cas, quelles seraient les grandes lignes de ce plan ?
M. Philippe Folliot. Nous nous connaissons depuis bien longtemps Mon général et il me vient en mémoire ma première action officielle, le 18 juin 2002, en tant que nouveau député élu de la Nation. Il s’agissait du dépôt, à vos côtés, d’une gerbe devant le monument des anciens du 8e RPIMa, au quartier Fayolle, alors que vous étiez chef de corps de ce régiment. Vous avez omis de citer Castres dans vos propos, ce qui est exceptionnel, je me dois donc de réparer cet oubli. Je tiens à exprimer le respect que m’inspirent votre parcours et l’ensemble de votre action en faveur de toutes les composantes de l’armée de terre. Vous avez répondu par anticipation à la question que je souhaitais vous poser sur les forces parachutistes et leur entraînement. Concernant la réserve, vous avez évoqué un objectif en rapport avec les jeux olympiques en 2024, vous auriez pu néanmoins fixer également un second objectif, celui de France 2023 avec la coupe du monde de rugby. Plus sérieusement, compte tenu de votre expérience et avec un certain recul et la liberté de ton qui vous caractérise, pouvez-vous nous indiquer quelle est la nature des relations entre l’armée de terre et ses homologues des pays membres de l’OTAN et de l’Union européenne ?
M. Claude de Ganay. Je souhaite m’associer aux remerciements et félicitations qui vous ont été adressés. Je fais partie des quelques députés présents en 2014 et je vous remercie pour la pédagogie et la franchise dont vous avez fait preuve, saluées à juste titre, ainsi que pour les informations précieuses et utiles dont vous avez fait bénéficier les élus. Je vous adresse à mon tour un clin d’œil en tant qu’ancien marsouin en citant à nouveau Castres et le 8e RPIMa où vous avez servi à trois reprises, notamment en tant que moniteur parachutiste. Il existe par ailleurs, puisque Bourges a également été cité, une tradition de députés de qualité dans le Cher et Yves Fromion m’a prié de vous saluer.
Mme Anissa Khedher. Merci général pour vos encouragements concernant notre travail dans le cadre de la belle mission d’information sur le suivi des blessés que nous menons à bien avec ma collègue, Laurence Trastour-Isnart. Je souhaite souligner les efforts de l’armée de terre en matière de sensibilisation, aux blessures psychiques notamment. L’année dernière s’est ainsi déroulée une campagne concernant la prévention de la souffrance psychique. Le beau projet de la Maison des blessés que vous allez transmettre à votre successeur témoigne du sérieux avec lequel vous vous êtes emparé de ce sujet et également de la fraternité d’arme au sein de l’armée de terre. Je profite de votre présence pour remercier votre personnel pour son accueil et sa disponibilité. Merci beaucoup.
Général Jean-Pierre Bosser. Je répondrai aux questions dans l’ordre inverse, en commençant par un sujet qui m’est cher, celui des blessés. Au cours de ces cinq années, j’ai beaucoup réfléchi au sujet et j’ai rendu fréquemment visite aux blessés physiques et psychiques soignés à Percy. J’ai acquis la conviction que la cellule d’aide aux blessés de l’armée de terre, la CABAT que tout le monde connait, est un outil sous-dimensionné au regard des besoins. Au travers de la Maison du combattant, que j’imagine pour demain, je souhaiterais restructurer les leviers du soutien au service de nos blessés que constituent les associations, Terre Fraternité, les entraides, les donateurs, et l’armée de terre qui reste le premier contributeur de l’action menée par l’intermédiaire de la CABAT. Un projet est en cours. Il est complexe juridiquement dans un domaine commun à l’armée de terre et au service de santé des armées. Des textes doivent être aménagés pour que les soldats bénéficient d’une protection juridique lorsqu’ils sont placés en congés maladie de longue durée. J’espère que ce projet aboutira, notamment pour les blessés psychiques pour lesquels il ne semble pas se produire beaucoup d’évolutions. Mais cinq ans est peut-être une durée trop brève pour apprécier les résultats, la guérison de ce type de blessures étant souvent très lente. Je suis toutefois convaincu que rester dans l’ambiance militaire serait bénéfique à nos jeunes soldats qui n’ont parfois pas de famille et que vivre dans les maisons que j’envisage serait un bon facteur de réinsertion.
Vous saluerez de ma part le député Yves Fromion qui m’a accueilli ici lors de mes premières auditions. Il était pour nous une sorte d’icône, ancien militaire, alors le Saint-Cyrien de l’Assemblée nationale. Je ne pousse pas mes jeunes officiers dans cette direction mais pourquoi pas, s’ils le souhaitent. Bien qu’ayant combattu l’un de ses projets consistant à ramener la section technique de l’armée de terre (STAT) à Bourges, je tiens à saluer son action.
Pour revenir sur votre question concernant la réserve, nous sommes pleinement conscients que 2023 constituerait une bonne répétition avant les Jeux olympiques de 2024.
En matière de relations internationales, nous nous distinguons par notre capacité à accepter de payer le prix du sang. De surcroît, la Constitution de notre pays nous permet d’engager, sur décision politique et dans des délais très courts, une force opérationnelle. La décision qui a conduit à lancer la récente opération de libération d’otages au Sahel en est l’illustration. C’est ce qui nous différencie de la plupart de nos homologues. Pour autant, nous pouvons faire beaucoup en commun, dans de nombreux domaines, comme celui de l’instruction de nos hommes. Cette coopération trouve une limite dès lors qu’il s’agit de risquer la vie de nos soldats. Cette capacité est reconnue par les Américains qui la citent instantanément et sans l’ombre d’une hésitation quand ils sont interrogés sur les Nations qui comptent militairement.
M. Gassilloud vous demanderez peut-être des droits d’auteur, mais comme je partage l’idée selon laquelle la révolution que représente l’intelligence artificielle est identique à celle de la poudre en son temps, je la reprends à mon compte. L’intelligence artificielle va nous donner des capacités que nous ne mesurons pas aujourd’hui. Nos équipements modernes sont souvent source de belles surprises. Ainsi, en matière d’aéronefs, les évolutions du NH90 ne sont pas encore totalement exploitées. C’est vrai pour les hélicoptères mais cela le sera dans de nombreux domaines.
En ce qui concerne l’imprimante 3D, j’ai eu l’occasion d’interroger le général commandant le corps des marines des États-Unis, prochain chef d’état-major des armées américaines. Un marine a créé en peu de temps une pièce servant à la fermeture d’une porte d’engin blindé amphibie pour laquelle l’industriel demandait un prix faramineux. Nous nous sommes engagés dans la voie de la 3D et j’estime que la maintenance des forces est un bon point d’entrée, car de petites pièces conditionnent souvent des disponibilités techniques importantes. L’imprimante 3D fonctionne dans l’espace, elle devrait donc pouvoir fonctionner en bande sahélo-saharienne ! Nous allons la tester. À ce stade, l’interrogation porte notamment sur la capacité à produire des pièces résistantes à des pressions mécaniques ou à la chaleur. Il doit par exemple être facile de créer un percuteur par imprimante 3D mais plus difficile d’en apprécier la durée de vie.
En matière de réserve, le 24e régiment d’infanterie, que vous avez cité, est l’exception qui confirme la règle. Une exception à laquelle nous devons notamment le soutien du 14 juillet qui, ce que beaucoup ignorent, repose essentiellement sur la réserve et plus particulièrement sur ce régiment sans lesquels nous aurions des difficultés pour remplir cette mission. L’idée n’est néanmoins pas de créer un nouveau régiment de réservistes. La dernière réunion de commandement sur le pilier des réserves a confirmé le principe fondamental selon lequel une réserve efficace est une réserve intégrée à l’active, ce qui assure la meilleure capacité opérationnelle. Vous avez cité, à la gare Saint-Charles à Marseille, des actions de réservistes efficaces parce qu’intégrés à un trinôme comptant également des militaires d’active. Des régiments intégralement de réserve seraient compliqués à soutenir, à entraîner, à évaluer et à engager.
Je suis un fervent adepte de l’hélicoptère interarmées léger. Il était important de l’avancer dans la loi de programmation militaire et les dernières annonces de la ministre des Armées me satisfont. Comme j’ai eu l’occasion de le dire devant vous, nous disposons de deux hélicoptères exceptionnels, le NH90 Caïman et le Tigre, accompagnés de la Gazelle, la génération précédente. L’hélicoptère léger futur, dont nous savons à présent qu’il sera le H160M que les trois armées ont décidé d’adopter dans des versions différentes, est l’hélicoptère dont nous avons absolument besoin demain pour conduire des opérations de bon niveau et disposer ainsi de la meilleure capacité d’aéro-combat d’Europe. Nous céderons bien volontiers les Caracal à l’armée de l’air, dès leur remplacement effectif par des Caïman supplémentaires, ce qui n’est pas prévu au cours de cette LPM, non parce qu’ils ne conviennent pas, mais dans un objectif d’harmonisation des parcs et de rentabilité de la disponibilité opérationnelle.
En ce qui concerne l’idée de réaliser une partie du MCO de manière plus proche des opérations, par exemple à l’échelle de sous-régions, il s’agissait de comparer les coûts d’un tel schéma avec ceux de la pratique actuelle consistant à rapatrier systématiquement en métropole les matériels endommagés. Le sujet est toujours en cours d’étude dans le cadre du plan MCO 2025, mais pour être tout à fait honnête, je n’ai pas perçu un véritable enthousiasme des industriels concernés. Pourtant, je pense que cela leur offrirait une bien meilleure visibilité localement, contribuant potentiellement à l’obtention de marchés.
Les sous-officiers supérieurs sont l’objet d’une attention toute particulière, car il s’agit de cadres ayant atteint le sommet de leur art dans des spécialités très diverses, allant de la maintenance aéronautique ou terrestre à l’informatique, et donc indispensables au bon fonctionnement de l’armée de terre. Beaucoup sont dans une classe d’âge où ils ont fondé une famille et sont propriétaires, ce qui rend plus grande la tentation de la reconversion. De manière générale, il nous manque déjà de l’ordre de 3 500 titulaires d’un brevet de technicien supérieur de l’armée de terre (BSTAT). Si nous en perdons 1 000 ou 1 500, l’armée de terre sera sur le flanc. Pour l’instant, comme je vous l’ai dit, les flux de départ ne sont pas alarmants ; mais nous demeurons très vigilants, tout particulièrement par rapport aux annonces faites sur la prochaine réforme des retraites, car dire que les personnes à moins de cinq ans de la retraite ne seront pas affectées ne rassure pas les populations qui nous intéressent.
Le sujet des stocks de munitions est récurrent. Pour tout dire, depuis près de trente ans, nous sommes en dessous des niveaux fixés pour les stocks dits de guerre, destinés à une « guerre patriotique ». Par ailleurs, pour l’entraînement, l’essentiel est de disposer des stocks de munitions nécessaires : même si la situation est tendue, nous n’avons jamais eu à renoncer à une manœuvre d’entraînement faute de munitions. En outre, ce sujet est appelé à évoluer du fait des évolutions technologiques. Ainsi, s’agissant du MMP, la simulation se substituera totalement aux tirs d’entraînement.
Il y a effectivement eu plusieurs phases dans l’opération Sentinelle. La première, entièrement statique, était une catastrophe pour nous. La deuxième, qui est toujours en vigueur, associe protection statique et manœuvre dynamique, avec un ressenti très positif, nos militaires retrouvant ainsi leurs marques. J’avais réfléchi à une troisième phase qui permette d’alléger les déploiements dans les grandes villes au profit d’une présence accrue dans les espaces ruraux en quelque sorte lacunaires, moins protégés. Les travaux de réflexion se poursuivent. L’attentat de Strasbourg du 11 décembre nous rappelle que la menace est toujours présente sur le territoire national.
M. le président. Merci pour cette audition et pour toutes les réponses précises apportées aux questions.
(Applaudissements nourris sur tous les bancs.)