M. le président Jean-Jacques Bridey. Mon général, vous commandez le centre de doctrine et d’enseignement du commandement (CDEC), rattaché à l’état-major de l’armée de terre. Après vous avoir écouté à une conférence-débat, j’avais pensé qu’il fallait vous entendre devant notre commission.
Chers collègues, je crois que vous allez en effet apprendre des choses nouvelles sur la doctrine militaire française.
Général de division Pascal Facon, commandant le centre de doctrine et d’enseignement du commandement. Je vous remercie de votre accueil, comme je vous remercie de me donner l’occasion d’évoquer devant vous le retour d’expériences de trois conflits, au Levant, dans la bande sahélo-saharienne (BSS) et en Ukraine. Dans le cadre de cette audition, je suis accompagné du colonel Nicolas Auboin, qui dirige la division doctrine, et du colonel Gilles Haberey, chef d’état-major du CDEC.
Le CDEC est un organisme placé sous l’autorité du major général de l’armée de terre, le général de corps d’armée Barrera. Sa mission est double : élaborer le mode d’emploi de notre armée de terre, c’est-à-dire sa doctrine – définie par le maréchal Foch comme un « ensemble de principes appliqués de façon variable, en fonction des circonstances » –, sur la base notamment des retours d’expériences (RETEX) et des études prospectives ; former les futurs chefs de nos armées et ceux qui les aideront à décider.
L’objectif du CDEC, de ses quatre écoles, de ses trois divisions, de ses deux pôles et de sa chaire de tactique, est de concevoir, enseigner et faire rayonner la pensée militaire française dans un environnement opérationnel caractérisé par notre engagement sur le territoire national, par la poursuite des opérations extérieures de type Barkhane et Chammal, par des progrès techniques qui font tous les jours évoluer sous nos yeux le champ de bataille et par un possible retour des conflits de haute intensité.
Cette audition offre au CDEC une occasion unique de présenter les principaux enseignements et conclusions tirés de trois conflits en cours au Levant, dans la BSSet dans l’est de l’Ukraine. Nous répondons ainsi à la devise du centre : « Si tu veux la paix, prépare la guerre. »
Le RETEX influence l’ensemble d’un cycle que nous appelons DORESE – acronyme de « Doctrine, organisation, ressources humaines, équipements, soutien des forces, entraînement ». Il s’agit d’une méthodologie qui permet d’avoir une approche globale de la question des capacités, qui ne sont plus uniquement perçues sous le prisme des matériels.
Cette démarche est indispensable, car le temps de l’étude et du RETEX n’est pas celui de l’action. Comme le disait le général Foch, lorsqu’il était à la tête de l’École de guerre, entre 1908 et 1911 : « La réalité du champ de bataille, c’est qu’on n’y apprend rien ; on fait ce que l’on peut avec ce que l’on sait. Dès lors, pour pouvoir un peu, il faut savoir beaucoup et bien. » C’est là tout l’enjeu de l’enseignement du commandement et du travail de RETEX.
Ce RETEX a de multiples conséquences et usages. D’abord, il éclaire l’action de ceux qui sont en charge de forger l’épée et le bouclier de nos forces. Le général de division Charles Beaudoin, sous-chef d’état-major chargé des plans et des programmes de l’état-major de l’armée de terre (EMAT), lorsqu’il a été auditionné le 16 mai dernier, a montré que chaque programme, chaque matériel, aussi petit ou simple soit-il, renvoie à un besoin opérationnel directement issu d’un retour d’expériences.
Le RETEX est à l’origine de l’adaptation réactive sur toutes les étapes du processus DORESE, comme par exemple la lutte contre les Engins explosifs improvisés (EEI) qui détruisent nos véhicules : quel matériel devons-nous dès lors posséder pour y faire face ? Il en va de même de la lutte contre les drones, dont l’utilisation est désormais généralisée. À l’autre bout du spectre, le retour d’expériences nourrit l’anticipation proactive avec la doctrine exploratoire SCORPION – acronyme de « Synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation ».
Il aide le Commandement des forces terrestres (CFT), pourvoyeur de forces certifiées pour une opération, à entraîner nos unités. L’expérience acquise à tous les niveaux par nos forces dans différentes opérations est le carburant de la préparation opérationnelle conduite par le tout nouveau commandement de l’entraînement et des écoles du combat interarmes (E2CIA), créé le 2 juillet dernier à Mourmelon-le-Grand et placé sous l’autorité du CFT.
Le retour d’expériences nourrit enfin la doctrine, le mode d’emploi opérationnel de notre armée de Terre, en faisant en sorte que celle-ci ne soit pas une pensée figée.
Le RETEX alimente une pensée militaire qui associe les enseignements tirés des opérations, vécues ou observées, et une réflexion menée tous azimuts sur l’évolution des formes de conflictualité. La semaine dernière, nous recevions ainsi un haut responsable de l’Historial de Péronne, pour réfléchir aux facteurs de résilience et de résistance d’une société, au regard de l’expérience de 1914-1918. L’ « esprit guerrier », mis régulièrement en exergue par le général d’armée Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre (CEMAT), était au centre de nos discussions. Nous réfléchissons ainsi à ce que nous voyons, à ce que nous imaginons, quand nous observons notre histoire.
Sans être prédictif, sans permettre de prévoir tout ou d’anticiper tout, le RETEX participe pleinement, en revanche, à la formation d’esprits orientés vers l’action. « La cuirasse parfaite n’existe pas, mais il ne faut pas être pris en flagrant délit d’impréparation », comme le dit souvent le CEMAT.
Vous m’avez demandé de vous livrer une analyse de trois conflits. Il ne s’agira pas de revenir sur leur genèse politico-militaire, ni même de me prononcer sur la conduite des opérations, ce qui relève de la responsabilité du Chef d’état-major des armées (CEMA).
Nous allons, en revanche, chercher à caractériser les principaux déterminants de ces conflits. Nous allons aussi, et surtout, montrer que les choix opérés dans la loi de programmation militaire (LPM) sont justifiés au regard de ce que nous savons des engagements actuels et envisageons pour les conflits futurs.
En termes de méthode, je ne vous présenterai pas les conflits au Levant, dans la BSS ou en Ukraine successivement. Je me propose plutôt de les aborder sous l’angle des Facteurs de supériorité opérationnelle (FSO), tels qu’ils sont identifiés dans « Action terrestre future », et donc de jeter un regard sur ces trois conflits au prisme des huit facteurs de supériorité opérationnelle : masse, coopération, compréhension, agilité, influence, force morale, endurance, performance du commandement. Ces facteurs sont en permanence combinés pour atteindre l’état final recherché d’un point de vue militaire.
Le premier enseignement est le suivant : dans l’est de l’Ukraine et au Levant, ce qui frappe, c’est le retour de la masse. Le conflit en Ukraine est, en effet, le plus important en Europe depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.
C’est un conflit intéressant pour nous, aux caractéristiques dimensionnantes, tant dans le domaine capacitaire que dans celui de la préparation opérationnelle. Nous devons être prêts à nous engager dans un conflit approchant la haute intensité et les caractéristiques observées dans l’est de l’Ukraine.
Ces combats ont opposé 30 000 Ukrainiens, déployant environ 2 000 véhicules blindés d’infanterie et 600 chars, faisant face à 2 000 combattants séparatistes équipés de véhicules blindés, souvent récupérés sur leurs adversaires. L’Ukraine, c’est une bataille de blindés qui justifie la réflexion d’aujourd’hui sur l’après-char Leclerc, le programme Main Ground Combat System (MGCS).
En février 2015, au moment où le front s’est stabilisé, on comptabilisait 5 300 morts et 12 000 blessés. Nous sommes évidemment loin des 900 morts journaliers dans les rangs français lors du premier conflit mondial, mais nous dépassons les taux de pertes de nos opérations actuelles. Certes, il y a toujours trop de morts et de blessés, mais cela signifie que nous devons, à l’aune de ce retour d’expérience, nous préparer à gérer un nombre important de blessés. Fait intéressant : « sur le papier », les Ukrainiens disposaient d’une supériorité matérielle indiscutable avec 2 300 chars, 3 800 blindés et 3 100 pièces d’artillerie, mais, du fait des conditions de stockage de leurs matériels et de procédures de maintien en condition inappropriées, la disponibilité technique opérationnelle (DTO) n’excédait pas 60 % au début des combats. Notre conclusion est que la masse, sans le maintien en condition opérationnelle (MCO), ne sert à rien.
Au Levant, où 14 000 obus ont été tirés depuis le 20 septembre 2016 par notre artillerie, tous nos régiments y ayant été successivement engagés. Comme dans l’est de l’Ukraine, faute de la percevoir sur les théâtres du fait de l’asymétrie des forces, nous avons redécouvert la puissance de l’artillerie sol-sol et sol-air, l’effet de masse que cette arme procure dans des affrontements de haute intensité et la permanence des feux qu’elle assure. Ainsi, durant les affrontements en Ukraine, deux régiments ont ainsi été détruits à 70 % en l’espace de six minutes par des lance-roquettes multiples.
Par ailleurs, l’artillerie sol-air séparatiste a littéralement interdit, en détruisant les aéronefs ukrainiens, la libre disposition de l’espace aérien, pourtant indispensable pour assurer l’appui des troupes au sol.
La guerre de haute intensité met ainsi en lumière l’importance du déni d’accès et la nécessité de disposer de moyens permettant de le contourner pour accéder à un espace de manœuvre. La puissance des feux indirects repose aussi sur des capacités dans le domaine des radars de contre-batterie et dans la lutte anti-drones, qui constitue le premier stade de la lutte permettant de se soustraire à la contre-batterie adverse.
Ce RETEX nous impose aussi une réflexion relative à l’entraînement. Comme vous le savez sans doute, l’artillerie française est la seule en Europe à manœuvrer et tirer véritablement lorsqu’elle s’entraîne. Il faut que cela continue, de sorte qu’elle puisse cultiver et développer une aptitude à tirer loin, comme le permettent les moyens actuels qui sont mis à notre disposition.
Ce constat explique l’acquisition des 32 Caesar que vous avez décidée, la livraison de cinq radars GM 60, pour le sol-air basse couche et l’acquisition de Systèmes de drones tactiques (SDT), dont l’armement n’est pas inscrit en programmation.
L’arme de l’artilleur, c’est l’obus, dont l’usage est lié à la précision et à la masse. Cette référence à la précision et à la masse amène naturellement à évoquer le domaine spécifique du combat en zone urbaine. La bataille de Mossoul reste ainsi, à ce jour, la plus emblématique de ce que pourrait être la guerre de demain.
En 2050, les villes regrouperont 75 % de la population mondiale. Parmi cette population citadine, 1,6 milliard d’individus vivront dans des bidonvilles en 2025, dont 500 millions sur le seul continent africain. Aux 14 milliards d’objets qui y sont connectés en 2014 correspondront 50 milliards d’objets connectés en 2050. C’est un milieu complexe pour l’action militaire qui exige donc un haut niveau d’entraînement et d’équipement.
La bataille de Mossoul, qui s’est déroulée du 17 octobre 2016 au 10 juillet 2017, constitue pour nous un cas d’école, par la durée des combats, leur violence, par les volumes de forces impliqués, par la maximisation de l’effet des armes du fait du caractère confiné de l’espace de bataille, par la symbolique de la ville, par la médiatisation des combats.
On estime généralement qu’un rapport de force de 1 à 6 au profit de l’assaillant est nécessaire dans la conquête d’une ville ; en l’espèce, celui de 1 à 10 paraît plus réaliste. À Mossoul, la coalition alignait ainsi environ 90 000 hommes face à au moins 5 000, peut-être 10 000, combattants djihadistes. Nous en tirons la conclusion que la mobilité et la précision sont des éléments déterminants, de même que la capacité à se déplacer dans un espace géographique urbain totalement remodelé, en permanence, par les destructions.
Enfin, compte tenu de l’existence de bâtiments de grande hauteur à partir desquels l’ennemi peut tirer, ont été mis en évidence la nécessité de disposer d’un sur-blindage complet, l’utilité d’une capacité d’observation à 360° et le rôle d’armes dotées d’un débattement permettant de tirer aussi bien vers un toit que vers des sous-sols.
En synthèse, face à un retour possible des conflits de haute intensité, nous devons disposer d’une capacité à générer et à entretenir une masse, pour conserver une réserve permettant de prolonger une action ou de réagir à celle de l’adversaire. S’impose également le besoin d’un renouvellement de nos matériels par des capacités de quatrième génération.
Le deuxième enseignement que nous tirons, c’est qu’au regard des conflits récents, l’agilité, envisagée sous l’angle de l’adaptation au changement et sous l’angle de la capacité à se reconfigurer, s’impose comme un facteur essentiel. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer combien son absence a été préjudiciable aux Ukrainiens qui ont probablement éprouvé des difficultés à mesurer qu’une action qualifiée de lutte antiterroriste pouvait dériver vers un conflit localement de haute intensité.
Les forces ukrainiennes semblent avoir été surprises par les événements dans le champ de la mobilisation. 50 % des effectifs attendus ne se sont pas présentés. Ce constat souligne l’importance qu’il convient d’accorder aux facteurs de résilience d’une société, à sa capacité à cultiver l’esprit de défense, son « esprit guerrier ».
Dans la BSS, nous sommes également confrontés à un ennemi agile. Celui-ci est passé maître dans la mise en œuvre de capacités dites « nivelantes », avec des moyens simples réduisant localement l’asymétrie des forces.
Pendant la bataille de Mossoul, l’ennemi s’est montré manœuvrant et innovant en conduisant, de jour et de nuit, des opérations interarmes associant chars, équipes mobiles antichars, drones et des véhicules blindés constitués en « bulldozers suicide ».
Daesh a fait, en outre, un usage systématique des drones. C’est la première fois qu’on observe un usage à cette échelle pour un ennemi non étatique. Il s’agissait des mini-drones commerciaux qui, une fois transformés, ont été utilisés pour l’observation à des fins de renseignement, le guidage des véhicules blindés suicides ou encore le largage de munitions.
Dans la BSS, d’où certains d’entre vous reviennent, le même usage des capacités nivelantes est observé. Associées à la mobilité des Groupes armés terroristes (GAT), elles constituent une menace pour notre stationnement et la manœuvre de nos forces. Depuis le début de l’année 2018, la moitié de nos dix-sept véhicules détériorés l’ont été par des EEI. Depuis le début de la campagne, en janvier 2013, ce sont 150 attaques qui ont eu lieu, causant 119 blessés et dix décès ; 73 véhicules ont été détruits ou endommagés.
L’usage des drones ne remet pas en question la supériorité aérienne de la coalition, mais fait peser une menace au-dessus du champ de bataille. Nous sommes là dans le domaine de la lutte aérienne toutes armes. Cela explique l’action conduite en urgence pour acquérir des micro-drones ou des fusils brouilleurs anti-drones Nightmare en août 2017, ainsi que la mise en place fin 2018 de Moyens intérimaires de lutte anti-drones (MILAD) pour la protection de nos bases.
Outre les procédés tactiques liés à cette agilité, les efforts d’adaptation portent sur la lutte contre les engins explosifs, la protection de nos emprises, l’utilisation de munitions à faible charge de destruction pour limiter les dommages collatéraux, et le développement de moyens de lutte dans l’espace cybernétique pour limiter l’influence du prétendu État islamique.
Le troisième enseignement que nous tirons est que, face à la masse et à l’agilité de l’adversaire, les FSO « coopération » et « influence » constituent une autre réponse à l’action de nos adversaires.
Les opérations de coopération ne constituent pas une option. C’est une nécessité absolue, au regard des conflits actuels, pour générer et entretenir, autour d’objectifs partagés avec nos partenaires, la masse agile dont nous avons besoin.
C’est l’approche retenue dans le cadre du Partenariat militaire opérationnel (PMO) qui consiste à former, entraîner et préparer les unités alliées aux côtés desquelles nous serons amenés à combattre. Cette approche partenariale est mise en œuvre dans la BSS et au Levant.
Dans le cadre de l’opération Chammal, cette mission a été confiée aux task-forces Monsabert dans le cadre de l’Advise and Assist de la 6e division irakienne et à la task-force Narvik dans le cadre de la formation de l’Iraqi Counter-Terrorism Service.
Au Levant, nous avons conduit 78 actions de formation au profit de 2 500 hommes. L’opération Barkhane est également emblématique de ce partenariat opérationnel, puisqu’elle repose sur une logique de partenariat avec les principaux pays de la BSS. Elle vise en priorité à favoriser l’appropriation par les pays du G5 Sahel de la lutte contre les GAT. Ce PMO est aussi conduit avec les Pôles opérationnels de coopération (POC) de Dakar et de Libreville et à partir de nos bases opérationnelles avancées.
D’une manière générale, depuis le début de l’année 2018, l’armée de terre a conduit 361 actions de formation, principalement en appui de nos opérations avec la répartition suivante : Afrique de l’Ouest pour 45 % – ce qui n’est pas étonnant, puisque c’est le lieu de l’opération Barkhane – Afrique centrale pour 34 %, Afrique de l’Est pour 1 %, Afrique australe pour 5 %, Levant pour 9 %, zone euro–méditerranéenne pour 6 %.
L’armée de terre, singulièrement, fait face à une demande croissante de PMO, pour deux raisons essentielles. La première est la qualité reconnue à ce partenariat, qui tient à la qualité de la formation dispensée à nos cadres, lesquels sont capables de conduire des missions avec une grande autonomie et un sens de l’initiative assez développé. Le PMO, tel qu’il est pratiqué par l’armée française, et en particulier par l’armée de Terre, est fondé aussi sur la confiance qui nous est accordée par nos partenaires, du fait que nous enseignons ce que nous pratiquons au combat.
Cette communauté de destin joue un rôle essentiel ; elle rend plus robuste nos partenaires confrontés à un ennemi pugnace ; elle permet une meilleure compréhension du milieu d’engagement par nos forces ; elle crée les conditions de l’autonomisation de nos alliés. Instrument de sortie de crise, le PMO participe fortement de l’approche globale définie par le CEMAT comme un des six critères caractérisant la performance de notre armée de terre.
Le PMO est aussi un instrument de rayonnement. C’est un domaine où la concurrence joue à plein entre une multitude d’acteurs, étatiques ou non. C’est aussi un domaine dans lequel la Russie s’engage résolument, comme par exemple en République centrafricaine ou en Syrie.
Le quatrième enseignement que nous tirons est que, face à la masse et à l’agilité de l’adversaire, la force morale et l’endurance constituent toujours les facteurs nécessaires de la victoire.
Pour espérer vaincre dans les conflits actuels, il convient d’associer la rusticité des hommes et la haute technologie, pour qu’ils durent dans des opérations qui sont de plus en plus longues, complexes et éprouvantes. La rusticité ne s’oppose pas à la technologie. Mais rendre la technologie simple d’utilisation est le fruit d’un processus complexe, d’où les interactions nécessaires entre l’armée de terre, la Direction générale de l’armement (DGA) et les industriels. La créationd’un battle lab de l’armée de terre procède de ce constat. C’est au sein de cette structure que se crée la synergie entre les industriels qui conçoivent les armes et ceux qui les mettent en œuvre.
S’agissant d’endurance, il faut rappeler que les forces irakiennes ont perdu 6 000 hommes durant la bataille de Mossoul, ce qui représente un taux de pertes de 13,5 %. Comment ces forces ont-elles absorbé le choc ? Outre la force morale, on peut expliquer cette endurance par le fait que ces soldats étaient entraînés et correctement équipés, avec des moyens modernes, tels que les drones. Ils savaient également qu’ils mettaient en œuvre des armes précises, limitant les risques de tirs fratricides et de dommages collatéraux, de telle sorte qu’ils étaient confiants dans le succès de leurs armes.
Cette description tranche singulièrement avec l’entraînement limité des forces ukrainiennes. Des durées de formation trop courtes et des équipements individuels inadaptés – sac à dos, chaussures, protections individuelles, trousses de première urgence inexistantes, transmissions non sécurisées – ont affecté initialement leur volonté de combattre. D’où l’expression utilisée par le CEMAT pour appeler de ses vœux une LPM à hauteur d’homme, de manière à souligner que l’élément premier du combat, c’est l’homme et son équipement. Au premier stade de l’endurance, il y a donc l’équipement du soldat et l’entraînement dont il a bénéficié.
Mais il y a aussi la force morale. En Ukraine, l’image parfois dégradée des forces armées au sein de la population a eu une influence évidente sur son efficacité. Cet état de fait a poussé les jeunes à rejoindre des bataillons de volontaires dont le volume total a atteint 7 000 hommes, plutôt que d’entrer un processus de mobilisation.
Nous en tirons la conclusion que la capacité de montée en puissance dans une société s’organise sur un plan technique et administratif, mais aussi dans les esprits. La bataille de Mossoul nous enseigne autre chose en matière de force morale : le combat en zone urbaine requiert chez le combattant des ressources psychologiques encore plus importantes qu’à l’accoutumée. Les soldats ne se voient pas, développent un sentiment d’isolement lié à la méconnaissance de la position de leurs camarades. L’oppression physique est également plus forte du fait de l’environnement bâti. Mais, ce qui est le plus marquant – et la bataille de Mossoul l’a parfaitement montré – c’est la nécessité de prendre en compte la population civile toujours présente. À Mossoul, les 800 000 habitants n’ont pas été évacués, du fait de la dificulté à discriminer les civils et les combattants de l’EI ; ils ont donc été libérés au gré des combats et de la sécurisation de leur quartier. Cette situation a affecté considérablement l’équilibre psychologique des soldats irakiens.
Outre les moyens techniques, tels que SCORPION demain, qui permettent au combattant de se situer par rapport à ses amis, d’avoir une compréhension aussi partagée que possible de la situation, c’est l’entraînement en zone urbaine, tel que pratiqué au Centre d’entraînement au combat en zone urbaine (CENZUB) de Sissonne, qui confère au soldat la force morale lui permettant de combattre dans cet environnement urbain, environnement extrêmement exigeant.
Le cinquième et dernier enseignement que nous tirons est que, face à la masse agile de l’adversaire, il nous faut savoir conjuguer intelligemment la compréhension du théâtre des opérations et la performance du commandement.
Le facteur de supériorité « compréhension » est essentiel pour éviter l’aveuglement. Lorsqu’il fait défaut, on se retrouve par exemple dans la situation de l’état-major ukrainien, qui sous-estime la volonté du voisin russe d’aider les séparatistes malgré l’existence d’indices. L’état-major ukrainien a ainsi éprouvé une difficulté à comprendre que son ennemi n’était pas un groupuscule armé agissant de manière autonome, mais un adversaire plus structuré et manœuvrant.
L’absence de compréhension a aussi, parfois, une origine technique. Au Donbass, le commandement n’est pas parvenu à visualiser son propre dispositif, les espaces contrôlés ou non. Il était ainsi dans l’incapacité de saisir des initiatives ou d’exploiter les succès tactiques de certaines unités. D’où, pour nous, la nécessité de disposer du système informatique Système d’information et de combat SCORPION (SICS) et du Blue Force Tracking, nous permettant de savoir où sont les amis, où sont les ennemis, et comment manœuvrer.
Cette compréhension est d’autant plus nécessaire que l’environnement d’une opération évolue très vite et nécessite en permanence de rapides reconfigurations. Dans la bataille de Mossoul, par exemple, étaient associées des forces partenaires, agissant dans un milieu urbain occupé par une population, dont il convient de comprendre l’état d’esprit et l’activité. Cette ville était peuplée de 4 000 à 10 000 combattants, pour qui l’innovation technologique et tactique était vitale. La bataille s’est déroulée dans un espace de 60 kilomètres carrés, espace en mutation permanente sous l’effet de l’artillerie et des frappes aériennes qui, du fait des destructions, en modifiaient la géographie.
Dans ces conditions, la compréhension fine et dynamique de la situation dans les trois dimensions devient un impératif. Elle s’appuie sur un renseignement humain robuste et sur des moyens techniques, tels que les drones ou les capteurs électro-électromagnétiques.
Il faut savoir que l’on n’est pas en train de faire la guerre au milieu des populations, mais au milieu des peuples. Plus on comprend cet environnement humain, sur un plan psychologique, culturel, ethnographique et anthropologique, plus on comprend sa culture militaire, plus on maximise les chances de succès. Ainsi, une compréhension assez poussée de la culture militaire russe aurait permis de mettre en lumière la manœuvre opérative conduite dans l’est de l’Ukraine, à l’échelle d’un théâtre d’opérations, dans u une approche globale produisant des effets à tous les « niveaux » : choix de la date, conjugaison du partenariat militaire opérationnel avec une manœuvre de diversion, manœuvre du renseignement, saisie du tempo, opérations à grande échelle dans le champ psychologique, anticipation de la réaction ukrainienne après la prise de la Crimée, etc.
Il faut comprendre son ennemi, et en particulier ses représentations. C’est très précisément ce que l’on a introduit dans le programme de l’École de guerre Terre.
La capacité à comprendre une situation du niveau tactique au niveau opératif dépend de la performance du commandement.
Prenons le cas de la bataille de Mossoul. Face à un ennemi manœuvrier, équipé et pugnace, le commandement irakien, appuyé par une coalition, est parvenu à déloger plus de 5 000 combattants en un temps record, en articulant l’ensemble des ressources humaines qu’il avait à sa disposition.
On peut ainsi souligner qu’ils ont su préserver le moral de leurs unités malgré un taux de pertes de 13,5 %, par la mise en place d’un système de rotation vers l’arrière de leurs combattants.
Dans la BSS, cette performance est également notable. Sur une zone d’opérations très vaste, la chaîne de commandement permet d’intégrer la totalité des effecteurs pour garantir un haut niveau de réactivité face à un ennemi extrêmement mobile exerçant une pression constante sur nos forces et sur la population.
Cette chaîne de commandement se montre particulièrement résistante face à des GAT qui cherchent à la discréditer par des opérations d’influence. Elle se montre également très agile pour mettre en mouvement l’ensemble des partenaires locaux, à commencer par la Force conjointe du G5 Sahel.
Ces aptitudes se doublent d’une capacité à inscrire l’ensemble des actions dans un cadre juridique et éthique particulièrement robuste, et à entretenir avec les responsables locaux, du fait de la connaissance fine que l’on a d’eux grâce au PMO, un haut niveau de dialogue politico-militaire.
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, avant de répondre à vos questions, je voudrais revenir très rapidement sur quelques points importants.
Les hommes et les moyens mis en œuvre doivent être polyvalents pour couvrir la totalité du spectre des possibles en matière d’engagements au sol et près du sol, face à un ennemi hybride qui n’a pas les mêmes règles d’engagement que nous, et qui s’affranchit des règles juridiques limitant, par exemple, l’usage de certaines armes ou munitions.
Ce qui permet de couvrir l’ensemble des possibles, c’est la masse des forces terrestres qui élargit la palette des options militaires à disposition du chef des armées. Cette masse prend du temps pour être mise sur pied, et il en faut beaucoup moins pour la réduire à néant.
Cette masse doit être agile, c’est-à-dire capable de coopérer avec ses alliés, d’agir dans les champs immatériels, de combattre au contact et à distance, et de se montrer résiliente face aux agressions dans l’espace cybernétique.
La haute technologie est la condition sine qua non pour pouvoir rentrer dans la mêlée ou résister au premier choc avec des soldats et des structures de commandement connectés, aux capacités augmentées. Mais in fine, c’est l’homme qui fait la différence, pas seulement parce qu’il est physiquement bien préparé, et collectivement bien entraîné, mais parce qu’il sait qu’il dispose des instruments de la victoire.
Pour nous, demain, l’instrument de la victoire, c’est SCORPION. On rentre en effet dans l’ère du combat collaboratif que permet l’info-valorisation.
De fait, SCORPION nous garantit : une appréciation de situation mieux partagée à tous les niveaux par des chefs aux capacités de compréhension « augmentées », parce qu’accédant mieux et plus vite à la bonne information ; une masse agile autorisant des reconfigurations que le champ de bataille et l’adversaire nous imposent ; un outil permettant d’optimiser l’emploi des effecteurs, et de limiter, de ce fait, la létalité ; un usage efficace et contrôlé de la force. Mais d’autres éléments garantissent la victoire : le soutien de la population, ainsi que l’action des industriels de la défense – en élaborant, dans les temps, les matériels qui nous sont nécessaires.
Les formes actuelles de conflictualité, ainsi que celles qui sont imaginées, vont requérir de plus en plus des hommes bien formés. La robustesse de l’enseignement du commandement est une condition essentielle du succès. La création de l’École de guerre Terre, sur un pas d’un an, qui date du 1er septembre, procède de cette logique. C’est un investissement à consentir, pour des officiers qui exerceront, après leur sortie de l’École, des responsabilités opérationnelles pendant près d’un quart de siècle.
Après des années marquées par des conflits asymétriques, nous devons penser à nouveau à la perspective de conflits de haute intensité, tant dans le domaine de la doctrine, que dans celui de la préparation opérationnelle des forces. Cette possible reprise des combats de haute intensité nous impose d’augmenter les durées de formation, de nous entraîner dans un environnement où la supériorité aérienne est contestée, de combattre dans une ambiance NRBC – nucléaire, radiologique, bactériologique, chimique –, de mettre en œuvre des moyens de sauvegarde face à des moyens d’artillerie ennemis de plus en plus efficaces.
Le conflit de haute intensité, le haut du spectre, c’est la haute technologie facile d’emploi, pour des soldats endurants – c’est pour cela qu’il y a le battle lab ; c’est aussi ce que l’on appelle la transparence du champ de bataille, où tout, désormais, est vu et où donc tout peut-être immédiatement détruit aujourd’hui par des drones, et demain peut-être par des robots équipés de laser.
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre attention. Je suis prêt à répondre à vos questions.
M. le président. Merci, Mon général. Vous aurez à répondre à dix-huit questions. Comme vous pouvez le constater, vos propos suscitent beaucoup d’intérêt. J’observe que le général Bosser sera à votre place demain, et que nous pourrons le relancer sur les propos que vous venez de tenir.
M. Patrice Verchère. Merci, Mon général, pour votre présentation. Dans ce monde aussi instable et dangereux, comment appréhendez-vous les menaces ennemies venant du terrorisme, mais aussi des conflits conventionnels ? Avez-vous établi des priorités ?
Pouvez-vous également nous indiquer quels moyens sont mis à votre disposition pour préparer nos armées à faire face à ces nouveaux risques protéiformes ?
Enfin, vous avez indiqué par ailleurs, à propos du conflit ukrainien, que le maintien en condition opérationnelle était essentiel lors d’un conflit, que la quantité d’armement n’était rien si cet armement n’était pas – ou mal – maintenu en condition opérationnelle. Dès lors, comment jugeriez-vous aujourd’hui la qualité du MCO de l’armée française ?
Mme Nicole Trisse. Général, contrairement à ce que l’on peut entendre, le conflit syrien est toujours plus complexe, plus internationalisé, et semble loin d’être terminé. Comment, au CDEC, appréhendez-vous ce conflit ? Comment se traduit l’emploi des forces terrestre ?
M. Yannick Favennec Becot. Mon général, à la fin de votre propos, vous avez parlé de la haute technologie « facile d’emploi », évidemment incontournable pour affronter l’ennemi. Estimez aujourd’hui que vous disposez de tous les outils en la matière ? Si ce n’est pas le cas, dans quels secteurs devons-nous nous impliquer ?
Mme Patricia Mirallès. Stratégie, intelligence, performance, cyber-connectivité : le monde va vite, et lui-même s’adapte vite. L’École supérieure des officiers de réserve spécialistes d’état-major (ESORSEM) accueille les officiers de la réserve des trois armées. Le programme de formation de nos réservistes n’a pas été réactualisé, alors même que le recours à ces derniers s’est massifié et que les emplois sont de plus en plus techniques. Quelles voies d’amélioration envisagez-vous ?
M. Jean-Pierre Cubertafon. Mon général, je souhaiterais savoir quelle place occupe aujourd’hui la dimension cyber au sein des réflexions menées au CDEC. Comment comptez-vous intégrer cette composante dans le cadre de potentielles futures opérations militaires ?
M. Joaquim Pueyo. La Revue stratégique de défense et de sécurité qui a été remise fin 2017 mettait en avant les menaces que représentent la montée en puissance de nouveaux États lancés dans une course à l’armement, et le renforcement d’acteurs non étatiques du fait de la dissémination des systèmes conventionnels. Quelle est votre perception de ce bilan de la Revue stratégique, par rapport à ces menaces qui se renforcent ?
Par ailleurs, j’ai été intéressé par vos propos concernant la force morale et l’endurance. De fait, les hommes qui s’engagent doivent bien comprendre la nature et l’objectif du conflit. Les militaires français disposent-ils de cette force morale ? J’ai entendu à plusieurs reprises des militaires nous dire qu’il y avait un problème de recrutement en France. Est-ce que pour vous, le recrutement dans l’armée de terre est un sujet d’avenir, notamment s’il fallait répondre, avec de nombreux militaires, à un conflit conventionnel ?
Mme Émilie Guerel. Général, une des missions du CDEC est de garantir l’adéquation entre le modèle d’emploi des forces terrestres et la nature, le volume et l’attitude de l’adversaire. Il éclaire ainsi l’action des forces terrestres pour les années à venir. À cet égard, et dans la mesure où les opérations sont aujourd’hui systématiquement interarmées, entretenez-vous des liens avec vos homologues de la marine et de l’armée de l’air ? Quels sont-ils ? Comment travaillez-vous afin de partager au mieux vos retours d’expérience respectifs ?
Général de division Pascal Facon. Je partirai de la dernière question. Comment articule-t-on notre réflexion avec le domaine interarmées ? On le fait par l’intermédiaire d’une relation étroite conduite avec le Centre interarmées de concepts, doctrines et expérimentations (CICDE) qui est l’organisme équivalent au mien à l’échelle interarmées. Nous avons des échanges réguliers sur des questions aussi essentielles que la coordination dans la troisième dimension. Par ailleurs, la totalité des documents de doctrine que l’on écrit sont déclinés des éléments de doctrine interarmées.
Ainsi, l’armée de terre nourrit la réflexion doctrinale interarmées, tout en se nourrissant elle-même de la perception doctrinale de l’interarmées. Le CICDE, qui décline parfois les documents de doctrine de l’OTAN, est à la charnière de tout cela, et nous permet d’alimenter nos documents de doctrine. De la même manière, nous participons à l’élaboration de leurs documents. C’est ce qui est arrivé récemment avec une doctrine sur l’emploi des forces terrestres sur le territoire national, qui était directement liée à un document de doctrine qui avait été rédigé au niveau interarmées.
Monsieur le député, vous avez parlé de la force morale, et vous vous êtes demandé si les soldats français que nous recrutons ont la même valeur et la même pugnacité qu’auparavant ? Évidemment. On s’était posé la question il y a quelques années, à l’époque où l’on était engagé dans des opérations de maintien de la paix : est-ce que, dans un combat caractérisé par un ennemi qui veut nous tuer, nos jeunes garçons et nos jeunes femmes seraient capables de manifester les plus belles vertus militaires ? La démonstration en a été faite en Afghanistan, elle est faite quotidiennement dans le Sahel et dans le cadre de l’opération Chammal. Il y a tout lieu de rester confiant dans la capacité de nos soldats à agir avec courage, détermination et discernement.
Pour autant, la force morale a une dimension individuelle, mais aussi collective, qui doit être entretenue. Comment ? Par exemple, à travers la certitude que nous avons d’être pris en charge par un service de santé efficace capable, comme nous le voyons quotidiennement sur les théâtres d’opération, d’évacuer rapidement un blessé où qu’il soit vers les structures médicales les plus adaptées. Les médecins militaires participent directement de cette capacité à endurer les vicissitudes du combat.
Le matériel a aussi, évidemment, une dimension essentielle. Les Irakiens sont efficaces parce qu’ils utilisent un matériel de bonne qualité, approprié à la réalité opérationnelle. Il y a, ensuite, la cohésion de l’ensemble, nourri par les traditions qui fédèrent et portent le collectif. Il y a enfin ce que le CEMAT appelle « l’esprit guerrier », qui se cultive dès le temps de paix et s’appuie aussi bien sur la technologie que sur l’ « esprit de corps ».
Donc, il y a tout lieu d’être optimiste, à condition que l’on garantisse à nos soldats les moyens matériels de faire correctement leur travail, et un soutien adapté dans un certain nombre de fonctions essentielles – et le soutien santé en fait partie.
Monsieur le député, votre question sur la dimension cyber tombe à point nommé. En effet, la colonelle Anne-Cécile Ortemann a été nommée chargée de mission cyber par le CEMAT. Nous sommes en train de travailler avec elle, sur la base du groupe de travail qui a été réuni cet été et qui porte sur le cyber dans l’armée de Terre, son cadre d’emploi, sa doctrine. Cette dimension est donc prise en compte aujourd’hui.
Elle est évidemment coordonnée avec les travaux réalisés par l’officier général « cyber » au niveau interarmées. Les progrès sont notables en ce domaine, en particulier en matière de dialogue entre ceux qui sont en charge de systèmes d’information et de commandement, et ceux qui sont en charge du renseignement. Une telle interaction est essentielle.
Madame Mirallès, votre question sur les officiers de réserve spécialistes d’état-major (ORSEM) est particulièrement intéressante. Mais si vous me le permettez, je vous trouve un peu sévère de dire que le programme n’a pas été réactualisé. Les ORSEM continuent de bénéficier d’une formation robuste, actualisée et adaptée à nos besoins, comme l’illustre l’introduction d’un module « Territoire national ». D’une manière générale, les ORSEM font l’objet de notre part d’une attention soutenue et nous sommes en train de travailler à la revalorisation de leur parcours.
Nous avons entièrement confiance en eux. Et je vais vous en donner un exemple : nous assurons à l’École d’état-major une formation qui s’appelle « Qualification interarmes du premier niveau », qui est dispensée avant que des jeunes officiers, lieutenants confirmés ou jeunes capitaines, ne commandent leur unité. Au mois de septembre, huit ORSEM et deux officiers d’active ont participé comme instructeurs à cette formation au profit d’officiers d’active. Et pour vous dire que la qualité de ces ORSEM est absolument reconnue, un des stagiaires a demandé à l’un d’entre eux de quelle promotion de Saint-Cyr il était ! C’est dire l’excellent niveau de ces hommes et de ces femmes, qui consacrent beaucoup de temps à cet engagement dans la réserve, en plus de leur activité professionnelle.
S’agissant de la question relative à la technologie « facile d’emploi » et les moyens dont nous disposons, nous attendons évidemment avec impatience l’arrivée des premiers équipements du système de systèmes SCORPION.
Les moyens qui sont aujourd’hui absolument nécessaires à la conduite de nos opérations sont tous ceux qui permettent la protection de nos forces, leur stationnement, les moyens de lutte anti-drones, les moyens de protection de nos véhicules, les moyens dans le domaine cyber, etc.
Tout cela est très bien pris en compte et de façon réactive. Vous avez probablement vu l’usage qui a été fait des ballons captifs dans la BSS, par exemple, afin d’améliorer la surveillance de nos emprises. Tout cela constitue des motifs de satisfaction en termes de réactivité autorisée par la boucle courte du RETEX.
Ces outils sont faciles d’emploi. SCORPION permettra aux forces de comprendre plus vite la situation, plus longtemps, malgré le stress, la fatigue, les pertes et la pression psychologique qui s’exerce. Cela nécessitera d’une part une meilleure formation opérationnelle et d’autre part une bonne information communiquée au bon endroit et au bon moment. C’est pour cette raison que l’on parle de « chefs augmentés ».
À cette fin, le battle lab de l’armée de terre qui se met en place est la clé de voûte de tout le processus d’innovation. Son but est précisément de rendre nos matériels agiles, par un dialogue à trois entre la DGA, l’armée de terre et les industriels.
Comment appréhende-t-on le type de conflit que l’on rencontre actuellement dans la zone Syrie-Irak ? Nous n’en avons pas fait le tour aujourd’hui, mais on sait ce qu’on voulait savoir. De fait, il s’est passé beaucoup de choses en Syrie, comme en Irak. Il y a eu de nombreux engagements opérationnels. Nous disposons donc de nombreux RETEX.
Nous avons été particulièrement intéressés par les manœuvres de franchissement qui ont été effectuées, que ce soit en Irak ou en Syrie, et qui ont montré que nous avions quelques savoir-faire à consolider pour retrouver les standards d’autrefois. Cela fait partie des quelques éléments de RETEX qui nous sont utiles. Pour le reste, que ce soit le combat urbain ou le combat dans des espaces désertiques ou semi-désertiques, on retrouve au Levant un certain nombre de tendances observées ailleurs.
Concernant le MCO, on peut dire qu’il est en « réparation », avec une modernisation en cours de ses structures et de ses procédures, conformément aux conclusions et recommandations du rapport d’audit relatif au MCO terrestre. Les moyens qui sont mis à disposition, en tout cas les perspectives qui sont ouvertes, nous rendent relativement optimistes. Je pense que le CEMAT vous le dira demain.
Y a-t-il des priorités ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire de se référer à une évidence : nos soldats sont déployés sur des théâtres d’opération différents, mais nous leur devons, aujourd’hui comme demain, le niveau d’équipement le plus approprié à l’exécution des missions que vous leur confiez.
Serons-nous à la hauteur des engagements de demain ? C’est notre ambition, et c’est pour cela que nous nous entraînons. Tout en conservant un haut niveau d’engagement opérationnel, la préparation opérationnelle interarmes reprend en effet de façon extrêmement vigoureuse dans des camps adaptés. Et ce qui nous le permet, c’est la remontée en puissance de notre armée de Terre, qui nous donne maintenant l’opportunité de reprendre l’entraînement de nos hommes et de nos postes de commandement. On est donc indiscutablement sur une bonne tendance.
M. M’jid El Guerrab. Mon général, on a annoncé durant la dernière université d’été de la défense la mise en place d’un battle lab. Quels seront les objectifs de cette structure ? Comment celle-ci pourra-t-elle interagir avec la vôtre ?
Mme Frédérique Lardet. Général, le CDEC a aussi pour mission de former les officiers de réserve, et vous n’êtes pas sans savoir que le sens aigu de l’engagement des officiers de réserve n’est pas toujours reconnu à sa juste valeur dans leur carrière et leur parcours professionnel. Vous l’avez d’ailleurs souligné. Considérez-vous que le CDEC devrait s’engager davantage dans la promotion du statut d’officier de réserve auprès des employeurs, pour faciliter l’engagement et la disponibilité des officiers concernés ? Et si oui, comment ?
M. Jean-Michel Jacques. Mon général, lors de notre mission dans la bande sahélo-saharienne, nous avons rencontré de nombreux soldats et officiers, entre autres les commandants des bases de Niamey et Gao. Nous avons pu apprécier la façon dont ils abordent les problématiques auxquelles ils sont confrontés. C’est assez extraordinaire à constater : un chef de base est un véritable maire ou chef de département – il fait de l’urbanisme, etc. Et l’on voit, derrière tout cela, l’importance et l’enjeu de la formation.
Ma question portera sur l’approche globale, qui doit se faire dans la durée. Vous avez parlé de partenariat opérationnel, ce qui est très important pour que les forces locales puissent prendre le relais. Cela m’amène à faire une petite parenthèse à propos du MCO : là aussi, il n’est pas adapté, et il y a encore beaucoup de travail à faire en la matière.
Mais dans l’approche globale, il y a aussi l’action civilo-militaire et l’aide au développement. Cela permet de gagner les cœurs et de donner cohérence et efficacité à l’action militaire. Le CEDC travaille-t-il en ce sens ?
Mme Séverine Gipson. Général, ma question sera brève : existe-t-il un profil type des stagiaires ORSEM ?
M. Stéphane Demilly. Le Picard que je suis souhaite en premier lieu saluer le Saint-Quentinois que vous êtes, et je vous remercie d’avoir cité l’Historial de Péronne. Je vous invite maintenant à venir visiter le musée Somme 1916, à Albert, dans ma circonscription.
L’armée de terre, via le CDEC, organise régulièrement des exercices dits de méthodologie d’élaboration d’une décision opérationnelle (MEDO). Pouvez-vous expliquer quelle forme prend la coopération avec ces structures civiles, et l’intérêt qu’elle représente pour l’armée, et en particulier le CDEC ?
M. Fabien Lainé. Mon général, je vous remercie de votre intervention qui remet en perspective l’intérêt d’une doctrine militaire dans un environnement conflictuel et incertain : un esprit commun pour une action en commun.
À ce titre, alors que nous avons actuellement des unités déployées dans l’exercice OTAN Saber Junction pour tester notre interopérabilité, notamment dans le cadre d’un lead étranger, je souhaitais vous entendre plus précisément sur les freins et les leviers au développement d’une doctrine interalliée commune, face à des ennemis potentiels qui ont l’avantage d’une doctrine nationale.
Vous savez notre intérêt pour la défense européenne et la politique des petits pas dans ce domaine : des équipements en commun ; des entraînements en commun ; une doctrine en commun et, enfin, un déploiement en commun. C’est dans ce cadre que je souhaite éclaircir les actions engagées par le CDEC, seul ou avec ses partenaires, en vue d’améliorer notre interopérabilité, interalliée en général, et européenne en particulier.
M. Laurent Furst. Faire la guerre, pour une démocratie, c’est aussi parler à son opinion publique, mais vous n’avez pas évoqué ce sujet. J’aurais aimé vous entendre à ce sujet. Comment faire la guerre aujourd’hui tout en gagnant la confiance de l’opinion publique ? Cela suppose-t-il de développer des stratégies particulières ? Est-ce aux militaires de le faire, ou aux politiques, ou encore est-ce un champ partagé entre les militaires et les politiques ?
M. Jean-Charles Larsonneur. Concernant l’aviation légère de l’armée de terre (ALAT), notre doctrine d’emploi et de projection ne prévoit pas d’hélicoptères lourds. Or il semble exister un certain consensus sur la pertinence d’un tel équipement. Trois Chinook de la Royal Air Force étaient présents dans la bande sahélo-saharienne récemment, quel est votre retour d’expérience à ce sujet ?
Par ailleurs, je vous remercie d’avoir longuement et précisément évoqué la situation à Mossoul ; quel est votre retour d’expérience sur l’utilisation des canons Caesar à Mossoul, et en Irak de manière générale ? Si mes informations sont bonnes, ils ont été interdits en milieu urbain par la coalition, notamment du fait de leur niveau de précision.
M. Thomas Gassilloud. Mon général, vous avez abordé différents retours d’expérience, que ce soit dans le Levant ou la guerre en Ukraine. Ajoutons l’incertitude sur la position américaine et l’exercice Vostok, qui vient de se dérouler et a mobilisé plus de 300 000 hommes et plus de 30 000 blindés.
Envisageons le cas d’une situation internationale qui pourrait dégénérer. Face à la masse dont vous avez beaucoup parlé, nous avons certes la dissuasion nucléaire, mais elle pourrait se révéler parfois inadaptée, en cas d’attaque « cyber » massive, d’atteinte partielle à notre intégrité territoriale ou d’un conflit important impliquant un pays de l’Union européenne. Compte tenu du temps de remontée en puissance, je m’interroge sur les capacités de notre pays à tenir dans la durée et en volume un conflit de haute intensité. Le remplacement de certains de nos matériels prévu par la loi de programmation militaire, ou des opportunités de disposer de ressources de réserve telles que des FAMAS ou des véhicules de l’avant blindés (VAB) permettrait de se prémunir au mieux de toute surprise stratégique. Ne devrions-nous pas consacrer une partie de notre budget à prévoir la remontée en puissance rapide d’unités, a minima d’infanterie ?
M. Jean-Louis Thiériot. Ma question concerne le partenariat militaire opérationnel, le PMO, dont vous avez souligné l’importance en matière de sortie de crise. Chacun ici est bien conscient que si gagner la guerre est important, gagner la paix l’est tout autant.
J’ai trois questions concernant notre doctrine sur le PMO. Avons-nous une doctrine déterminant le choix des partenaires avec lesquels nous nous engageons dans ces partenariats ? Il s’agit bien sûr des acteurs étatiques, mais on sait très bien que dans certains conflits, c’est plus compliqué.
Comment notre doctrine appréhende-t-elle le risque sécuritaire ? Nous avons expérimenté en Afghanistan les difficultés des unités mixtes avec des Afghans, en tout cas les Américains l’ont expérimenté très douloureusement.
Enfin, vous avez évoqué brièvement la concurrence avec des acteurs privés non-étatiques – des entreprises – ; avons-nous une doctrine sur les liens qui pourraient exister avec ces entreprises qui feraient de la formation sur les terrains où opèrent nos forces ?
Général de division Pascal Facon. S’agissant tout d’abord des battle labs de l’armée de terre et du programme SCORPION, la question est particulièrement intéressante, car la division « doctrine » du CDEC, que dirige le colonel Auboin, accueille le Laboratoire du combat SCORPION (LCS). Dans le cadre d’un processus novateur et assez inédit, ce laboratoire, depuis deux ans, teste une doctrine exploratoire sur des systèmes de simulation. Grâce à la Force expérimentale du combat SCORPION (FECS) de Mourmelon-le-Grand, cette doctrine a vocation à s’appliquer et s’affiner dans les unités qui vont prochainement recevoir les matériels SCORPION Revenons sur le LCS. Il est important de souligner que cette approche est très innovante : c’est la première fois que nous élaborons une doctrine exploratoire, que nous la testons avant même d’avoir le matériel. Cela va produire des résultats en termes d’appropriation opérationnelle de ces moyens. Pour nous, les grands jalons seront l’année 2019, qui marquera la reprise d’une partie de l’activité de ce LCS par l’E2CIA à Mourmelon-le-Grand, elle pourra ainsi tester ce qui a été constaté sur les ordinateurs, mais cette fois-ci dans les camps de manœuvre. Nous pourrons alors élaborer la doctrine provisoire des sous-groupements tactiques et des groupements tactiques SCORPION. Ensuite, en 2021, nous passerons à l’échelle du groupement tactique SCORPION, et en 2023 à la brigade SCORPION.
Au-delà du LCS, le battle lab de l’armée de terre a plus généralement pour objet d’explorer les potentialités des nouvelles technologies sur les conditions de l’engagement de demain, de manière à anticiper la mise sur pied des matériels et adapter les doctrines.
Vous avez évoqué les officiers de réserve à plusieurs reprises. Il ne m’appartient pas de décider ou de proposer des réflexions concernant le lien avec leur employeur. C’est un domaine qui ne relève pas de ma responsabilité. Ma mission est de former ces officiers de réserve spécialistes d’état-major de manière à ce qu’ils puissent facilement intégrer des structures de commandement. C’est le cas aujourd’hui, ils apportent plus qu’un complément : ils sont reconnus dans l’institution militaire pour leur efficacité. Nous prenons soin de garantir que le flux de recrutement de ces ORSEM soit constant.
Notre travail, actuellement, consiste à réfléchir à la valorisation du parcours des ORSEM, et nous explorons toute une série de pistes, en particulier sur les qualifications, la nature de la formation et leur employabilité. Nous cherchons à leur donner une plus grande visibilité en termes d’emploi et déroulement de carrière. Quand ils ont fini leur formation à la fin du mois d’août, quelles sont les possibilités qui s’offrent à eux, et quels sont les parcours que l’on peut décrire ? Nous ne partons pas de rien : le système ORSEM fonctionne très bien, mais nous sentons bien qu’il existe des marges de progrès.
Il n’existe pas de profil type d’ORSEM, c’est ce qui fait leur richesse. Le stage se déroule au mois d’août : quand la plupart de nos concitoyens sont en vacances, eux sont à l’École militaire et se forment aux techniques d’état-major dans le cadre de leur certificat ou du cours supérieur, avec un dévouement incroyable et une volonté de servir qui nous oblige, nous soldats de l’armée d’active.
S’agissant de la méthode d’élaboration d’une décision opérationnelle, au profit de qui faisons-nous ces formations ? Le 26 septembre, nous accueillons une trentaine d’étudiants de Dauphine dans le cadre de ce stage d’une journée, il est particulièrement prisé par les grandes écoles Cette formation est également dispensée aux collaborateurs parlementaires volontaires. Nous en attendons un regard croisé sur une manière d’élaborer une décision opérationnelle et une confrontation de notre méthode à celles de nos camarades civils. Cette démarche est une source d’enrichissement mutuelle et permet une meilleure connaissance de l’institution militaire par la société civile. Le succès est très vif, à chaque fin de stage, nous les rencontrons pour échanger avec eux et il n’est pas rare de constater que cette journée suscite des vocations. Les cours sont dispensés par des stagiaires de l’École de guerre Terre, et comme les populations sont sensiblement du même âge, le lien s’établit naturellement.
S’agissant des coopérations avec l’OTAN et l’Union européenne, en matière de doctrine, nous sommes parfaitement interopérables avec les doctrines de l’OTAN. Nous les utilisons autant que de besoin, et nous les déclinons dans notre propre champ. Sur la relation et l’interopérabilité avec les États de l’Union européenne, au niveau du CDEC, les relations sont régulières avec nos homologues espagnols, italiens, allemands, anglais, et américains. Nous échangeons beaucoup en matière de RETEX, et nous travaillons à développer des synergies doctrinales applicables dans le domaine du PMO. Cette relation avec l’OTAN l’Union européenne et est permanente, des groupes de travail se réunissent fréquemment sur ces sujets, et nous adaptons les doctrines de l’OTAN en les intégrant à notre propre corpus doctrinal. De ce point de vue, nous n’avons pas de difficultés particulières.
Nous avons, il me semble, la confiance de l’opinion publique. Nous avons connu des périodes pendant lesquelles les choses étaient plus difficiles. L’opinion publique est exigeante à notre endroit, et ce niveau d’exigence est à la mesure du respect que beaucoup de nos compatriotes ont pour notre institution. Nous les voyons venir à nous pour savoir quel type de synergie il est possible de développer entre des établissements d’enseignement et le CDEC. Nous avons à ce titre un partenariat robuste avec l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), dans le cadre du programme de formation de l’École de guerre Terre. Cette interaction croissante avec la société civile nous permet d’échanger de manière extrêmement fructueuse sur des thèmes variés, dont des sujets d’intérêt direct pour l’armée de terre, comme l’esprit guerrier. Qu’est-ce que l’esprit guerrier, l’esprit de résilience ? C’est un sujet que nous évoquons assez régulièrement avec des chercheurs et des universitaires.
À Mossoul, les canons Caesar ont été parfaitement utilisés, ils ont énormément tiré, parfois en limite de leur capacité technique, mais sans altération des performances. Ces canons ont permis d’assurer une permanence des feux, avec une flexibilité plus importante, à certains moments, que celle d’autres moyens.
M. Jean-Charles Larsonneur. Y compris en milieu urbain, face à des cibles précises ?
Général de division Pascal Facon. Pour les tirs, nous disposons de certains obus extrêmement performants qui nous permettent de traiter des objectifs avec précision, y compris en milieu urbain. Pour éviter tout risque de dommages collatéraux, chaque demande de tir est évaluée et soumise à la validation d’une autorité nationale. Lorsqu’il y a un doute, cette autorité n’autorise pas le tir. Il ne s’agit donc pas d’une question technique liée aux canons ou aux munitions, mais de l’exercice d’une responsabilité dans la prise de décision, en conformité avec les Règles opérationnelles d’engagement (ROE).
Sommes-nous capables de durer dans la haute intensité ? Nous nous y préparons, dans le cadre de notre préparation opérationnelle interarmées et interalliée. Au niveau du CDEC, il s’agit de créer les conditions d’une interopérabilité, comprise comme une aptitude à s’engager avec la plus grande efficacité possible au côté de nos alliés, afin de pouvoir travailler en coalition. Lorsque nous parlons d’engagement au niveau de la division ou du corps d’armée, nous le faisons principalement dans un cadre otanien.
Sur la question des PMO, le risque sécuritaire est absolument mesuré. Lors d’une précédente affectation, je commandais les éléments français au Sénégal dont une des missions était de mener des opérations de coopération. Nous formions 10 000 hommes par an à l’échelle de toute l’Afrique de l’Ouest (16 pays représentant la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et la Mauritanie). Trois-quarts des soldats ainsi formés étaient engagés en opération, à nos côtés, dans les trois mois qui suivaient les formations, ce qui démontre combien ce PMO est efficace. Lorsque nous engageons nos propres hommes dans des Détachements d’instruction opérationnels (DIO), en zone d’opération de Barkhane, ils bénéficient d’une protection individuelle identique à celle que nous avons en OPEX et des capacités d’appui de Barkhane.
S’agissant du choix des partenaires, nous ne nous posons pas la question de cette manière. Les partenaires avec lesquels nous interagissons sont ceux avec lesquels nous partageons des intérêts et des objectifs communs.
S’agissant des relations avec les sociétés françaises qui mènent des opérations de coopération, il n’y a pas de concurrence, il y a même localement une synergie qui peut s’établir. L’important, lorsque nous menons des opérations de coopération, est que nous apportions une plus-value indiscutable que seule notre nature étatique peut garantir. Grâce au dialogue préalable qui s’établit, l’articulation avec des sociétés privées françaises s’effectue de façon naturelle et coordonnée.
Le PMO n’est pas une option. Les opérations de coopération sont absolument essentielles, elles participent de l’approche globale. Les progrès en matière de préparation opérationnelle ont été particulièrement notables ces dernières années. À titre d’illustration, on peut citer l’exemple suivant. En 2003, pendant les événements de Côte-d’Ivoire, la mission de la CEDEAO (MICECI) a mis six mois pour déployer 1 400 hommes dans une opération d’interposition entre belligérants. Dix ans plus tard, il n’a fallu que six semaines à l’Union africaine, pour déployer environ 5 000 militaires orginaires d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique Centrale dans le désert du Sahara, face à des groupes armés terroristes. Ce faisant, ils ont plus que contribué au succès de l’opération visant à contrer l’expansion des djihadistes. Ce progrès notable est en partie dû aux efforts soutenus avec constance par la France depuis de très nombreuses années.
Le PMO est d’une importance stratégique. Il conforte nos alliés dans la volonté de s’engager sur des objectifs définis d’un commun accord. Il participe de l’approche globale, c’est un instrument de sortie de crise qui repose sur la notion d’appropriation.
À partir du moment où nous arrivons à tous nous mettre d’accord sur des objectifs partagés, nous avons quelque chose de redoutablement efficace. Nous disons : venez comme vous êtes, avec les capacités que vous avez. L’agrégation de l’ensemble des capacités suffira pour répondre aux exigences des situations sécuritaires. Ce PMO est donc absolument essentiel, et c’est ce qui justifie parfaitement la décision du CEMAT de créer un commandement du PMO de manière à structurer la démarche, au bénéfice des opérations menées par l’état-major des armées, pour qui le PMO est donc un instrument essentiel de prévention et de sortie de crise.
M. le président. Merci, Mon général. Je pense que vous avez répondu à l’ensemble des questions posées.