mardi 19 mars 2024

Caporal-chef Alexandre Van Dooren : Adieu à un frère d’armes

Il y a dix ans jour pour jour, le caporal-chef Alexandre Van Dooren tombait au combat au Mali. Ayant eu l’honneur de l’avoir pour frère d’arme dans mon peloton au 1er régiment d’infanterie de Marine, j’avais écrit à chaud cette tribune, le soir-même de sa mort. Elle avait été publié quelques jours plus tard dans Valeurs Actuelles.

La revoici telle quelle, en hommage à Alexandre. Aucun de ses camarades ne l’oublie. Il me semble que c’était hier…

***

Le caporal Van Dooren est mort pour la France sur le sol malien. Le sacrifice consenti d’un homme de vingt-quatre ans qui aimait la vie.

Van Dooren, tu es tombé, samedi 16 mars 2013, sur le sol malien. À 24 ans.

En laissant derrière toi une petite fille qui ne jouera jamais avec son père et une jeune femme qui ne reverra plus l’homme qu’elle aime.

Entre frères d’armes, nous parlons peu de la mort, mais elle plane et nous suit comme une ombre. La mort que l’on peut donner. Celle que l’on peut recevoir. Servir jusqu’au sacrifice suprême n’est pas vain. C’est assumer le choix du dévouement.

Tu n’es pas une victime, Van Do. Soldat professionnel, tu as librement consenti au sacrifice suprême. Une décision d’homme. Tu dois t’en douter, j’ai l’impression que mes mots sonnent creux. Pourtant, je te les dois. À toi et aux tiens.

Pour expliquer ta mort. Qu’est-ce qui amène un jeune Français à mourir sur une piste poussiéreuse de la vallée de l’Amettetaï, aux confins du monde ? Le courage. Le choix de la force assumée, mise au service des faibles. Le besoin de faire voler en éclats ses propres limites. Peut-être, aussi, le désir de l’action noble et belle.

Tu étais fier d’appartenir au 1er régiment d’infanterie de marine, le régiment de Bir Hakeim, dont le drapeau s’enorgueillit de quinze noms de batailles. Tu y as rajouté ton histoire. Celle d’un raid blindé de plusieurs centaines de kilomètres dans le désert, de Niamey jusqu’à cet adrar des Ifoghas où tu débusquais avec tes camarades les criminels qui coupent les mains des petits voleurs d’étals et lapident les femmes qui s’abandonnent à l’étreinte d’un amant.

Combien d’hommes de ton âge seraient capables d’abandonner confort et sécurité pour risquer la mort par le fer et le feu ? Tu aimais les populations que nous avons croisées sous divers cieux. Et tu aimais le pays qui t’envoyait les défendre. Tu n’étais pas croyant, certes, mais tu avais l’intuition qu’il n’est pas de plus grand sacrifice que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.

Il faisait sans doute une chaleur à crever dans ton AMX-10RC ; le visage creusé sous une croûte de sueur et de poussière, tu devais arborer ce sourire légèrement narquois qui ne te quittait guère. Je revois aussi ton regard, tes yeux pers sans voile où pétillait une lueur d’amusement.

Tu aimais la vie mais tu te foutais un peu d’elle, comme d’une bonne amie. Tu étais trop intelligent pour prendre ses foucades au sérieux. La seule chose qui comptait pour toi, c’était ta compagne et ta petite fille.

La boucle du Niger est pacifiée.

Les pêcheurs y font glisser leurs longues barques et jettent leurs filets dans ses eaux bleues. Les enfants ramassent les premières mangues de la saison sous les ramées vertes couronnées de fleurs roses. Les pâtres surveillent négligemment quelques bêtes étiques qui mâchonnent des épines. Ils vivent en paix parce que de jeunes hommes donnent leur vie dans les massifs écrasés de soleil des confins sahariens.

En tombant, tu as jeté un défi à la face de nos ennemis. Car ce sont des hommes qui aiment la mort mais ont peur de la vie. Toi, tu aimais la vie et tu avais un peu peur de la mort, comme nous tous, n’est-ce pas ? Mais tu n’as pas reculé.

Et aux groupes de combattants islamistes suicidaires, tu opposes le sacrifice conscient de l’individu. Non seulement tu n’as pas plié le genou devant eux, mais tu as révélé le néant de leur combat. Que pèse l’acte du fanatique face à celui d’un homme libre qui aime sa femme, qui aime rire, qui aime embrasser son enfant et qui laisse tout cela pour se battre ? Pour que d’autres que lui puissent aimer, rire et embrasser.

J’ai un peu honte, mais je frissonne en finissant d’écrire ces lignes. Ce n’est pas de la faiblesse, je ne le crois pas. Au contraire. Malgré mon émotion et ma tristesse, je me sens plus que jamais ferme dans mes choix et mes résolutions.

Le don que tu as fait de ta vie nous interdit la médiocrité. Dorénavant, c’est avec un peu de ton regard que je veux voir le monde. Te prêter mes yeux pour te faire voir que ce pour quoi tu es tombé perdure. Adieu, Van Do.

Raphaël CHAUVANCY
Raphaël CHAUVANCY
Raphaël CHAUVANCY est officier supérieur des Troupes de marine. Il est en charge du module "d’intelligence stratégique" de l'École de Guerre Économique (EGE) à Paris. Chercheur associé au CR 451, consacré à la guerre de l’information, et à la chaire Réseaux & innovations de l’université de Versailles – Saint-Quentin, il concentre ses travaux sur les problématiques stratégiques et les nouvelles conflictualités. Il est notamment l'auteur de "Former des cadres pour la guerre économique", "Quand la France était la première puissance du monde" et, dernièrement, "Les nouveaux visages de la guerre" (prix de la Plume et l’Epée). Il s’exprime ici en tant que chercheur et à titre personnel. Il a rejoint l'équipe de THEATRUM BELLI en avril 2021.
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