jeudi 2 mai 2024

Centre de Gravité – Réflexions autour de l’offensive ukrainienne de 2023 (épisode 2)

Passée la distraction des gesticulations rebelles wagnériennes — plus proches d’un numéro de clowns que du Götterdämmerung — l’attention est revenue sur l’offensive ukrainienne. Avec une inquiétude qui tourne en boucle : « pourquoi ça n’avance pas » ? Passons sur les réflexes liés à l’immédiateté de notre société, qui ne conçoit guère le temps long comme dépassant la semaine et commence à klaxonner dès que le prédécesseur met plus de deux secondes pour démarrer lorsque le feu passe au vert : le temps médiatique est ce qu’il est, mais on peut néanmoins se poser la question sur le plan de l’analyse des opérations. Est-ce que l’offensive « s’enlise », est-ce qu’elle est un « échec », est-ce qu’elle n’est « pas vraiment commencée », est-ce que, au contraire et malgré les apparences, tout se déroule « a peu près comme prévu », ou est-ce que « le plan a changé » ?

 

Un bilan pas si nul

Tout d’abord, il faut constater que l’armée ukrainienne est toujours celle qui dicte le tempo des opérations. L’armée russe est globalement sur la défensive partout le long de la ligne de contact terrestre et si les Russes mènent toujours ça et là des attaques, elles se limitent à des coups d’épingle sur la première ligne. Ce sont des combats et pas des opérations, sans intention ni moyens d’aller plus loin et sans coordination. L’initiative semble durablement ukrainienne, même si certains rapports annonçant des concentrations russes au nord de l’oblast de Louhansk laissent craindre que Moscou puisse tenter de lancer au moins une contre-attaque d’ampleur pour chambouler un peu la situation. À tout le moins, cette menace latente oblige le commandement ukrainien à conserver des réserves mobiles, ce qui est toujours une bonne politique. Si les Russes demeurent capables de mener des frappes dans la profondeur avec leurs missiles balistiques et de croisière, cet effort s’est réduit à quelques attaques sporadiques par semaine. Trop peu pour avoir un quelconque impact sur les opérations militaires, mais suffisamment pour faire peser sur la population civile une pression qui maintien au loin les réfugiés, internes ou déplacés hors d’Ukraine. Un des rares modes d’action russes, peut-être le seul, à continuer de prouver son « efficacité » au regard de son objectif sordide, dépeupler l’Ukraine.

De son côté, l’armée ukrainienne peut annoncer depuis l’accélération des frappes à la mi-mai et le début des opérations offensives au sol en juin la reprise d’environ 200 km². En un mois, c’est mieux que les dernières opérations offensives russes, et à un coût bien moindre. Sans être certains de savoir si le coût payé est supportable par l’appareil militaire ukrainien, on peut quand même admettre que ce n’est « par rien », même si c’est sans doute « en dessous » des attentes occidentales, toujours prises dans la mystique de la bataille. On attend Austerlitz, une charge héroïque, un chaudron, Stalingrad sur le Dniepr. Or ce qui se déroule n’y ressemble pas. « On » cherche donc les erreurs, les failles, et la fabrique du doute s’installe, alimentée par la propagande pro-russe. Devant Bakhmut pourtant, les deux « pinces » conquises par les Russes ont été réduites, ce qui stabilise le front sans risque d’encerclement des forces ukrainiennes. Au sud, bien que les avancées aient été difficiles, plusieurs localités ont été reprises et des positions favorables ont été enlevées, après des combats difficiles.

 

De vraies difficultés

Au bout d’un mois d’engagement au sol, les difficultés des deux camps commencent à être bien cernées. L’armée ukrainienne butte sur un dispositif étagé en profondeur, plutôt bien construit, correctement planifié, largement pourvu en mines et obstacles, et défendu par des troupes dont la motivation est adéquate pour le combat défensif. L’armée russe peut compter sur l’expérience acquise par ses artilleurs depuis le début du conflit, sur ses stocks encore assez larges d’armes légères, de missiles antichars et de mines, et sur une habitude très ancienne de penser la défense dans la profondeur. La principale « surprise » a été que les positions avancées russes ont été défendues plutôt farouchement, avec le soutien d’hélicoptères de combat qui avaient été comme souvent un peu trop vite rangés au rang des matériels obsolètes, mais qui s’avèrent toujours capables d’infliger de gros dégâts à des forces mécanisées ne disposant pas de couverture aérienne ou antiaérienne suffisante. Ils sont complétés de munitions rodeuses (Lancet notamment), disponibles en quantité, efficaces et bien utilisées. Les faiblesses de l’armée russe sont connues, et elles expliquent que malgré certains succès défensifs locaux il n’y a pas de tentative de renversement de l’initiative par lancement de contre-attaques. L’objectif russe est de « tenir » et les forces ne semblent plus paramétrées pour l’heure que pour cette ambition. La logistique russe est toujours insuffisante, le niveau tactique général des troupes est toujours faible et juste suffisant pour tenir en défensive, les matériels modernes commencent à manquer et – fait nouveau qui a son importance – les obus aussi. Si le rapport de feu est toujours à l’avantage des Russes, l’intensité a diminuée en valeur absolue, entre destructions de dépôts dans la profondeur, gaspillage, insuffisance des fabrications et incapacité de la Russie à se fournir en Iran ou en Corée du Nord au niveau de ses besoins.

De leur côté, les Ukrainiens ont fait l’amère expérience des champs de mines et de la capacité russe à procéder à du « minage dynamique » au moyen de mines antichar dispersées par roquettes. On redécouvre toute la difficulté du « brêchage », de l’ouverture des champs de mines battus par l’artillerie et les armes automatiques, avec des Ka-52 et des Lancet pour compléter un tableau connu depuis les années 1980. L’exercice est périlleux. Il suppose d’abord de reconnaitre les abords du champ de mine, puis d’amener à proximité (quelques centaines de mètres) des lignes explosives de déminage qui vont, en sautant, détonner ou détruire les mines sur une longueur de quelques centaines de mètres. Ensuite, des engins blindés spécialisés munis de fléaux ou de socs ressemblant à de grosses charrues vont idéalement compléter cette action en courant un couloir. Le tout avec des tirs de neutralisation des armes automatiques et des postes antichar adverses. Cela demande un haut niveau de coordination, une préparation fumigène et/ou d’artillerie sur les postes avancés du défenseur et une capacité à insérer rapidement des forces mécanisées dans le couloir ainsi ouvert pour déboucher. Une opération passablement complexe donc, et que le plus petit accroc peut gripper, comme la destruction d’un engin au milieu du couloir, obligeant les autres véhicules à sortir de la zone déminée. La présence de nombreuses haies est propice à la dissimulation des équipes antichar et lance-grenades adverses, tandis que les hélicoptères peuvent intervenir à distance de sécurité et les drones lancés hors de vue.

Au-delà des manques en matière d’engins de brêchage et de défense antiaérienne rapprochée, la plus grande faiblesse de l’Ukraine, face à cette situation, semble être, toujours, le rapport de feu insuffisant. Or, c’est précisément ce qui semble attirer l’attention de l’armée ukrainienne et si les attaques mécanisées semblent s’être ralenties, elle ne demeure pas inactive. On peut penser que, à minima, la phase initiale de « test » du dispositif russe a permis, au prix de pertes sensibles mais nullement critiques, de montrer sa solidité, d’identifier ses forces et faiblesses, et que les Ukrainiens se concentrent maintenant sur le centre de gravité adverse, l’artillerie russe.

 

De Clausewitz à la COPD : de la métaphore de la masse à l’analyse d’un système

La notion de « centre de gravité » semble très simple de prime abord. Mais lorsqu’on commence à chercher à l’appliquer dans une situation concrète, elle se révèle assez délicate à manier (à titre personnel cela m’a occasionné quelques maux de tête et entrainé dans de beaux débats lors du brevet technique interarmées de réserve et depuis). Cette notion apparait sous la plume de Clausewitz au chapitre IX du livre IV de De la Guerre[1], d’abord pour qualifier la bataille de « centre de gravité de la guerre ». Elle est définie ensuite au chapitre XXVII du livre VI. Le passage mérite citation : 

 « Le centre de gravité est toujours situé là où la plus grande masse de matière est concentrée et le coup porté au centre de gravité d’un corps est le plus efficace. Les forces armées de tout belligérant ont une certaine unité et par suite une certaine cohésion. Ces forces armées ont donc certains centres de gravité, dont le mouvement et la direction déterminent ceux des autres points, et ces centres de gravité se trouvent là où sont réunis les corps de troupes les plus importants. » Il en déduit que « reconnaître ces centres de gravité de la force militaire ennemie, discerner leurs sphères d’action est donc l’une des fonctions principales du jugement stratégique ».

Cette notion de centre de gravité, dont Clausewitz lui-même écrit en bon philosophe issu de la pensée du XVIIIe siècle qu’elle n’est nullement son invention mais la transcription d’une « méthode naturelle », fera flores dans la pensée stratégique. Plus près de nous, la Compréhensive Operations Planning Directive de l’OTAN (COPD) définit le centre de gravité comme « les caractéristiques, capacités ou localités desquelles une nation, une alliance, une force militaire ou un groupe dérive sa liberté d’action, sa force physique ou sa volonté de combattre ». La définition française retenue dans la PIA-5(B) dédiée à la planification de niveau opératif est sensiblement la même, avec des différences subtiles : « un élément, matériel ou immatériel, dont un Etat, ou un ensemble d’Etats, une collectivité, une force militaire, tire sa puissance, sa liberté d’action ou sa volonté de combattre ». La version française, à raison sans doute, évacue la notion de localité pour se concentrer sur des capacités, matérielles ou immatérielles. On notera l’évolution du concept depuis Clausewitz. Si en faire l’histoire n’est pas pertinent ici, on se contentera de relever que l’évolution est sans doute liée à la transformation industrielle de la guerre au XXe siècle. A l’époque du philosophe prussien, les armées sont toujours composées de la trinité « infanterie, cavalerie, artillerie », avec des portées et des modes d’action qui évoluent certes depuis des siècles, mais de façon assez linéaire, au moins depuis le XVe siècle. La rupture industrielle du tournant du XXe siècle fit entrer les armées modernes dans l’ère des systèmes complexes. La complexification des armes, l’invention de nouvelles armes sans jamais déclasser les anciennes, la dilatation de l’espace stratégique, le développement des transmissions, des transports à longue distance, l’essor des cadences de feu, des potentiels de destruction, la mobilisation des masses, la direction de l’économie en guerre par la bureaucratie… Autant de facteurs qui ont complexifié l’analyse du centre de gravité. Celui-ci n’est plus forcément là où se trouve « le gros des forces » ou « la capitale » de l’adversaire. Il peut se trouver ailleurs, et de façon immatérielle. Attention : il ne s’agit pas d’identifier une fragilité structurelle. Le centre de gravité est bien ce qui permet la liberté d’action de l’adversaire (merci Foch). Trouver le « centre de gravité » de l’adversaire est donc d’abord un exercice de pensée, une construction intellectuelle qui repose sur une analyse de ce qui est connu du « système » adverse. Cette analyse se fait avec, toujours, en arrière pensée l’idée de vaincre et la question du mode d’action qui serait employé. Car l’identification du centre de gravité n’a qu’un objectif : le détruire (ou le neutraliser). Sans aller jusqu’à dire qu’il faut adapter le choix du centre de gravité aux modes d’action disponibles contre lui (ce qui serait un contresens) il faut néanmoins garder à l’esprit qu’il n’y a pas toujours qu’une seule voie pour gravir une montagne et qu’il peut exister plusieurs façons de neutraliser le centre de gravité adverse.

 

Un centre de gravité russe de 152 mm ?

Quel est le centre de gravité des forces russes en Ukraine ? La question à elle seule circonscrit le problème. Il ne s’agit pas de trouver le centre de gravité « de la Russie ». La réponse pourrait rapidement être « ses forces stratégiques nucléaires ». Ce que l’Ukraine souhaite est moins vaincre son agresseur que mettre un terme à cette agression et libérer son territoire. Pour autant, cet objectif de libération territoriale, partagé et entériné par ses soutiens, ne doit pas conduire à tomber dans le piège du centre de gravité « géographique ». Il y a des cas où, bien entendu, on peut considérer qu’un centre de gravité peut l’être. On débat encore pour savoir si Moscou était le centre de gravité soviétique en 1941-1945 ou s’il fallait plutôt le chercher dans le régime soviétique lui-même. En tous cas, ni Tokmak, ni même Melitopol ne répondent à la définition. Ce sont des objectifs importants, à la fois pour des raisons symboliques et opérationnelles (nœuds logistiques). Mais on ne peut pas dire que les forces russes en Ukraine y trouvent leur « liberté d’action ».

La capacité qui répond sans doute le mieux, au moins depuis mai 2022, à cette interrogation est l’artillerie russe. Ce n’est d’ailleurs pas une surprise, tant cette arme est mise en avant par la doctrine, est puissante en termes d’effectifs, et structure la manœuvre des forces terrestres russes. C’est l’artillerie qui a permis, en écrasant l’adversaire par le feu, d’avancer en Donbass en 2022, au prix de millions d’obus tirés (3 ou 4 millions pour Marioupol, Sievierodonetsk et Lysychansk comme le note Michel Goya, soit environ 3000 obus du km² conquis).

En juillet 2023, l’artillerie russe est toujours le centre de gravité des forces russes en Ukraine, notamment dans la manœuvre défensive. Sa capacité à tirer sur les manœuvres de brêchage ukrainiennes puis à reboucher les trous en déployant à la volée des champs de mines comme autant de rustines garantit que les forces mécanisées ukrainiennes ne débouchent pas en terrain libre face à l’infanterie russe. Elle fait peser une lourde menace sur l’infanterie ukrainienne en terrain découvert et demeure capable d’oblitérer toute concentration imprudente qui passerait à sa portée.

Or ce centre de gravité se trouve fragilisé. Certes, l’artillerie russe demeure puissante, malgré d’importantes pertes depuis un an : 253 pièces d’artillerie tractée, 442 canons automoteurs et 233 lance-roquettes multiples (LRM) d’après les chiffres d’Oryx au 10 juillet (sans doute d’avantage donc, en prenant en compte les pertes non documentées et notamment l’usure des pièces). Comme l’a rappelé l’étude de Vincent Tourret et Philippe Gros, le parc russe actif en unité était en 2021 composé d’environ 2 000 canons automoteurs dont 1 750 de 152 mm (à comparer avec la petite centaine de l’armée française), d’un millier de LRM et de 150 canons tractés. Si les stocks de vieux matériels étaient – sur le papier – pléthoriques (4 000 automoteurs, 3 000 LRM et 12 000 canons tractés), leur remise en état a rencontré, comme pour les chars, d’immenses difficultés. Les stocks laissés à l’air libre, souvent en climat hostile, sans entretien, sont souvent réduits à l’état d’épaves.

En prenant en compte l’usure des pièces (espérance de vie de 2 000 à 3 000 coups), les pertes et les difficultés de remise à niveau des vieux matériels, les pertes humaines moindres que pour l’infanterie mais difficiles à remplacer car concernant des officiers et des techniciens, l’artillerie russe n’a sans doute plus beaucoup de capacités à absorber de nouvelles pertes lourdes. Les volumes de feu ont diminué considérablement, ce qui explique d’ailleurs en bonne partie le passage sur la défensive un peu partout. La Russie n’a plus ni les canons ni les obus pour repartir à l’assaut de nouvelles positions comme l’an dernier à Sievierodonetsk et Lysychansk et les assauts de Wagner à Bakhmut ont surtout reposé sur des manœuvres d’infanterie accompagnées de tirs d’artillerie plus parcimonieux (à la grande ire de Evgueni Prigojine). La montée en ligne de mortiers lourds 2S4 de 240 mm identifiée dans le presse est peut-être le signe que les pertes des obusiers de 152 mm 2S19 et 2S3 ne peuvent plus être remplacées (et/ou que les stocks d’obus de 152 mm sont épuisés).

 

La suite de l’offensive : Jutland terrestre à Zaporijjia ?

L’identification faite du centre de gravité adverse (l’artillerie en capacité de tirer bien et beaucoup sur des cibles bien identifiées), de ses forces (nombre de pièces, réactivité correcte, ciblage par drones efficace, roquettes, sous-munitions et mines, soutien antiaérien et GE correct) et de ses faiblesses (flux d’obus en tarissement, flux de matériel juste suffisant, usure des pièces et des hommes, logistique dispersée mais fragile) conduit à envisager les modes d’action possible. Il ne s’agit pas de « simplement » casser des canons, mais de neutraliser les composantes du système qui font qu’il fonctionne. L’artillerie a besoin de canons, d’artilleurs, de munitions et de cibles bien identifiées. La neutralisation de la logistique ou des postes de commandements a constitué un mode d’action important l’an dernier. Il était alors plus « facile », notamment avec les roquettes des HiMARS, de tirer sur les dépôts mal protégés et les postes de commandement insuffisamment disciplinés sur le plan des émissions EM. Mais à l’heure actuelle, le ciblage des pièces d’artillerie semble être devenu le mode d’action le moins inabordable et c’est bien ce que semble s’être résolue à faire l’armée ukrainienne depuis quelques semaines et ce que suggère notamment l’analyse d’un témoin avisé des opérations. Il faut noter que de son côté, l’armée russe n’a pas été inactive pour contrer l’artillerie ukrainienne, comme en témoignent les pertes lourdes subies par l’artillerie livrée par les Occidentaux (surtout par les canons tractés). Or il s’agit bien de faire évoluer le rapport de feu de manière favorable. Si pour éliminer l’artillerie russe l’Ukraine perd la sienne, l’offensive sera aussi impossible. La bataille d’artillerie est une bataille très mobile, contrairement à ce qu’on pourrait penser. Mais elle se déroule dans un contexte de front assez statique : les batteries se repositionnent en permanence après avoir tiré et l‘affaire est un peu similaire à un duel de navires de ligne au début du siècle, les accidents de terrain en plus : il s’agit de localiser l’adversaire le premier et de tirer avant qu’il ne se déplace, sur la base d’indications de ciblage plus ou moins correctes. Les pays occidentaux auraient sans doute recours pour ce genre de mission à l’arme aérienne, mais l’Ukraine ne peut compter que sur ses propres canons et LRM pour frapper ceux de l’adversaire. Le ciblage s’effectue au moyen de drones, mais aussi de radars de contrebatterie (plus rares et qu’il est délicat de trop utiliser sous peine d’attirer le feu sur eux) ou même de renseignement humain. Il est très possible que d’autres moyens de ciblage soient fournis par le renseignement occidental (interceptions électromagnétiques, imagerie). La réactivité et la précision compte, car dans un contexte de pénurie de munitions, il faut tirer juste et éviter de labourer le sol. Pour l’heure, toujours en se basant sur les données du site Oryx, les pertes russes dépasseraient les 120 pièces en deux mois. C’est encore assez peu, mais il faut tenir compte du fait que ces pertes surviennent sur les arrières des lignes russes et ne sont documentées en sources ouvertes que si un drone passe par là. La qualité et surtout la réactivité du ciblage ukrainien semble être la clé des succès et cela peut fonctionner à condition d’avoir suffisamment d’obus et/ou d’obus de précision : même avec des canons occidentaux très précis comme le CAESAR et de bonnes coordonnées de tir, la destruction d’une pièce adverse n’est jamais évidente. Surtout si les coordonnées sont un peu approximatives (batterie camouflée dans un bois par exemple).

En parallèle de cette attrition, les troupes ukrainiennes mènent toujours des opérations de combat, d’ampleur plus réduite. C’est sans doute important pour accroitre l’aguerrissement des brigades formées pendant l’hiver, et dont beaucoup des personnels n’avaient pas d’expérience militaire préalable. L’expérience des conflits mondiaux a montré l’importance cruciale, au-delà de la formation des individus, de la construction du collectif, surtout dans un contexte interarmes. Les brigades sont des équipes et quelle que soit la qualité de leurs « joueurs », il faut du temps et des épreuves pour former le collectif. Les divisions américaines formées ex nihilo en 1942 connurent la difficile « école » de la Tunisie avant de devenir, deux ans plus tard, de redoutables équipes de combat. Si on peut penser qu’une partie de cet aguerrissement collectif a lieu en Ukraine sous la forme d’entrainement, les « petites » opérations de harcèlement ont le double mérite de forcer l’artillerie russe à tirer (et donc se découvrir) tout en accroissant le niveau tactique des troupes ukrainiennes et en maintenant une pression usante sur les groupes russes, moins mobiles et moins relevés puisque défenseurs de positions.

 

Faire feu de tout bois (hélas)…

Comme souvent, les comparaisons historiques sont utiles mais il ne faut pas en faire des calques de similitude. En particulier, il faut toujours garder à l’esprit que l’Ukraine ne dispose pas d’une arme aérienne capable d’agir dans la profondeur du dispositif adverse et que cette situation ne changera pas avant des mois. Pour l’heure, c’est donc avec les seuls feux de l’artillerie qu’il est possible de réduire le centre de gravité adverse, complétés de quelques missiles Storm Shadow qui peuvent éliminer des nœuds du C2 ou les dépôts importants de la logistique russes. Cette bataille d’artillerie pourrait prendre de longues semaines et durer jusqu’à la fin du mois de juillet, voire se prolonger en août. Si les Ukrainiens y perdent trop d’artilleurs et de canons ou qu’ils tombent à court d’obus, ce sera sans doute un échec et les opérations de brêchage de la ligne russe ne pourront déboucher. Le conflit pourrait alors connaître une phase prolongée de stabilité, le temps qu’un des deux camps reconstruise ne capacité offensive. Mais si l’artillerie russe est réduite à un volume de feu suffisamment faible, il sera alors possible d’utiliser l’artillerie ukrainienne restante pour appuyer par feux roulants et cloisonnant de véritables « percées ». C’est à cette aune qu’il faut lire la volonté américaine de livrer des obus M864 à sous-munitions : les Occidentaux sont arrivés à l’étiage manifeste de leurs armes de précision. Ni la Suède ni la France ne doivent par exemple plus avoir d’obus BONUS à livrer, ni les Américains suffisamment d’obus EXCALIBUR. Des armes qui peuvent justement attaquer avec précision un canon en direction duquel on aurait tiré sur la base d’une signature radar ou d’une détection par drone. Au-delà des questions humanitaires liées à la présence subséquente d’engins non explosés, l’Ukraine n’aura sans doute heureusement pas à craindre de tirer sur des civils, le front sud ayant largement été évacué. Mais c’est bien notre incapacité – collective – à produire suffisamment d’obus et notamment d’obus de précision qui rend nécessaire la livraison de ces armes pour neutraliser le centre de gravité russe et in fine mettre un terme à la guerre d’agression menée par Moscou et qui place l’Ukraine en situation de légitime défense et en état de nécessité au regard du droit.

Enfin, pour la France et les débats sur la LPM, cela ne veut pas forcément dire qu’il faudrait investir dans 500 canons de plus. Si notre modèle interarmes qui compte sur l’arme aérienne reste conceptuellement solide, encore faut-il lui donner les moyens de fonctionner. Ce qui suppose par exemple de disposer de suffisamment de moyens de guerre électronique et antiradars pour éliminer une couche antiaérienne, mais aussi de missiles antiaériens à longue portée pour vider le ciel des aéronefs adverse. Et ensuite de suffisamment d’armes de précision pour que l’aviation élimine l’artillerie adverse. Et dans le doute, mieux vaudrait aussi accroitre les stocks d’obus et d’armes de précision…

  1. N’étant pas germaniste, les citations de l’article sont issues de la traduction de 1955 parue aux Editions de Minuit.
Stéphane AUDRAND
Stéphane AUDRAND
Stéphane AUDRAND est consultant indépendant spécialiste de la maîtrise des risques en secteurs sensibles. Titulaire de masters d’Histoire et de Sécurité Internationale des universités de Lyon II et Grenoble, il est officier de réserve dans la Marine depuis 2002. Il a rejoint l'équipe rédactionnelle de THEATRUM BELLI en décembre 2019.
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20 Commentaires

  1. Que dire… Tout est inexact, biaisé,… Un parfait exemple d’auto-intoxication, la pire erreur qu’un stratège puisse faire.
    C’est à dire finir par croire les mensonges propagés par l’appareil médiatico-politique qu’il sert…

    Les chiffres d’Oryx sont bien connus dans la sphère des stratèges de la guerre russo-ukrainienne pour être profondément erronés:
    équipements comptés plusieurs fois car photos prises sous angle différents, équipements comptés pour la Russie alors qu’il s’agit
    d’équipements ukrainiens peints avec les insignes russes pour les besoins de propagande,…

    Et les armes à sous-munition ? Cette arme de guerre abominable… Comment un pays qui prétend libérer son peuple et son territoire s’autorise-t-il à contaminer pour des décennies des pans entiers de son territoire ? Malheureusement les américains ici n’en sont pas à leur coup d’essais : agent orage, bombes atomiques, tapis de bombes, tempêtes de feu,… C’est indigne Mr Audrant, je ne sais pas si vous réalisez la portée de ce que vous dites concernant ces armes criminelles.

    Quid du bilan de la contre offensive… Un échec tactique et stratégique. Les troupes ukrainiennes se sont lancées à l’assaut de lignes bien fortifiées en profondeur sans couverture aérienne. On ne compte plus les innombrables équipements détruits, la plupart du temps par des mines (à distance, dure revanche des combats d’ugledar), les pertes humaines sévères (tranchées minées, vague de chair à canon,…). Echec également à Kherson du côté du pont d’Antonovsky, échec au niveau d’Artemovsk, plus spécifiquement Kleesheevka et Berkhovka. Progression russe du côté de Torske,…

    Oui l’artillerie est une force russe, pas besoin d’avoir fait l’école de guerre pour s’en douter depuis un an et demi de combats. Non, l’attrition russe n’est pas suffisante contrairement aux équipements ukrainiens, surtout fixes (les M777). Les russes utilisent de plus en plus des chars comme canon automoteur, pour lesquels ils n’ont aucun problèmes de munition. Certes le volume de tir à diminué mais la production d’obus reste largement supérieure au bloc de l’ouest garantissant un approvisionnement sur la durée. Les missiles tactiques ukrainiens ont perdu de leur efficacité, les Himars sont interceptés, même les Storm Shadow qui ont une excellente SER sont interceptés…
    Les russes disposent encore d’un stock énorme de vieilles bombes FAB 250 et 500 qu’ils se font un plaisir de transformer à bas coût en bombes planantes dont ils arrosent le front depuis plusieurs mois sans discontinuer…

    La stratégie russe est évidente, le temps joue en leur faveur, ils économisent au maximum la vie de leurs soldats quitte à se retirer de la première à la deuxième ligne de défense au moindre risque d’être débordé. Militairement, leurs usines tournent à plein régime avec des volumes suffisant pour continuer le conflit, économiquement leur flux sont réorienté et les sanctions contournées par des pays proxis, géopolitiquement, le vent est en défaveur des occidentaux, l’avenir est sombre, notamment en Europe. De plus, la Russie apprend au fil des combats et compense ses carences doctrinales initiales. Plus d’interopérabilité, plus de drones, plus de guerre électronique, plus de reverse engineering, plus de bombes planantes, plus d’effectifs,…

    Les ukrainiens sont au bord du gouffre sous lourde perfusion occidentale pour leur budget, leurs équipements civils et militaires. Leur réservoir humain est limité: énormément de réfugiés, démographie faible, pertes très importantes notamment de personnel militaire qualifié. L’économie ukrainienne est ravagée. Cette fameuse contre offensive dont on entend parler depuis déjà plus de six mois était la « dernière chance » de faire bouger les choses et elle a échoué. Seuls l’immense courage des troupes au front ainsi qu’une propagande de guerre totale leur permet de tenir encore. Maintenant il faut envisager une sortie du conflit la plus favorable possible, plus le temps passe, plus les marges de négociations seront faibles. Malheureusement pour l’Ukraine, elle n’est qu’un proxi permettant d’affaiblir, avec succès d’ailleurs, la russie.

    Notre avenir à nous, les occidentaux, est sombre. Une excellente diplomatie à la Talleyrand nous aurait évité bien des déboires…

    • Pierre C d’ou tenez vous tous ces renseignements ? Des chaînes pro-russes et des trolls sur Telegram ? Etes vous sur le terrain actuellement ? Pouvez vous nous citer toutes vos assertions rigolotes , photos, vidéos à l’appui s’il vous plaît ?

      Car la réaléité est toute autre … Pour l’instant les Ukrainiens gardent en réserve plus d’une soixantaine de brigades, seules une douzaine participent aux reconnaissances en force actuelles …. Regardez les cartes d’avancées mises à jour en temps réel ou +3 jours après ..l’Ukraine a gagné en deux semaines la même superficie que la russie en 6 mois de durs labeurs…. Le moment viendra quand la ou les failles seront trouvées / trouées dans le dispositif de défense bricolé par les russes. En attendant regardez dans les coins de Tokmal , Melitopol et autres points logisitiques russes qui explosent tel des feux d’artifices 🙂
      Une fondation moisie s’effondre, la maison s’écroule

    • Votre appréciation des capacités russes est subjective. Les Russes font la guerre avec des matériels anciens, mais ils compensent leur infériorité technique par la quantité. Les puissances occidentales ne peuvent effectivement suivre, car le coût de leurs matériels « up to date » est exorbitant. Donc, c’est vrai, la rusticité semble l’emporter sur la sophistication. En fait, cette guerre reste, comme l’indique Clausewitz, l’affrontement de deux volontés. Celui qui l’emportera est celui qui montrera la plus grande volonté de vaincre en mobilisant ses forces vives et, surtout, les capacités de son économie. Sur ce registre, le régime poutinien présente quelques faiblesses. Vous tombez aussi dans la dramatisation chère à la propagande russe visant à atteindre le complexe moral des occidentaux : pas beau la guerre ! Or, que ce soient les armes à sous munitions ou toute autre arme, les armes ont toujours un but criminel, qui est celui de tuer des hommes, sur le champ de bataille ou à côté.

  2. Nous voilà revenus en 1915 : il faut percer ! Or, l’affaire paraît mal engagée, car, de nouveau, la défensive l’emporte sur l’offensive. Le char de combat qui fit merveille en 1918 puis en 1940 n’est plus le deus ex machina du champ de bataille. La plate-forme aérienne, avion ou hélicoptère, ne se risque plus à franchir la ligne des contacts par suite de la multiplication des moyens de défense sol air. L’artillerie a repris une place que lui avaient contesté ces deux nouveaux éléments de la panoplie, pour un temps finalement très court puisque les grandes batailles de 1945 furent de grandes batailles d’artillerie, surtout côté Est, il est vrai. Cependant, c’est oublier que, selon les mots du général Beaufre, il y a deux sortes de batailles, indépendamment de la « petite guerre » décrite par Clausewitz : la bataille peut être jouée selon la rupture ou l’enveloppement. Pour le cas, la rupture ne peut assurément être obtenue. La solution pourrait provenir de l’attaque directe du territoire russe, côté nord, sur la trace du raid récemment mené par les nationalistes russes, à parti de Kharkiv en direction de Koursk, Briansk ou Voronej, assurant ainsi une prise de gage ouvrant la voie à des négociations. La récente mutinerie des forces Wagner démontre que l’affaire est parfaitement jouable. Ce projet déboucherait-il sur une montée aux extrêmes et à l’irréparable ? Rien n’est sûr. Ce conflit, qui est marqué par une asymétrie difficilement maîtrisable, à savoir que la Russie peut s’en prendre à l’ensemble du territoire ukrainien sans que l’agressé ne puisse réagir sur le territoire adverse, ne peut être gagné. Il faut chercher autre chose que la bataille de rupture limitée au territoire ukrainien.
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  3. Autre commentaire : nous voilà revenus en 1915 : il faut percer ! Or, l’affaire paraît mal engagée, car, de nouveau, la défensive l’emporte sur l’offensive. Le char de combat qui fit merveille en 1918 puis en 1940 n’est plus le deus ex machina du champ de bataille. La plate-forme aérienne, avion ou hélicoptère, ne se risque plus à franchir la ligne des contacts par suite de la multiplication des moyens de défense sol air. L’artillerie a repris une place que lui avaient contesté ces deux nouveaux éléments de la panoplie, pour un temps finalement très court puisque les grandes batailles de 1945 furent de grandes batailles d’artillerie, surtout côté Est, il est vrai. Cependant, c’est oublier que, selon les mots du général Beaufre, il y a deux sortes de batailles, indépendamment de la « petite guerre » décrite par Clausewitz : la bataille peut être jouée selon la rupture ou l’enveloppement. Pour le cas, la rupture ne peut assurément être obtenue. La solution pourrait provenir de l’attaque directe du territoire russe, côté nord, sur la trace du raid récemment mené par les nationalistes russes, à parti de Kharkiv en direction de Koursk, Briansk ou Voronej, assurant ainsi une prise de gage ouvrant la voie à des négociations. La récente mutinerie des forces Wagner démontre que l’affaire est parfaitement jouable. Ce projet déboucherait-il sur une montée aux extrêmes et à l’irréparable ? Rien n’est sûr. Ce conflit, qui est marqué par une asymétrie difficilement maîtrisable, à savoir que la Russie peut s’en prendre à l’ensemble du territoire ukrainien sans que l’agressé ne puisse réagir sur le territoire adverse, ne peut être gagné. Il faut chercher autre chose que la bataille de rupture limitée au territoire ukrainien.
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  4. Le plus problématiques : avec quels soldats ukrainiens l’Ukraine réussirait-elle donc sa contre-offensive ? Il faudrait puiser dans le stock humain OTANIEN, avec quelques modalités destinées à masquer l’accentuation d’un recours déjà effectif – sans suffire. Les peuples occidentaux ont-ils d’ailleurs donné leur accord pour engager leurs nationaux dans une guerre contre la Russie présentée – à tort – comme allant de soi ? En tant que français, je n’ai pas été consulté.

    Mais le clair aveu d’échec est cette continuelle escalade des armements réclamés et finalement accordés : artillerie de 155 mm, HIMARS, leurs munitions longue portée, défense antiaérienne la plus moderne, chars Challengers et Leopards dernier cri, Storm Shadow/Scalp, F-16, bombes à sous-munitions. La relance est constante, vide les arsenaux occidentaux, et pas seulement de matériels proches de l’obsolescence, se révèle ruineuse, et elle ne suffit toujours pas à obtenir la décision puisque la relance doit être renouvelée presque d’une semaine sur l’autre. Que va-t-il bien pouvoir rester pour encore relancer ?
    Du point de vue des Russes, c’est simple : ils se révèlent capables de faire face aux moyens les plus perfectionnés de l’OTAN, bombardements aériens massifs mis à part. Merci pour la mise à niveau.

  5. Je suis assez d’accord avec l’article (moins avec certains commentaires).

    I ) Considérations stratégiques sur les buts de guerre

    Sur le plan stratégique, déjà, la Russie a perdu, clairement. Alors Poutine et ses partisans (de moins en moins nombreux) ont retardé le moment où leur échec se voit en s’abstenant soigneusement de formuler clairement leurs buts de guerre.
    Mais :
    -Si le but était d’annexer l’Ukraine (probable), c’est fichu.
    -Si le but était de reconstituer le glacis façon soviétique, c’est un fiasco (la Russie ayant gagné dans l’affaire quelques centaines de kilomètres de frontières avec la Finlande, nouvellement arrivée dans l’OTAN).
    -Si le but était d’augmenter le rayonnement de la Russie dans le monde en jouant sur le mythe de l’armée russe inarrêtable, c’est une catastrophe.
    -Si le but était d’empêcher l’entrée dans l’Ukraine dans l’OTAN, c’est un fiasco (déstabiliser la frontière pour empêcher l’adhésion de l’Ukraine n’était pas idiot, mais face à une tentative d’annexion totale, on parle de plus en plus de l’entrée dans l’OTAN de l’Ukraine, alors qu’il y a encore 2 ans personne n’en voulait).
    -Si le but était un « régime change », c’est une catastrophe.
    -Si le but était de favoriser l’économie russe, c’est un fiasco : toute l’économie russe est orientée vers la guerre (une guerre industrielle ça monopolise le tissu industriel, logiquement), les sanctions sont un poison lent, le capital militaire de la Russie s’érode, et tout le gaz russe est remplacée par du gaz naturel d’origine US en Europe de l’Ouest. Ils auraient voulu donner de l’argent aux USA, ils ne s’y seraient pas pris autrement.
    -Sans compter un effet, probable même si difficilement mesurable, de fragilisation de la popularité du régime avec l’implication de la population dans la guerre, les purges et autres numéros de cirque façon Prigojine.

    Voilà pour les considérations stratégiques. Non, la Russie n’a pas gagné. Elle est totalement dans les choux. Même si elle arrivait à consolider son emprise sur les deux oblasts qu’elle a récupérés, ça ne vaudrait pas ce qu’elle a perdu dans l’affaire.

    II) La contre-offensive ukrainienne a de bonnes chances de réussir

    Maintenant pour ce qui est des considérations plus directement militaires.
    De mon point de vue ce qui se passe en Ukraine a un goût de fin de Première Guerre mondiale. On a un front puissamment militarisé, bien organisé dans la profondeur, et qu’on ne peut donc plus casser d’un coup. Toute l’opinion publique occidentale veut une espèce de percée suivie d’une chevauchée des Valkyries… ça n’arrivera pas.

    En revanche, marteler le front à des endroits différents, forcer les troupes russes à rester en mode réactif, les épuiser petit à petit en déplaçant les troupes le long du front, en employant intelligemment l’artillerie, et en combinant ça avec des opérations dans la profondeur… ça, ça semble plus raisonnable et ça semble être ce que font les Ukrainiens. Du bon art opératif à l’ancienne, quoi, façon Triple Entente en 1917 (vous savez, quand on faisait déjà de l’art opératif mais qu’on ne savait pas encore que ça s’appelait comme ça).

    Pour parler plus clairement je pense que maintenant il faut plus penser « coups de marteau répétés jusqu’à rupture » plutôt que « glorieuse charge perforant directement le cœur de l’ours russe d’un bon coup de lance ».

    La question maintenant, c’est « Est-ce que ça peut marcher » ?
    Je dirais oui. Aujourd’hui la disproportion en termes de volume de feu s’est énormément réduite par rapport au début du conflit. Et on a déjà des signes clairs d’épuisement de l’armée russe. Ivan Popov a très bien décrit la faiblesse des tirs de contre-batterie, le manque de relève de ses troupes…
    Si la 58ème armée qui a quand même un rôle important dans le dispositif russe n’arrive pas à organiser des rotations suffisantes, on peut supposer que les autres non plus. Bref, l’attrition fonctionne (et comme dit dans l’article supra, on ne parle pas d’une attrition « statique » mais couplée à une circulation des troupes le long du front, émaillée d’attaques).

    Ajoutons à ceci que Popov a été viré, ce qui correspond à un réflexe bien ancré dans la tradition soviétique de faire passer la loyauté au régime avant la compétence militaire.

    Ajoutons encore à ceci que, si les Russes comptent sur l’hiver pour arrêter la contre-offensive ukrainienne, ils risquent d’être déçus pour plusieurs raisons :
    1) Le réchauffement climatique se faisait déjà sentir mais depuis quelques années, cela se combine à une augmentation de l’activité solaire, et les températures sont absurdement hautes par rapport à l’habitude (mauvaise nouvelle pour les écosystèmes, bonne nouvelle pour les Ukrainiens).
    2) El Nino est de retour, et son maximum sera atteint vers Noël.

    Tout ceci converge pour laisser penser que la contre-offensive ukrainienne a du temps devant elle. Simplement, il ne faut pas attendre d’elle une avancée linéaire, mais probablement plutôt des épuisements progressifs suivis de « bonds en avant ».

    III) Les faiblesses ukrainiennes

    La question du centre de gravité de l’armée russe ayant déjà été abordée je pense en revanche qu’on doit se pencher sur celui de l’armée ukrainienne.

    Clairement, c’est la question des munitions, plus particulièrement des munitions de précision, qui vient à l’esprit en premier. La guerre qui est menée actuellement en consomme énormément.
    Ces munitions ne peuvent être produites directement par l’Ukraine, donc on leur donne.

    Ce qui dépend, d’une part, de notre capacité industrielle (dans ce contexte, par « nous » = j’entends « l’OTAN »), et d’autre part de la résilience des opinions publiques occidentales. Parce que tous les militaires savent que la bataille décisive est un leurre depuis 1945, mais les civils, biberonnés à Hollywood et à Star Wars, ont trop tendance à penser qu’une torpille balancée dans le tunnel de l’Etoile Noire suffit à gagner la bataille.

    D’où la tendance du Kremlin à envoyer bon nombre de textes de propagande sur les réseaux sociaux : ils savent que c’est là qu’est la faiblesse.

    Ajoutons à ceci le risque, difficilement quantifiable mais réel, d’un effondrement moral de l’armée ukrainienne (tout le monde a ses limites et ils n’ont pas beaucoup de rotations du personnel militaire). Ainsi que la problématique démographique, également difficile à quantifier mais à prendre en compte.
    Ajoutons quand même que la Russie fait face au même risque (ils peuvent difficilement mobiliser plus d’hommes sans payer un coût politique important, et la problématique des rotations de personnels se pose donc dans des termes un peu différents mais se pose quand même).

    Pour l’heure, mon analyse reste que le centre de gravité ukrainien c’est :
    -Les capacités industrielles occidentales notamment en matière d’obus de précision
    -Les opinions publiques occidentales (élections US en approche)

    J’aurais donc tendance à dire que l’Ukraine peut gagner la guerre mais il faut encore voir ce qu’on entend par là.

    IV) C’est quoi, concrètement, « gagner la guerre » ?

    La question se pose vraiment.
    Si on simplifie énormément (mais vraiment énormément) :
    Au Moyen Âge, gagner la guerre c’était ça : « Bonjour, cousin. Vous serez notre invité le temps que vos loyaux sujets aient réuni la somme nécessaire à votre libération. Par ailleurs, je vous prendrais bien le coteau à l’ouest de la rivière. »

    Les guerres, qu’elles soient napoléoniennes, 1870, bref, jusqu’en 1918, ont beaucoup ressemblé à des variantes de ceci : gains territoriaux, paiement de sommes d’argent conséquentes.

    Depuis la Première Guerre mondiale et surtout la Seconde, on est entrés dans un paradigme où la guerre est considérée « gagnée » une fois le vaincu amené à résipiscence, en général accompagné d’un changement de régime et/ou de dommages et intérêts substantiels. Ce paradigme est très états-uniens, où la guerre est considérée comme une question morale plutôt qu’une « continuation de la politique par d’autres moyens ».

    Sauf que là, on voit mal Vladimir Poutine (ou son successeur, le cas échéant) admettre qu’il a eu tort d’annexer la Crimée et proposer de rembourser les maisons détruites. Encore moins un changement de régime. Ça arrivera peut-être mais ça ne peut pas être une hypothèse de travail, encore moins un but de guerre.

    L’histoire montre que les sanctions économiques handicapent un pays, mais ne changent pas son régime (Cuba, l’Iran, la Corée du Nord, sont là pour nous le prouver).

    Donc : qu’est-ce qu’on attend du résultat de la guerre ?
    Oui, l’annexion de la Crimée par Poutine était illégale. Oui, sa tentative d’annexion de l’Ukraine est un scandale sur le plan du droit international. Mais concrètement, hors considérations morales, qu’est-ce qu’on peut raisonnablement attendre ?

    Là, on sort du domaine de l’analyse militaire pour entrer dans le spéculatif, mais prêtons-nous à l’exercice.

    1) Le scénario « à l’israélienne »
    On aurait un Etat ultra-militarisé par des aides extérieures (donc exactement ce que la propagande de Poutine décrivait comme cause de son attaque), une citadelle au cœur de l’Europe. Même si je goûte l’ironie d’une telle situation consistait pour le Kremlin à voir leurs mensonges devenir réalité, il ne faut pas occulter un fait important : la capacité de dissuasion israélienne se base sur une sorte de courtoisie inter-étatique consistant à dire « Faisons comme si nous n’avions pas l’arme nucléaire, et en échange ne nous mettez pas dans une situation qui nous contraindrait à l’employer dans l’éventualité improbable, et déplaisante, où nous en disposerions ».
    Est-ce qu’on a vraiment envie de ça sur notre continent ? Bof.

    2) Le scénario « à la finlandaise »
    Neutralité forcée de l’Ukraine, éventuellement après quelques pertes territoriales. Pour la Finlande, cela a quand même marché pendant 80 ans, donc pourquoi pas.

    3) Le scénario « à la coréenne »
    Une guerre qui ne s’arrête jamais, mais qui se met en pause. Éventualité peu plaisante mais vivable.

    4) Le scénario « à l’otanienne »
    On fait tous les préparatifs pendant le conflit, et le lendemain de la signature du traité de paix, paf, entrée dans l’OTAN. Application de l’article 5. Blocage de la Russie.

    V) En conclusion

    La contre-offensive ukrainienne peut réussir, mais il faut pour l’évaluer des critères plus pertinents que des avancées territoriales : mettre trop de pression sur cet objectif ne peut être contre-productif.
    Les gains territoriaux sont le résultat de la saisie et de l’exploitation efficace de l’initiative par l’Ukraine, mais c’est l’aboutissement du processus, et c’est le processus dans son ensemble que l’on doit juger.

    Il est aussi crucial de mobiliser l’industrie et les opinions publiques occidentales (et, plus important, de les garder mobilisées).

    Parallèlement, on doit clairement réfléchir à une sortie de la guerre (mais nul doute que ce processus est déjà en route). Il est important que Poutine perde. Après, qu’il raconte à son peuple qu’il a gagné s’il le souhaite. Mais il faut guérir la Russie de son expansionnisme géographique (largement antérieur à l’Ukraine, les Finlandais et les Polonais en savent quelque chose).

    Sur le plus long terme, revient sur le tapis la question de l’Europe de la Défense, et cette guerre met bien en évidence que pour la mettre en place, nous avons besoin d’organiser tout le continuum entre doctrine militaire, tissu industriel, et politique extérieure cohérente.

  6. Commentaires très intéressants comme d’habitude (Végèce, Carmignola et GuiS). Pas de commentaire sur le troll (Inexorable/Inexpugnable) probablement militaire, biberonné à l’OTAN et, lui aussi, auto-intoxiqué. Mes sources sont multiples, des deux côtés, avec une petite particularité : je ne prends pas en considération tout ce qui vient de la presse MS de l’OTAN où l’on voit des conneries toujours plus impressionnantes les unes que les autres. La dernière en date, majestueuse, venant du Sun où un Leopard « Russe » est détruit par un Lancet « Ukrainien »… Par contre côté Ukrainien et Russes, après un bon tri, beaucoup de sources fiables du terrain.

    Pour faire suite au commentaire de GuiS qui présente un réel intérêt avec une réflexion développée, je confirme, comme Carmignola, qu’il est difficile de parler d’échec stratégique russe. Il est certain que le plan initial de coup de force par Hostomel est un échec.
    En revanche, la stratégie des deux belligérants est évolutive. Nul ne sait encore quels seront les résultats. Il est bien trop tôt pour parler d’échec stratégique d’un côté, comme de l’autre.

    Cependant, l’histoire récente nous a donné plusieurs grands principes concernant les guerres longues (ce conflit en fait désormais partie).
    Le premier concerne l’adhésion de la population. Elle est totale des deux côtés. Pour les Ukrainiens, c’est la défense de la mère patrie. Pour les Russes, c’est la nouvelle guerre patriotique contre les nationalistes et pour protéger leurs frères du Dombass.

    Le second est une combinaison d’effectifs humains et de base militaro-industrielle. Il y a un avantage quantitatif à l’Ukraine du point de vue des troupes du fait de leur mobilisation totale avec un bémol: personnel peu formé (comparable au Volkssturm allemand) et dont la motivation est parfois moindre: mobilisation forcée avec sur les canaux d’information la recrudescence de prisonniers de guerre, ce que l’on avait pas vu en si grande quantité depuis la fin de Mariupol. Il y a effectivement une faiblesse Russe concernant les rotations insuffisantes (confirmées par les deux côtés) ce qui ne semble pas non plus complètement anormale lorsque l’on subit une offensive.

    Concernant le complexe militaro-industriel, l’avantage est, pour le moment, à la Russie avec des unités de production bien protégées à distance du front (héritage de la guerre patriotique) et une industrie désormais pleinement mobilisée. Le renouveau des frappes dans la profondeur du territoire Ukrainien en est le témoin. Un changement de braquet des occidentaux pourrait changer complètement la donne. Ce n’est pas le cas pour le moment.

    Le fait que les deux belligérants se partagent les points sur ces deux grands principe est un signe que les chosent peuvent encore durer. Cependant, il me semble, que la deuxième guerre mondiale a été gagnée par les complexes militaro-industriels (US et dans une moindre mesure, soviétiques) contre des adversaires qui ont été dépassé dans les grandes largeurs (les opérations Bagration et Vistule-Oder sont un bel exemple d’écrasement numérique comme sur le théâtre d’opération pacifique).

    Maintenant que les grandes perspectives stratégiques ont été brossées et que, par ailleurs, je me permet de rappeler qu’être contre le texte de Mr Audrant ne fais pas de moi un pro-russe (sophisme du faux dilemme: il peut y avoir une troisième, quatrième, cinquième,… voie) je souhaiterai rebondir sur la situation tactique actuelle qui a connu de récents développements depuis la sortie de cette tribune.
    Le front de Kherson est grossièrement stable avec quelques combats mineurs, probablement diversifs, nous ne l’aborderons pas.

    Le front Sud connaît depuis 24h une poussées Ukrainienne très forte, sur le secteur de Rabotino. Avec le brouillard de guerre, il n’y a pas d’information fiable pour le moment. Il est probable qu’il s’agisse du dernier effort de la contre offensive (les MSM américains parlent du « main blow » !, à prendre avec beaucoup de recul). Ils atteignent à cet endroit (enfin) la première ligne de défense russe, à 40 km au nord de Tokmak, séparé de deux autres lignes défensives supplémentaires. Le chemin semble long. Sur le reste du front sud, pas de progrès significatifs (sur le saillant de Vremensky, à Ugledar,…)
    Le front Est, connaît un regain d’activité avec une très forte poussée ukrainienne sur Kleesheevka depuis déjà deux semaines, encore tenue par les russes (confirmation des deux côtés hier). De même le front Nord, connaît une lente progression Russe. C’est d’ailleurs à cet endroit que la situation tactique est la plus favorable pour les Russes (proximité logistique, hors de porté des AWACS et drones de l’OTAN). Diversion ? Début d’offensive ?

    « Gagner la Guerre » nous dit GuiS… Me rappelle l’excellent roman de JP Jaworski. Il n’y a que des perdants dans une guerre. Et des individus avec une immense responsabilité pour n’avoir pas fait ce qu’il fallait faire pour l’éviter.

    La seule voie possible est celle de la diplomatie. La diplomatie, envers et contre tout. La diplomatie même contre les intérêts immédiats de son propre camp. Talleyrand l’avait bien compris à Erfurt lorsqu’il encouragea le Tsar à ne pas céder à Napoléon. Il avait en considération l’équilibre des puissances en Europe, quelle vision ! L’intérêt du monde réside sur l’équilibre des puissances. En 1945, il y avait un équilibre. Bancal certes mais mieux que rien. Depuis 1991, la puissance américaine est incontestée. Ce conflit est l’occasion de restaurer un équilibre pour celui qui aura le courage de s’asseoir à la table des négociations. Si le conflit perdure, les conséquences seront catastrophiques. Le monde a besoin d’une Russie forte comme le monde a besoin d’un Occident fort et d’une Chine forte, et d’une Amérique latine forte et d’une Afrique forte,… L’avenir c’est la multipolarité.

    L’intérêt de la France c’est d’être un médiateur, indépendant des grandes puissances sur lequel les pays en conflit peuvent s’appuyer, sûrs de son impartialité. L’intérêt de la France, c’est l’arrêt immédiat de cette guerre, c’est de se constituer une armée forte pour être indépendante, c’est d’avoir une énergie bon marché, c’est de faire rayonner sa culture et son patrimoine. Faut-il être désespérément aveugle pour être parti prenante de ce conflit ? Faut-il avoir été gavé de préceptes et avoir eu le cerveau lavé depuis si longtemps qu’on en aie perdu la raison ?

    Et enfin pour conclure sur les armes à sous-munitions. L’argument « les armes tuent de toute façon » est criminel, au mieux irréfléchi. Il est évident que les armes à sous munitions sont un problème principalement pour les populations civiles, comme les armes anti-personnelles, comme les armes nucléaires, comme les défoliants,… En tant que professionnel de santé, je peux vous assurer que la vente et l’utilisation, en toute connaissance de cause, sont des actes abominables. Qui que ce soit qui les utilise/fournisse (Russe ou Ukrainien), devient de facto, à minima, coupable de crime de guerre.

  7. @François Carmignola

    Pardon mais ici il y a quelques points à débunker.

    « Tout d’abord, une estimation raisonnable et raisonnée des véritables buts de guerre russes, à cent lieux de ce que je me permettrais de considérer comme des divagations de votre (annexion, glacis soviétique, prestige).
    Le premier but de guerre était de sécuriser les régions russophones de l’Ukraine, soumises à la poussée nationaliste (et en pointe, proprement néo-nazie) ukrainienne, encouragée par une militarisation excessive d’une société revancharde, continuant à rêver à l’impossible reprise de la Crimée. C’est fait.  »

    OK. Imaginons que des régions francophones de l’Italie soient soumises à une « poussée nationaliste » (et en pointe, proprement néo-fasciste), serait-il acceptable que la France lance une attaque pour la « sécuriser » ?
    Quant à la Crimée, elle est, de droit, part de l’Ukraine. Donc l’argument, c’est en gros d’annexer la Crimée, et ensuite d’annexer une autre partie du pays parce que le pays veut revenir sur l’annexion précédente ?

    Pour ce qui est de la militarisation excessive, oui, Poutine emploie ces éléments de langage depuis le début, comme pour l’OTAN d’ailleurs. En gros ce ne serait qu’une attaque préemptive face à une concentration de forces ennemies (ce qui est d’ailleurs assez proche de la rhétorique hitlérienne sur les Sudètes, les points communs sont assez nombreux pour mériter considération).
    Moi, je veux bien qu’on me montre les innombrables forces offensives otaniennes et ukrainiennes qui étaient prêtes à déferler sur la Russie et qui ont justifié la violence de la réaction.
    Parce que dans le cas où on ne les trouverait pas, ce ne serait alors pas une militarisation excessive mais une militarisation raisonnée pour contrer une menace d’invasion russe tout à fait réelle.

    Pardon mais c’est mot pour mot la rhétorique du Kremlin, ce qui penche plus en faveur d’un discours de propagande que d’une analyse raisonnée.

    « Votre suggestion de la possibilité d’une entrée dans l’OTAN, sans fin des hostilités, est plaisante mais il ne semble pas que vous en ayez mesuré vraiment la signification. »

    Relisez mon post : j’ai dit exactement le contraire.

    « Pour ce qui concerne l’économique, vous semblez considérer qu’il est désavantageux pour la Russie d’avoir mis son industrie sur pied de guerre, en position de compenser de par sa production, les consommations d’armes et de munitions, ce qui n’est absolument pas le cas ni de l’Europe, ni des USA. On ne voit pas bien ce que vous voulez dire, sinon, qu’en fait, courant 2024, il y a un risque certain d’épuisement matériel du camp pro-ukrainien, qui pourrait être suivi d’une retentissante défaite militaire, et d’une négociation forcée des occidentaux, à leur grand dam, mais on n’a pas toujours ce qu’on veut dans la vie.
    La paix et donc la cessation des abominables souffrances que cause cette inutile et désolante boucherie serait alors rétablie.  »

    A moins d’un changement de braquet des pays occidentaux, encore. Mais oui, la guerre coûte à tout le monde. C’est la grande découverte du moment : on se rappelle pourquoi on avait arrêté la guerre de haute intensité (basiquement, parce que c’est pourri et un gaspillage abominable de ressources humaines et matérielles).
    Le commentaire plein d’émotion sur la boucherie fait aussi très rhétorique du Kremlin, désolé. N’oublions pas qui l’a commencée, cette boucherie. La thèse de l’attaque préemptive défendue par Poutine ne tient pas un instant.

    @Pierre C

    « Pour faire suite au commentaire de GuiS qui présente un réel intérêt avec une réflexion développée, je confirme, comme Carmignola, qu’il est difficile de parler d’échec stratégique russe. Il est certain que le plan initial de coup de force par Hostomel est un échec.
    En revanche, la stratégie des deux belligérants est évolutive. Nul ne sait encore quels seront les résultats. Il est bien trop tôt pour parler d’échec stratégique d’un côté, comme de l’autre. »

    Je vais développer ma réponse. Quel qu’ait été l’objectif initial de Vladimir Poutine il est raté, ou alors payé trop cher pour ce qu’il rapporte. L’idée d’un Poutine souhaitant s’approprier les régions orientales du pays fait sens, mais même si c’était son unique but et qu’il l’atteint, le prix payé au niveau économique, diplomatique et humain est déjà trop élevé. Bel exemple de biais cognitif d’aversion à la perte d’ailleurs.

    « Pas de commentaire sur le troll (Inexorable/Inexpugnable) probablement militaire, biberonné à l’OTAN et, lui aussi, auto-intoxiqué. »

    Vraiment ? J’ai trouvé son post plutôt pertinent, développé et structuré. Il est peut-être un peu rapide de tout balayer du revers de la main au simple cri de « il est auto-intoxiqué », non ? Surtout s’il est effectivement militaire (à un moment si l’on forme des experts dans un domaine c’est pour les écouter, je garde en mémoire tous les gens qui « avaient leurs propres sources » pendant le Covid, ça n’a pas été un franc succès). Quand bien même il ne l’est pas, il convient de répondre aux arguments au lieu de tout jeter sans examen.

    « Concernant le complexe militaro-industriel, l’avantage est, pour le moment, à la Russie avec des unités de production bien protégées à distance du front (héritage de la guerre patriotique) et une industrie désormais pleinement mobilisée. Le renouveau des frappes dans la profondeur du territoire Ukrainien en est le témoin. Un changement de braquet des occidentaux pourrait changer complètement la donne. Ce n’est pas le cas pour le moment.  »

    OK avec ça.

    « La seule voie possible est celle de la diplomatie. La diplomatie, envers et contre tout. La diplomatie même contre les intérêts immédiats de son propre camp. »

    C’est une évidence. Comme toujours, tout le monde est pour la paix. C’est sur les termes de la paix qu’on ne s’accorde pas. Personne ne va « contre les intérêts immédiats de son propre camp » sans qu’on lui ait tordu le bras pour ce faire.

    « L’intérêt de la France c’est d’être un médiateur, indépendant des grandes puissances sur lequel les pays en conflit peuvent s’appuyer, sûrs de son impartialité. L’intérêt de la France, c’est l’arrêt immédiat de cette guerre, c’est de se constituer une armée forte pour être indépendante, c’est d’avoir une énergie bon marché, c’est de faire rayonner sa culture et son patrimoine. Faut-il être désespérément aveugle pour être parti prenante de ce conflit ? Faut-il avoir été gavé de préceptes et avoir eu le cerveau lavé depuis si longtemps qu’on en aie perdu la raison ?  »

    Je pense qu’il ne faut pas sous-estimer l’importance de ce qui se joue. On était plus ou moins arrivés à sortir de la « loi de la jungle » et de la logique de prédation entre pays. Oh, des invasions, il y en a eu. Des bombardements, des occupations. Mais des annexions de pays souverains, je ne me rappelle pas de précédents historiques récents.
    Clairement, ce qu’a fait la Russie, ce n’est pas juste réclamer un réalignement des rapports de force pour coller à une nouvelle réalité. C’est renverser la table et exiger qu’on joue selon d’autres règles, à savoir un retour à la logique de prédation entre États. Ce n’est « dans les intérêts immédiats » de personne, pas même de la Russie dont les difficultés pourraient donner des idées à d’autres (mon regard se tourne ici vers les îles Kouriles ou la Mandchourie).
    En aucun cas il ne faut lâcher l’affaire.

    • Merci pour cette belle réponse, mesurée et structurée. Quelques points de réponse.

      Concernant la pertinence du débat, vous me reprochez de ne pas répondre à un des commentaires. Il est difficile de débattre avec quelqu’un qui est victime d’idéologie.
      Il semble évident que la personne concernée part du postulat que la Russie est dans le « camp du mal » et l’OTAN dans le « camp du bien ». Hannah Arendt disait que l’idéologie est la logique d’une idée et que cette logique suffit à expliquer le réel.
      C’est cette lecture binaire du monde qui entraîne une « absence de pensée », source du totalitarisme.
      Il faudrait de longues heures de débat pour espérer convaincre un tel adversaire.

      Concernant la stratégie Russe, encore une fois, prudence. Le conflit est loin d’être terminé. L’échec d’un jour peut être le succès de demain. Imaginez une dystopie ou l’Ukraine s’effondre, l’OTAN se désengage et où la Russie sort grand vainqueur aux yeux du monde contre l’occident dont l’invincibilité serait brisé ? Serait -ce une situation toujours perdante ? Qui eut crut que l’Allemagne serait défaite en juin 40, que les E-U quitteraient l’Afghanistan et le Vietnam ? Que la grande armée serait anéantie ?

      Je pense que tout les jours nous agissons contre nos intérêts immédiats : se priver d’une glace appétissante pour sa santé au long terme (a l’échelle humaine), refuser d’exploiter un adversaire défait et jugé responsable en pensant à l’avenir: César dans la guerre des gaules se garde souvent de punir en pensant à l’avenir, l’ANC en Afrique du Sud à sacrifié une juste punition des blancs pour l’avenir du pays (comités T&R),…

      Enfin, je vous demande, quelles étaient les options de la Russie début 2022 ? Elle est coupable de la transgression ultime: l’agression militaire. Cependant il faut se rappeler: les accords de Minsk étaient une supercherie, le coup d’état de 2014 est le résultat d’une ingérence occidentale, l’ouest refusait la refonte, nécessaire pourtant, de l’architecture de sécurité en Europe, le nationalisme monte en Pologne (le PM qualifié par Macron d’antisemite d’extrême droite quand même !),…

      Bien sûr je me fais l’avocat du diable puisque, à mon sens, la diplomatie seule devrait suffire à régler ces différends. Encore faut-il qu’il y ait encore des diplomates dignes de ce nom ! Il y avait certainement plus à faire avant de résoudre au conflit armé…

      Pas d’accord sur « on était plus ou moins arrivé à se sortir de la loi de la jungle ». C’est toujours bien la loi de la jungle. La seule différence est que tout cela se fait plus discrètement ou avec un excellent narratif médiatique. Vous parlez de pays souverain. Est-ce être souverain quand une puissance étrangère vous force la main à travers un chantage économique et financier ?
      Tenez, récemment, les E-U ont fait chanter l’Afrique du Sud (pourtant plutôt solide diplomatiquement) en menaçant de couper l’AGOA ce qui dévasterait leur économie fragile avec un risque de troubles sociaux.

      Que dire de l’extraterritorialité du droit américain? Que dire du nord Kosovo annexé par l’Albanie avec la bénédiction des occidentaux ? Que dire de l’annexion Azérie du haut-Karabagh ?

      Malheureusement la loi du plus fort existe toujours.

  8. @Pierre C

    « Concernant la pertinence du débat, vous me reprochez de ne pas répondre à un des commentaires. Il est difficile de débattre avec quelqu’un qui est victime d’idéologie. »

    Au-delà de l’aspect moral de qui on estime être le gentil ou le méchant, il y a des arguments d’ordre militaire (considérations tactiques et opérationnelles) qui me semblent être des points importants à considérer, et qui sont des arguments pertinents (qui de ce que j’ai vu restent donc sur la table, concernant l’efficacité de la contre-offensive ukrainienne).

    « Il faudrait de longues heures de débat pour espérer convaincre un tel adversaire.  »

    On convainc rarement les gens de toute manière, ai-je remarqué. Au mieux, on se pousse mutuellement à la réflexion.

    « Concernant la stratégie Russe, encore une fois, prudence. Le conflit est loin d’être terminé. L’échec d’un jour peut être le succès de demain. Imaginez une dystopie ou l’Ukraine s’effondre, l’OTAN se désengage et où la Russie sort grand vainqueur aux yeux du monde contre l’occident dont l’invincibilité serait brisé ? Serait -ce une situation toujours perdante ? Qui eut crut que l’Allemagne serait défaite en juin 40, que les E-U quitteraient l’Afghanistan et le Vietnam ? Que la grande armée serait anéantie ?  »

    Bonne remarque, et ma réponse gagnerait à être développée. De manière générale, plus une guerre dure longtemps et plus on observe un glissement important des buts stratégiques d’une nation. La France et l’Angleterre, en 1940, avaient déclenché la guerre pour réagir à l’annexion de la Pologne. Personne n’imagine sérieusement que si Hitler avait dit, en janvier 1945 « OK, on vous rend la Pologne et on revient comme avant », cela aurait été accepté.
    Donc tout ce que je peux dire, c’est que les objectifs initiaux probables de Poutine n’ont aucune chance d’être obtenus à un prix raisonnable. Ce qui ne signifie pas que l’évolution de la guerre et l’évolution de ses buts stratégiques ne peuvent pas se rejoindre à un moment ou un autre.

    « Enfin, je vous demande, quelles étaient les options de la Russie début 2022 ? Elle est coupable de la transgression ultime: l’agression militaire. Cependant il faut se rappeler: les accords de Minsk étaient une supercherie, le coup d’état de 2014 est le résultat d’une ingérence occidentale, l’ouest refusait la refonte, nécessaire pourtant, de l’architecture de sécurité en Europe, le nationalisme monte en Pologne (le PM qualifié par Macron d’antisemite d’extrême droite quand même !),… »

    Plusieurs remarques :

    1) Oui, les accords de Minsk n’ont jamais été respectés, que ce soit par la Russie comme par l’Ukraine. C’était une rustine qui n’a tenu que quelques années (voire quelques semaines selon les points de vue). Je dirais que la faute est ici partagée entre les diplomates qui ont mis en place les accords, la Russie et l’Ukraine qui les ont enfreint. A 33% pour chacun, pas de jaloux.

    2) Coup d’état de 2014 résultat d’une ingérence occidentale ? Nous avons des preuves de cela ? Par ailleurs, l’ingérence, c’est un sport international (on peut parler de Poutine recevant Marine Le Pen et lui accordant un prêt, on peut aussi parler des soupçons d’ingérence sur les présidentielles US). Si on devait annexer tous les pays qui font de l’ingérence, on passerait notre temps à s’annexer mutuellement. Ce qui m’amène à notre discussion sur la loi de la jungle. Je ne suis pas naïf. Bien sûr que les pays utilisent leurs atouts diplomatiques, militaires, économiques, commerciaux… pour infléchir la politique d’autres pays dans leur sens. La Russie fait cela depuis des années via le prix du gaz, mais tout le monde le fait (on peut aussi parler de la dispute franco-allemande autour du nucléaire, ou de la désinformation opérée par la Russie en France sur les vaccins, ou, comme vous l’avez fait, de l’extraterritorialité du droit US qui est un vrai scandale).
    Mais des cyberattaques, des tentatives d’influence, de l’espionnage, ça fait partie de la « guéguerre » classique des Etats. C’est extrêmement différent d’une annexion en bonne et due forme. Il y a là la même différence qu’entre une négociation peu scrupuleuse sur le salaire et la réduction en esclavage du salarié.

    3) Le nationalisme monte en Pologne. Oui. Et ? C’est comme on annexait l’Algérie parce que la francophobie monte au Mali.

    4) La question de la refonte de l’architecture de sécurité en Europe… sans éléments plus précis je n’aurai pas d’avis sur le sujet^^

    @François Carmignola

    « Je ne suis donc pas traité de « pro poutine » personnellement, ce qui me permet de trouver simplement injuste (et non pas insultant) le renvoi de mon émoi devant les milliers de morts de cette guerre inutile à une propagande (un discours, non une personne) « pro kremlin ». »

    Pour préciser mon propos : je n’ai aucun moyen de juger de vos convictions « pro » ou « anti » Kremlin. Je me contente de noter que vous reprenez mot pour mot les éléments de langage du Kremlin consistant à dire « Toute résistance ne fait que générer des souffrances supplémentaires, on gagnera de toute manière ».
    Travaillant avec des données fortement biaisées, même un raisonnement logique ne peut que vous mener à une conclusion erronée. Et je ne suis même pas certain que vous soyez totalement rationnel sur le sujet (votre claire détestation de toute la classe politique en bloc et la manière émotionnelle dont vous l’exprimez ne plaident pas en faveur d’une analyse 100% logique, ce qui ne veut pas dire que tout soit à jeter non plus).

    Oui, la guerre est sale. Mais l’argument des souffrances est à relativiser pour deux raisons. Primo : ceux qui l’emploient le plus (les Russes, donc) se sont remarquablement illustrés par leur non-respect de la vie de tout le monde, y compris leurs propres soldats. Pour être juste ce facteur semble être une constante dans la culture russe et ne pas dater d’hier. Deuxio : c’est comme si les Allemands, bloquant face à la France à Bir Hakeim, disaient « Allez, laissez-vous faire, vous aurez moins de pertes ». Oui, mais ça marche dans l’autre sens. S’ils s’en vont, il y aura moins de pertes aussi.

    « C’est pour cela qu’après avoir reconnu que les accords n’étaient que gain de temps pour préparer la reconquête de la Crimée, et laissé des irresponsables à la limite du crétinisme (je pense à Jens Stoltenberg) proclamer tous les jours que l’entrée dans l’OTAN est imminente, parler d’agression « non provoked » au sujet de l’opération miliaire spéciale est inconséquent.  »

    Sans entrer dans une critique aussi virulente de M. Stoltenberg, je pense en effet que « proclamer tous les jours » que l’entrée dans l’OTAN était imminente aurait été une erreur. Sauf que ce n’est pas vraiment ce qui s’est passé, pour être clair. On a vaguement laissé planer la possibilité, et c’est tout.
    Ce qui était une erreur aussi, mais la manière dont vous en faites le narratif est clairement exagérée.

    « (« on parle de plus en plus … » et « … application article 5. Blocage de la Russie…) »

    Vous avez raté la partie importante. Je cite :
    « On fait tous les préparatifs pendant le conflit, et le lendemain de la signature du traité de paix, paf, entrée dans l’OTAN. Application de l’article 5. Blocage de la Russie. »
    Donc, quand on est en paix. Je suis bien conscient des conséquences de l’entrée dans l’OTAN d’un pays dans la situation de l’Ukraine aujourd’hui. Mais ce n’est tout bonnement pas possible. Je veux dire : pas une mauvaise idée. Impossible de part les statuts de l’OTAN.

    « En effet, du point de vue Russe, et cela a été clairement expliqué, en l’absence d’une acceptation officielle de la perte des territoires annexés plus une neutralisation militaire et diplomatique, il n’est pas question pour la Russie d’accepter que l’Ukraine fasse partie d’une alliance qui lui permettrait d’ »appliquer l’article 5 » »

    Oh, la position de la Russie sur le sujet est très claire. Maintenant il va falloir la faire changer d’avis.
    Une vraie neutralisation de la région ne serait pas forcément idiote, mais ça a déjà été tenté, et ça a raté. D’ailleurs, comment on « neutralise » une région ?

    « « On » a « préféré » la situation actuelle à une neutralisation « pro russe » raisonnable gardant la Crimée pourtant militairement stratégique pour les Russes. La ligne rouge de la révolution pro-occidentale franchie, on le paya par la Crimée, ce qui lança le processus: il fallait pour en rester là accepter la perte et devenir neutre. « On » préféra des accords de Minsk non respectés avec des menaces croissantes de reconquête par la force du Donbass en sécession. »

    La Crimée n’appartient pas à la Russie. Ils peuvent trouver ça « militairement stratégique », so what ? Je suis certain que ça ferait plaisir aussi à la France d’avoir un bassin industriel puissant dans la Ruhr. Ce serait « militairement stratégique ». Pour autant ce serait injustifié.
    Vous persistez à considérer comme légitime une exigence illégitime de la Russie pour la raison qu’elle dit que c’est important pour elle. Sans doute mais ce n’est pas à elle. C’est comme si je rackettais à mon voisin sa voiture, et que je refuse de la rendre parce que « c’est important pour moi, j’en ai besoin pour aller au travail ».

    « Pourtant, nous sommes français, héritiers, nous aussi, d’une puissance similaire, et de la souveraineté effective, la seule qui compte, qui va avec. Cela devrait éclairer nos raisonnements, et ce d’une manière qui n’est tout simplement pas accessible à un Italien, un Allemand ou même un Britannique ! »

    Sympa pour nos voisins. Au-delà de ça, vous noterez que la France n’envahit pas un pays quand elle est victime d’une tentative d’ingérence, alors que selon vos dires mêmes nous vivons les mêmes problématiques que la Russie.

    « Et pourtant on s’en défausse confusément en parlant misérablement de « souveraineté européenne » tout en abdiquant toute souveraineté nationale au service d’une guerre inutile qui ne nous concerne en rien. On va, comme vous le faites, dire « nous, l’OTAN », ce conglomérat de poules mouillées désarmées incapable de produire des obus en nombre, »

    C’est ce genre de langage qui décrédibilise vos propos. Le parti pris est évident, trop évident pour qu’on ne doute pas de l’objectivité de vos raisonnements sur la problématique.

    —————————————–

    Pour résumer l’ensemble :
    -Oui, les choses auraient pu être mieux faites sur le plan diplomatique, ce n’est rien de le dire. Et oui, on a mal mesuré les problématiques que l’Ukraine soulevait chez la Russie.
    -Mais non, la Russie n’avait aucun droit de lancer une agression militaire, d’autant plus que ça semble être une espèce de manie chez elle. C’est quand même souvent que la Russie envahit un pays voisin, toujours avec d’excellentes raisons. Je me rappelle d’une analyste lithuanienne qui remarquait, bien avant la guerre en Ukraine, que Vladimir Poutine lance une guerre chaque fois que sa popularité descend sous les 50%. On est en droit de penser que cette agression répond plus à des motifs de politique intérieure qu’extérieure.
    -Une lutte d’influence, ce n’est pas la même chose qu’une invasion.
    -Je suis bien conscient que certaines exigences russes sont importantes pour eux, mais ça ne les rend pas acceptables pour autant. C’est même bien pour ça qu’il y a une guerre : elles n’ont pas été acceptées.

  9. « L’Europe et la France ont pris parti, cela avant l’agression, et l’ont de fait causé. Vous le reconnaissez à demi mots, sans en tirer les conséquences, et cela en vous arc-boutant sur ce qui est, désolé de vous le dire, une niaiserie: l’insistance sur le « cépoutinekiaattaké » qui fait fi, précisément de tout ce qui a mené à cette décision et que je pensais pourtant avoir tenté d’expliquer.  »

    Ce n’est pas ce que j’ai dit. Et j’ai très bien compris votre explication, je ne suis simplement pas d’accord. Je pense que les diplomates ont essayé de bricoler une rustine acceptable en se disant « bah, on verra bien dans 10 ans ». Erreur ? Oui. Asymétrie totale ? Pas du tout. Pour rappel les accords comportaient, entre autres, un cessez-le-feu bilatéral, une zone démilitarisée bilatérale également, des élections anticipées… écoutez, vous pouvez aller voir tout ça sur Wikipédia. Que ça n’ait pas convenu aux deux parties, c’est une chose, mais dire que c’était totalement asymétrique, c’est factuellement faux.

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    Sur les pertes, maintenant, je ne reviens pas sur l’usage de fléchettes par l’armée russe ou leur doctrine basée sur l’usage intensif de l’artillerie (nec plus ultra en terme de limitation des dégâts collatéraux), ou encore les images de civils exécutés (que vous balaierez inévitablement du revers de la main en l’attribuant à la propagande ukrainienne), mais penchons-nous plutôt sur les chiffres (source Wikipédia, vous pourrez aller voir vous-mêmes). Je précise que je mets ensemble blessés, morts et disparus, pour plus de lisibilité.

    Pertes ukrainiennes militaires : 47 000 (selon Ukraine) à 110 000 (selon Russie), le consensus tourne aux alentours de 100 000. L’Ukraine minimise ses pertes et c’est un peu le jeu.
    Pertes russes militaires : 6000 tués selon le Kremlin, entre 180 000 et 250 000 tués et blessés selon tous les autres. La Russie y va un peu fort sur la minimisation.

    Donc oui, on a des imprécisions, le brouillard de guerre etc… mais en tout état de cause bien loin du ratio de 1 pour 10 que vous évoquez, à moins, là encore, de prendre pour argent comptant le narratif du Kremlin. Ce qui traduirait une surprenante naïveté et une méconnaissance totale de ce type de bataille (quand les armées sont face à face, sans mouvement, et équipées de manière similaire les pertes tendent à se symétriser).
    Je ne compte pas les pertes en matières de matériel puisqu’on parle de vies humaines, mais ça n’est pas non plus spécialement à l’avantage de la Russie.

    Pour les pertes civiles on est entre 18 000 et 50 000 pour les ukrainiens. 18 000 étant une estimation minimale. Drôle de conception de la modération.
    Je n’ai pas trouvé de chiffres pour les civils russes.

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    « Votre allusion à la deuxième guerre mondiale est d’autre part tout à fait inappropriée. Tout montre, que contrairement à Hitler, Poutine n’a aucune intention affirmée d’envahir ni l’Europe, ni même l’Ukraine entière, dont il voulait conserver l’intégrité territoriale (à certaines conditions, certes) jusqu’à l’année dernière. »

    Poutine a écrit tout un bouquin dans lequel il affirme que l’Ukraine n’est pas un vrai pays, que le peuple ukrainien et russe n’ont été séparés que par les magouilles de l’OTAN et doivent être « réunifiés ». Je ne vois pas en quoi c’est compatible avec l’intégrité territoriale de l’Ukraine.

    ——————————————

    Quant à la question géorgienne et tchétchène nous n’en avons clairement pas la même lecture mais on va éviter le hors-sujet. Pour faire simple quand même : la Russie a poussé les islamistes en Tchétchénie au détriment des nationalistes, et ils étaient plutôt bienvenus avant de commencer à bombarder tout le monde sans distinction.

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    « Pour ce qui concerne la Crimée, là encore votre protestation sur une appartenance à l’Ukraine historiquement basée sur la foucade d’un Kroutchev ivre qui l’a donné à l’Ukraine asservie en pensant la décision inconséquente n’a pas de sens. Les accords de 1991 donnaient un statut militaire particulier à Sébastopol, ce qui était absolument incompatible avec une occidentalisation militaire de l’Ukraine. La prise de la Crimée fut donc une conséquence immédiate du Maidan, comme je l’ai décrit. Ignorer cette quasi nécessité ne fut qu’hypocrisie après avoir agi en méprisant cette réalité, comme je l’ai décrit. De plus tous les référendums en Crimée menés depuis 91 en faisaient une région autonome ou russe et on ne peut pas pousser l’inconséquence jusqu’à réclamer ou même imaginer son retour. On en revient ainsi à la question nucléaire. »

    On en revient au narratif du Kremlin, qui veut faire passer ce cadeau de la Crimée à l’Ukraine comme un délire d’ivrogne. Kroutchev n’était pas tout seul à décider, il y avait un parti derrière. Le décret a été entériné par le comité central du parti (en deux-deux, je vous l’accorde, mais entériné quand même). S’ils étaient tous bourrés à ce moment… c’est un peu leur problème.
    Et quand bien même ? Le document est légal. Si je possède un lingot d’or et que je vous le cède pour un sandwich au fromage, ça fait de moi un imbécile, mais la transaction est légale. Personne n’accepterait que, passé le délai de rétractation, je revienne quinze ans plus tard récupérer le lingot au volant d’un char d’assaut. Là encore vous reprenez mot pour mot le narratif du Kremlin.

    ——————————-

    Enfin pour finir :
    « Avoir comme souci d’exprimer (longuement) tout cela me décrédibiliserait donc, selon vous ? »

    Deux choses décrédibilisent votre propos :
    -Depuis le temps que je vous lis, on sent globalement l’ambiance « décliniste-tous pourris-j’ai mes sources » qui ne donne en général pas grand-chose de bon. Je vous accorde que cette sensation est tout à fait subjective mais je pourrais vous retrouver ce que vous dites qui appuie mon propos.
    -Plus grave, et plus objectif : vous faites preuve d’un sain scepticisme vis-à-vis des sources « officielles », mais vous admettez et recracher sans aucune prise de recul ni analyse le narratif russe, y compris sur des points que l’on sait factuellement faux (cf question du ratio de pertes). Votre scepticisme est clairement à géométrie variable et montre un niveau de parti pris qui rend impossible toute analyse objective.

    Je vous recommanderais de « m’expliquer » un peu moins, votre propos est tout à fait clair. Mais en revanche d’affirmer moins, et d’argumenter plus. Je vois énormément d’affirmations péremptoires (en réalité, quasiment que ça) mais bien peu de sources pour les étayer.
    Ce n’est pas que je ne veuille pas changer d’avis, c’est que vous ne m’avez encore donné aucune raison de le faire.

  10. @GuiS
    Je souhaiterai discuter quelques points que vous avez soulevé, en essayant de rester concis.

    Je pensais être clair en parlant « d’espérer convaincre ». Bien entendu on ne convainc jamais autrui. On fait réfléchir au mieux. Au pire on renforce la conviction adverse.
    Ce qu’il faut comprendre, et ce que Chomsky explique assez bien, c’est qu’avant d’aborder certaines thématiques complexes il faut avoir acquis une base de connaissance sans laquelle il est impossible de pouvoir comprendre ce dont on parle.

    Par exemple si nous discutons de l’efficacité comparative de médicaments contre le cancer, il faut au préalable avoir acquis des connaissances en pharmacologie.

    Dans le cas présent, pour débattre avec la personne précédemment mentionné, il faudrait que celle-ci ait été au moins introduite au concept de manipulation du consentement avec les fameuses « 10 stratégies de la manipulation de masse ». De plus, il faut atteindre un niveau d’auto-critique suffisant pour de rendre compte que l’immense majorité de nos convictions sont en fait le résultat d’un conditionnement social (normal et naturel d’ailleurs) totalement subjectif.
    Le minimum à atteindre, pour pouvoir débattre sereinement, est de comprendre :
    – Que la thèse de l’adversaire désigné est entendable
    – Que la thèse défendue par « son camp » est possiblement illégitime (pour ne pas parler de morale)
    – Qu’il faut garder une extrême prudence quant aux attentions que l’on prête aux autres et à soi même (« défense de la liberté », « de la démocratie »,…)
    – Que parfois l’on ne comprend pas son adversaire et qu’il faut s’y astreindre en évitant à tout prix de l’essentialiser dans une dualité abstraite.

    Je suis d’accord avec le développement de votre remarque sur la stratégie de la guerre. Je mettrai, pour être 100% objectif, juste un « bémol » sur la notion de « atteindre les objectifs à un prix raisonnable » chacun voyant midi à sa porte (bien que je sois d’accord sur le fond que le coût humain est abominable…). Biden, Poutine, Stoltenberg & Co vous diront que c’est le prix à payer pour leur pays/intérêts respectifs…

    Concernant l’architecture de sécurité. Mon postulat part d’un principe : «La bonne victoire doit réjouir le vaincu, et avoir quelque chose de divin qui épargne l’humiliation » (Nietzsche).
    Je vous épargne l’historique des vaincus humiliés et des catastrophes qui s’ensuivent.

    Concernant notre sujet, en 1990, l’URSS est vaincue. Le modèle Américain triomphe, c’est la victoire du (neo)-libéralisme américain économique et social: libre échange, économie de marché, loi du marché, matérialisme, individualisme,… L’imposition de ce système au niveau planétaire avec la diffusion de cette « culture » au travers des médias de masse, des fast foods, des marques,… le tout chapeauté par une structure militaro-industrielle surpuissante et par un renseignement hors-pair.

    Le triomphe américain n’est pas modeste. Peu de choses sont faites pour intégrer le vaincu au nouvel ordre mondial. Ingérences en Tchétchénie en Géorgie. Élargissement de l’OTAN toujours plus a l’est. Contre qui ? L’adversaire est moribond et ne demande à ce moment la qu’à faire, en tant que grande puissance, partie de l’ordre mondial. Provocation répétées en Ukraine, terre sacrée des slaves, berceau des Rus, peuples frères (mais distincts sans doute comme le sont les belges et les français). Le narratif anti-russe est même partout présent dans le monde médiatique post-URSS. C’est tout bête mais combien de films américains ou les méchants sont russes ? A quand la vraie réconciliation US-Russie ? Main dans la main comme la réconciliation franco-allemande ? Avec des actes fondateurs ? Calcul court termiste mais O combien classique des américains que de garder la Russie comme bouc émissaire…

    Je ne sais pas si je peux être plus explicite dans ce qu’aurait pu être une architecture de sécurité où chacun aurait sa place en Europe. Rien n’est plus puissant dans un peuple que le sentiment de revanche. De par leur attitude arrogante et méprisante les anglo-saxons (coutumiers du fait, champions de la supériorité raciale) ont réussi le tour de force qui est d’avoir créé, sur la base d’un bloc soviétique moribond, un Etat russe nationaliste, fier et revanchard…

    Encore une fois, une France forte, visionnaire, libre de tout intérêt étranger aurait pu jouer un rôle de pivot impartial dans la construction de cette architecture de sécurité qui correspond en fait simplement au « vivre ensemble ».

    PS: concernant les faits militaires évoqués par F. Carmignola, il semblerait que les Russes soient globalement plus précautionneux quant à la survie de leur troupes (par nécessité, étant donné la faiblesse comparative de leurs effectifs), à l’exclusion de Wagner et des milices DPR et LPR. Le ratio, initialement de 1:1 serait passé a 1:3 voir 1:4 depuis que les Ukrainiens sont a l’offensive (kherson). Encore une fois ce sont les stats pour l’armée russe seule. En integrant toutes les formations, c’est plus difficile à savoir , surtout chez Wagner. Peut être 1:1,5/1:2 en faveur des Russes ? A suivre.

  11. @Pierre C

    Je suis globalement d’accord avec l’ensemble de votre post, je ne vais pas tout reciter mais :

    1) Oui, il faut certains prérequis pour débattre sereinement, et j’approuve ceux que vous citez. J’ajouterai tout de même un point important : s’appuyer sur des faits plutôt que sur des opinions. Si le post d’@Inexpugnable ne donne que peu de faits chiffrés il s’appuie tout de même sur une analyse intéressante des aspects tactiques et opératifs de la question. N’oublions pas que c’est aussi une guerre et que donc tout ne joue pas sur le plan médiatique, mais au bout du canon.
    Maintenant on peut contredire son post, mais pas le qualifier d’absurde à mon sens.
    Par ailleurs les intervention de F. Carmignola comportent également bien peu d’éléments factuels, sans pour être à 100% absurdes (mais le ratio de pertes proposé, lui, l’est).
    Si l’on veut tomber d’accord et être dans le vrai, cela nécessite deux choses :
    a) Raisonner logiquement
    b) Travailler avec des données fiables (dans la mesure où c’est possible à travers les propagandes et le brouillard de guerre)

    2) « Je suis d’accord avec le développement de votre remarque sur la stratégie de la guerre. Je mettrai, pour être 100% objectif, juste un « bémol » sur la notion de « atteindre les objectifs à un prix raisonnable » chacun voyant midi à sa porte (bien que je sois d’accord sur le fond que le coût humain est abominable…). Biden, Poutine, Stoltenberg & Co vous diront que c’est le prix à payer pour leur pays/intérêts respectifs… »

    C’est vrai. Néanmoins à un moment ce prix devient trop élevé quelle que soit la façon dont on le voit. Le problème étant le biais humain d’aversion à la perte qui pousse à s’obstiner même si ça se passe mal (biais partagé de manière internationale et tout à fait équitable).

    3) Concernant le comportement US à la fin de la guerre froide, je suis 100% d’accord. D’autant que leur triomphalisme est infondé (les USA sont clairement convaincus de la supériorité de leur modèle alors qu’il y aurait beaucoup de choses à en dire, les exemples sont nombreux et sortent du cadre de mon commentaire).
    Ils n’ont clairement aucun respect de leurs alliés (dans le désordre : PRISM, les sous-marins australiens, le retrait d’Afghanistan, l’affaire Iran-Contra, l’extraterritorialité du droit US sur la corruption, et soit dit en passant, dans les débats sur le sujet, on néglige un point important : en plus des sanctions financières voire des fusions-acquisitions, on a la question du « monitoring » imposé ensuite, qui n’est rien d’autre que de l’espionnage forcé).

    Tout ça pour dire : je suis d’accord avec vous.

    J’ajouterais un point important : on a biberonné la Russie à employer la force.
    Pour moi le point de départ est la prise de l’aéroport de Pristina en 1999 : en gros on décide de ce qui se passe dans la région sans rien demander à la Russie (mépris assez incroyable). Ils le prennent mal (surprise). Envoient des forces spéciales s’emparer de l’aéroport. Et obtiennent des concessions diplomatiques.
    Clairement, quand on ne montre du respect à quelqu’un que lorsqu’il dégaine un couteau, il ne faut pas s’étonner de ses troubles du comportement.

    Tout ça pour dire que je suis d’accord avec vous. Mais tout ceci constitue pour les actions actuelles de la Russie une explication, pas une excuse. D’autant qu’à mon avis il y a aussi derrière les actions actuelles de la Russie le rêve qui s’éloigne d’un empire perdu couvé par une puissance qui décline.

    Mais oui, il y a un vrai souci dans le comportement de nos « amis » états-uniens, notamment mais pas exclusivement vis-à-vis de la Russie.

    4) « Encore une fois, une France forte, visionnaire, libre de tout intérêt étranger aurait pu jouer un rôle de pivot impartial dans la construction de cette architecture de sécurité qui correspond en fait simplement au « vivre ensemble ».  »

    Il n’est pas trop tard. Et dans un sens, ce qui se passe actuellement est probablement une bonne chose pour l’Europe, tout comme l’affaire Alstom, ou celle des sous-marins. Il y a une prise de conscience que l’UE doit se doter de sa propre boussole stratégique et y mettre les moyens. Nous le savions auparavant, mais cette réalité est maintenant palpable.
    Ça ne signifie pas sortir de l’OTAN (l’inter-opérabilité des systèmes que ça permet est quand même bien pratique) mais avoir sa propre voix, et une qui porte.

    5) « PS: concernant les faits militaires évoqués par F. Carmignola, il semblerait que les Russes soient globalement plus précautionneux quant à la survie de leur troupes (par nécessité, étant donné la faiblesse comparative de leurs effectifs), à l’exclusion de Wagner et des milices DPR et LPR. Le ratio, initialement de 1:1 serait passé a 1:3 voir 1:4 depuis que les Ukrainiens sont a l’offensive (kherson). Encore une fois ce sont les stats pour l’armée russe seule. En integrant toutes les formations, c’est plus difficile à savoir , surtout chez Wagner. Peut être 1:1,5/1:2 en faveur des Russes ? A suivre. »

    D’après les chiffres que j’ai cités plus haut on a un ratio entre 1:1;8 et 1:2,5 en faveur des Ukrainiens. Mais c’est sur l’ensemble de la guerre. Difficile d’avoir des chiffres fiables sur une petite période.
    En revanche pour les grosses pièces d’artillerie le ratio est de 4:1 en faveur des Ukrainiens pour le moment.

  12. @François Carmignola

    Ce ne sont pas « mes » estimations, ce sont les estimations des experts qui suivent la question. Vous pouvez dire qu’elles sont biaisées mais il n’y a aucune raison de penser qu’elles le soient plus que les votres. Et je n’ai toujours pas lu d’arguments chiffrés pour étayer vos assertions.

    Par ailleurs vous faites fi de mes commentaires sur la nécessité pour l’Europe de trouver une boussole stratégique, mes critiques raisonnées de la politique états-uniennes et par ailleurs vous tronquez carrément mes citations (« nous, l’OTAN » : la citation originale est « (dans ce contexte, par « nous » = j’entends « l’OTAN ») » ce qui est très, très, très différent). Je trouve ce procédé assez malhonnête, et ce n’est pas la première fois que vous déformez des faits ou des citations pour tenter d’appuyer votre propos. Cela devient lassant.

    Retour sur le fond maintenant.
    Le narratif anti-OTAN et américanophobe que vous développez est bien pratique mais pour l’heure s’appuie plus sur des arguments idéologiques que factuels. Concernant l’OTAN, cette structure permet l’inter-opérabilité des systèmes et permet de prendre un contingent canadien, un contingent lithuanien et un contingent grec et de les faire bosser ensemble en quinze jours. Ce n’est pas rien et si on a du mal à trouver des officiers (y compris à la retraite) qui prônent une sortie de l’OTAN, ce n’est peut-être pas pour rien.

    Maintenant, il y a la question du fait que les USA s’arrangent en général pour avoir un SACEUR bien de chez eux, et dirigent les orientations stratégiques. C’est un problème, je le concède. Le poids des USA dans la politique internationale doit être rééquilibré, mais il faut réarranger la table, pas la flanquer par terre.

    Je dois aussi vous prévenir que les conversations qui n’avancent pas ont tendance à me lasser. Des arguments factuels seraient bienvenus, sans quoi il ne sert à rien de débattre.

  13. Il faut vraiment que vous vous penchiez sur la signification de l’expression « dans ce contexte ».
    Dans le contexte des armes que nous livrons à l’Ukraine, oui, « nous », c’est l’OTAN, en tant qu’organisation qui livre des armes à l’Ukraine et dans laquelle la France joue sa part.
    Sur la question taïwanaise, ou des lois anti-corruption US, « nous » ne sera pas forcément l’OTAN.

    « Le président français qui s’était illustré (et ridiculisé) avec cette histoire de « mort cérébrale », n’a pas eu la même forfanterie pour interdire je dis bien interdire à Stoltenberg ses répétées flagorneries envers l’Ukraine au sujet de son entrée prochaine qui n’a pas à être évoquée sans concertation au plus haut niveau de l’ensemble de l’alliance. »

    Peut-être que la concertation a eu lieu, qu’en savez-vous ? Et peut-être que le président français est d’accord. La France a offert un soutien militaire conséquent à l’Ukraine ce qui vous donne une idée de sa position diplomatique. Qu’elle ne vous convienne pas est une chose, mais ça ne signifie pas que la position française n’est pas défendue.

    « Vous prétendez vouloir « un rééquilibre de la politique internationale des USA en réarrangeant la table », pourriez-vous élaborer, voire suggérer des solutions concrètes ? »

    Je pourrais dire plein de choses ici. Réduire l’endettement français. Se mettre en pointe sur les questions énergétiques, qui avec le réchauffement climatique et le problème russe, arrivent sur le devant de la scène. Préserver une relation de collaboration intelligente avec la Chine (autant que faire se peut). Développer une exploitation intelligente de nos zones économiques exclusives.

    Mais je ne vais pas le faire, parce que ce n’est pas mon boulot. Je n’ai pas la compétence et mon métier n’est pas de me mêler de ces affaires-là. Il est bon de connaître les limites de sa compétence et de sa légitimité. Cela s’applique à moi comme à vous.

  14. Bon.
    Je vous ai prouvé par a + b, factuellement, avec des données, que vous vous trompiez lourdement sur pas mal de points qui structurent votre argumentation. Les exemples sont nombreux :
    -le ratio de pertes militaires sur lequel les chiffres que vous donnez sont fantaisistes et n’importe qui avec un minimum d’expérience militaire s’en rendrait compte (1 : 10 ? Avez-vous idée du nombre de batailles dans l’histoire où de tels ratios ont été obtenus ?)
    -le nombre de victimes civiles ukrainiennes, ce qui démonte votre position sur la « modération » de l’armée russe
    -la légalité du don de la Crimée à l’Ukraine
    -mes propos concernant l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN (APRES la cessation des hostilités, donc) où vous avez littéralement compris et interprété l’inverse de ce que je disais

    Vous restez dans des propos génériques et vagues, mais toujours très péremptoires, souvent factuellement faux, tout en me reprochant de n’avoir pas de solutions concrètes à apporter à d’autres problèmes (auxquels j’avais pourtant bien dit que ce n’était pas mon boulot d’apporter des solutions).
    Le plus dommage, c’est qu’on sent chez vous une réelle érudition, mais mal employée. En principe on recueille des informations pour se faire son opinion. Vous, vous vous faites votre opinion et ensuite sélectionnez vos informations en fonction de cette opinion (cherry-picking + biais de confirmation à fond).

    Le processus cognitif et argumentatif qui en résulte est, dans les bons moments, biaisé, et carrément malhonnête dans les mauvais. On dirait du Zemmour : un mélange d’érudition et de mauvaise foi. Il est impossible d’échanger dans ces conditions, et donc je m’en tiendrai là également. Je vous laisse tout de même faire votre petite réponse parce que je soupçonne que vous soyez du genre à aimer avoir le dernier mot, donc faites-vous plaisir.

    Si d’autres intervenants (ou même vous, d’ailleurs) apportez des propos factuels et intéressants je serai heureux d’y réagir.

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