samedi 27 juillet 2024

Défense et société

Quand je disais que la trêve estivale n’était pas au rendez-vous. Outre les différents rapports parlementaires sur lesquels je travaillerai ultérieurement, plusieurs sujets ont retenu mon attention.

Proposition de loi contre les Français ne combattant pas pour la France et proposition de loi mémorielle

Deux propositions de loi ont suscité mon intérêt cette semaine. La première, interdire la participation de Français à des conflits armés hors du territoire de la République sans accord de la France, est proposée par le député Jacques Myard, toujours très actif. Ainsi, comme le fait remarquer le député, « Les services français (…) évaluent à plus d’une centaine les Français combattant à l’extérieur, en particulier en Syrie, (…). Selon les experts, le potentiel national pour le djihadisme n’a pas diminué, au contraire a-t-il même augmenté ».

Cela est favorisé par les contacts sur internet et par la facilité d’accès à ces pays qui permettent de s’engager aisément sur le terrain. Comme le souligne à nouveau le dépuré, « Les motivations de ces individus qui combattent à l’étranger auprès de groupes armés sont diverses et cumulent exaltation religieuse, dénigrement des valeurs de la République, aboutissement d’un extrémisme radical les menant à embrasser le djihad. » Cela me semble assez d’actualité.

Il rappelle les lois existantes et notamment celle de décembre 2012 qui sanctionne « non seulement la propagande sur internet mais aussi la participation de Français à des camps d’entrainement étrangers ». Selon le député, cet arsenal ne répond pas cependant à toutes les situations et propose des sanctions pénale et civile en cas d’infraction qui serait comprise dans ce nouvel article de loi :

« I. – Le fait pour tout Français de participer directement ou indirectement à des conflits armés hors du territoire de la République en l’absence d’accord exprès des autorités françaises, est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

  1. – Les personnes physiques coupables de cette infraction encourent également les peines complémentaires suivantes prévues par le code pénal :

1° L’interdiction des droits civiques, civils et de la famille, suivant les modalités prévues par l’article 131-26 ;

2° La diffusion intégrale ou partielle de la décision ou d’un communiqué informant le public des motifs et du dispositif de celle-ci dans les conditions prévues par l’article 131-35 ;

3° L’interdiction du séjour, suivant les modalités prévues par l’article 131-31. »

La seconde proposition de loi déposée le 16 juillet par un groupe de députés vise à reconnaître le massacre de la population française à Oran le 5 juillet 1962. En effet, pourquoi oublier nos concitoyens massacrés hier et ne pas voter cette loi mémorielle qui nous concerne bien qu’un grand nombre d’entre nous ignorait ce massacre ?

Le paradoxe est que, dans cette même période, la France a accueilli pendant 81 jours dans un hôpital militaire français le chef de l’Etat concerné qui n’a jamais en outre été bienveillant envers la France. Si cela permet de garder nos hôpitaux militaires et un service de santé pourquoi pas mais on peut s’étonner que l’Algérie n’ait pas les moyens médicaux à la hauteur. Je m’étonne aussi du peu de réaction en France de cette situation jusqu’à récemment dans le Monde.

Le témoignage d’un vétéran d’Afghanistan

Un ami m’a envoyé une vidéo de 35 minutes diffusée le 24 juin 2013 sur le témoignage d’un vétéran d’Afghanistan (juin-décembre 2011). Il faut cependant rappeler le contexte de cette interview. Le caporal Slim Rehouna est un engagé du régiment médical. Il a huit ans de service. Il s’est surtout fait photographier en tenue devant une banque en soutien à un de ses amis manifestant depuis des mois pour s’en plaindre. Le caporal Rehouna a été normalement sanctionné. Cependant, il a attiré l’attention.

Certes, et on l’apprend dans l’interview, Slim est en PST (choc post-traumatique suite à son engagement en Afghanistan comme secouriste). Je penserai volontiers que cette vidéo peut faire partie de la thérapie ce qui ne retire en rien à ses propos de de bon sens d’un soldat de base. Une interrogation de ma part à l’évocation d’un capitaine qui assurerait la prise de vue.

Slim sait éviter les questions-pièges de son interviewer. Il évoque cependant un « président qui a peur de ses soldats ». En revanche, sa solidarité envers ses camarades et l’armée semble totale. Regarder ce témoignage d’un soldat de base sur la réalité de la guerre me semble utile car il n’est ni déplacé, ni caricatural.

Comme j’évoque la guerre par ce témoignage, faut-il rappeler que le Monde du 18 juillet 2013 a aussi publié deux tribunes sur ce sujet qui semblerait redevenir l’objet de recherches universitaires : La victoire militaire ne suffit plus pour imposer la paix par Béatrice Heuser, chercheuse et Il faut faire évoluer le droit de la guerre par Ariel Colonomos, directeur de recherche au CNRS. J’ai quand même l’impression que les constats faits l’ont été depuis un certain temps par les militaires en opérations.

Troubles dans les armées ?

Maintenant revenons à nos problèmes et à la réduction de la liberté de manœuvre du chef militaire opérationnel, le chef d’état-major des armées. Le Point a souligné cette perte d’influence des chefs militaires (Cf. le Point du 17 juillet 2013). La perte du contrôle des RH et des relations internationales par les armées a été décidée par le pouvoir politique. Les notes officielles circulent déjà sur le net précisant une civilianisation accrue des postes au sein du ministère de la défense. J’ai le sentiment réel d’une mise sous tutelle des forces armées et des chefs militaires mais je dois me tromper.

Jean Guisnel ose évoquer la question : l’amiral Guillaud aurait-il dû démissionner ? (Cf. Le Point du 18 juillet 2013). Il ne m’appartient pas de m’exprimer sur cette question. Chaque décideur est face à ses responsabilités et je suis loin de pouvoir en imaginer toute la complexité. En théorie, cependant, une démission à l’ancienne n’apporte rien d’autant que le militaire démissionnaire accepte de ne pas évoquer publiquement les causes du différend.

Ensuite, démissionner me paraît être l’acceptation de la perte du combat qui a été mené. La défaite donc. Il est courant enfin de dire dans nos couloirs qu’il y a toujours des postulants au poste vacant avec le doute qui se reflète dans cette question : quelle pourrait être le prix du silence.

Hormis subir (mais le général De Lattre nous a pourtant laissé une maxime, Ne pas subir), il resterait à mon avis trois solutions aujourd’hui : continuer la diplomatie de « cabinet » dont nous constatons pourtant les limites, sinon l’échec ; une démission de l’ensemble des chefs d’état-major d’armée, situation sans aucun doute inédite, enfin celle qui, intellectuellement, me plairait assez, une réelle cohésion de combat des chefs d’état-major qui paraît-il ferait défaut aujourd’hui. Comme je l’écrivais dans mon blog précédent : ne soyons pas des militaires tièdes.

Pour conclure

Dans la suite logique des propos précédents, je conclurai sur l’interview d’Alain Delon dans le Figaro magazine du 18 juillet 2013. A la question, « Avez-vous un modèle masculin dans votre jeunesse ? Alain Delon : « Avant l’armée ? Personne. A l’armée, mes modèles étaient mes supérieurs : le commandant Colmay, les généraux… j’avais envie de leur ressembler, même si je savais que c’était impossible, même si je n’avais pas fait d’études. Je n’étais pas officier mais soldat ». (…) « C’est l’armée qui a fait de moi un homme ».

J’imagine que cela est toujours le cas et que l’exemplarité militaire à tous les niveaux perdure pour qu’elle soit suivie par chacun. Bien sûr, cela veut dire que nous « ne soyons pas des militaires tièdes »

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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