Patrick Péronnet est docteur en musicologie, chercheur à l’IReMus (CNRS), fondateur et secrétaire de l’AFEEV (Association Française pour l’Essor des Instruments à Vent), directeur de l’orchestre d’harmonie de Saint-Priest. Il publie sa thèse soutenue en 2012 à la Sorbonne. Musicien et historien, il est spécialement compétent pour présenter ces orchestres méconnus.
Dense, documenté, accessible, ce travail est fondateur. En effet, cette démocratisation de la musique permise par ces orchestres n’avait pas, jusqu’ici, fait l’objet de publication aussi fouillées, même s’il faut citer Les Travaux d’Orphée de Philippe Gumplowicz en 1987. L’ensemble de la publication est prévue sur quatre volumes et donne l’ampleur du travail réalisé. Les deux premiers volumes représentent plus de 1 300 pages et l’on pourrait être écrasé par le poids des ouvrages. En fait, ce travail est véritablement fondateur. Il représente une somme réellement considérable de collecte, d’analyse et de mise à disposition d’une documentation aussi précieuse qu’elle est jusque là restée en grande partie inexploitée. Elle donne une vision totalement renouvelée sur ces formations restées dans l’ombre des orchestres de salles. On mesure leur importance quand on sait que la question des orchestres de plein air est celle de l’émergence et de la progressive affirmation de l’opinion publique, qu’ils accompagnent.
Documentation précise et luxuriante
Péronnet en aborde bien les prémices avec les concerts dans les jardins du château de Versailles sous Louis XIV, pour en suivre la longue gestation tout au long du XVIIIe siècle. La genèse de ces formations passe de l’orchestre de cour aux orchestres militaires dont les prestations sont très appréciées des populations puisqu’à ces époques, l’écoute de musique instrumentale est cantonnée au culte, avec des répertoires dédiés, et réservée aux salles de concerts, donc payante. Les travaux de Péronnet regorgent de références précises permettant de suivre les détails de ces évolutions, dans les fêtes d’extérieur qui connaissent un grand essor. Pan oublié de l’histoire de la musique, les usages militaires sont approfondis puisqu’ils concentrent les problématiques de l’exécution en plein air. Le suivi de leur gestation est donc spécialement instructif. Péronnet ne néglige aucune piste dans son minutieux travail d’inventaire et établit des liens avec des repères connus (Le Roi a fait battre tambour, Malbrough s’en va-t’en guerre). L’autre domaine propice à la musique de plein air est présenté avec la chasse, ses signaux et ses festivités sonores amenant le développement de la trompe et du répertoire des fanfares de vénerie.
Portraits, effectifs, répertoires
L’avènement de la musique en extérieur passe par les musiciens, leurs instruments et leur formation. Il révèle une école de musique à Paris avant la Révolution et explique qu’une formation est assurée dans les orchestres militaires, un enseignement de la musique resté inaperçu jusqu’ici. Il montre aussi les liens entre musique militaire et rituel franc-maçon.
Péronnet met à jour des effectifs de musiciens d’ordonnance et d’harmonie, les deux pouvant être regroupés dans le cérémonial et fournit des chiffres, des tableaux et dresse des portraits instructifs sur leurs origines et donc les influences musicales.
À travers les gazettes et les récits de voyages émergent des orchestres de plein air, militaires et de ville, offrant des prestations aux beaux jours sur les places et les boulevards, ils participent donc d’une véritable démocratisation musicale, anticipant sur les bouleversements révolutionnaires. L’auteur établi les liens avec l’essor des concerts par abonnement, les fêtes et les même les cirques.
Un exemple de la nouveauté de ses travaux, une partie est consacrée aux orchestres de la Marine, sujet méconnu bien qu’il s’agisse probablement du plus ancien orchestre français. La difficulté d’identification des sources n’empêche pas Péronnet d’apporter des éléments sur l’organisation, les prestations et les répertoires de ces formations.
Glissement plutôt que rupture
Si la rupture révolutionnaire est politique, la continuité musicale est illustrée par l’orchestre des Gardes françaises, quand les soldats du régiment d’élite de la Monarchie prennent la Bastille, alors que ce qui reste de ses musiciens vont animer les fêtes révolutionnaires et participer à la création de l’Institut de musique qui deviendra le Conservatoire. Dans le 2e volume Péronnet, étend ses travaux à la Révolution et l’Empire. La période est bien connue, mais le prisme des ensembles à vent inscrit la rupture révolutionnaire dans une continuité musicale et culturelle. Suivant les parcours professionnels des musiciens, il indique, pour certains, le passage des maîtrises aux musiques de la Garde nationale, tentant le transfert d’une liturgie d’église à une liturgie civique. Il observe que « Si la Révolution n’a pas créé l’orchestre à vent, elle lui a offert le premier répertoire patrimonial d’importance ». Péronnet montre comment les gagistes, financés par les officiers des régiments et renforçant les soldats-musiciens, ont aidé ces artistes à résister à cette période délicate pour les artistes et donné aux orchestres militaires un rôle nouveau.
La rupture révolutionnaire est politique, mais la continuité musicale est illustrée par l’orchestre des Gardes françaises, quand les soldats du régiment d’élite de la Monarchie prennent la Bastille, alors que ce qui reste de ses musiciens va animer les fêtes révolutionnaires et participer à la création de l’Institut de musique qui deviendra le Conservatoire, à partir de son école de musique régimentaire.
Si la rupture est effectivement politique, en matière de musique, Péronnet préfère le terme très juste de « glissement » car « les compositeurs et musiciens, dans leurs fonctions, ne semblent pas particulièrement engagés dans les mouvements, luttes ou “partis” politiques ». Il fournit néanmoins quelques portraits de musiciens guillotinés.
« Contrôler les humeurs »
La place du Champ-de-Mars, le rôle des festivités civiques, l’influence des l’Institut national de musique, la construction d’une nouvelle histoire, les œuvres nouvelles, le cérémonial et ses hymnes, la musique joue un rôle central et négligé dans une reconstruction de l’opinion publique. À travers les changements de régimes (nombreux), les politiques ont bien perçu son utilité pour « contrôler les humeurs » des masses, sans vraiment réussir malgré les efforts déployés.
Dans ce travail de grande qualité, il faut tout de même signaler une petite erreur, mais on ne peut lui en tenir rigueur car il s’agit de céleustique et non de musique. Comme d’autres historiens, Péronnet (p. 221) reprend l’information publiée par Kastner concernant le compositeur de la partition de tambours de 1754, ce n’est pas un mythique Marguery, mais bien l’aide-major aux Gardes françaises Joseph-Henri de Bombelles, ainsi que le signale déjà en 1851 le Général Bardin dans son Dictionnaire de l’Armée de terre (Tome 1, p. 707). Par contre, il relève bien l’accélération du pas militaire expliquant les nombreuses compositions de pas redoublés sous la Révolution et l’Empire qui conduisent les succès des armées françaises.
Érudition et précision
Péronnet veut distinguer trois temps dans les fêtes révolutionnaires : le concert centralisateur et civique, le temps cultuel et le bal populaire qui ouvrent sur les concerts dans parcs et jardins, donc payants et privés, rétablissant une ségrégation musicale.
Sur le climat nouveau introduit par les cérémonies funèbres révolutionnaires, Péronnet s’appuie sur des sources diversifiées afin de montrer que le deuil collectif devient « un ciment mémoriel pour ces temps nouveaux ». Il publie les sources anciennes (Le Ménestrel, Journal de l’Empire, archives parlementaires…) et les confronte aux travaux historiques (C. Pierre, J. Tiersot…) et aux dernières publications et recherches actuelles, en allant à la source, c’est-à-dire aux partitions de l’époque. Érudition et précision éclairent la période d’un jour nouveau par la luxuriance de détails significatifs qui permettent de mieux comprendre l’échec du régime et la nécessité d’un retour à l’ordre.
Péronnet demande de se départir de l’approche puriste pour reconsidérer les transcription ou transpositions, voulue et acceptée par l’auteur. « Entre concerts gratuits, multiplication des ensembles à vent militaires, paramilitaires ou civils, les œuvres transcrites touchent par ruissellement les classes sociales populaires », démocratisant l’écoute de la musique.
Avec le Consulat et l’Empire, Péronnet voit dans l’émergence des « fêtes bottées » et les parades des “oiseaux de paradis” une instrumentalisation de ces ensembles en de pures musiques militaires, donnant à la fois un répertoire, un faste et surtout se diffusant dans les États sous domination française. Il considère cette situation comme un piège pour un genre musical qui ne devient qu’utilitaire et donne des exemples particulièrement significatifs, « une part importante des compositeurs du temps, professeurs ou élèves du Conservatoire, s’éloigne sensiblement des ensembles à vent laissant la place aux seuls militaires-musiciens qui se spécialisent dans ce genre ».
Avec le passage au Consulat, Péronnet entre dans les détails de l’organisation des orchestres protocolaires avec l’augmentation des effectifs et de présenter leurs chefs de musique (Gebauer, Guiardel et Blasius). Guiardel est d’ailleurs crédité de la composition de la Marche de la Garde consulaire, sans plus de précision. Péronnet revient sur l’exécution de la Marche funèbre pour la mort d’un héros de Beethoven et une musique sacrée de Mozart pour la cérémonie funèbre du maréchal Lannes en 1810, un choix qui s’explique par l’année du mariage avec une princesse autrichienne.
Une présentation des Oiseaux de paradis
La suppression des musiques à cheval en 1802, est l’occasion de présenter ces formations, leurs musiciens, leurs instruments et leur répertoire. Péronnet identifie une composition de Génard, musicien des dragons de la garde impériale, comme « une des premières destinée à une fanfare de cuivres qui intègre d’autres instruments que les seules trompettes ». Il détaille les instruments adoptés dans ces formations (basson russe, serpent militaire, buccin) et décrit l’accueil de ces orchestres dans lors de leurs entrées dans les villes. Les batailles en musique inspirées des victoires poursuivent la glorification du fait militaire et l’héroïsation de ses grands chefs, « entre propagande et histoire ».
Les goûts musicaux de Napoléon ont été amplement décrits, et Péronnet s’intéresse à l’attitude des musiciens à son égard et donne plusieurs portraits de musiciens militaires souhaitant « que de nombreux chercheurs puissent examiner [les] riches fonds [du Service Historique de Vincennes] pour préciser encore ce que furent ces musiques régimentaires ou de la Garde impériale ». Ses recherches lui permettent néanmoins de présenter les « Oiseaux de paradis », sobriquet désignant les musiciens de la Garde impériale.
Plongée dans la critique musicale
Sortant du cadre des ensembles à vent, Péronnet étudie le « tambour-symbole ». S’il reconnaît que des enfants de troupe à qui on enseignait le tambour existaient bien dans les régiments royaux, il ne mentionne pas l’ordonnance du 10 septembre 1677 qui défendait expressément de confier la fonction de tambour à un jeune de moins de 18 ans « quoi qu’il sçache bien battre ». L’enfant soldat, et donc tambour, est bien une création révolutionnaire et il a raison d’affirmer que « longtemps encore le tambour et l’enfant tambour resteront symboles ».
Précis et méticuleux, Péronnet se penche sur les sources fournies par l’édition et la presse spécialisée puisque la période voit la naissance de la critique musicale. Il décrit la production et son inventaire est, à lui seul, une précieuse documentation. Elle lui permet de reprendre la liste des élèves du Conservatoire et d’en extraire les élèves militaires et leur répartition par instrument. Il considère ensuite que « la militarisation du régime bonapartiste et napoléonien favorise les ensemble d’instruments à vent », pendant que les bourgeois et les aristocrates pratiquaient une autre musique dans leurs salons, violon, harpe et surtout le piano.
Péronnet ne s’est pas contenté de publier sa thèse soutenue en 2012, il l’a enrichie des recherches qu’il poursuit inlassablement dans ce domaine qui est loin d’être épuisé. Les nombreuses références qui accompagnent son texte font de ce travail un outil pratique donnant accès à de multiples sources aussi variées que méconnues et destinent ces ouvrages à devenir une référence pour l’histoire des orchestres d’harmonie. On pourrait regretter les index, bibliographie et autres références habituellement fournis, mais ils figureront bien évidemment dans le dernier volume, des deux dont la parution est attendue.