samedi 31 août 2024

Et si on parlait de la condition militaire en cette fin d’année ?

La condition militaire recouvre l’ensemble des compensations accordées par la nation au militaire pour la restriction de ses libertés individuelles et pour son engagement au service de la collectivité. Elle est une conséquence de la spécificité militaire (Cf. Mon billet du 16 décembre 2012). Pour la prendre en compte dans la professionnalisation des armées, il a été notamment inclus dans l’article 1er du statut général des militaires de 2005 qu’un « Haut Comité d’évaluation de la condition militaire établit un rapport annuel, adressé au Président de la République et transmis au Parlement ».

Le 6ème rapport a été remis au président de la République le 16 octobre 2012. Qui en a entendu parler ? Quelles ont été les suites données aux propositions par l’exécutif, le législatif ? Rien, au moins publiquement. Bilan zéro. Le seul qui a fait écho du rapport sur son blog est Philippe Chapleau, sauf erreur de ma part. Il est vrai que les quelque 224 pages du rapport (et 184 pages en annexe) sont un peu rébarbatives, sans doute longues à lire, que la masse de données présentées (chiffres de 2010) manque aussi d’un ordonnancement facilitant la compréhension rapide des enjeux, qu’enfin la condition militaire recouvre tellement de domaines qu’elle est difficile à appréhender.

Enfin, il est clair qu’il y a aussi des dossiers plus importants à traiter dans la société civile que celui de la condition militaire d’une armée professionnelle qui ne dit rien. Pourtant Louvois a été un signal d’alerte qu’il serait opportun de prendre en considération sur le fonctionnement d’une armée professionnelle mais maintenant le Monde dans son édition du 23 décembre 2012 peut écrire « Noël sans solde pour des milliers de soldats français ». Oserai-je écrire aussi « A quand des sanctions exemplaires ? » et pas pour des lampistes. D’aucuns pourront dire que je suis « virulent » mais quand même est-ce que cette situation est acceptable ?

L’avis vigoureux donné mi-décembre par le conseil supérieur de la fonction militaire au ministre de la défense suite à sa dernière session est tout aussi significatif. En préambule, cet avis déclarait : « le Conseil tient à vous faire part de son fort mécontentement et de sa déception du peu de considération qui est accordé à ses travaux » (…) « De même, depuis plus d’un an, le CSFM alerte sur les dysfonctionnements en matière de paiements des soldes. A l’époque, il lui a été répondu que c’était un problème mineur qui ne tarderait pas à être résolu ».

Le CSFM a donc demandé une modification en profondeur des instances de concertation, de leur place, de leur mode de fonctionnement, la création d’un groupe de liaison qui entretienne avec le ministre un lien permanent, 3 sessions par an, dont une exclusivement consacrée à l’examen de questions de condition militaire, « librement choisies par lui ». Il souligne cependant que « de nouvelles règles ne peuvent suffire si les autorités entendent mais n’écoutent pas ». Il fait par ailleurs sienne les conclusions du rapport du HCECM évoquées dans ce billet.

Nous sommes bien dans le débat crucial sur la condition militaire qui émerge dans des forces armées bousculées, déstabilisées, inquiètes sur leur futur, sur leur capacité à remplir les missions qui leur seront données. Les opérations extérieures avaient pour effets à la fois la satisfaction d’agir en professionnels de la guerre et aussi, malgré les risques assumés, une solde correcte par les indemnités reçues, ne l’oublions pas. A noter qu’en 2010 les primes représentaient 35 à 50 % de la solde brute des militaires. Elles étaient donc une soupape pour une condition militaire mal en point. Le retour sur le territoire national met et mettra en avant d’autres préoccupations jusqu’à là plus ou moins mises de côté.

Je n’évoquerai pas le document du HCECM dans tous ses aspects. Il faut mieux que chacun le lise et fasse sa propre opinion en fonction de sa situation et de ses centres d’intérêt. Les grandes conclusions évoquées sont :

  • « le taux de sélectivité au recrutement faible des sous-officiers et militaires du rang en comparaison d’autres secteurs de la fonction publique civile,
  • l’augmentation de la mobilité géographique,
  • la baisse du nombre de militaires accédant à la propriété,
  • l’augmentation du taux de personnel sous contrat,
  • la diminution de l’indicateur d’activité des conjoints,
  • l’augmentation du taux de départ spontané des militaires du rang,
  • la baisse du taux de féminisation » (en contradiction avec des éléments du rapport).

Globalement, ce que j’en retiens est la grande inquiétude sur le recrutement et la fidélisation des militaires du rang, l’attractivité du métier. Leur durée en service est trop courte, environ 5 ans alors que les objectifs sont à huit ans avec l’effet négatif sur les coûts de formation. Cela conduit aussi à proposer des reconversions solides notamment vers la fonction publique civile qui accueille désormais environ 2000 militaires par an au lieu de 700. L’accompagnement des familles (logement, accès aux soins…) est reconnu comme un facteur indéniable de cohésion de la communauté militaire et du moral des forces en opération.

Ce rapport regrette que le rattrapage des soldes par rapport à la fonction publique civile n’ait été obtenu que par les indemnités de compensation aux contraintes et aux sujétions de la condition militaire. En outre, les revenus d’un couple comportant un militaire et un conjoint qui a aussi un emploi sont inférieurs de 18% par rapport à un couple de civils travaillant tous deux. Je lis aussi que le décalage entre les mesures prises au titre de la fonction publique, applicables à la condition militaire, et leur mise en application pour les militaires a été dénoncé : l’intervalle moyen constaté est de quatre ans. Est-ce normal, acceptable ?

Je lis donc avec surprise qu’il est demandé que le ministère de la défense soit associé à tous les travaux conduits pour la fonction publique civile (ministère en charge de la fonction publique) afin de mieux prendre en compte les spécificités du militaire. Un système de concertation permanent est aussi demandé entre les deux ministères. Le ministère de la défense ne défend-il donc pas les intérêts de ses propres administrés ? Les principaux concernés, en fait les militaires des trois armées et de la gendarmerie, donc pour nous l’état-major des armées et la DGGN, devraient être directement responsables de ces négociations et non d’autres directions qui ne sont pas forcément directement concernées par la condition militaire.

Quelques chiffres enfin : départ de 27% des militaires du rang avant la fin de la première année (2010) au lieu des 15% prévus, une féminisation de 15% comparable aux autres armées professionnelles, une moyenne d’âge de 32 ans, une promotion interne soutenue (armée de terre : 70% des sous-officiers sont sortis du rang, 70% des officiers sont issus des sous-officiers), environ 43 000 mutations en 2010, 70% des militaires vivent en couple. 71% des conjoints ont un emploi.

Enfin, pour être dans l’actualité, Secret défense ce 21 décembre attire l’attention sur la baisse de l’avancement en cette fin d‘année. Or, l’avancement ne fait-il pas partie de la condition militaire ? Pour comparer, il serait intéressant pour le HCECM d’étudier l’évolution de l’avancement en 2012 du personnel civil du ministre de la défense d’abord, dans la fonction publique en général ensuite.

Pour conclure, concernant la spécificité militaire évoquée lors d’un billet précédent et ayant suscité quelques échanges, ce rapport précise que « Les militaires ont un métier singulier. L’esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême, et la disponibilité figurent parmi ses  (lire sans doute « ces ») spécificités. La jeunesse de ses forces impose en outre son renouvellement constant. Les carrières comportent des particularités qui peuvent contribuer à écarter un jeune français du métier militaire. Il est donc nécessaire d’en développer l’attractivité. Dans ce contexte, la rémunération est une notion plus complexe que la simple rétribution d’un travail ou d’un service ». Effectivement, cela est bien spécifique et mérite un effort certain et concret à travers la condition militaire !

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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