mardi 26 novembre 2024

Friedrich Ludwig Jahn : « Turnkunst » et patriotisme allemand

Friedrich Ludwig Jahn (1778 – 1852) est un des grands noms de la gymnastique moderne, avec le suédois Ling. Jahn et Ling sont à l’origine du mouvement en faveur de l’éducation physique qui a pour eu effet de ramener la question de l’exercice et de la formation corporelle à l’avant-plan au début du XIXe siècle.

Jahn forgera le concept de Turnen (dérivant du mot Tournoi) pour désigner ce que dans les autres pays on continuait d’appeler la gymnastique, mot que Jahn méprisait car étranger à la langue allemande. Les villes allemandes se peupleront de Turnenplatz au XIXe siècle, palestres publiques où la jeunesse réappris la dignité à travers l’éducation physique et le jeu. L’Allemagne venait d’être battue à Iéna par la Grande Armée française. Les Allemands étaient un peuple humilié comme la France le sera après Sedan en 1870. Dans cet ouvrage, Jahn sert une vigoureuse harangue à ses compatriotes. Jahn fit partie du corp-franc du baron prussien von Lützow qui pratiqua la guérilla contre les troupes napoléoniennes entre 1813 et 1815.

Parmi les devoirs qui s’imposent à l’État allemand, outre celui de regrouper la nation éparse autour des symboles forts de la germanitude, celui de redonner de l’air et de la vigueur à ses jeunes, et surtout leur enlever la tête des livres. Il faut que l’Allemand retrouve la force de ses ancêtres qui n’hésitaient à affronter, en corps-à-corps, l’ours des sombres forêts germaniques.

La gymnastique sert un des leitmotiv du nationalisme germanique qui prend forme avec la naissance de l’État-nation. En « rebronzant » sa jeunesse, l’Allemagne saura s’imposer parmi toutes les nations, car elle seule aura conservée son identité ethnique, sa culture, ses racines.

Friedrich Ludwig Jahn

 

Extraits de Deutsches Volkstum (De la nationalité allemande), publié en France en 1825 :

Depuis 1648 l’humilité est un vice héréditaire chez l’Allemand ; il s’estime lui-même si peu de chose qu’il le devient en effet, et les peuples voisins le méprisent. On lit dans tous les livres de boudoir : L’Allemand est ainsi, et l’invective retentit de toutes parts. Parce qu’il est maintenant ainsi, chacun pense qu’il faut s’en servir comme il est. Aucun transrhénan ou transalpin n’ose lui refuser la force et la persévérance, qui est la véritable force de la victoire, car la simple inspection extérieure démentirait ce grossier mensonge. On n’attribue pas au lion ce qui l’a fait triompher de l’ours, et les hommes crédules le répètent et l’écrivent, car on le leur dit dans les pays étrangers. L’Allemand, et surtout l’habitant du N.E., soumis à de rudes travaux et à une nourriture grossière ne peut rivaliser avec les peuples du sud pour l’adresse et l’agilité ; à moins qu’il ne travaille dans ce but et n’exerce son corps. Lorsqu’il était encore chasseur, qu’il combattait l’ours corps à corps, qu’il conduisait ses troupeaux dans de vastes pâturages et cultivait peu les champs ; les Romains eux-mêmes s’étonnaient de leur agilité. En général, leur force consiste plutôt en infanterie ; ils ont des fantassins qui combattent mêlés aux cavaliers ; leur légèreté naturelle est favorable à ce genre de combat (Tac. Germ. VI). Teutoboch, roi des Teutons, était certainement supérieur à tous les écuyers modernes (Flor. I. III. c. 5.). Des Germains sauvèrent César dans l’insurrection générale des Gaulois, et dans les champs de Pharsale leurs coups de figure bien dirigés lui conquirent la domination du monde. Les Romains vantaient la belle tenue de la jeunesse germaine, qui l’avait certainement acquise par l’exercice. Ils furent tels pendant le Moyen Âge, jusqu’au temps de Maximilien qui fut le dernier chevalier sur le trône impérial. Les Allemands modernes ne soignent point leur corps, négligent d’acquérir une agilité indispensable, et méconnaissent leur force naturelle. Les Romains disaient d’un vaurien : Il ne sait nager ni lire. Nous autres bourgeois allemands à âmes de brebis, nous disons : Il ne sait ni lire ni prier. Que chaque père animé de l’esprit allemand crie à la mère pleine de sollicitude : « Ils doivent tout apprendre. Celui qui veut traverser vaillamment la vie, doit être armé pour l’attaque et la défense. » ( Schiller. Guill. Tell. )

Marcher, courir, scruter, lancer, porter, sont des exercices qui n’occasionnent aucune dépense, et sont praticables partout. L’État peut les exiger de tous, du pauvre, de la classe moyenne et du riche, car chacun en a besoin.

Grimper, monter, se tenir en équilibre, sont des exercices peu coûteux, et que l’on pourrait mettre partout en usage, moyennant une légère dépense de la part de l’État. On ne peut s’exercer à gravir les montagnes et les rochers que dans les pays de montagnes ; mais aussi ne devrait-on pas le négliger. Nager devrait être l’exercice principal dans les provinces abondantes en fleuves ; les fleuves qui ne sont pas navigables peuvent porter des nageurs. (Voir Lavater, sur l’Utilité et les dangers des bains dans les lieux libres ; suivi de quelques propositions pour en diminuer le danger, 1804).

La natation était fort estimée chez les Romains, et des exercices du Champ de Mars la jeunesse allait dans le Tibre (Veget. 1. I. cap. z o). Les petits-maîtres romains fuyaient le fleuve (Hor. od. 1. I. 8.); un jeune homme faisait consister sa gloire à être le meilleur nageur (Hor. od. 1. III. 7.). Il n’en est pas de même en Allemagne. Peu de temps avant la guerre de sept ans, on corrigeait par le fouet les enfants qui n’avaient pu résister au désir de se baigner dans la rivière. Un bain de sable leur était sans doute permis comme à des poules. Plus tard encore, pendant la guerre de la révolution, le surintendant d’une grande école en Prusse défendit les bains à ses commensaux sous peine de perdre sa table. Une telle éducation aurait-elle produit Sertorius et César, qui par leur habileté dans la natation sauvèrent leur liberté, leur honneur et leur vie ? Chez les Romains, tous devaient apprendre à nager, le fantassin, le cavalier ; le vivandier, et même le cheval (Veget. 1. III. c. 4.).

On connaît l’intrépidité du grand écuyer Seidlitz. En 1780, Wrzbicky, alors officier dans le régiment de Salzwedel, traversa souvent l’Elbe à cheval près de Tangermund, tandis qu’en 1805 les Cosaques n’osèrent pas le tenter à Boitzenbourg dans le Meklenbourg, quoiqu’on leur offrit une forte récompense.

Pendant sa jeunesse, le célèbre poète et prédicateur Jean Rist traversa souvent l’Elbe à la nage, depuis Altona jusqu’à Grafenhof, et cela dans les temps du reflux. Son père lui avait volontiers fait apprendre à nager, parce qu’étant tombé en Suisse entre les mains de brigands, ce fut en nageant qu’il sauva sa vie.

Glisser en traîneau
était, avant la guerre de sept ans, une faute grave et sévèrement punie parmi les écoliers ; plus tard on regarda cet exercice comme peu convenant. Il n’en devrait cependant pas être ainsi dans les pays où il y a des hivers.


Glisser avec des patins, art chanté par Klopstock, sur lequel Wieth a fait un discours, et préconisé par Frank dans sa Police médicale, n’est pas un exercice répandu aussi généralement qu’il pourrait l’être parmi la moyenne classe.

Le tir est un exercice auquel les jeunes gens se livrent volontiers. Les clefs péniblement limées et les fréquents malheurs qu’elles occasionnent, en sont la meilleure preuve. Cet exercice ne coûterait rien à l’état que l’inspection sur les tirs publics, et peut-être quelques lièvres aux gardes-chasse.

L’adresse nécessaire pour ramer, gouverner et manœuvrer, est indispensable au citoyen d’un état comme la Prusse, qui a des côtes basses, des îles, des péninsules, qui possède des fleuves, des rivières, dont les débordements causent de grandes inondations, et tant de lacs que les anciens géographes en comptaient plus de mille.

On peut lire dans Vegetius (1. I. c. g. 10. 11 . 13.) comment les Romains se livraient dès leur enfance à des exercices préliminaires à celui des armes, et principalement à ceux qui concernent l’art de la guerre ; nous-nous expliquerons alors toutes leurs grandes actions. Si l’on observe combien les exercices du corps sont tombés en désuétude, puisque savoir manier une plume d’oie et sauter au milieu d’une danse barbare est tout ce qui nous en reste, les merveilles de nos guerres modernes auront une cause toute naturelle. Montécuculi disait : « La force d’une armée repose sur les jambes de l’infanterie. » La seconde guerre punique n’eût pas été terminée auprès de Zama et de Sena gallica, ni la décadence de Carthage préparée, si Cl. Nero n’eût fait en six jours 260 milles romains (à peu près 90 lieues) sans relais ni transports. Annibal le dit à Livius, et de son temps il était le plus grand connaisseur dans l’art de la guerre. À la queue de la charrue, dans les ateliers et les carrosses, dans la chambre d’études et sur la place d’armes, on ne songe pas à de telles vérités ; on ne les y apprend pas non plus.

Des écoles d’armes et d’équitation doivent être annexées aux écoles des marches. Partout et sans de grandes dépenses, on peut s’exercer à la voltige. Les Romains l’apprenaient aussi, mais beaucoup mieux que nous pour la pratique, et sans toutes nos petites manières de tournebroches (Veg. l. II. c. 18)

Une véritable éducation du peuple, doit avoir pour but de préparer de futurs défenseurs à la patrie, aussi bien que de faire tendre à tout autre perfectionnement ; car on doit puiser dans chaque école des instructions pour l’usage et la pratique.

La plante dépérit dans l’obscurité, le glaive suspendu dans un coin se couvre de rouille, l’esprit devient obtus par le défaut d’exercice, la volonté qui ne peut se manifester devient souple et perd toute son énergie. Notre force corporelle est un trésor enfoui ; nous la laissons moisir jusqu’à ce que l’étranger vienne en faire usage. Comme puissance maritime, nous semblons nous être éloignés de la mer ; depuis longtemps on ne nous y entend plus tirer que le canon de détresse. Qui le sait encore, que la Hanse teutonique a été la première à faire usage du canon sur les navires ; que les Allemands ont enseigné aux Anglais la construction des vaisseaux de guerre ; que le grand prince électeur de Brandebourg avait une flotte possédait des établissements en Afrique (Baczkow, Petits écrits), qu’il prit à son service un célèbre amiral hollandais, lui donna le bailliage de Lenz et se fit payer des Espagnols qui n’acquiesçaient pas à une juste demande ? Ignore-t-on encore qu’en 1790 les marins allemands décidèrent la bataille de Swenskesund, et que leur chef, navigateur allemand de Wolgast, mangeait encore, il y a quelques années, dans la vaisselle d’argent du prince de Nassau ?

Nous étions autrefois les meilleurs tireurs, nos chasseurs le sont encore. Nous avions les premiers nageurs de l’Europe dans la classe patriote des sauniers. On n’a pas su s’en servir ! On a fait quelques tentatives à cet égard dans la Silésie, où les pêcheurs et les mariniers devaient apprendre à nager. Pourquoi ne l’a-t-on pas fait partout ? Les pêcheurs de Krollwitz près de Giebichenstein, ont de temps en temps des joutes, espèces de tournois sur l’eau. Cette fête populaire, bien décrite dans la Mercure de Wieland, rendait les pêcheurs courageux et désireux d’honneurs. Pourquoi ne, laisserait-ou pas aux corps des pêcheurs le soin de se livrer chaque année à de semblables exercices, là surtout où ils sont nombreux, comme à Postdam, à Brandenbourg et à Damm près de Stettin ? Ce serait un très beau spectacle près de Strahlau. Les joutes n’occasionnent pas de grandes dépenses ; il faut seulement une lance obtuse et un bouclier de bois suspendu à la poitrine. Les pêcheurs ont des canots qu’un enfant peut conduire. On pourrait certainement établir une nouvelle saline près de Colberg, et une petite troupe de sauniers auprès de la Persante.

Le peuple allemand a pour toute sorte d’exercices des dispositions que l’on cherche à étouffer, surtout depuis le temps où les sages de l’État ont introduit la loterie. Krause a soigneusement énuméré ces divers genres d’exercices.

Les exercices du corps sont un moyen efficace pour arriver à une parfaite éducation du peuple, moyen qui a soutenu l’épreuve du temps chez les deux peuples, modèles de l’antiquité.

Les Grecs et les Romains savaient très bien ce qu’ils devaient aux exercices du corps. Les plus grands génies de leur temps, Platon, Aristote et autres, en faisaient l’éloge.

Notre ignorance ne peut maintenant nous excuser. Villaume en a fait sentir l’utilité pour les individus, Frank regarde cet objet comme digne des soins de l’État, et un parfait ami de la patrie, Guts Muths, a publié là-dessus un excellent livre.

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