Un nom oublié ?
Edmond Alphonse Léon Buat est né le 17 septembre 1868 à Châlons-sur-Marne (en Champagne aujourd’hui), où il passe son enfance avant le déménagement de sa famille à Nantes. Il intègre l’école Polytechnique en 1887 avec le classement honorable de 81e sur 220, il en sort mieux classé encore (31e) de sa promotion. Buat choisi alors le métier des armes en servant dans l’artillerie et rejoint les rangs du 12e RA à Vincennes le 1er octobre 1891. On l’y apprécie pour sa finesse d’esprit et son intelligence et il épouse le 18 mars 1893 mademoiselle Jeanne Bubbe, fille d’un général de la même arme.
En 1895, Buat présente le concours de l’ESG, qu’il intègre major. Prometteur, il est nommé en 1900 officier d’ordonnance auprès du commandant de la 6e brigade d’infanterie, très travailleur il est repéré par ses supérieurs. Il sert deux ans dans les rangs du 25e RA jusqu’en 1911 avant de devenir successivement l’officier d’ordonnance du gouverneur de Lyon, puis celui général Lacroix membre du CSG, sous-chef du cabinet du ministre avant d’être promu lieutenant-colonel en 1913 ; il devient alors professeur adjoint du cours d’histoire militaire de stratégie et de tactique générale à l’ESG, un poste alors très prisé dont la détention sous-tend la réalisation d’une belle carrière. A tous ces postes, Buat est décrit comme un officier intelligent, remarquable et prometteur. Lorsque la grande guerre éclate, il est affecté au très influent 3e bureau des opérations du GQG, celui qui gère les opérations.
Un monument de témoignage
Présentées et annotées par Frédéric Guelton, les 1471 pages du journal du Général Buat représentent un véritable monument de la mémoire de la Grande Guerre. Tout au long de la guerre et même après, Buat consigne tout dans son journal ; ses impressions, ses activités, les événements, les discussions auxquelles il assiste ou prend part. Buat cependant ne parle que très peu de sa famille, hormis parfois de son épouse ou sa mère qui est malade. Le récit est plein de spontanéité, loin des mémoires post-guerre rédigées par la plupart des généraux comme œuvre de justification. Ce journal est une chronique presque au jour le jour de la guerre, mais cependant on ne peut concéder une totale objectivité à l’auteur. En effet, Buat a aussi ses ennemis qu’il ne manque pas de fustiger pendant son récit, lui-même se rattachant à l’école tant décriée des officiers brevetés d’état-major prônant l’offensive, qu’on qualifiait alors de jeunes turcs. Il critique particulièrement et injustement le général de Castelnau, adversaire farouche des jeunes turcs, qu’il juge trop vieux et défaitiste avec des idées anciennes. Duchêne aussi est par ailleurs critiqué, bien qu’il appartienne à la même école de pensée, supérieur de Buat pendant la bataille de la Somme, il dresse le portrait d’un homme sec au caractère détestable, reconnaissant toutefois ses qualités intellectuelles ; point de vue unanimement partagé. À la fin de la guerre, il n’apprécie pas plus Mangin, pour son caractère et son ambition démesurés d’après lui. À contrario, il tient en haute estime Fayolle, auteur lui aussi de carnets fort intéressants sur le déroulé de la guerre, et Lyautey pour qui il a un grand respect.
Son journal est constitué de douze cahiers, sept sur la Grande Guerre et cinq pour l’après-guerre. L’intérêt de ces carnets réside dans la multiplicité et la diversité des postes que Buat a occupé pendant la durée de la guerre, tour à tour dans des fonctions de commandement, d’organisation générale ou de coordination politico-militaire. Il est successivement chef d’état-major de l’armée d’Alsace en 1914, puis au cabinet du ministre de la guerre Millerand avant de commander une division, un corps d’armée puis une armée notamment pendant la bataille de la Somme. Buat est le concepteur de la réserve générale d’artillerie lourde (RGAL puis RGA), un des outils de la victoire mis sur pied en 1917. Puis en juillet 1918, il devient numéro 2 de l’armée en devenant major général du GQG sous Pétain. À la fin de la guerre, il est confronté au défi de la réorganisation et de la démobilisation de l’armée française. En janvier 1920, il devient chef d’état-major de l’armée où il prend les décisions compliquées de l’après-guerre : Pologne, occupation de la Haute-Silésie, appui aux armées blanches, organisation de l’occupation de la Ruhr. A ce poste, il collabore avec cinq ministres de la guerre notamment Barthou ou Maginot avec lequel il est parfois en conflit sur les lois de programmation militaire. Jusqu’à sa mort subite en 1923, Buat est un fervent défenseur de la modernité et de la montée en puissance de l’armée face à la menace d’une guerre qu’il estime inévitable à l’horizon de 20 ou 30 ans.
Les carnets
Dans le premier carnet sont consignés les événements du mois d’août 1914 où il est lieutenant-colonel chef d’état-major de l’armée d’Alsace. Il y raconte les balbutiements d’un début de campagne difficile et les conséquences de l’impréparation à la guerre.
Dans le second cahier, Buat est appelé à rejoindre le cabinet du ministre Millerand fin août 1914. Il y raconte les intrigues politiques et les échanges avec l’allié britannique.
Troisième cahier, Buat est désormais général de brigade et commande la 245e brigade d’infanterie à partir de novembre 1915. Pour lui c’est un honneur de commander des troupes au feu, il fait tout pour rendre le quotidien plus agréable à ses hommes et commande des travaux de renforcement des positions défensives. Puis, aide-major au GQG il milite pour des renforts sur la bataille de la Somme auprès de Joffre qui préfère donner raison à Pétain et donner plus de moyens à la bataille de Verdun. Buat parle alors des luttes d’influence au cœur même du GQG avec les courants de plusieurs écoles qui s’affrontent et critique le manque de caractère de Joffre.
Au quatrième carnet, il prend le commandement de la 121e DI en mai 1916 et participe à la bataille de la Somme. Buat étant partisan d’une offensive de grande envergure française dans le secteur, son rôle est amoindri et il ne parvient pas à imposer ses idées, sans compter sur son incompatibilité avec son supérieur, le général Duchêne qui commande le 2e CA. Peu après, Buat prend le commandement d’un CA et se penche sur l’intérêt des armes nouvelles tel que les chars ou les mitrailleuses.
Dans le cinquième carnet, Buat est appelé à travailler sur le projet de la RGAL puis RGA, la réserve générale d’artillerie qui consiste à regrouper en une entité unique, aux ordres du GQG, une masse d’artillerie à vocation stratégique. Le général Buat relate la difficulté d’imposer ses vues face à la bureaucratie et d’obtenir les matières premières nécessaires à la réalisation de son projet. Lors de la bataille du Chemin des Dames, Buat commente vigoureusement les mauvais choix de Nivelle et rejoint les critiques de Pétain et Micheler à l’égard du nouveau chef du GQG. Dans ce carnet, il relate un entretien avec Churchill dans lequel il essaye de le convaincre du bien-fondé du concept de la RGA.
Sixième carnet, nous sommes en février 1918 et Buat retourne sur le front pour prendre le commandement de la 33e DI stationnée alors à Verdun puis du 18e CA. Il profite du calme relatif du secteur pour faire effectuer des travaux d’aménagements défensifs et mettre en application les dernières nouveautés tactiques et matérielles.
Septième carnet, à partir du 10 juin Buat est nommé au commandement de la 5e Armée alors stationnée près de Reims. Il relate la fin des grandes offensives allemandes, mais n’imagine pas encore que le délitement allemand est proche. À contrario Buat pense que la guerre peut encore continuer jusqu’en 1920. En juillet 1918, il est appelé à remplir les fonctions de major général au GQG, numéro 2 de l’armée française. À ce poste Buat relate les relations parfois difficiles entre Pétain et Foch, les difficultés diplomatiques avec les Américains qui souhaitent constituer une armée indépendante. Malgré ses premières impressions, l’armée allemande ploie sous les coups de boutoir que les alliés lui infligent et l’été est favorable à un retournement de situation en faveur des alliés. Par son récit, il témoigne de la surprise des hautes autorités vis à vis de l’effondrement allemand. Les plans pour de nouvelles offensives sont déjà dans les tiroirs, dont celle de l’offensive du 14 novembre préparée par Castelnau. Pour finir, Buat parle des conditions d’armistice infligées à l’Allemagne, il est surpris par leur dureté particulièrement pour ce qui concerne la marine allemande en faveur des Britanniques ; « La lecture des conditions est effarantes. La capitulation est absolue ».
Dans le huitième carnet, Buat occupe toujours le poste de major général au GQG alors nouvellement installé à Metz. Il dresse le bilan de la guerre, les tensions au GQG, le caractère difficile de Foch dans la dernière année de guerre mais aussi les difficultés de s’entendre avec l’allié britannique sur les questions d’Orient. Plus largement, il revient sur les intrigues politiques, l’échec de Nivelle au Chemin des Dames et les opérations en général. Buat parle beaucoup dans ce cahier de Foch et de Pétain, des relations parfois difficiles qu’ils ont entretenues mais aussi du caractère de chacun. Il rapport en début de carnet une conversation dans laquelle ces derniers, en compagnie de Weygand, viennent remercier chaleureusement Buat pour ses excellents services pendant la guerre. Il reçoit à ce titre la croix de commandeur de la LH avec la citation suivante « Au cours des opérations particulièrement actives qui se sont déroulées depuis juillet 1918, a su allier, dans les plus importantes fonctions de major général, son remarquable sens tactique à une autorité incontestable ». Buat rapporte aussi sa discussion avec Pétain sur le tableau des mérites de Foch, dans lequel il inscrit dans une colonne les noms des candidats potentiels au maréchalat, dans une seconde les années de guerre, marquant d’un trait rouge les mérites de chacun. Évidemment, Foch lui-même figure sur ce tableau, et en première place. Buat raconte les scènes de liesse observées en Alsace mais son esprit est déjà tourné vers l’avenir, les questions de mobilisation et de réorganisation. Il imagine déjà une nouvelle guerre inéluctable d’ici 20 à 30 ans.
Neuvième carnet, Buat quitte son poste d’inspecteur de la 11ème région militaire pour être nommé chef d’état-major des armées le 24 janvier 1920, succédant au général Alby. Ce carnet est largement consacré aux questions de réorganisation et modernisation de l’armée. Il se heurte à de nombreuses difficultés, à l’incompréhension d’une partie de la classe politique, les grèves et la difficile occupation de la Ruhr. Dans ses écrits, il traite à plusieurs reprises de la question bolchevique, qu’il perçoit comme une menace.
Dans le dixième carnet, il est question de la période du 1er janvier 1921 au 31 décembre 1921. Buat parle de la nomination des maréchaux, s’opposant à la promotion de Castelnau et étant favorable à Lyautey. Il est aussi question des questions internationales avec le bolchevisme, l’entente avec les Britanniques ou la nouvelle Turquie. Les fréquents changements ministériels dérange Buat dans ses projets et rendent difficile l’imposition d’une vision à long terme. Sur les questions du Levant, il se bat pour accorder des crédits à Gouraud mais se heurte à Mangin concernant l’emploi des troupes indigènes, qu’il trouve absurde et irréaliste.
Onzième et dernier carnet, Buat toujours en poste comme chef d’état-major des armées rapporte les querelles au GQG entre les différents courants de pensée ne permettent pas l’élaboration d’un nouveau plan de concentration dans les meilleures conditions. Il raconte les embûches parlementaires auxquelles il est confronté pour faire voter des crédits et peine à imposer ses vues sur le recrutement ou l’adoption de nouveaux équipements. Dans ce carnet, le général rapporte l’affaire des sous-lieutenants Herduin et Millant du 347e RI, fusillés le 11 juin 1916 pour avoir reculé jusqu’à la citadelle de Verdun sous la pression d’une attaque allemande dans leur secteur. Les communistes à l’assemblée souhaitent leur réhabilitation et mettent en cause le Général Boyer qui a ordonné leur exécution. Buat parle aussi longuement des relations internationales, de ses visites à l’étranger et rencontres avec les ministres ou généraux d’autres pays. Jusqu’au 20 décembre 1923, Buat consigne son emploi du temps, ses travaux et ses impressions dans son journal.
Le 24 décembre, le Général Buat malade s’alite, il est opéré dans un hôpital du XVIe arrondissement à Paris le 27 décembre. Cependant, il meurt pour une raison inconnue le 30 décembre à l’âge de 55 ans. Nul doute que si le Général Buat ne serait pas décédé aussi brusquement, il aurait accédé aux plus hautes fonctions et pu mener son œuvre à terme. Il nous laisse cependant un des plus grand témoignage écrit de la période. Un grand homme qui mérite d’être davantage connu aujourd’hui, et pour cela on peut remercier les éditons Perrin en partenariat avec le Ministère de la Défense (des Armées aujourd’hui) pour la publication d’un tel monument.
Bonjour,
Je réagis avec retard à ce très intéressant article sur le général BUAT figure effectivement bien oubliée aujourd’hui.
Le sculpteur Emile GUILLAUME (1867-1954) a réalisé le buste en bronze du général en 1926. Il se trouve actuellement au Musée de l’Armée au Invalides.
GUILLAUME est lui une figure oubliée de la sculpture française. Il est notamment l’auteur du monument de Floing « Aux braves gens » 1910 destiné à rendre hommage au sacrifice de la cavalerie française le 01 septembre 1870. Du monument « aux victimes du Pluvîose » Calais 1913, de huit monuments aux morts, d’un buste du général GOURAUD et plusieurs autres œuvres destinées à rendre hommage au sacrifice des soldats de 1914-1918.
Bien cordialement.