La guerre contre l’islamisme radical doit être réfléchie dans le cadre d’une stratégie générale. Sans que rien n’apparaisse publiquement concernant son contenu, la « Revue stratégique » a été remise par Arnaud Danjean ce 5 octobre à la ministre des armées.
Ce document vise à amender le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013. Une fois rendu public, peut-être pour en débattre, nous verrons si l’ennemi islamiste y sera référencé à la différence du Livre blanc de 2013. Il avait été effacé malgré le document préparatoire diffusé en mars 2012 pour la mise à jour du Livre blanc de 2008 par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (Cf. P51 et 52 du document, partie intitulée « La menace terroriste jihadiste persiste, mais évolue »).
Comme je l’écrivais en septembre 2014 avant l’attentat contre Charlie Hebdo du 7 janvier 2015 (Cf. Mes billets du 14 septembre 2014 sur l’ennemi mais aussi du 21 septembre 2014 sur la sécurité nationale face au djihadisme et du 28 septembre 2014 sur l’islam en France et la guerre) : « De fait, malgré des « Livre blanc » qui auraient dû l’identifier, l’ennemi n’existe pas pour la France. Son absence n’est certes pas récente. Les « Livre Blanc » de 1994, de 2008 et de 2013 n’emploient pas le terme « ennemi », privilégient celui d’adversaire, évoquent essentiellement les risques et les menaces devenus la norme pour ne désigner personne. Le Livre blanc de 2013 se limite même à évoquer seulement, à une reprise, la radicalisation ou l’auto-radicalisation d’un adversaire potentiel ».
Nos décideurs seront-ils plus lucides, sinon plus courageux en 2017 ? A voir. En attendant, armons-nous moralement et élargissons notre culture générale sur l’ennemi. « Histoire de l’islam radical et de ceux qui s’en servent », ouvrage paru aux éditions Lavauzelle, maison d’édition aux attaches anciennes avec les armées, peut y contribuer.
Pourquoi le lire ?
Son auteur, le général (2S) Pinatel, a un franc parler que je ne peux qu’apprécier. Son expertise dans le domaine de la géopolitique est réelle. Je l’ai rencontré pour ma part en 1988 au SIRPA, ancêtre de la DICOD, alors que j’étais affecté comme officier chargé de la presse au SIRPA-Terre. Après avoir quitté l’institution militaire, il est devenu chef d’entreprise. Une carrière complète donc.
Le sujet de l’islam radical est d’importance bien que nombre d’experts soient apparus depuis 2015 au point de se demander où ils étaient avant et ce qu’ils faisaient. Nonobstant ce fait, le général Pinatel apporte une réflexion de soldat pour mieux connaître l’ennemi et le combattre avec efficacité.
Il pose la question que beaucoup se posent au risque de se faire condamner pour « islamophobie » : l’islam est-il compatible avec la République ? Une autre question en découle : l’islam radical (ou islamisme radical, il faudra bien trancher le terme officiel à attribuer à la menace et donc à l’ennemi) doit-il être toléré dans une démocratie au nom du respect des libertés individuelles ? La réponse paraît pourtant « presque » simple : non. Les libertés individuelles, donc de quelques-uns, ne doivent pas s’imposer à une société dans sa totalité. Cette réflexion conduit naturellement à redéfinir ce qu’est la tolérance dans une société démocratique et aux limites à fixer.
Le contenu
Cet ouvrage balaye donc trois siècles de salafisme et de prosélytisme islamiques avec des complicité occidentales selon l‘auteur. Je regrette cependant qu’outre des erreurs de relecture, quelques erreurs importantes notamment de dates, nuisent parfois à la qualité de cet ouvrage. Or, argumenter, débattre pour convaincre dans cette guerre idéologique imposent des informations incontestables pour ne pas perdre toute crédibilité.
Cet ouvrage est organisé en quatre sections et dix-huit chapitres qui retracent la montée en puissance du salafisme depuis le XVIIIe siècle. La première section donne les bases historiques de la compréhension de la menace. Nul combattant de la République ne peut ignorer aujourd’hui l’histoire de ce courant religieux et bien sûr ce qu’est l’islam. La seconde partie montre l’instrumentalisation de l’islam par les Etats-Unis pour lutter contre l’ex-Urss. La troisième partie présente l’émergence de l’autonomie wahhabite et le développement de son prosélytisme. Enfin la quatrième partie conduit à la réflexion sur la stratégie à mener pour combattre l’islamisme radical.
Il est intéressant de noter que cet ouvrage n’ignore pas les Frères musulmans, qui, par leur idéologie religieuse, sont au moins aussi dangereux que les islamistes d’al-qaïda et de daech. Une démocratie trouvera toujours une parade contre un mouvement extrémiste violent mais sera relativement démunie au nom « des libertés » pour combattre une idéologie qui ne fait pas appel officiellement à la violence.
Dénoncer l’absence de stratégie militaire de la France contre daech me semble en revanche exagéré. Daech et les islamistes radicaux doivent être détruits et cela est en cours au moins dans leur emprise territoriale au Levant. Le combat suivant sera là où ils se réinstalleront y compris sur le territoire national.
De la guerre permanente contre l’islamisme radical
Une guerre a pour objet d’éliminer physiquement la menace et un ennemi. Cependant, une idéologie ne peut pas être éradiquée. Elle peut être contenue notamment par l’encadrement certes aléatoire de ses moyens d’expression, de recrutement, d’endoctrinement, d’influence aussi. A ce titre et je rejoins le général Pinatel, autant les armées sont naturellement vigilantes, autant la société ne l’est pas et oublie rapidement la menace si elle ne la voit pas, notamment par la banalisation du fait religieux islamique « non violent ».
Un exemple récent est sans doute ce communiqué de la présidence de la République suite à la mort au combat d’un adjudant du 13e régiment de dragons parachutistes. Il est décédé en combattant le terrorisme et non l’islamisme radical. Or, on ne combat pas le terrorisme qui n’est qu’un moyen d’action mais l’idéologie qui emploie cette arme. Le vote d’une loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ne sera pas suffisant si l’ambiguïté se perpétue.
D’ailleurs tous les documents officiels ou presque évitent le terme d’islam radical ou d’islamisme radical. On évoque en revanche l’extrémisme violent car, surtout « ne stigmatisons pas ». Or, la menace est identifiée : l’islamisme radical et donc cette frange de l’islam qui n’accepte les règles de nos sociétés. Aujourd’hui, 18 000 personnes, avec une croissance qui ne se dément pas, sont surveillées pour leur appartenance à la mouvance islamiste radicale. 35% de convertis, 27% de femmes, 17% des mineurs selon le Monde (3 mars 2017). 15%, soit 2700, sont étrangères (Valeurs actuelles du 5 octobre 2017).
C’est alors le rôle de l’Etat entretenir la vigilance des citoyens d’une part, d’organiser une stratégie de lutte pour le long terme d’autre part. La revue stratégique devrait y contribuer. Malheureusement, l’attentat récent de Marseille et les failles qui se révèlent montrent l’affaiblissement de nos institutions pour faire face aux islamistes même si un autre attentat a été déjoué… par hasard.
Pour conclure
Marseille a montré aussi la qualité de la formation de nos militaires d’active et de réserve puisque c’est un caporal-chef réserviste, de la Légion, qui a abattu le terroriste, évitant par ailleurs d’abattre des individus armés réagissant à l’agression mais qui se sont révélés être des policiers « hors service » ! Quel meilleur exemple que ce citoyen en arme défendant la Cité !
L’Etat et les citoyens doivent maintenant se mettre en ordre de bataille pour le long terme et s’approprier cette « guerre » en temps de paix. Une résilience à l’influence salafiste, souvent soutenue par la complaisance de l’extrême-gauche, doit être construite, entretenue. La revue stratégique devra répondre aussi à ce défi.