Invasions militaires, guerres économiques, terrorisme de masse : la multiplication des crises tire les vieilles nations européennes de leur torpeur morbide. L’heure n’est plus à la fin de l’histoire mais au réarmement moral de toute la société et au combat.
Les Européens ont fini par croire qu’ils avaient mérité de vivre en paix en abandonnant toute volonté de puissance et en substituant un espace inclusif à leurs identités historiques.
Malheureusement, il ne suffit pas de refuser la guerre pour y échapper et aucun renoncement ne désarme l’ennemi. Le péril nazi n’a pas été vaincu par des mots mais par les obus et les bombes incendiaires qui ont écrasé ses hommes et rasé ses villes. L’Union soviétique n’a pas été contenue par les militants pacifistes et le pouvoir des fleurs mais parce que des divisions robustes montaient la garde, prêtes à lui faire payer le prix du sang, et que les armes nucléaires américaines, françaises et britanniques lui promettaient l’Apocalypse en cas d’agression.
Si vis pacem, para bellum*
A la fin de la guerre froide, les démocraties étaient fortes. Si elles avaient fait l’effort de le rester, elles auraient pu forger le monde un peu plus sûr et meilleur auquel elles aspiraient.
Cédant aux sirènes de l’hybris, l’Amérique a préféré dilapider ses forces sans profit dans les aventures irakiennes et afghanes. L’Europe, elle, a choisi la voie du renoncement. Lovée dans le cocon de ses illusions, elle s’est désarmée, troquant ses vertus pour le confort et les fatigues régaliennes pour une administration tentaculaire chargée de suppléer la Providence d’antan.
Les Européens fatigués ont cru que l’histoire s’arrêterait parce qu’ils avaient décidé d’en sortir sans bruit. Ils ont cultivé, par mollesse et par snobisme, une fragilité égocentrée adaptée à la société de consommation qui était devenu leur horizon. Pendant que les masses réduisent leurs valeurs et leur honneur au consumérisme, les élites androgynes qui mangent de la salade s’interrogent sur leur sexe, à l’image des derniers byzantins sur celui des anges.
Plutôt que de se réformer, les Français ont choisi d’appeler « valeurs », les pathologies sociales qui les rongeaient. C’est ainsi que les chiens en laisse ont remplacé les enfants dans les jardins ; que les amoureux ont abandonné les bancs publics à des vieillards sans foi et sans espérance ; qu’au peuple le plus impertinent de la terre ont succédé des masses dépressives qui baissent les yeux.
Les hommes faibles ont la morale de leur caractère et leurs bonnes intentions affichées ne sont que trop souvent le reflet de la lâcheté. Les Français ont fermé les yeux sur les conflits éloignés et réduit les attaques terroristes portées sur leur sol à des événements dramatiques, certes, mais accidentels, pour ne pas avoir à se battre. Ils ont osé appeler force leur résistance à la colère, elle n’était qu’un manque de nerfs et de tripes. En jouissant de la paix sans préparer la guerre, ils ont engendré le chaos.
Comme toute société fermée, la nôtre voulu se donner l’illusion de vivre en surévaluant les micro-événements qui la touchaient, aveugle aux bouleversements de son temps. Elle a appelé « haine » la contradiction ; « agression sexuelle », une blague grivoise ; « brimade », la gifle reçue par un gosse mal élevé. Alors la guerre !… Elle n’était même plus impensée mais impensable.
Le retour de la guerre
La bulle ouatée dans laquelle nous vivions s’est crevée. L’actualité nous rappelle que la haine, c’est d’écraser la tête d’un vieillard à coups de bottes et d’étêter son fils dans le Karabakh; que la violence sexuelle, c’est de cracher sur le corps dénudé d’une jeune israélienne aux jambes désarticulées que l’on a violée à mort ; que les brimades, ce sont des soudards alcoolisés qui mutilent et torturent leurs prisonniers dans les caves sombres du Donbass.
Ce que subissent aujourd’hui nos voisins aujourd’hui, nous le connaîtrons demain. Les attentats qui s’égrènent au fil des ans n’étaient ni des accidents, ni des épreuves passagères mais les prémices de violences plus graves. La fragmentation de notre société est en cours. Péril intérieur et menaces extérieures s’accumulent. Le déchaînement anti-français dans les zones qui fournissent justement les plus gros contingents d’immigrés sur notre sol, l’enracinement d’un antisémitisme confondu avec l’anti-occidentalisme, la guerre durable à l’Est de l’Europe, le réveil géopolitique de puissances rivales qui ne nous craignent plus, annoncent le temps des épreuves.
On ne choisit pas plus ses ennemis qu’on ne les désarme avec des bougies et des ours en peluche. Les nôtres ne nous reprochent pas tant ce que nous faisons que ce que nous sommes. C’est bien pire. Aucune concession ne les fera reculer. Ils attaquent notre passé pour digérer leurs frustrations d’aujourd’hui ; ils convoitent nos richesses pour ne pas avoir à créer les leurs ; ils combattent la liberté au nom d’un communautarisme holiste. Ils cherchent, enfin, tout simplement à nous détruire.
Une démocratie faible n’en est pas une
Pendant trop d’années, nous avons eu honte de notre force. Nous avons idéalisé le faible. Il suffisait de s’autoproclamer victime pour jouir d’une impunité totale. Nourri de cette approche, le droit lui-même, qui est censé apaiser l’espace public, a été détourné de sa finalité. Ainsi avons-nous permis à des minorités de miner notre pacte social. L’activiste, le mafieux, le délinquant sont fort devant le citoyen, mais ils sont faibles devant l’État. Ils ont joué de cette ambiguïté pour désarmer nos institutions et prospérer au détriment de la majorité et ont enclenché le processus de décivilisation déploré par le président Macron. Nous devons combattre l’instrumentalisation de la faiblesse et nous rappeler que le droit peut aussi heureusement se trouver du côté du plus fort.
Sous prétexte de contextualisation, le relativisme a également puissamment contribué à nous désarmer. L’esprit d’égalité qui nous imprègnent, et qui refuse justement de juger un être humain sur ce qu’il est, a été perverti au point de refuser de juger ce qu’il fait et d’excuser les actes qui le sont le moins. La tolérance est devenue complaisance, renoncement, voire Collaboration.
Ajoutons le rejet pathologique de la violence, considérée comme tellement illégitime que l’agent public qui en use pour faire respecter la loi ou le citoyen qui se défend sont renvoyés dos à dos. Nous ne pourrons pas faire l’économie d’une réflexion sans tabou sur la violence dans une société en crise et un monde qui replonge dans la guerre. En 1944, les bombes éventraient des immeubles de Londres aussi bien que de Berlin. Une vie vaut une vie. Si l’on « contextualise » les bombardements de masse de la Seconde Guerre mondiale sous cet angle, les protagonistes qui tuaient des civils peuvent être renvoyés dos à dos. Pourtant, lorsqu’un bombardement tuait une famille anglaise, c’était imposer un totalitarisme homicide ; lorsqu’une famille allemande succombait, c’était pour éradiquer à jamais le nazisme. Est-ce équivalent ?
Les démocraties ne sont pas des régimes faibles mais virils. C’est pourquoi elles ont vaincu le nazisme, le fascisme et le communisme. Une démocratie faible n’en est pas une. Elle n’est alors plus en mesure de protéger la majorité et de s’assurer que sa volonté soit faite. Elle substitue le règne administratif au gouvernement délégué par le peuple. De fait, les changements politiques qui ont véritablement compté ces dernières années, la dérégulation économique, les Grandes Migrations et la supranationalité européenne se sont faites contre la nette volonté d’une majorité sans équivoque de nos concitoyens.
N’avons-nous pas progressivement renoncé à notre liberté politique, c’est-à-dire à la participation aux décisions qui engagent notre destin collectif, tant que nos droits individuels et notre niveau de vie étaient peu ou prou garantis ? Nous avons préféré l’assistance à la responsabilité et perdu l’esprit de décision et de combat. Notre modèle peine probablement à fédérer à l’intérieur et à attirer à l’extérieur parce qu’il est de moins en moins démocratique, c’est-à-dire de plus en plus vide de sens.
L’impératif du réarmement moral
Sans renoncer ni au principe d’humanité, ni au respect des droits de l’Homme qui sont notre ADN, nous devons être capables de réflexions critiques libérées de l’aveuglement des émotions immédiates
La faiblesse du déshérité appelle la compassion. Le respect des droits de l’homme et le principe d’humanité sont notre ADN. Mais la faiblesse consentie par les individus, les groupes ou les institutions qui renoncent à leur fonction protectrice alors qu’ils auraient la force d’agir est un crime – on pourrait écrire un livre noir des malheurs causés par la faiblesse et les bons sentiments.
Les chefs militaires français martèlent l’impératif de cultiver les forces morales. Celles qui permettent de tenir son trou de combat rempli de boue glacée sous le feu ennemi. Mais les forces morales ne sont pas que le fait des militaires. Les guerres ne concernent plus simplement les armées mais les sociétés dans leur ensemble. Violence économique, violence idéologique, violence culturelle, violence physique, violence politique et violence militaire concernent la nation tout entière comme l’actualité le rappelle tristement.
Nos entrepreneurs, cadres et travailleurs mènent une guerre économique sans pitié, qui nous oppose même à nos voisins allemands, ce peuple écologiste qui brûle du charbon pour empêcher l’industrie française de tirer avantage du nucléaire.
Nos intellectuels mènent la bataille des concepts contre le totalitarisme chinois, l’autoritarisme russe, l’obscurantisme islamiste ou le fanatisme woke qui, tous, interdisent les débats et appellent à brûler les livres.
Nos sportifs sont en guerre pour porter haut l’image que les Français eux-mêmes et les étrangers se font de notre pays.
Nos diplomates sont en guerre pour défendre la vision stratégique et les ambitions globales de la France que contestent nos adversaires mais également nos alliés, qui nous préfèreraient silencieusement alignés.
Nos fonctionnaires sont en guerre pour optimiser les services d’un État qui fut un modèle mais qui se grippe.
Nos professeurs sont en guerre pour transmettre savoir et esprit critique au risque de heurter des croyances obtuses et d’y laisser la vie.
Pour mener cette guerre, enfin, nos élus et nos partis politiques, ont la responsabilité de proposer leur vision stratégique pour la France en fonction de leurs convictions et des impératifs géopolitiques.
Réarmons-nous. Trouvons des ressources physiques et morales supérieures à celles de nos ennemis. N’ayons pas peur d’afficher nos intérêts et nos valeurs, de les défendre et de frapper si nécessaire. À l’intérieur comme à l’extérieur, nous avons cru nous faire aimer à la mesure de la faiblesse croissante de nos outils régaliens. Mais quand nous disions écoute, tolérance, rééquilibrage et refonte de nos relations publiques internationales, nos adversaires ont compris déclin, abandon et incapacité à assumer nos charges de puissance.
Nous devons réaffirmer notre droit à exister, à défendre une identité unique, à poursuivre notre aventure historique collective, à défendre subjectivement notre mode de vie, à commettre des erreurs mais aussi à affirmer la supériorité — je pèse le mot, de certaines valeurs sur d’autres.
Le monde se porte mieux quand la France est forte, et ses voisins européens avec elle. L’ordre des démocraties était naturellement imparfait, mais on a vu ce que valaient les alternatives.
La nuit tombe. L’heure des loups arrive. Nos compatriotes n’ont vocation à être ni des bêtes, ni des proies mais des citoyens forts, confiants, entreprenants, combattifs, ombrageux parfois, injustes exceptionnellement, généreux le plus souvent. Des hommes. Des Français.
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* Si tu veux la paix, prépare la guerre.
Mes félicitations et mes remerciements pour ce papier, M. Chauvancy.
Il est fait pour redonner la foi en soi-même et le goût d’être français, pas par chauvinisme ni par haine ou colère envers les autres, mais simplement par désir d’exister sans s’en excuser.
Vous présentez la seule façon d’être une nation qui autorise toutes les nations à exister, et à coexister, sans volonté d’être une menace et sans éprouver non plus un sentiment d’infériorité vis à vis des autres. Les principes que vous nous rappelez sont ceux qui ont parfois poussé les autres à admirer la France. Il nous faut les retrouver rapidement.
Tellement vrai ! Mais les français se désintéressent de ces problèmes. Ils sont uniquement préoccupés de loisirs.