dimanche 21 juillet 2024

L’armée israélienne à Gaza, une force armée efficace ?

Atlantico – CONTRE-PIED. Nombre d’experts militaires prédisaient une déroute à l’armée israélienne à Gaza. Voilà comment elle a réussi à les démentir.

Mon entretien paru le 18 février 2024 sur Atlantico

Atlantico : De nombreux experts prédisaient une déroute de l’armée israélienne à Gaza avec d’énormes pertes sur le plan humain. Est-ce que la stratégie militaire de Tsahal et la préparation face à la guérilla urbaine n’ont-ils pas été les principaux atouts pour limiter les pertes en son sein ?

François Chauvancy : Je ne faisais pas partie de ceux qui ont dit que l’armée israélienne allait subir une déroute et de lourdes pertes. En revanche, il n’était pas possible d’en ignorer les risques. Le contexte de ce conflit à Gaza est très particulier. C’est la première fois où, dans une bande de terre de 363 km², 2 millions et demi de civils avec 30 000 à 50 000 combattants entraînés et enterrés sont pris dans une situation où ils ne peuvent absolument pas s’échapper et attendre un renfort de l’extérieur. Gaza est une citadelle territoriale assiégée avec énormément de civils dans un contexte international où les Occidentaux privilégient la protection des civils avant les objectifs militaires à atteindre.

Israël est habitué aux combats en localité, notamment en Cisjordanie. L’armée israélienne a bien identifié la difficulté de Gaza Nord et elle a segmenté son offensive, palier par palier, malgré le risque permanent que tout n’étant pas découvert, il est possible de se faire prendre à revers par des infiltrés palestiniens. Cela implique un contrôle très strict du terrain. Toutes les maisons et tous les tunnels doivent être fouillés. Il s’agit d’une lente bataille qui se fait par étape. Certes l’armée israélienne s’attendait à des pertes importantes mais seulement 233 soldats israéliens ont été tués à la date du 16 février, soit en quatre mois. Or les combats en localité génèrent normalement beaucoup plus de pertes comme ce fut le cas à Marioupol en Ukraine par exemple .

L’armée israélienne s’est donc préparée à de lourdes pertes mais elles ont été en réalité faibles grâce à la formation des soldats et aux équipements militaires utilisés. L’armée israélienne a su parfaitement s’adapter à des combats en zone urbaine et à la difficulté supplémentaire du combat souterrain pour lesquels elle disposait d’unités spécialisées.

– L’atout de l’armée israélienne n’est-il pas de rester attaché à la méthode britannique d’instruction individuelle intensive prolongée pour les soldats qui, avant leur intégration dans des unités de combat en d’unités et leur déploiement sur le terrain, les oblige avant d’entrer à Gaza d’avoir au moins une année complète d’instruction au combat ? Est-ce que cela n’a pas été couplé avec un véritable travail sur les tunnels et sur le risque qu’ils soient piégés ?

Les années de service militaire sont une expérience très formatrice pour les membres de l’armée israélienne. Avec cette formation et cette exigence, l’armée israélienne est donc éminemment professionnelle, même s’il y a beaucoup de réservistes. Il y a deux ans de service militaire pour les femmes et trois ans pour les hommes, avec une remise à niveau d’un mois chaque année dans le cadre de la réserve. Les soldats israéliens sont donc très compétents.

Le fait d’envoyer des soldats trop rapidement au front avec parfois quinze jours seulement d’entraînement, cela s’est vu notamment pour les Ukrainiens, aboutit en effet à de lourdes pertes. Le fait d’avoir une longue formation, un service militaire, des périodes de réserve fréquentes font que le combattant, lorsqu’il arrive dans son unité, est apte au combat. En outre, il y a eu des remises à niveau avant le début de l’offensive dans le mois qui a précédé l’engagement des forces terrestres au Nord de Gaza.

Les actes élémentaires de combat à suivre en zone urbaine ont été rappelés, ce qu’il est possible de faire ou de ne pas faire en tant que fantassin à pied ou dans un blindé, en tant que « tankiste ». Il est très difficile en localité de faire travailler les deux spécialités sans oublier dans ce contexte la coordination interarmes avec l’artillerie et le génie pour le déminage ou la reconnaissance des tunnels sans oublier la coordination interarmées avec la marine et les forces aériennes pour éviter les frappes fratricides.

– Est-ce que d’un point de vue technique, des armements, des bombes intelligentes, des équipements un peu plus performants ou des mini drones ont-ils permis d’être plus performants et de moins dépendre des approvisionnements américains et de mieux cibler les objectifs principaux ?

La tactique militaire a progressé au sein des armées occidentales et pour les armées à l’Est de l’Europe, y compris les Russes. Les armées, au niveau de la section ou de la compagnie, ont dorénavant des drones à leur disposition, leur permettant de voir beaucoup mieux le champ de bataille et capables d’effectuer des missions de renseignement. Lors de combats en localité, les soldats ne savent pas où ils mettent les pieds. Ces moyens techniques vont apporter une aide précieuse en reconnaissant facilement par exemple les escaliers, les maisons jusqu’au niveau du groupe de combat (10/11 hommes). Par ailleurs, les Israéliens ont déployé une tactique très minutieuse dans les tunnels en utilisant des robots de reconnaissance. Des robots du génie ont été utilisés pour identifier ou déceler les pièges ou les mines.

Les bombes guidées existent depuis des années. Des équipes au sol guident la bombe d’un avion sur un objectif identifié. Nous ne sommes plus à l’époque de la Seconde Guerre mondiale ou de la guerre du Vietnam avec des super bombardiers comme le B-52 qui larguait des tonnes de bombes d’une manière indiscriminée. En outre les munitions coûtent cher. Certes les munitions guidées ont un coût supérieur par rapport à la bombe classique mais leur précision permet de frapper la cible avec une seule bombe et non avec un tapis de bombes qui manquera de précision et commettra d’importants dommages collatéraux

L’objectif premier des Israéliens dans cette opération à Gaza n’était pas de tuer des civils. Mais lorsque vous avez 363 km² de terrain, avec deux millions et demi d’habitants et des combattants ennemis immergés dans la population, la situation est très complexe. Lorsque vous avez identifié une cible militaire qui se trouve au milieu de la population, les solutions sont simples. Soit vous renoncez à la frappe mais vous ne remplissez pas la mission, soit vous bombardez mais il y aura des dommages collatéraux qu’il faudra accepter sinon expliquer. Dans ce contexte, la responsabilité me paraît cependant celle du Hamas qui fait de la population civile une cible permanent potentielle. L’objectif d’Israël est de détruire l’ennemi, le Hamas. La protection de la population n’est pas une priorité absolue ce qui ne signifie pas que cette situation n’est pas prise en compte

– Les chars israéliens Merkava ne représentent-ils pas un autre atout de l’opération israélienne ? Sont-ils plus résistants par rapport aux missiles russes Kornet utilisés par le Hamas ? Les blindés Namer permettant de transporter des troupes représentent-ils un avantage pour les forces déployées sur le terrain ?

Limiter leurs propres pertes humaines est devenu un acte essentiel dans les démocraties. La dureté des combats comme on le voit depuis deux ans en Ukraine impose d’assurer la meilleure protection possible aux combattants sur le champ de bataille et donc leur survie pour accomplir les missions qui ont été données. En l’occurrence les blindés apportent une partie de cette nécessaire protection qui donne aussi confiance aux équipages.

Les chars israéliens Merkava ont beaucoup évolué depuis les années 1980. Leurs 72 tonnes protègent efficacement les soldats. Outre le canon de 120 mm, le mortier de 60 mm, les trois mitrailleuses, quatre détecteurs identifient le guidage laser des missiles adverses. Enfin, un système de protection est en mesure d’abattre en vol les projectiles antichars des assaillants. Le chargement des munitions se fait extrêmement rapidement par une plage arrière. S’il est endommagé, il est très facile de quitter le char par l’arrière sans se faire tuer. Le blindage composite et réactif (faisant exploser le missile antichar avant qu’il ne pénètre dans le char) assure la survie de l’équipage. Tout est fait pour préserver au maximum la vie des hommes au coût de formation important avec un char parfaitement adapté.

Pour les blindés d’infanterie, le Namer a été conçu à partir du châssis du Merkava. Par sa tourelle téléopérée, c’est-à-dire sans que le tireur ne sorte du blindé, il peut apporter un appui feu par sa mitrailleuse d’autant qu’il possède huit caméras vidéo de vision périphérique pour l’observation de l’intérieur sans mettre en danger l‘équipage au prix cependant d’un blindé imposant de plus de 63 tonnes.

– Comment est-ce que tous ces éléments évoqués permettent-ils à l’armée israélienne de limiter ses pertes et d’être beaucoup plus efficace dans son objectif stratégique face au Hamas ?

L’armée israélienne a divisé l’offensive à Gaza en plusieurs phases. La première partie de l’opération concernait le Nord de Gaza pour limiter les possibilités du Hamas de cibler Israël. Il s’agissait de l’endroit où il y avait le plus de densité urbaine au départ. Un mois après, ils ont attaqué par l’Est pour commencer à cibler le cœur de Gaza.

Aujourd’hui, l’armée israélienne est concentrée dans une troisième phase qui concerne Rafah, au Sud. Donc les unités ont avancé progressivement. Au fur et à mesure des avancées, l’adversaire a été fortement diminué, permettant une avance plus aisée dans un territoire qui a perdu sa cohérence et affaiblit les capacités de contre-attaque du Hamas.

La progression s’effectue avec l’infanterie et les chars. Il semble qu’il y ait peu d’hélicoptères, sans doute plus vulnérables en zone urbaine. Les renseignements sont obtenus par les drones, par des soldats qui s’infiltrent, pouvant éventuellement récupérer des otages. Les unités du génie entrent dans les tunnels et mènent des opérations de déminage ou de dépiégeage. Compte tenu de la faible profondeur de Gaza (6 à 12 km de large), aucune zone n’est à l’abri des frappes de l’artillerie israélienne, de l’armée de l’Air sinon même de la Marine, donnant un appui « feu » permanent aux forces israéliennes.

Sur le champ de bataille, Israël essaye donc d’éliminer un maximum de cibles du Hamas. La stratégie est donc méthodique et progressive, quartier par quartier. Cependant, pour épargner la population civile à Gaza, les Israéliens ont lâché des tracts en précisant que tel quartier ne serait pas touché ou que telle partie de la ville serait ciblée au contraire. Toutes les informations aux populations ont été communiquées. Mais tous les Gazaouis n’ont pas forcément la possibilité de partir ou bien se trouvant dans des zones de plus en plus exiguës, aggravant la situation humanitaire.

L’élément le plus important concerne la détermination du pouvoir politique dans la poursuite de l’opération militaire. Or, il n’a pas l’intention d’abandonner son objectif militaire : détruire le Hamas ainsi que les autres mouvements, sinon au moins les déstructurer, tout en limitant autant que possible les pertes civiles mais l’opération militaire reste la priorité.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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1 COMMENTAIRE

  1. « Israël essaye donc d’éliminer un maximum de cibles du Hamas. »

    Possible qu’Israël essaie. Mais fort douteux que les 25000 bombes lancées aient chacune correspondu au ciblage d’un objectif identifié du HAMAS. Disons que Gaza est UNE cible identifiée du HAMAS. Ensuite Khan Yunis puis Rafah.

    L’armée israélienne avance, les fantassins marchant exactement là où sont passés les chars, lesquels se dirigent vers des secteur préalablement détruits par l’aviation, civils compris. Mais l’armée israélienne ne fait que passer et ne reste pas assez longtemps pour nettoyer chaque secteur.

    Les bonnes vieilles méthodes pour extraire des renseignements des suspects (captivis interrogatis) afin de localiser les chefs, les caches et les tunnels ont manifestement cours, et largement, ce qui n’est rien de nouveau pour Israël.

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