L’assassinat de deux fonctionnaires de police a malheureusement rappelé que la sécurité ne s’arrêtait pas à la fin du « boulot ». Face à une menace intérieure, quel que soit son niveau de dangerosité, chacun doit être vigilant en permanence et donc être méfiant dans sa vie au quotidien. Etre policier ou être militaire ne sont pas des métiers comme les autres.
Toute tentative de déstabilisation d’un Etat par la violence et les actes terroristes amène en effet, tôt ou tard, l’assassinat de représentants des forces de sécurité intérieure et des armées. Leurs familles plus vulnérables deviennent des cibles faciles. Le problème est que la méconnaissance de cette dernière vulnérabilité, sinon l’aveuglement, est d’autant plus grave que l’histoire contemporaine du terrorisme, des rebellions et des insurrections a montré la réalité de cette menace indirecte.
Sur l’anticipation de tels actes, je me permettrais de rappeler quelques réflexions, certes personnelles, sur cette situation prévisible qui me semblent restées pertinentes et pourraient être reprises comme propositions. Ainsi, en juillet 1997, j’écrivais dans « De l’armée de métier du lieutenant-colonel De Gaulle à l’armée de métier de demain » (Le Casoar, revue trimestrielle des saint-cyriens), « Sans vouloir recréer des cités militaires comme dans la gendarmerie, la sécurité des familles doit être assurée lorsque les époux sont en opérations ».
Je réitérais cette préoccupation dans un rapport d’octobre 2001 intitulé « La spécificité militaire existe-t-elle ? » au profit du conseil de la fonction militaire Terre dont j’étais membre. Dans le cadre de la condition militaire au sens large, j’attirais l’attention sur les mesures à prendre pour assurer « la sécurité des familles en situation de crise (OPEX, insécurité, terrorisme) ». Dans Mars, la revue de l’Ecole de guerre de février 2002, je précisais dans « Réflexions post-11 septembre : la démocratie et la guerre », « L’anti-terrorisme comprend aussi la protection des familles du personnel de la Défense. Le rôle des armées est donc tout à fait légitime sur le territoire national en collaboration avec les services du ministère de l’intérieur dans l’anti-terrorisme, au moins pour soulager les forces de police et de gendarmerie ».
J’évoquais enfin ce danger dans un article de la revue « Défense nationale » en mars 2014, « La sécurité intérieure : un domaine réservé à la police et à la gendarmerie ? ». J’y écrivais : « Les armées doivent être capables d’assurer leur propre protection sur le territoire national. Cela implique que les familles des forces armées sinon des forces de sécurité soient protégées, sans doute dans des logements regroupés dans des quartiers pourquoi pas militaires pour éviter menaces et représailles ».
Je ne pense pas avoir été le seul à m’exprimer sur cette menace à anticiper mais ces propositions ont rarement suscité un intérêt en interne. Il est vrai que les dividendes de la paix, une France éloignée de tout conflit à ses frontières, des élites dirigeantes peu au fait des questions militaires ou plutôt les trouvant sans intérêt, jugeant aussi les actions sécuritaires comme étant bien souvent « liberticides », tous ces facteurs ne pouvaient pas favoriser des mesures efficaces et surtout permettre la planification de ces mesures de sécurité de bon sens.
Où en sommes-nous aujourd’hui ? Par un grand aveuglement, décideurs civils sinon militaires ont mis de fait les familles des forces de sécurité en danger alors que, depuis l‘Afghanistan, nous savions que les familles des soldats en opérations au moins pouvaient être soumises à des menaces et à des pressions. Nos alliés comme les Danois ont vécu cette menace islamiste sur les familles des soldats en Afghanistan. J’en avais d’ailleurs rendu compte sans effet apparent alors que cela n’était pas public.
Cependant, malgré ces signaux dits faibles, peu de mesures ont été réellement prises. La guerre s’étant déplacée sur le territoire national, qui pouvait croire que les familles seraient épargnées à terme ?
Prévenir totalement ces attentats n’est pas possible. En revanche, les rendre difficilement réalisable est possible. Les forces de sécurité, qu’elles soient civiles ou militaires, doivent être en mesure de se protéger par elles-mêmes, y compris chez elles, et les mentalités doivent changer. Que les policiers soient en permanence armés est une bonne mesure. Il me semble cependant que cela devrait être aussi le cas pour les cadres des armées. L’ennemi doit être mis dans l’incertitude de la faisabilité de ses actes.
Quant aux meurtres barbares de nos deux fonctionnaires de police, ils montrent bien que le temps d’une extrême fermeté est venu. Je reste cependant circonspect devant cette peur, certes compréhensible mais exprimée si fortement par de nombreuses interviews de nos fonctionnaires de police, de leurs familles tout comme je suis circonspect devant ces revendications syndicales, y compris en amélioration de salaires. J’aurai souhaité entendre que les policiers allaient se battre contre l’islam radical. Je ne suis pas sûr que les salafistes aient été dissuadés de poursuivre leurs actes terroristes. Afficher une telle faiblesse émotionnelle, n’est-ce pas renforcé la volonté de nuire de ces barbares ?