À l’aube du 25 juin 1950, après une courte préparation d’artillerie, l’armée nord-coréenne, mettant fin à plusieurs années de tensions entre les deux Corée franchit le 38e parallèle : la guerre de Corée commence. Kim Il Sung, le leader nord-coréen à l’origine du déclenchement du conflit, espère venir rapidement à bout de l’armée sud-coréenne, mal équipée et peu instruite, c’est sans compter sur la réaction d’une partie de la communauté internationale. À l’initiative des États-Unis, l’Organisation des Nations-unies est saisie et, le 27 juin, son secrétaire général, Trygve Lie, lance un appel aux États membres afin de faire respecter le droit international. Une force multinationale se constitue donc sous l’égide l’ONU avec mission de restaurer par la force la souveraineté de la Corée du Sud.
La France, engagée en Indochine, devant faire face à ses obligations sur le théâtre européen et assurer la sécurité sur ses territoires d’Afrique du Nord ne peut consentir qu’un effort limité pour la Corée et refuse, dans un premier temps, d’envoyer des troupes au sol. Pour des raisons politiques (la France est membre permanent du Conseil de sécurité et entend malgré tout faire entendre sa voix sur les grandes questions internationales), les autorités françaises consentent finalement, le 25 août 1950, à mettre sur pied un bataillon formé de volontaires issus en majorité de la réserve. L’armée de Terre, confrontée à une grande pénurie en termes d’effectifs s’oppose en effet, dans un premier temps, à fournir des cadres et troupes d’active pour le théâtre d’opérations coréen[1]. Le bataillon français de l’ONU (BF/ONU) est né. Aux mois de septembre et d’octobre 1950, il s’organise à Auvours, près du Mans, avec des réservistes venus de toutes les armes : fantassins, cavaliers, artilleurs, sapeurs, etc. Il est prévu de combler les pertes au moyen de détachements de renforts (DR), seize au total seront constitués entre 1951 et 1953. Pour donner un relief et un prestige particulier à la modeste participation française, le général de corps d’armées Monclar abandonne momentanément ses quatre étoiles pour les cinq ficelles de lieutenant-colonel et est nommé à la tête d’un état-major des Forces terrestres françaises (EMFTF) qui coiffe le BF/ONU. Au moment de quitter Marseille, à la fin du mois d’octobre 1950, ces deux organismes totalisent environ 1 050 hommes.
Tous volontaires ?
Pour l’histoire, le bataillon français de l’ONU reste celui des volontaires qui se sont engagés spontanément pour aller combattre en Corée. Ce terme de « volontaire » mérite toutefois d’être explicité et nuancé. S’il est vrai qu’au moment de la constitution du BF/ONU, le chef d’état-major de l’armée de terre, le général Blanc s’oppose à l’envoi de soldats d’active, seuls quelques uns intègreront l’unité à l’automne 1950, la situation évolue au cours de l’année 1951. En effet, malgré plusieurs campagnes de recrutement, le manque de jeunes français réservistes volontaires pour rejoindre le bataillon est tel qu’après avoir autorisé le personnel d’active à poser sa candidature, le Secrétaire d’État à la guerre de l’époque, Pierre de Chevigné ordonne, au mois d’octobre 1951, de procéder à des désignations d’office parmi les militaires en instance de départ pour l’Indochine.
À son arrivée en Corée, en pleine crise puisque les « volontaires » chinois viennent d’intervenir dans le conflit, le bataillon français est rattaché à une unité américaine : il devient le quatrième bataillon du 23e Regimental Combat Team de la 2e division d’infanterie américaine surnommée Indianhead, en raison de son insigne, une tête de chef indien. Rapidement, grâce au combat de Wonju (janvier 1951) de Twin Tunnels et de Chipyong-Ni (février 1951), les combattants français font montre de toute leur valeur au feu et se voient accorder la reconnaissance des troupes américaines. Au printemps 1951, le BF/ONU s’illustre une nouvelle fois dans la contre-offensive des Nations-unies, notamment à Inje (mai 1951). Cette gloire, justement méritée éclipse cependant la crise du moral, largement méconnue, que les hommes du bataillon connaissent après un semestre passé en première ligne. Les pertes très sévères, la lassitude physique née des fatigues dues à plusieurs mois de combats incessants, l’attente sur les pitons dans des conditions climatiques extrêmes et l’éloignement créés, au printemps 1951, une baisse significative du moral au sein des hommes du bataillon.
Afin de remédier à cette situation et d’apporter une amélioration des conditions de vie des combattants français, diverses mesures sont prises. La plus importante peut-être est la modification de la durée du séjour en Corée qui, de deux ans comme le stipule initialement leur contrat, est ramenée à une année, à l’instar, d’ailleurs, des autres troupes des Nations-unies engagées en Corée. Une autre mesure, plus immédiate et à même de satisfaire rapidement les hommes est l’introduction d’un régime de permissions, les premières depuis l’arrivée du BF/ONU à la fin du mois de novembre 1950. En effet, au mois de juin 1951, les volontaires français vont pouvoir, à leur tour profiter du fameux Rest and rehabilitation (R&R) qui peut être traduit par « Repos et réadaptation ». À l’été 1951, l’ouverture des pourparlers de paix, à Kaesong, et l’arrêt des grandes offensives permet aux combattants français de jouir de quelques semaines de repos. Celui-ci est toutefois de courte durée et le bataillon français est bientôt sollicité pour prendre part à l’un des plus violents combats de la guerre : la bataille de Crèvecœur.
Crèvecœur
Au cours du mois de juillet 1951, les pourparlers entrepris à Kaesong étant au point mort, le commandant des Nations-unies décide de relancer l’offensive afin de maintenir la pression sur les sino-coréens, d’une part, et d’harmoniser les positions alliées en rectifiant la ligne de front, de l’autre. La reprise de l’offensive donne lieu à de furieux combats, symbolisés pour les volontaires du bataillon français par l’assaut et la prise du piton 931, plus connu sous le nom de Crèvecœur. Les premiers assauts sur Crèvecœur, dévastée par les bombardements au napalm, retournée par les obus de l’artillerie américaine, débutent le 15 septembre 1951 et tout de suite, les pertes se révèlent effroyables pour les bataillons américains dont les effectifs fondent après chaque tentative. Le bataillon français est engagé quant à lui à partir du 26 septembre et il revient à la 3e Compagnie de déloger les Nord-Coréens du sommet et des flancs du piton : c’est le début d’une bataille qui va durer quinze jours. Lorsque le bataillon est relevé le 21 octobre, il a perdu 60 des siens et près de 260 ont été blessés, mais Crèvecœur est, grâce aux sacrifices des volontaires français et de leurs compagnons d’armes américains, aux mains des troupes des Nations-unies. Après la bataille de Crèvecœur, le BF/ONU est mis au repos et ce temps est mis à profit par les volontaires du premier bataillon pour préparer leur départ. Du contingent initial, pertes et rapatriements inclus, il ne reste guère que 508 hommes qui quittent finalement la Corée le 2 janvier 1952.
Arrowhead
Les deux dernières années du conflit sont essentiellement marquées par des activités de patrouilles et des coups de mains dans les lignes ennemies pour rapporter des prisonniers ou du renseignement et il n’y aura plus d’offensives majeures pour les hommes du bataillon de l’ONU hormis les très durs combats d’Arrowhead. À l’été 1952, les unités du corps de bataille sino-coréen ont eu le temps de se renforcer et d’améliorer les positions qu’elles occupent, un peu au nord du 38e parallèle. Le nombre de pièces d’artillerie a, lui aussi, considérablement été renforcé par l’apport de matériels soviétiques et les Chinois déclenchent régulièrement des tirs de harcèlement pour gêner les mouvements des troupes alliées. Les négociations, qui ont repris à Pan Mun Jon au mois d’octobre 1951 achoppent toujours sur la question des prisonniers chinois et nord-coréens qui ne souhaitent pas retourner dans leur pays d’origine et que les Américains refusent de restituer. À la fin du mois de septembre 1952, cependant, un net regain d’activité est observé dans le secteur du triangle de fer (délimité par les villes de Chorwon, Kumwha et Pyonggang) et plusieurs indices témoignent de l’imminence d’une attaque chinoise. Celle-ci a pour but de s’assurer du contrôle de hauteurs tenues par la coalition et de s’ouvrir la route de Séoul, défendue par deux positions White Horse, tenue par les Sud-Coréens et Arrowhead (ou cote 281) aux mains des Français. Pour renforcer la défense, les Américains ont également envoyé plusieurs blindés et des canons antiaériens. L’assaut chinois débute le 6 octobre 1952 en fin de journée et se révèle immédiatement meurtrier pour le bataillon qui voit disparaître l’une de ses unités d’élite, la section de pionniers. Toute la nuit durant, résistant au déluge de l’artillerie chinoise et aux assauts de ses fantassins, les combattants français vont tenir. Au matin du 7 octobre 1952, pourtant, 47 d’entre eux manquent à l’appel, la défense d’Arrowhead a coûté cher.
Les combats d’Arrowhead vus par le lieutenant Barrès
Dans une lettre à son père, le lieutenant Barrès évoque les combats d’Arrowhead : « Je n’ai jamais rien vu de pareil. Quelle casse, et de la pas belle. Des morceaux de type que l’on reçoit ou que l’on retrouve, des cervelles qui traînent sur le sol. Pour la première fois, j’ai aperçu des hommes courageux, se traîner à genoux en demandant grâce. Les pertes chinoises doivent être quelque chose d’inimaginable. C’est une façon de combattre qu’il faut avoir vu pour y croire. Mes hommes n’en peuvent plus, on est sur les nerfs, et je me considère comme solide« .
Au mois de décembre 1952, le troisième contingent du BF/ONU prend la relève. Il livre une guerre de positions, souvent passée sous silence, et perdra de nombreux soldats du fait des bombardements chinois ou d’attaques localisées. Après la signature de l’armistice, le 27 juillet 1953, ses hommes restent encore quelques mois en Corée avant de s’embarquer, le 25 octobre 1953, pour l’Indochine où d’autres combats très difficiles les attendent. Le BF/ONU, arrive à Saïgon le 1er novembre 1953 et est intégré au sein du Groupe mobile 100, stationné au Centre-Annam. Il subit de très lourdes pertes dans la dernière phase de la guerre d’Indochine, au mois de juin 1954.
Le bataillon français de l’ONU constitue une unité à part dans l’histoire de l’armée française malgré la faiblesse du nombre de soldats, environ 3 500, qui ont participé aux opérations entre 1950 et 1953. Formée initialement de volontaires, les hommes du bataillon se font rapidement remarquer par leur valeur combattive et le commandement américain, au départ réticent, reconsidère son point de vue dès les premiers engagements de l’hiver 1951. Désormais les combattants français seront de tous les coups durs comme en témoignent les quelque 289 morts, tués à l’ennemi. La participation de la France à la libération de la Corée du Sud et le sacrifice de ses combattants participent de l’histoire et de la mémoire que partagent les deux nations et, aujourd’hui encore, le BF/ONU représente un pont dans les relations entre les deux pays.
Commandant Ivan CADEAU
Service historique de la Défense
Texte et photos reproduits pour THEATRUM BELLI avec l’aimable autorisation de l’auteur.
- Au départ de Marseille le bataillon est constitué de 45 % de réservistes chez les officiers, 75 % chez les sous-officiers et plus de 90 % chez les hommes de troupe.
Dire qu’à part les historiens militaires, personne ne sait ce que ce bataillon français a fait pendant la guerre de Corée !
https://twitter.com/CapHornier_/status/1593497312038424579
C’est dire si c’est un sujet confidentiel…
Un petit commentaire sur l’appellation ‘Rest & Rehabilitation qui n’est pas la bonne.
R&R signifie Rest & Recreation