lundi 17 février 2025

Le combat en zone urbaine (RMG-CCF)

À l’heure des réseaux sociaux, des youtubers et des influenceurs, sans oublier les « experts » des plateaux télé, la Revue militaire générale peut sembler anachronique. Effectivement, elle l’est… Comme l’est la réflexion dans un monde où l’émotion et les éléments de langage dictent la conduite et la façon de penser.

Cependant, après deux années d’interruption, sa publication reprend car nous avons la certitude qu’il n’y a pas de grande action durable sans réflexion profonde et personnelle préalable. Derrière les victoires d’Alexandre, on retrouve toujours Aristote disait le général de Gaulle. Dans l’effervescence de notre époque, prenez donc le temps de vous poser et de réfléchir sur les enjeux militaires actuels en lisant la Revue militaire générale afin de rééquilibrer les informations plus ou moins éclairées que vous trouvez à foison sur internet et qui donnent l’illusion de la connaissance. Lisez avec un crayon à la main et faites-nous part de vos réactions. Nous n’avons pas vocation à servir du prêt-à-penser kaki.

Ce numéro est dédié à la guerre en milieu urbain. De l’Antiquité jusqu’au XVIIIe siècle, la guerre urbaine était d’abord une guerre de siège qui, sans exclure l’audace et la ruse1, faisait la part belle à l’esprit de méthode et à la patience. Elle se concluait en général soit par l’abandon du siège et la négociation, soit par la capitulation et bien souvent la mise à sac de la ville, voire sa destruction. La prise de Carthage en 149 avant J.-C. en est sans doute l’illustration la plus frappante.

L’immensité urbaine propre à l’époque contemporaine fait de la ville un champ de bataille à part entière. Le siège étant devenu illusoire, il reste deux solutions non exclusives l’une de l’autre, soit la destruction méthodique des infrastructures, en espérant amener l’ennemi à capituler, soit la conquête quartier par quartier.

La première solution fut élaborée par l’US Air Force et sa célèbre théorie des cercles stratégiques2 considérant l’ennemi en tant que système. Elle consiste à bombarder et détruire les infrastructures, spécialement celles fournissant de l’énergie, perçues comme le talon d’Achille des grandes métropoles. De la Seconde Guerre mondiale à Bagdad en passant par Belgrade, les exemples ne manquent pas. Cette doctrine est d’ailleurs mise en œuvre par les Russes en Ukraine depuis deux ans à base de drones et de bombes planantes. L’expérience prouve que, d’une façon générale, ces bombardements ne sont pas suffisants et qu’ils peuvent même avoir l’effet inverse à celui escompté, à savoir une plus grande cohésion de la population derrière son armée et son gouvernement malgré des conditions de vie très dégradées. La deuxième solution s’impose donc à un moment ou à un autre : cela donne Falloujah, Mossoul, Marawi et plus près de nous dans le temps, Marioupol et Gaza.

La culture militaire française, essentiellement tournée vers la guerre de mouvement – que l’on pense à l’opération Serval – éprouve une sorte de réticence instinctive devant la guerre urbaine qui nécessite patience, méthode et haut degré de technicité pour évoluer et combattre dans un environnement qui concentre toute la technologie dont l’homme est capable. Certes, l’armée de Terre, s’est dotée depuis 20 ans d’un pôle d’excellence, le CENZUB3, capable d’entraîner les échelons tactiques de niveau section à bataillon à combattre dans un environnement urbain mais du combat en localité à la guerre urbaine dans de grandes métropoles il y a un changement d’échelle dont il faut prendre conscience.

Il importe donc de construire une véritable doctrine du combat en zone urbaine intégrant la dimension multi milieux multi champs des engagements contemporains et conçue au niveau corps d’armée ou division. Cette doctrine présuppose une réflexion globale à la fois politique et stratégique pour bien mesurer les enjeux et le prix à payer. En effet, la ville n’est pas seulement un centre de pouvoir politique ou économique ou encore de rayonnement culturel mais un symbole qui attire la lumière médiatique à l’échelle planétaire. Un symbole tellement fort que l’on continue bien souvent à se battre dans des ruines et pour des ruines car, ne nous y trompons pas, la guerre urbaine engendre de façon quasi systématique des destructions considérables.

Nous laissons aux chercheurs en sciences sociales et politiques le soin de comprendre ce phénomène psychologique apparemment irrationnel qui consiste à se battre pour un bien dont il ne reste que des ruines pour nous concentrer dans ce numéro sur les exigences tactiques du combat urbain. Puissent ces quelques réflexions poser les premières briques d’une future doctrine et d’un renouvellement de la pensée militaire française sur ce sujet essentiel.

Colonel François-Régis LEGRIER

Chef du Pôle doctrine du Commandement du combat futur


  1. Le célèbre cheval de Troie qui inspire à Virgile cette célèbre phrase qu’il met dans la bouche du Troyen Laocoon : « Quoi qu’il en soit, je redoute les Grecs, même porteurs de présents ».
  2. Théorie qui conçoit l’ennemi en cinq cercles : le pouvoir politique au centre, la nourriture et l’énergie, les infrastructures, la population et enfin les forces armées.
  3. Centre d’entraînement aux actions en zone urbaine.
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