Un colloque sur les migrations était organisé par l’Institut Prospective et Sécurité en Europe ce mardi 5 décembre sur le thème « Flux migratoires : origines et enjeux de civilisation(s) ».
L’Europe et la France, notamment depuis le conflit syrien, ont été soumises en effet à une forte pression migratoire qui s’est accrue au fur et à mesure des années que ce soit pour des causes économiques ou les conflits auxquels il faudra intégrer les possibles conséquences du dérèglement climatique.
Néanmoins, les armées ne sont pas légitimes pour agir et pour faire face à tous les cas de figures. En effet, cette pression migratoire a de multiples formes : immigration légale, immigration illégale, immigration à accepter et à régulariser dans le cadre du droit d’asile. Il n’est cependant pas inopportun de réfléchir sur les conditions qui justifient ou justifieraient l’emploi des forces armées face aux pressions migratoires d’aujourd’hui ou de demain.
Contexte et fondements de la sécurité nationale
La sécurité nationale s’appuie avant tout sur la notion de frontières. Celle-ci est confrontée à une idéologie dominante qui voudrait une humanité sans frontières. Or, les frontières sont nécessaires pour aborder sérieusement la sécurité nationale (Cf. TedX Celsa du 27 juin 2017. Les frontières sont-elles nécessaires ?). La problématique des migrations y trouve alors toute sa place.
Les frontières d’un Etat expriment la souveraineté nationale et donc une autorité. Elles marquent la ligne que l’Autre ne peut pas franchir sans un accord. Pourtant loin d’être le symbole d’un soi-disant repli sur soi, elles peuvent aussi être le symbole du « vivre ensemble » en façonnant un ensemble géographique protecteur et mobilisateur selon des normes communes : peuple, système politique, langue, histoire partagée.
Paradoxalement, les frontières sont aussi le symbole de la tentation de la transgression et de la contestation de la souveraineté, sinon d’une identité. Elles peuvent d’ailleurs être contestées au sein d’une société démocratique au point que le franchissement de ces frontières par les migrants illégaux est soutenu par des individus, des associations s’abritant bien souvent derrière des références humanitaires.
La pression migratoire répond enfin à plusieurs facteurs : une démographie importante hors d’Europe, la volonté d’Etats à nous imposer un marché pour maîtriser les flux migratoires, l’absence d’Etats souverains capables de gérer les migrations auxquelles ils sont confrontés souvent en première ligne. Enfin, n’oublions pas l’appât du gain au profit des organisations criminelles ou terroristes.
Les années 2015 et 2016 ont néanmoins contraint l’Europe à revoir la perméabilité des frontières. Les accords de Schengen signés dans une période d’utopie ont été remis en cause et les contrôles rétablis aux frontières terrestres, aériennes et maritimes. Des garde-côtes européens ont été créés. Des forces navales ont été déployées en Méditerranée, sans oublier les accords financiers avec la Turquie ou la Libye pour maitriser ces flux migratoires.
Cependant, la pression migratoire quelle qu’en soit la forme remet aujourd’hui en cause la notion de souveraineté au nom bien souvent du droit humanitaire et des droits humains. La difficulté réside bien dans cette opposition.
L’aveuglement des « Livre blanc » sur la défense et la sécurité nationale sur les migrations
La problématique des migrations aurait dû être abordée largement dans les « Livre blanc » sur la défense et la sécurité nationale. Leur étude malheureusement montre qu’ils ont fait l’impasse sur les conséquences des migrations et surtout sur les décisions à prendre pour y faire face. En particulier, les « Livre blanc » de 2008 et de 2013 sont les symboles du grand aveuglement idéologique de notre société et de nos élites sur les questions migratoires.
Certes, sujet de peu d’actualité à l’époque, le Livre blanc de 1994 abordait indirectement la problématique des migrations par le biais de la démographie. Le poids des personnes déplacées était souligné avec 35 millions de personnes comme le fait que, depuis le milieu de la décennie 80, l’Europe occidentale avait accueilli annuellement 800 000 à 1 million d’immigrants.
Cependant, les « Livre blanc » de 2008 et de 2013 ont simplement effleuré la problématique des migrations qui n’apparait pratiquement pas. Ils se sont réfugiés derrière un projet européen dont on a vu l’échec face aux migrations de 2015. Suite à la crise syrienne, nous aurions pu penser que le Livre blanc de 2013 prendrait cette problématique migratoire plus sérieusement. Cela n’a pas été le cas, d’ailleurs pas plus que la menace de l’islamisme radical. Un bel exemple d’aveuglement idéologique.
En revanche, la revue stratégique sur la défense et la sécurité nationale d’octobre 2017 montre un infléchissement en abordant la notion d’immigration illégale.
Se poser la question du rôle des armées
La mission première des armées est d’assurer la protection de la Nation contre toute menace de nature militaire. Les migrations peuvent-elle être interprétées comme une menace militaire justifiant un engagement actif des forces armées ? Le Livre blanc de 2013 précisait que « Par menaces, on entend toutes les situations où la France doit être en mesure de faire face à la possibilité d’une intention hostile ». En soi, une migration n’est donc pas une menace militaire puisqu’il n’y a pas d’hostilité affichée.
En revanche, le Livre blanc définit le risque qui se comprend comme « tous les périls susceptibles, en l’absence d’intention hostile, d’affecter la sécurité de la France ». A ce titre, les armées sont concernées par ce risque sur la sécurité nationale mais le seul domaine migratoire qui puisse faire l’objet d’une prise en compte est celui de l’immigration illégale, au moins en renforcement des autres acteurs institutionnels.
Pour conclure
Outre leur légitimité à assurer la protection du territoire national, les armées sont nécessaires pour faire face au problème migratoire au moins dans sa dimension illégale. Deux cadres d’action pourraient être étudiés pour faire
Le premier serait le renforcement accru des moyens de l’Etat par les armées notamment dans les domaines du renseignement ou de la protection des frontières qu’elles soient terrestres ou maritimes. Cela impose aussi un accroissement des moyens militaires pour compléter ceux qui sont déjà employés.
Le second surtout aurait pour objet de définir une stratégie d’action dans un cadre interministériel. Outre le développement d’une dissuasion crédible à l’encontre notamment des passeurs et de leur neutralisation, il s’agirait d’anticiper des flux migratoires beaucoup plus importants provoqués par exemple par le dérèglement climatique. Les armées y trouveraient toute leur place.