Comment quelques grammes de plomb propulsés par quelques grammes de poudre peuvent-ils avoir raison du plus robuste des soudards ? Pourquoi le même projectile peut-il tuer l’un et non l’autre ? Depuis le XVe siècle, ces questions intriguent le chirurgien et agitent la communauté scientifique. Cet ouvrage croise données historiques, compte rendus médico-légaux et expérimentation scientifique, et repose principalement sur les écrits chirurgicaux mais aussi sur les écrits traitants d’armes ou de tactique.
Un témoignage scientifique original du Dr Vincent LAFORGE pour THEATRUM BELLI.
L’auteur est docteur en médecine, docteur en histoire et titulaire de diplômes universitaires de balistique et de criminalistique. Il est l’auteur d’une thèse récente intitulée « Effets vulnérants des armes à feu réglementaires. Sept siècles de balistique lésionnelle ». Ses fonctions de praticien hospitalier au SAMU de Marseille, de réserviste à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris et de chercheur affilié au laboratoire ADES (Anthropologie bio-culturelle, droit, éthique et santé) lui permettent d’avoir un regard aussi pratique que théorique sur les traumatismes balistiques.
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Jeune étudiant en médecine j’étais intervenu sur le braquage d’une bijouterie dans la banlieue nord de Paris. Raté par les tirs des truands, le commerçant avait riposté, en abattant un d’une balle de 6,35 mm entre les deux yeux. Nous avions transporté le blessé en neurochirurgie où le patient décéda quelques heures plus tard. L’examen des radios révéla que la petite balle s’était scindée en deux parties, la coiffe blindée et le noyau en plomb mou. Il n’en fallait pas plus pour éveiller mon intérêt et que j’entreprenne quelques recherches. Les publications francophones de l’époque étaient truffées de notions aussi séduisantes que mystérieuses comme la « puissance d’arrêt », les « balles à haute vitesse initiale » ou « l’onde de choc ». Je fis mon miel de tout ceci et eus la chance d’être affecté, lors de mon service national, au prestigieux bataillon de marins-pompiers de Marseille.
Non seulement la cité phocéenne était le paradis de la médecine pré-hospitalière et je pus y prendre en charge de nombreux blessés par arme à feu, mais j’eus aussi le rare privilège d’y rencontrer le vétérinaire-biologiste-en-chef Jacques BRETEAU qui voulut bien me confier le résultat de ses travaux qui portaient sur les effets vulnérants des munitions de fusils d’assaut et tout particulièrement des balles de 5,56 mm de l’OTAN comparées à celles de 5,45 mm du Pacte de Varsovie.
Nantis de ses précieux conseils et d’une forte expérience de terrain, j’entrepris donc la rédaction de ma thèse de doctorat de médecine qui, tout naturellement, traitait des traumatismes balistiques à Marseille. Pour conforter mon propos, je pris rendez-vous avec le médecin-en-chef Philippe JOURDAN, neurochirurgien du Val-de-Grâce et auteur d’un polycopié qui fait toujours autorité. Lorsque je sortis de son bureau toutes mes certitudes en balistique lésionnelle avaient disparu : la « puissance d’arrêt » n’était qu’un mythe complaisamment relayé par l’industrie cinématographique, les terribles « balles à haute vitesse initiale » n’étaient guère plus rapides que leurs devancières et « l’onde de choc » qu’elles étaient censées engendrer n’existait que dans l’imagination de quelques chirurgiens suédois aux motivations douteuses. Je remis donc mon ouvrage sur le métier et soutins une thèse qui lui devait beaucoup, tant à l’écrit qu’à l’oral !
Ma passion pour l’histoire et les hasards de l’existence finirent par me conduire dans le bureau d’un autre grand Monsieur, le professeur Jean-Charles JAUFFRET, de l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence, qui, aux vues de mes recherches précédentes me « conseilla » de préparer une thèse sur les effets vulnérants des armes à feu réglementaires.
Ce travail commença logiquement par une solide recherche documentaire aussi bien sur internet (indispensable Gallica !) que dans des archives poussiéreuses et vierges (certains livres étudiés n’avaient jamais été coupés). Plusieurs fois remanié, le plan de l’étude s’adapta finalement à l’évolution des projectiles utilisés au cours des siècles :
- Une première partie concerne les balles en plomb nu tout d’abord sphériques (jusqu’en 1840), puis cylindro-coniques (sous le Second Empire) et enfin cylindro-ogivales avec le célèbre Chassepot.
- Les contraintes mécaniques liées à l’augmentation des vitesses initiales, garantes de précision à longue distance, exigèrent le chemisage des projectiles en plomb. Ces balles « blindées » sont l’objet de la deuxième partie qui nous conduit de la fameuse « balle humanitaire » cylindro-ogivale blindée aux projectiles des fusils d’assaut moderne de petit calibre en passant par les balles biogivales des deux conflits mondiaux.
Chacune de ces six « époques » est étudiée :
- Sous l’angle technique en mettant en exergue le « couple arme munition ». l’évolution des performances de l’armement modifiant considérablement la manière de combattre. Le champ de bataille s’agrandit à partir de 1840 et de la généralisation des fusils à canon rayé. Il devient invivable, au sens strict, avec l’apparition des mitrailleuses automatiques qui fauchèrent les rangs japonais lors du conflit russo-japonais de 1905.
- D’un point de vue tactique en étudiant certains combats, de la bataille de Crécy où tonnèrent (peut-être !) les premiers canons jusqu’à la Première Guerre mondiale qui vit l’annihilation des vagues d’assaut françaises lors du terrible mois d’août 1914. Les conflits asymétriques coloniaux de la fin du XIXe et les émeutes urbaines réprimées dans le sang sont également riches d’enseignement en terme balistique.
- La manière de combattre induit souvent des blessures spécifiques. Si les sièges, comme celui de Sébastopol en 1853, sont à l’origine de traumatisme de la face et du crâne, les combats modernes, où la tête et le tronc du combattant sont protégés se signalent par la prédominance des plaies des membres. Les émeutes urbaines de la première moitié du XIXe siècle mirent en évidence des plaies particulièrement délabrantes dues, non à la malignité de tel ou tel adversaire, mais au simple fait que les balles en plomb se déformaient facilement contre les façades des immeubles et acquéraient des formes irrégulières et coupantes.
- Les observations des chirurgiens militaires, souvent pleines de bon sens, parce que strictement factuelles, sont souvent mal comprises par d’autres membres de la communauté scientifique. Fleurissent alors des théories baroques voire saugrenues qui tentent d’expliquer comment de minuscules objets comme des balles peuvent blesser et tuer, parfois plusieurs mois après le traumatisme initial. On invoque alors le rôle du diable, du poison, de la configuration astrale et bien plus tard de l’onde de choc, alors que le bon sens veut qu’une blessure par arme à feu soit d’abord un trou, entouré d’un hématome. Sa gravité est lié, quel que soit le projectile responsable, à l’organe qu’il lèse et tout particulièrement à la structure et au rôle physiologique de ce dernier. L’estomac ne réagit pas de la même manière à un impact selon qu’il est plein ou vide. On peut survivre à un arrachement de membre par un projectile de gros calibre pas (ou si rarement) à une petite plaie du ventricule droit.
- La dernière partie fait l’originalité de ce travail puisque j’eus la chance de pouvoir tester sur des blocs de gélatine, seul simulant acceptable en balistique lésionnelle, des armes aussi diverses que le fusil An IX, le revolver modèle 1858, le fusil Lebel ou la Kalachnikov. Fort heureusement, ces données expérimentales recoupent les observations des chirurgiens de terrain !
La conclusion de ce travail, étayée par sept siècles d’observations de chirurgiens, de témoignages de patients, de comptes rendus d’autopsie et par les expérimentations conduites en laboratoire, peut paraître simpliste : le pronostic d’une blessure par arme à feu est toujours imprévisible. Un déprimé peut se rater en utilisant un fusil de chasse, on peut mourir d’une plaie due à un diabolo de carabine à air comprimé. On peut survivre à un règlement de compte, touché par neuf impacts de 11,43 mm, ou mourir « bêtement » en simulant un suicide avec une arme chargée à blanc.
Chaque cas est un cas d’espèce. C’est là tout l’intérêt de la balistique lésionnelle.
Vincent LAFORGE
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