samedi 7 décembre 2024

Les (anciens) militaires continueront de s’exprimer !

Quelques discours et interventions intéressantes dans cette quinzaine de janvier sur le monde de la défense. Nul ne peut ignorer les déviances de notre système, l’affaiblissement de l’organisation militaire, le placement des collaborateurs au détriment des militaires… En effet, nul ne doit être anesthésié par le contexte sécuritaire conjoncturel qui obscurcit et dissimule les enjeux à long terme de la défense nationale.

Ainsi le général Desportes, suite à son dernier ouvrage, était interviewé par Le Figaro-Vox le 15 janvier 2016 (Cf. Le Figaro-Vox) et déclarait « Les intérêts politiciens désorganisent l’armée française ». D’ailleurs, largement échaudés, combien de militaires font-ils confiance aux politiciens aujourd’hui tout en reconnaissant les efforts faits depuis un an mais que seule la menace djihadiste et la peur ont pu rendre, temporairement, réalisables?

Son aversion pour l’OTAN s’exprime aussi. Pour lui, cette organisation « est devenue une menace pour la sécurité des Européens, car elle les empêche de trouver leur autonomie stratégique. Ils s’en remettent, à tort, aux Américains pour les défendre ». Elle permet aussi la mainmise américaine sur l’organisation. Vincent Desportes conclut donc que « Le meilleur service que les Américains pourraient rendre aux Européens (et à eux-mêmes!) serait de sortir eux-mêmes de l’OTAN pour nous imposer ainsi notre prise de conscience et notre autonomie stratégique ». Sans doute en théorie, mais en pratique, sans l’OTAN aurions-nous encore une défense ? Non. Seule l’Otan permet de pousser nos alliés vers un minimum d’effort pour la défense.

Vincent Desportes souligne par ailleurs que « la négation des dimensions politique et stratégique du soldat, son cantonnement toujours plus étroit dans ce que l’on baptise à tort son «cœur de métier» constituent une menace directe sur leur sécurité.», position que j’ai souvent défendue (Cf. Le Monde du 13 juillet 2011) mais combien de chefs militaires ont validé avec complaisance ce concept du cœur de métier depuis des années et cela au plus haut niveau de la hiérarchie. Le résultat en est la civilianisation du ministère de la défense.

Le général Desportes s’exprime aussi sur la place du soldat dans notre société : « La société française a mis au pas le soldat avant de le rejeter de son monde ». Comme il le rappelle ,« l’expression libre des militaires sur les problèmes stratégiques n’est pas seulement légitime, elle est nécessaire: les restrictions à la liberté d’expression sont les meilleures ennemies de la défense de la France. » Et ce commentaire tombe particulièrement bien.

En effet, le général Pinard-Legry a adressé le 17 janvier 2016 au sénateur Gilbert Roger (Parti socialiste), vice-président de la commission des affaires étrangères et des forces armées, une lettre au nom de l’ASAF (Cf. Lettre de l’ASAF au sénateur Roger) en réaction à ses commentaires sur la liberté d’expression des retraités militaires qu’il fallait restreindre. Réaction cependant bien tardive à mon avis puisqu’elle se réfère à une audition du 18 novembre du CEMA devant la commission du Sénat (Cf. Audition du CEMA) mais au moins une association a réagi.

Comme elle a été largement reprise sur les réseaux sociaux et les blogs, il me paraît utile de rappeler que les militaires en retraite ont le droit de s’exprimer (Cf. ADEFDROMIL et mon billet du 12 février 2012) et ne doivent pas s’en priver. Adefdromil fait aussi remarquer que les officiers généraux en seconde section sont soumis à un devoir de réserve. Je soulignerai à nouveau que cela n’est pas écrit dans le statut des militaires hormis le devoir de discrétion (Cf. Mon billet du 21 décembre 2014). Je rappelle le texte :

« Les opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques, sont libres. Elles ne peuvent cependant être exprimées qu’en dehors du service et avec la réserve exigée par l’état militaire. Cette règle s’applique à tous les moyens d’expression. (…) les militaires doivent faire preuve de discrétion pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions » (Article L4121-2 30 mars 2007). J’en ai peut-être une mauvaise interprétation ?

Dans tous les cas, ce sénateur mais ce ne sera ni le premier, ni le dernier, de droite comme de gauche (Cf. Le député Guilloteau, Mon billet du 3 novembre 2013), n’a pas compris que l’époque avait changé et que les militaires, eux, l’avaient bien compris. Les associations professionnelles nationales de militaires tellement souhaitées par le gouvernement mais dont les textes ont semble-t-il des difficultés à être publiées sauront sans aucun doute défendre les libertés individuelles du soldat pour répondre au regret du général Desportes regrettant l’absence « d’organisme ou de syndicat dont la mission soit la défense des militaires ».

Cette absence de considération du militaire exprimée par ce sénateur correspond bien à la démilitarisation ou civilianisation du ministère de la défense avec par exemple l’éviction du contrôleur général Feytis, donc un militaire, jusqu’à là à la tête de la direction des « Ressources humaines » du ministère. Par qui a-t-il été remplacé ? Par Anne-Sophie Avé. Qui est-elle ? Depuis 2012, elle était conseillère sociale du ministre de la Défense. Énarque (promotion Romain Gary 2003-2005) et diplômée de l’École supérieure de commerce de Toulouse (1991). Sans doute des compétences techniques s’ajoutant à son engagement politique puisqu’elle était au cabinet du ministre de la défense. D’autres ont déjà bénéficié de postes prestigieux et rémunérateurs de fait.

En faut-il pour autant oublier l’affaire de juillet 2013 où elle a bien « viré » les officiers supérieurs qui s’opposaient à ses orientations  (Cf. Le Point, 3 juillet 2013) ? Comment les militaires peuvent-ils faire confiance dans ces conditions à cette haute hiérarchie civile qui, à la veille de quitter le pouvoir, s’installe dans les postes de responsabilité quel que soit le ministère ou la grande entreprise? Quels vont aussi être les rapports entre l’armée et cette direction compte tenu de ce passif ? Par ailleurs, l’opposition s’est bien gardée de réagir à cette nouvelle nomination d’un membre de cabinet dans un poste de pouvoir en récompense des bons et loyaux services. 

Pour rester positif, j’invite à lire la grande tribune publiée dans le Monde le 21 janvier 2016  du général de Villiers, chef d’état-major des armées, qui éclaire sur les évolutions de la défense. J’ajouterai aussi cette référence au discours qu’il a fait devant les associations patriotiques le 27 janvier. Il se félicitait qu’elles agissent pour les militaires, que ce soit dans les domaines sociaux, culturels, mémoriels, ou plus largement de l’entraide. Il rappelle fort justement que « être militaire, c’est bien plus qu’un métier », donc une vocation ? Bien que j’ai entendu bien des officiers rejeter cette approche mais il est vrai que des officiers de conviction sont dangereux. Les valeurs mises en avant par le CEMA me semblent importantes : engagement au service de la nation, adhésion à un code d’honneur comprenant désintéressement, obéissance, courage, fraternité et patriotisme.

Quelques chiffres qu’il me semble bon de connaître sont rappelés : 34  000 soldats des 3 armées déployés 24h sur 24 à l’intérieur et à l’extérieur de nos frontières, dans 25 opérations extérieures et sur le territoire national. Le CEMA  avertit surtout sur les enjeux de la loi de programmation militaire prochaine qui devra tenir compte sans doute d’une révision du Livre blanc en 2017. Ce qui au demeurant peut faire douter de la perspicacité de ses rédacteurs juste capables ( ?) d’avoir une vision pour un mandat électoral et non pour une stratégie à long terme.

Le CEMA a rappelé que l’objectif devait être celui de 2% du PIB pour le budget de la défense, conformément aux engagements pris dans le cadre de l’OTAN au sommet de Newport, à comparer aux 1,7% actuels, pensions comprises, donc en réalité environ 1,57%.

Au bilan, ces interventions montrent les ambiguïtés sur la position du soldat dans la société française. Le politique s’en méfie mais ne peut s’en passer. En revanche, il s’empare de tous les postes décisionnels année après année avec une certaine complicité de la hiérarchie militaire… bien compréhensible. Le politique va-t-il nommer un général qui pourrait s‘opposer à lui au nom de la sécurité de la Nation et au détriment des visées politiques du moment ? Le militaire se tait donc, certes de moins en moins, et plie. Il essaye de limiter la dégradation des armées autant qu’il le peut.

Le peuple cependant apprécie son armée, surtout en temps de crise où il la redécouvre. Sans doute qu’un réveil du peuple et sa pression sur ses élus, par exemple dans le cadre de la campagne présidentielle future, seraient nécessaires pour rétablir un équilibre des pouvoirs au sein des institutions afin que les armées puissent toujours assurer la protection de la Nation.

Général (2S) François CHAUVANCY
Général (2S) François CHAUVANCY
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l'Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l'Union des associations des auditeurs de l'Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d'influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d'août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
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