Joyeux Noël à tous et bien sûr bonnes fêtes de fin d’année, deux souhaits à différencier pour respecter nos traditions. Rendez-vous au 12 janvier 2014… en principe, sauf envie contraire.
Semaine qui a vu le vote définitif de la loi de programmation militaire que j’analyserai ultérieurement (désormais le « livre de chevet » de tout officier pour les cinq ans de sa validité), le Conseil européen qui traitait notamment des questions de défense (pas un grand succès), enfin la polémique sur le port d’un insigne nazi sur la tenue d’un de nos soldats en RCA.
L’échec de l’Europe de la défense face à l’épreuve des faits
Deux jeunes militaires français sont morts le 9 décembre 2013 pendant qu’ils patrouillaient dans le quartier populaire d’une ville de Centrafrique. Professionnels, ils connaissaient les risques encourus en OPEX. Ces tués au combat posent la question sur ce théâtre d’opération de la présence de l’Europe alors qu’elle laisse 1600 militaires français seuls ou presque face à un désordre qui la concerne aussi.
Le président François Hollande a rendu hommage aux deux soldats en rappelant que les militaires étaient là pour sauver d’autres vies dans un pays où des massacres ont été perpétués, où des carnages plus terribles auraient été commis si la France n’était pas intervenue. Quelles auraient été les responsabilités juridique et morale de l’Union européenne si le massacre prévisible avait eu lieu ?
Or, le Conseil européen consacrait les 19 et 20 décembre 2013 une partie de son ordre du jour à la défense (Cf. Conclusions soit 10 pages sur 26 et billet de B2, PSDC Europe de la défense et défense européenne, comment s’y retrouver). Rien de bien neuf, admettons-le. Le Conseil s’est surtout préoccupé de l’industrie de défense. Comme toujours, les contraintes budgétaires ont été évoquées. La solution habituelle de la mutualisation européenne croissante des moyens a été exprimée. Encore faut-il qu’elle n’altère pas l’autonomie des Etats au titre de leur souveraineté nationale et de leur défense. Protéger les citoyens de son propre Etat est une responsabilité régalienne non partageable.
La RCA et l’aide possible à la France ne sont pas évoquées dans les conclusions malgré la pression française. Les arguties de nos partenaires sur le respect d’un processus pour agir et donc pour prendre une décision sont peu acceptables face à une urgence. Faudra-t-il laisser la prochaine fois le massacre se produire pour que l’Europe réagisse ? Sans doute apparemment mais quelle responsabilité d’abord pour ceux qui pourraient agir d’initiative mais ne le feront pas pour ne pas se retrouver seuls, ensuite pour ceux qui auraient pu agir mais attendront tous les « feux verts »… L’Europe peut-elle donc continuer à faire la sourde oreille sur la nécessité de pouvoir agir indépendamment dans le domaine militaire, et donc sur le besoin de construire cette volonté militaire commune en appui de ses intérêts propres ?
Face à un monde en pleine mutation mais qui ne refuse pas l’affrontement armé, face à un nouveau contexte géostratégique, économique et social, face à des menaces comme la prolifération, la cyberguerre ou le terrorisme, il est nécessaire de donner une dimension militaire à l’Europe. Il s’agira d’éviter cependant la confusion entre « sécurité » et « défense » qui civilianise à outrance la sécurité nationale, affaiblissant d’autant sa composante militaire, validant aussi un rejet persistant du militaire et des valeurs qu’il représente.
Or, les armées doivent être au cœur de la sécurité de l’Europe. Elles sont légitimement responsables au moins de la défense extérieure de l’Europe car tout échec leur sera effectivement attribué par les citoyens. Elles sont le symbole de la volonté européenne et d’une Europe puissance, pas seulement économique et financière qui fait des chèques de « bonne conscience » pour la reconstruction des Etats faillis. Il s’agit bien de la recherche du sens à donner à l’engagement militaire au service de l’Europe.
Dans ce contexte, la subordination du militaire au service d’action extérieure (SAE) est-elle si pertinente d’autant que Catherine Ashton, Britannique en poste, ne se montre pas vraiment en pointe sur la construction de l’Europe de la défense ? Ne vaudrait-il pas mieux aujourd’hui rééquilibrer aussi la place du diplomate et du militaire dans le fonctionnement de l’Union européenne afin de répondre aux exigences d’une défense européenne crédible et donc construire ce pilier « défense » au sein de l’OTAN ?
Le militaire ne peut vraiment pas se sentir à l’aise dans ce contexte européen.
Des photos déstabilisantes
En outre, quelques photos diffusées par la presse pourraient bien instiller un flou sur l’image de nos soldats.
Une photo montrant un soldat français en Centrafrique (Cf. BFM-Tv) avec un insigne de manche sur son treillis a été publiée puis retirée de la page Facebook du ministère de la défense. Il vaut reconnaître qu’il faut un œil exercé pour identifier l’inacceptable, la devise de la « Waffen SS » autour de ce qui apparaît comme le signe d’appartenance à une unité. Or, tout insigne de ce type, polémique ou non, n’est pas réglementaire. Le port d’insignes sur une tenue est en effet réglementé. Comment cela a-t-il pu se faire ? Ajoutons que la connaissance de l’allemand est plutôt rare parmi nos soldats. Il est même vraisemblable que si ce soldat est identifié, il ne connaissait même pas le sens de ce qu’il portait.
Sur la question de la mise en ligne de cette photo, je rappellerai la doctrine de la communication opérationnelle de 2007 dont j’ai été le pilote. Elle a une annexe consacrée à l’image en opération et à son emploi (acquisition, analyse, exploitation). Je crains que la doctrine, comme souvent, n’ait pas été lue ou assimilée alors que l’image est devenue une arme dans toute stratégie d’influence ou de communication. L’analyse aurait permis d’abord de ne pas mettre cette image en ligne mais aussi d’identifier l’erreur de comportement et d’y remédier en interne.
Cela me permet de revenir à la précédente et triste affaire de ce légionnaire au foulard à la tête de mort, foulard certes non réglementaire qui se référait à un jeu vidéo et porté presque par hasard. L’image, prise le 20 janvier 2013 par un photographe de l’AFP et diffusée, l’a « rendu » à la vie civile. Il est désormais à la dérive. Dans le contexte connu, il me semble que son droit à l’image n’a pas été respecté. Cette photo ne semble pas non plus une « information » justifiant sa diffusion mais je me trompe peut-être. Je ne connais pas non plus le dossier militaire de ce légionnaire (Cf. Le Monde du 3 décembre 2013) mais sa situation incite donc à la réflexion sur la formation morale du soldat et peut-être aussi sur un manque d’humanité de notre institution.
Pour sortir de ces références à des photos litigieuses, je vous invite à voir les belles photos de nos soldats en RCA mises en ligne par Theatrum Belli.
Identité militaire et formation morale du soldat
Le fait de porter un foulard bizarre ou un insigne aux références douteuses n’est-il pas un témoignage, non de l’adhésion à des valeurs que nous rejetons mais du manque de repères de nos soldats et du rôle permanent que les cadres doivent avoir ? L’esprit du soldat tous grades confondus, sa dimension virile (j’ose le dire) en terme d’énergie, de puissance, de fermeté, se travaillent jour après jour à partir de ses expériences successives et diverses, de son âge, de son évolution personnelle.
Au service du collectif, la formation morale du soldat doit être permanente au cours de la carrière afin qu’elle le conforte dans ses convictions, qu’il soit irréprochable dans ses comportements et cela à tous les niveaux de la hiérarchie car rien n’est jamais définitivement acquis.
Collectivement, l’Armée doit aussi réaffirmer cette force morale qui contribue en interne à la cohésion. Elle permet à l’individu de savoir ce qu’il doit faire en tout temps et en tout lieu. Elle doit aussi rappeler à l’extérieur qu’elle est une référence de rigueur et d’abnégation au service de la population. Je crois que c’est ce qu’attendent nos concitoyens de leur armée et de leurs soldats.
Pour nous y aider, les meilleurs repères en notre possession me semblent être à mon avis ces soldats qui nous ont précédés et dont l’engagement peut servir d’exemple. Or, apprenons-nous la vie des héros militaires hormis à travers l’attribution de noms de promotion qui ne concerne qu’un nombre limité de soldats et de cadres ? Pas vraiment.
L’histoire militaire, notre histoire donc, peut donc contribuer à notre formation morale à travers ses héros qu’ils soient d’hier ou d’aujourd’hui. Elle devrait être enseignée en permanence. La notion d’exemplarité, le sens du devoir à la patrie, le besoin de se référer à un modèle français certes sans doute idéal s’expriment ici. Cela empêcherait de rechercher ailleurs une identité ou des références souvent mal comprises.
Enfin, prêter serment au drapeau et à la République, proposition que j’ai souvent faite sans succès pour l’instant, permettrait en particulier de sacraliser l’engagement républicain de nos soldats qu’ils soient officiers, sous-officiers ou militaires du rang.
Pour conclure
L’Europe a-t-elle aujourd’hui le soldat qu’elle souhaite si elle en a une quelconque idée ? Ce serait une première question qu’elle devrait se poser.
Le soldat a-t-il l’Europe qu’il peut respecter et donc servir ? J’ai quelques doutes.
Dans tous les cas, on naît rarement soldat. On le devient et le sens donné par la formation morale est le guide nécessaire. C’est peut-être aussi une piste pour disposer d’un soldat « européen ».